T^M!- t^ \^ tv^^ X \V-i.: ^ V riJ ,NT \^. rT I fm l(^: ~^-^^'V^V:^V^ A<' /U^^/^6 TaIMSSERIE italienne a SIJEI ALLÉUORiyLE, FIN DU XV' OU LOMMcNCE.MENr DE XVI' SIECLE. (Collection dj comte de Baedseuil.) HISTOIRE DE L'ART ■PEXIiAMT LA RENAISSANCE PAR EUGÈNE MÛNTZ l'oiiscrv.rlciir Je l'École imlioiuilc des BcaiLx-Arls I ITALIE LES PRIMITIFS OUVRAGE CONTENANT ( INi.i CENT QUATORZE ILLUSTRATIONS I N S L R K E S DANS LL l' F. X [■ K OVATRE PLANCHES EN C II RO H OT Y P O G R A P 11 1 E , ET HUIT EN PIIOTOTYPIE POLYCHROME UNE CARTE EN COULEUR ET VINGT ET UNE PLANCHES EN NOIR, EN ISISTRE ET EN ISLEU TIRÉES A PART PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET C- 7g, BOULEVARD S Al N T - GERMAIN , 79 1889 Droil^ Ae trailurliftfi et do rcprmluclion r^îerrf». fr.^K' lA 1121035 Couronnement d'une des portes de la Chartreuse de Pavie. INTRODUCTION I. DKPIXITION DU MOT « RENAISSANXE » . LA SOCIETE ITALIENNE AU XV SIECLE. PRINCES ET CONDOTTIERI; PRELATS ET MOINES; BANQUIERS, BOURGEOIS, ARTISANS ET PAYSANS. LA FENLME ITALIENNE. II. LA LITTÉRATURE ITALIENNE. III. RÔLE DE l'art PENDANT LA PREMIERE REN.iISSANCE. IV. DIVISION CHRONOLOGIQUE DU SUJET. l'aRT DU MOYEN AGE ET l'aRT NOUVEAU. C E sens du mot Renaissance n'est plus à cliercher, après les travaux des Michelet, des Edgar Quinet, des Burck- hardt , des Taine : il signifie ce rajeunissement de l'esprit humain, cet affranchissement de la pensée, cet essor des sciences et ce raffinement de la civilisation, cette poursuite de la distinction et de la beauté, qui se y sont affirmés en Italie vers le quinzième siècle, sous l'influence des leçons de l'antiquité. La découverte du monde et de l'homme, des mœurs plus douces, plus humaines (le bea.u terme d' « humanisme » est synonyme de renaissance des lettres), le spiritualisme parfois subtil, mais tou- jours si généreux de Platon se mariant aux pratiques de la charité chrétienne, non sans laisser la porte entr'ouverte pour les vivantes et suggestives doctrines E. Mûntz. — I. Italie. Les Primitil's. i 2 IIIST01RI-: ni: i.art im-:ni)ant la renaissance. d'Épicure et de Lucrèce, le retour à la tolérance religieuse et au cosmopolitisme, une activité plus méthodique, et comme conséquence une prospérité toujours croissante, l'exubérance de vie dans vingt cours souveraines, dans cinquante villes pouvant prétondre au titre de capitales, et « où tout était grand dans un petit espace, parce que les passions y développaient toutes les facultés », le culte de la forme rétabli dans tous ses droits : tels sont quelques-uns des traits qui caractérisent ce mouvement admirable. En ne croyant qu'imiter, la Renais- sance créait à nouveau, et elle opéra le miracle de faire de la tradition la con- dition du progrès. Qu'on n'objecte pas que la préoccupation de se régler sur l'antiquité grecque ou romaine nuisit à la spontanéité de l'inspiration, ni que la sincérité des artistes souffrit de tentatives dans lesquelles l'érudition entrait pour une large part : retrouver est souvent plus doux que trouver, car de ce que l'on a perdu on connaît mieux le prix, et ce que l'on avait perdu, ce n'était rien moins, en matière de science, de philosophie, de littérature et d'art, que l'expérience accumulée de tant de siècles radieux et les conquêtes de la race la mieux douée qui fut jamais. La Renaissance a eu à lutter jusqu'à nos jours avec des adversaires aussi habiles que passionnés : « Progrès des lettres et décadence de l'esprit public dans le quinzième siècle », c'est ainsi que le doctrinaire Sismondi intitule un des chapitres de son Histoire des Répiihliijnes italiennes an moyen âge. Cet élo- quent sectaire ne déplore-t-il pas la « nullité de l'histoire d'Italie pendant plu- sieurs années », ou 1' « insignifiance de l'histoire florentine pendant plusieurs années », ou encore « les annales florentines sans intérêt à cette époque »? C'est que les triomphes littéraires ou artistiques, les inventions des sciences, les progrès des mœurs, ne sont rien pour l'historien proprement dit : — il lui fltut des complots, des guerres, du sang versé, des révolutions, plus profitables, comme chacun sait, au bien-être des peuples, — comme si ceux-ci ne vivaient que de politique! Qu'un citoven romain eût parlé ainsi à l'époque où la Mlle éternelle travaillait à subjuguer l'univers, on le conçoit; mais des représentants d'un siècle de lumières tenir un tel langage, quelle aberration ! Et qu'il est doux d'opposer à ce fitnatisme les généreuses ardeurs de Quinet et de Michelet, glo- rifiant l'Italie de s'être sacrifiée pour la cause de la civilisation ! Il fiut nous figurer une époque .'i la lois très active et très calme, sans les passions violentes du mo\'en âge et sans la corruption profonde du seizième siècle, avec des guerres nombreuses, mais peu sanglantes, échos lointains des luttes entre Guelfes et Gibelins, propres tout au plus à stimuler le patriotisme et à assurer l'immortalité à des généraux tels que Braccio di Montone, les deux Sforza, Piccinino, Carmagnola, Gattamelata, Colleone, Frédéric de Montefeltro, sans mettre en cause l'indépendance des principaux Etats; le INTRODUCTION. pouvoir impérial affaibli, presque ruiné; la papauté retrouvant un nouveau prestige après les scandales du schisme; les ordres monastiques réformés par saint Bernardin de Sienne et par Savonarole; la réunion d'un Concile qni fit espérer un instant l'union des Grecs et des Latins; le sentiment religieux, à l'abri des doutes, berçant les consciences dans une paix protonde. L'esprit italien a perdu en hardiesse, comme il était naturel dans une période où les arts éclipsent les lettres; les élans de ce grand quatorzième siècle ont fait place à je ne sais quelles habitudes timorées, cérémonieuses et bourgeoises'; mais comme la sagesse de l'administration et le bien-être consolent de la perte de la (I periculosa libertas »! Pour la première fois depuis l'antiquité, terme de comparaison auquel il faut toujours en revenir en fin de compte, pour la pre- mière fois nous trouvons une société organisée conformément à toutes les exigences de la raison pure; partout des fondations grandioses, soit pour l'en- seignement, soit pour la bienfaisance : universités, hôpitaux, hospices pour les entants trouvés, maisons de retraite pour les vieillards, nionts-de-piété, institutions d'assurances sur la vie; puis de gigantesques travaux d'utilité publique, canaux, ports, halles au blé ; l'agriculture, l'industrie et le commerce également prospères*. N'était la peste, qui sévit si souvent pendant ce siècle, ce serait l'âge d'or. Et c'est parce que tous les rouages de la machine sociale fonctionnent avec une telle perfection, c'est parce que le besoin d'organisation est partout si développé, que l'art italien du quinzième siècle est si sain, si pur et si harmonieux. En haut, le prince. S'il est né avec de bons instincts, ce sera un Alphonse le Magnanime, un Frédéric d'Urbin, un Nicolas Y, figures à jamais dignes d'être proposées à l'admiration de- la postérité. Ses penchants sont-ils vicieux, il mettra sa gloire à « savoir apprécier dans les écrits une réplique piquante, à 1. La politesse est exquise, presque excessive : « Cher à l'égal d'un père », telle est une des for- mules les plus usitées en tête des lettres ; à Sienne, dans les requêtes adressées à la Seigneurie, les signataires les plus illustres s'intitulent « niinimo servitore », très petit ser\-iteur. Le marquis Louis de Gonzague, écrivant à son fils le cardinal, le qualifie de Très Révérend Père en Christ et Seigneur, de fils très vénérable : « Reverendissinie in Christo Pater et Domine, fili noster honorandissime », etc. Il en est de même du cérémoniaL J'ajouterai que l'on voit poindre dès lors le formalisme qui aboutit à l'abominable étiquette de Louis XIV ; les questions de pré- séance jouent un rôle aussi considérable chez Burchard, le maître de cérémonies d'Alexandre VI, que chez le duc de Saint-Simon. Pour ces raffinés, c'est une des formes de l'art, après tout, mais quelle forme ! 2. Je demande au lecteur la permission de le renvoyer, sur ce point, aux chapitres que j'ai consacrés à 1' » Esprit de la première Renaissance » dans mon ouvrage sur la Renaissance en Italie et eu France au temps de Charles VIII, volume publié avec le concours et sous les auspices du noble héritier de la famille de Luynes, le duc de Chaulnes, enlevé si prématurément aux lettres et aux arts (Paris; Didot, iHBô, p. ~ et suiv.). iiisroïKi, Di; 1, \i, l'argenterie de la Seigneurie de Florence représentait le poids respectable de 44O livres 7 onces I : deniers. Au-dessous des princes et des nobles, une bourgeoisie active et économe, sincèrement attachée à sa foi, tout en se montrant accessible au progrès, prisant les plaisirs de l'esprit sans dédaigner ceux de la table ni le luxe des vêtements, alliant le culte de la liberté à celui de la richesse, et qui, après une période de prostration ou d'affolement, semble avoir repris possession d'elle-même et retrouvé l'équilibre de toutes ses facultés. En pénétrant dans les couches profondes, les « arti minori », comme on disait à Florence, nous rencontrons non pas l'ouvrier, — c'était une notion étrangère au quinzième siècle, qui ne connaissait que l'organisation par ateliers assez peu nombreux, — non les manufactures à la moderne, mais l'artisan (soit maître, c'est-à-dire patron, et d'ordinaire aussi propriétaire, soit compagnon, soit apprenti), protégé, soutenu et relevé par les règlements des corporations, ces règlements si profitables aux petits, si préjudiciables aux hommes d'un mérite supérieur, bref une espèce de bourgeois, nullement d'humeur à céder le pas au marchand drapier, au notaire, à l'apothicaire. On nous affirme qu'à Flo- rence, dès le quatorzième siècle, les artisans savaient Dante par cœur. Par contre, pour eux toute la littérature pseudo-classique était nulle et non avenue, et Ce n'est pas là un de nos moindres griefs contre les humanistes. Les artistes parlaient plutôt le langage de l'artisan : le dimanche, à l'église, celui-ci se mêlait de juger le dernier tableau mis en place, louam ou critiquant la jus- tesse des attitudes, la vraisemblance des expressions. En parcourant les écrits du quinzième siècle, ou en examinant les œuvres d'art de la même époque, on est frappé de voir combien peu de place y tient le paysan. Au siècle précédent, il avait été un des acteurs favoris des ;a Jella Robbia. i.Musct; de Suulii Kensintîlun. et que lui avait-on appris? Malheureusement il n'existe pas pour l'Italie, à ma connaissance, quelque travail comparable au beau livre de M. Léopold Delisle, De Ja condition des classes agricoles en Normandie pendant le moyen âge, et je dois me borner à signaler le problème, sans essaver de le résoudre. Le clergé italien, de tout temps si éclairé et si tolérant, a droit à une mention spéciale parmi les grands flicteurs de la civilisation du quinzième siècle. Le haut clergé, dés lors très accessible aux vanités et aux plaisirs de ce monde, ne pouvait qu'accueillir avec faveur une révolution qui promettait de donner à toutes les jouissances une distinction et un raffinement plus grands. A de rares exceptions près, il ne cessa d'encourager la Renaissance dans ses formes les plus diverses, jusqu'au moment où, sous ces papes implacables qui s'ap- pelaient Paul IV, Pie W, Pie V, la contre - Réforme vint combattre tout ensemble la Réforme et la Renaissance, ces deux mouvements si profondément distincts l'un de l'autre et, quoi qu'on ait pu dire, absolument inconciliables. L'humanisme s'honore des noms d'Ambroise le Camaldule, le savant hellé- li. .\Uinlz. — I. Ilalic. I.cs l^rimilifs. 2 10 HISTOIRE 1)1-: L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. La cellule d'un moine italien au xv siècle (Fac-similé d'une gravure de 1490.) nistc, l'inhitigable explorateur des bibliothèques et des musées, de ceux des papes Hugène l\\ qui avait été moine, de Pie II, de Nicolas ^^ de Sixte IV, également moine, et d'une infinité d'autres. Il y eut d'ailleurs peu de savants ou de littérateurs de cette époque qui ne se rattachassent point, par un lien plus ou moins étroit, à l'Eglise, et qui n'eussent ne fût-ce qu'un semblant de tonsure. Léonard Bruni, le Pogge, avaient été secrétaires apostoliques; Platina, L.-B. Alberti, Politien, Ermolao Barbaro , remplissaient des charges ecclésiastiques ou possédaient des bénéfices. Cette esquisse serait trop incomplète, si l'on n'y fai- sait entrer une courte ca- ractéristique de l'Italienne du quin/.iènie siècle'. C'est le moment où la icumie entre en scène et donne aux mœurs aussi bien qu'aux productions de l'esprit la distinction qui leur a\'ait trop souvent fait détaut chez les rudes représentants des âges antérieurs. Si ce siècle a produit Lucrèce Borgia et Julie Faruèse, que de hautes ou fières figures en échange! L'une, Catherine Sforza, femme de Girolamo Riario, seigneur de Forli, sait défendre une forteresse; l'autre, Penthésilée Malatesta, « Penthesilea furens », mène au feu un escadron de tennnes'; la fille de Jean Bentivoglio assassine son époux, Galeotto Mantredi, seigneur de Faenza, dans un accès de jalousie; Isotta degli Atti, célèbre par son esprit et ses connaissances, tire plus d'une fois, grâce à son énergie et à ses intrigues, des situations les plus difficiles son amant Sigismond Malatesta, seigneur de Rimini. Comme la mère de Laurent le Magnifique, Lucrèce Tornabuoni, avec qui elle ne pré- sente d'ailleurs que ce seul point de contact, Isotta s'essaye en outre dans la poésie. Mais je doute fort que ses compositions — des chants d'amour sans doute ou des allégories plus ou moins profanes — ressemblassent aux pieux chants religieux, aux « Laudi » de Lucrèce. Longue est la liste des princesses qui favorisent les lettres et les arts. Elles 1 . Un signe des temps, c'est l'apparition d'ouvrages consacrés aux femmes célèbres : les écrits de Pétrarque et de Boccace au quatorzième siècle, ceux de Philippus Bergomensis au quin- zième. — Sur les femmes poètes et les femmes savantes du quinzième siècle, \oir le catalogue dressé par Tiraboschi : Sloria délia Liitcraliira ilaliana , édit. de Milan; t. VI, p. 1202-128.3. 2. Charles 'i'riarte, Riiiiiiii, p. .528. INTRODUCTION. II ont donné anx familles des Gonzague, avec les marquises Paule, Barbe de Brandebourg et Isabelle, à celles des Este, des Montefeltro, des Sforza, le meillenr de leur gloire. Nous retrouverons ces figures sympathiques en étudiant l'histoire de l'art à ces différentes cours. Chez les dames de la bourgeoisie, le temps est passé, assurément, où Dante pouvait montrer « des femmes sans parure, ne songeant qu'à leur fuseau et à leur quenouille, revenant de leur miroir sans avoir peint leur visage ». Les progrès de la richesse ont trop bien secondé la coquetterie féminine : partout un luxe de bon goût dans les toilettes, des fêtes, des divertissements sans nombre. Mais si la simplicité et le recueillement y ont perdu, si des gouvernants moroses se croient tenus de multiplier les Médaille d'Isotta degli Aui, par Matteo de' Pasli. .Médaille de Calherine Slurza, aUribuée à Dcnienico Cenniiii. édits somptuaires, la décence et les vertus de famille n'ont pas diminué. Quelles jeunes filles plus chastes, quelles mères de famille plus dévouées, vraies matrones, pleines de sollicitude pour l'avenir de leurs enfants ! Avec cela un grand fonds de religion, qui cependant va rarement jusqu'à l'ascétisme. Pour s'être réconciliée avec les joies de ce monde, l'Italie n'a pas entendu renoncer à des aspirations plus hautes. Est-il nécessaire d'ajouter, comme corollaire, que le goût des jouissances intellectuelles s'est développé chez le public féminin ? On lit beaucoup : des li\-res d'édification et des romans de chevalerie (ceux-ci sont surtout nombreux dans les bibliothèques de Ferrare, de iMantoue, de Pavie), des traductions d'auteurs classiques et des Nouvelles. On trouve même un certain nombre de femmes, surtout des religieuses, s'essayant dans les arts du dessin. Une lettre du bienheureux Dominici nous apprend que les nonnes du Corpus Domini à Venise cultivaient la miniature. La biographie de deux dames florentines peu connues, et que je choisis en raison même de leur peu de notoriété, pour montrer quels trésors de vertu se cachaient chez la moyenne des Italiennes de ce temps, fournira à ma tentative de réhabilitation les arguments les plus concluants. 12 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENALSSANCE. Alessandra de' Bardi, de l'une des plus nobles tamilles de Florence, était c bel- lissima e venustissima del corpo », d'une taille tellement haute qu'elle dépassait toutes ses compatriotes. Sa mère, une Rinuccini, tamille non moins illustre, s'appliquait avec amour à son éducation, l'initiant à toutes les pratiques de la religion, ne la laissant jamais oisive, lui défendant de causer hors de sa pré- sence avec les domestiques ou de se mettre à la fenêtre du palais, lui enseignant tous les travaux manuels, précaution très louable, et qui, d'après le brave Vespasiano, à qui j'emprunte ces détails', pouvait s'appuyer sur l'autorité d'Oc- tavien et de Charle- magne. La sévérité de cette éducation n'empêcha pas Ales- sandra de tenir son rang dans la plus haute société flo- rentine et de briller dans les fêtes. On le vit bien, après ses fiançailles avec Lo- renzo Strozzi, le fils aîné du noble et in- fortuné Palla Strozzi, un Mécène avant les Médicis, auquel Ves- pasiano rend ce té- moignage, d'une simplicité et d'une grandeur antiques, qu'en appelant à Florence Manuel Chrysoloras, il fut cause que les lettres grecques pénétrèrent en Italie : i< fu messer Palla cagione che le lettere greche venissino in Italia ». Alessandra, nous raconte son biographe, avait résolu de ne jamais aimer d'autre que son mari, de vivre avec lui et, s'il mourait, de ne jamais se remarier : elle tint parole, et point ne fut besoin pour cela des exemples de l'antiquité, de Porcia et « tutte quante », complaisamment énumérées par Vespasiano. Mais les jours de bonheur devaient être rares pour Alessandra : à la suite du retour triomphal de Cosme de Médicis, en I4.">4, elle vit exiler en même temps son père et son beau-père, nouvelle dont elle demeura tout éperdue, « rimase ismarrita ». Ses sœurs, qui n'étaient pas mariées, éclataient en sanglots, criant Dames ilaliennes souhaitant la bienvenue à un jeune clerc. (Fac-similé d'une gravure du Songe de Polrphile ^1499].) 1. Vile di Uoiiiiiii ilhislri Jt'l sccolo'X\'; édition Bartoli ; Florence, Barbera, 18.S9, in-8°. — Cf. Frizzi, Di Vespasiano ila BisHùi ,- deUe sue biografic. S. 1. n. d. (Florence, 1878?). 14 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. à leur père : « Malheureuses que nous sommes! où demeurerons-nous? à qui nous laisserez-vous ? » Palla Strozzi comptait alors soixante-six ans; il en passa près de vingt-six en exil, à Padoue, honoré de tous et ne soutirant jamais qu'on parlât mal de sa patrie devant lui. Il espérait, au hoiit de chaque période de dix ans, revoir sa chère l'iorence, et apprenait chaque lois avec ime résignation touchante que l'implacable Cosme l'avait tait bannir pour ime période de plus. Le tils de Palla, l'époux d".\lessandra, obtint de rester à Florence, mais exposé à mille avanies. Alessandra le consolait et, malgré sa douleur, se montrait toujours sereine, soiu'iante. De nouveaux coups de- vaient la trapper : son mari tut torcé de pren- dre .'i son tour le che- min de l'exil. La pauvre jeune temme resta long- temps sans retrouver la parole. Puis ce tut im échange de protesta- tions d'amoiu' qu'il faut lire dans le récit de Vespasiano, digne ici, par la simplicité et l'éloquence du langage, de son modèle Plutarque. Force fut à Alessandra de rester à Florence pour élever ses entants et s'occuper des intérêts communs. Un jour cependant elle put aller rejoindre à Gubbio son époux (qui s'était vu obligé d'accepter — lui, le tîls du plus riche citoyen de Florence — les fonctions de gouverneur d'un mauvais sujet). Mais ce fut pour assister à ses derniers moments, car Lorenzo mourut assassiné par son élève. Le reste de la vie de la noble femme se partagea entre l'éducation de ses enfants et les pratiques de la religion; elle devint le modèle des veuves, comme Type d'Italienne au xv" siècle. La « Vergognosa » de Pise. D:apres Benozzo fiozzoli (Canipo Sanlo de Pise). INTRODUCTION. 10 elle avait été le modèle des épouses, image incarnée du devoir et du martyre. Elle ne sortait que le visage couvert, un bandeau au-dessus des yeux, la tête cachée par un capuchon tout uni, sans le moindre ornement. Je laisse à penser ce que furent les enfants élevés par une telle mère. Alessandra comptait cin- quante-quatre ans lorsqu'elle s'éteignit dans les sentiments de componction que l'on devine '. Tout autre ■ — l'esprit moins occupé des choses du ciel et plus tourné aux Types de dames italiennes au xv siècle, d'après Piero délia Francesca. (Église Sainl-François à Arezzo.) intérêts terrestres — est la parente par alliance et l'homonyme d' Alessandra Bardi-Strozzi, Alessandra Macinghi-Strozzi, la mère de famille tendre, vaillante, militante par excellence, douée du bon sens exquis de la Florentine de race'. Xée en 140(3, Alessandra Macinghi épousa en 1422, ainsi âgée de Seize ans seu- lement, Matteo Strozzi, ami éclairé des humanistes, latiniste distingué, collec- tionneur ardent d'antiquités". La révolution de 1484 porta un coup fatal à la Macinghi aussi bien qu'à la Bardi. Matteo partagea le sort des Strozzi et dut aller 1 . Vespasiano, Vile, p. 52.Ï et suiv. ; . C. Guasti, Alessandra Macinghi negli Stroni. Lcttcre di una gentildonm fiorcnlina dcl secolo AT ai figliuoli estili ; Florence, Santoni, 1887; in-8'. .1. Vov. Les Précurseurs de lu Renaissance, p. 240-241. i6 ms'roiRK i)i'; i.art pendan' A Kl. NAISSANCE. s'exiltT à Pcsaro, où il mourut au bout de peu de mois. .Alessandra 4'esta veuve avec sept enfants et un liuitiè'me sur le point de naître. De retour à Florence, elle se consacra à l'éducation de sa jeune famille et à la gestion de sa fortune, relativement modeste, avec la perspective douloureuse de voir successivement partir tous ses fils pour l'exil : au fur et à me- sure qu'ils arrivaient à l'âge d'homme, ils se voyaient obligés de chercher fortune au loin; l'un à Naples, l'autre .'i Avignon, puis à Bruges , dans les comptoirs tondes par leurs oncles ou cou- sins. A partir de 1447, les lettres d'Alessandra nous permettent de suivre pas à pas l'ac- tion de la mère sur les fils et les vicissitudes de la famille si cruel- lement éprouvée. La correspondance s'ouvre par ime lettre dans la- quelle Alessandra an- nonce à Philippe, le fu- tur bâtisseur du palais Strozzi, le mariage de sa fille Catherine avec Marc Parenti , brave . garçon, âgé de vingt- cinq ans, faisant le conniierce de la soie. Hpcrdument amoureux de la jeune fille, il n'hésita pas à s'allier à une iamille d'exilés, à ime famille de réprouvés, ne regarda pas à la modicité de la dot — 1000 fiorins seulement — et, confiant dans son avenir, résolut de taire les choses grandement; sans cesse il disait à sa future : « Demande ce qui te fiiit plaisir», « Chiedi cio che tu vogli ». La robe et le niantelet de velours dont il lui fit cadeau étaient de la plus belle qualité que l'on trouvât à Florence; il est \ rai qu'alors une robe durait pendant la vie entière Diinie ikilieiiiie du xv siede, par Pieru délia Fraiicesca. (.Musée Poldi Pezzoli A .Milan.l E. Mûnlz. — I. Ilalie. Les Piimilils. i8 HISTOIRF. D1-; L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. et que Pcirenri était marchand de soieries, j'allais dire orfèvre : il y ajouta une guirlande composée de huit cents œils de paon et garnie de perles, du prix de 80 florins, et bien d'autres parures. S'il n'y avait pas chez ces nobles et saintes femmes quelque accès de vanité mondaine, elles seraient trop parfaites, trop idéales, et partant invraisemblables. De même qu'Alessandra lîardi avait brillé au bal donné en l'honneur des ambas- sadeurs de Sigismond, de même Alessandra Macinghi éprouva la plus vive satis- faction d'amour-propre en voyant sa fille, belle plus qu'aucune Florentine, parée des plus riches atours. Elle le proclama avec orgueil : lorsque la jeune Catherine sortait, elle avait sur elle pour plus de 400 florins de vêtements et de bijoux. Puis elle entretient ses fils des afi^aires domestiques et publiques, qu'elle envi- sage avec une rare clairvoN'ance, les mettant par exemple en garde contre les Pazzi et les Pitti, dont elle prévovait dès lors les folies et les crimes; leur donne des conseils qui révèlent une femme d'un esprit supérieur, ou les initie aux péri- péties de l'éducation de leur jeune frère Matteo, son dernier-né. Quand il finit à son tour se séparer de celui-ci, le cœur de la mère habituée à tant de souf- frances se révolte : « Je portais cet entant dans mon sein lorsque son père mourut; je me le suis élevé pour moi, cro\'ant que la mort seule pouvait le séparer de moi. iMais je vois par ce que vous m'avez écrit que votre intérêt et votre honneur exigent son départ; je me suis résignée à me priver de lui pour votre bien. » Entre temps, elle s'occupe des intérêts de sa fortune, cultive ses précieuses relations avec l'aristocratie florentine, et par là prépare le retour des siens dans leur patrie. Nous la voyons en outre occupée d'arrondir le terrain sur lequel s'élève sa maison, comme si elle avait deviné que, quelque quarante ans plus tard, son fils Philippe devait y édifier le plus somptueux des palais. Un trait de mœurs bien italien, c'est la présence dans cet intérieur, alors si modeste, d'une esclave, une Russe : vicieuse par condition, elle causait d'incessants ennuis à Alessandra; mais celle-ci n'avait pas le courage de s'en défliire, craignant que par ses médisances elle n'empêchât sa fille de se marier. L'année 1458 réservait le coup le plus sensible à Alessandra : l'exil de ses fils fut prorogé d'une nouvelle période de vingt-cinq ans, et l'édifice si laborieu- sement élevé par cette mère vigilante s'écroula brusquement. L'année suivante vint mettre le comble à son afl^iction : son fils Matteo, son Benjamin, mourut subitement à Naples. La douleur de la mère tut déchirante, et cependant elle se fit violence dans ses lettres, dont l'éloquence, pour être plus contenue, n'en est que plus poignante. « Mon doux fils (« figliuol mio dolce »), écrit-elle à Philippe, j'ai appris comment, le 20 du mois dernier, il a plu à Celui qui me l'a donné de l'appeler à lui, en pleine connaissance et en bonne gr.'ice. IXTRODUCTIOX. 19 avec tous les sacrements nécessaires à un bon et tidèle chrétien. J'ai éprouvé une amertume extrême d'être privée d'un tel tils, et il me semble que sa mort m'a causé un grand dommage, outre l'amour filial, et de même à vous deux, mes fils, qui êtes réduits à si petit nombre. Je loue et remercie le Sei- gneur de tout ce qui est sa volonté.... » Nous aurons trop rarement, dans la littérature si savante et si froide du quin- zième siècle, l'occasion de trouver de ces cris partis du cœur, pour ne pas nous féliciter d'avoir pu placer sous les yeux du lecteur quelques extraits de la correspondance d'Ales- sandra Strozzi. Vn mot encore avant de nous séparer de cette noble femme : la maison de banque dirigée à Xa- ples par son fils prospéra rapidement, grâce à l'ar- deur avec laquelle Phi- lippe s'occupait de « rifare la sua casa » ; avec les richesses vint la taveur du roi, qui obtint enfin de Laurent le Magnifique, lors du vo3"age de ce der- nier à Naples, l'autori- sation pour les exilés de rentrer dans leur patrie. Alessandra vivait encore (elle mourut en 1471, âgée de soixante-trois ans), et sa vie, tout entière consacrée aux soins de l'établissement de ses enflints, reçut le couronnement dont elle était digne : ce modèle des mères vit l'antique gloire des Strozzi refleurir de plus belle à Florence. Ln uiu J'italienneb au .w siècle, d'après .Manleiftia. (Château de .Mantoue.) Essayons de grouper en tableau tous ces traits épars. Nous obtenons l'im- pression d'un état d'esprit des plus enviables, avec beaucoup de sérieux et cependant beaucoup de vivacité; le sentiment du devoir très développé; par- tout des efforts énergiques pour maintenir la prospérité acquise, avec cette conviction facilement acceptée que personne, dans l'Italie du quinzième siècle, ne saurait réunir les richesses vertigineuses conquises par les Romains de l'Empire sur l'univers subjugué. Dans ces existences si bien comprises, le travail alterne avec le plaisir, surtout avec les jouissances de l'esprit et de la vue, mais sans aller jusqu'aux raffinements morbides ou criminels de l'an- 20 HISTOIRE I)K L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. cicnne Rome. Point de centralisation anorninle non plus, mais partout Tacti- vité et la liberté. Enfin, pour me servir de l'éloquente et intraduisible maxime de Gœthe, partout « ce qu'il y avait de plus ancien conservé religieusement », partout « les nouveautés accueillies avec transport ». II- Ces dispositions si heiu'euses devaient profiter en première ligne aux deux tormes de l'activité intellectuelle que l'on s'accorde à considérer comme les plus élevées, parce que, exigeant le plus de désintéressement, elles répondent le mieux à ce qu'il \' a de transcendant dans l'esprit humain : la littérature et l'art. De l'art, il en sera parlé assez lon- guement dans le présent travail pour que nous puissions, sans éprouver de scrupules, jeter un coup d'œil sur les destinées de la littératiux' pendant la période à laquelle est consacré ce pre- mier volume'. Aussi bien les liens qui les rattachent l'un à l'autre sont-ils si étroits, l'influence de la littérature sur l'art est-elle d'ordinaire si profonde, les poètes se montrant invariablement en avance sur leurs contrères les artistes, que nul parmi mes lecteurs ne songera, j'en suis persuadé, .1 traiter de digres- sion cet aperçu rapide. La littérature italienne du quinzième siècle peut être envisagée à deux points de vue distincts : l'invention poétique et la perfection de la forme, d'une part; de l'autre, l'exégèse et la propagande philosophiques, morales ou scientifiques. Examiner la première de ces faces, c'est perdre bien des illusions. Par contre, on ne saurait priser trop haut les services rendus par les huma- nistes en tant que vulgarisateurs : ils ont fait l'éducation de la société moderne. Vne repniseiUatioii tliéàtialf en Italie au XV" siècle. (Tiré du « Terence » de M97.) I. Bibliographie : Tiraboschi, Ston'ii dclla Ltilc-iuliira iliiliaini. — Gingucnc, Hisloiic lilli- rairc de l'Italie. — A. Cluissang, des Essais dramatiques imités de l'Antiquité au XW et au .\l" siècle. Paris, 1HS2. — Burckhardt, Cultiir, édition Geiger. — Voigt, die IViederhelehung des clas- sischen Allerthuiiis, 2" Odit.; Leipzig, 1880-1881. — Symonds, Ihe Renaissance in Italy; the Rcvival of learning : Londres, 1881. — G. Korting, die Anfànge der Renaissance Litteratur in Italien, t. I. Leipzig, 1884. — Mancini, Vita di Léon Battista Albert i ; Florence, Sansoni, 1882 (vo}-. surtout le chapitre ix). — E. Mûntz, les Précurseurs de la Renaissance, p. IU4-12.5, 204-210, et la Renais- sance... an temps de Charles VIII, p. 76- 10". INTRODUCTION. Si pendant l'ère précédente l'imagination, sous toutes ses formes, avait débordé partout, puissante et tragique chez Dante, gracieuse et printanière chez Pétrarque, si le style narratif avait atteint à la perfection chez des pro- sateurs de la force de Villani et de Boccace, l'ère nouvelle se distingue avant tout par les facultés critiques. Fécondée par son premier contact avec l'antiquité, la littérature italienne du quatorzième siècle avait, du premier bond, créé une langue irréprochable, souple , nette , colorée ; de même, trouvant dans la sin- cérité de son enthousiasme la force nécessaire pour fondre en un tout harmonieux les éléments païens et les élé- ments chrétiens, elle avait évoqué un monde d'idées fortes et poétiques, aussi riche que rigoureusement classé. Au siècle suivant, les mo- dèles classiques, on ne saurait le dissimuler, loin de secon- der l'essor des esprits, le para- lysent; ils pèsent du poids le plus lourd, non seulement sur les poètes, mais encore sur les historiens et les philosophes, qu'ils réduisent peu à peu au rôle de simples imitateurs. Rien qu'à comparer l'un à l'autre le début et la fin de ce siècle, le spectacle de la décadence est saisissant : s'il restait encore des trésors de sève et d'initiative chez des esprits de la trempe du Pogge, de Valla, d'^neas Sylvius, chez leurs successeurs l'érudition tient lieu de toute indépendance et de toute vigueur. Un des premiers résultats de l'invasion classique fut la proscription de la langue nationale, de la langue vulgaire, comme les Italiens n'ont cessé de l'appeler. S'exprimer autrement qu'en latin, mais c'eût été un déshonneur pour n'importe quel humaniste! Une seule exception était permise : c'était en foveur du grec. Et cependant cette langue morte, instrument inappréciable en tant qu'organe scientifique, avait depuis longtemps perdu la souplesse et la fraîcheur nécessaires pour traduire la viva- cité d'expressions de la société nouvelle; elle creusait en outre un abîme entre le monde des lettrés et la nation. L'erreur commise par les humanistes n'avait Le Pogge, par Donatello. tragmenl. (Dôme cie Florence.) HlSTUll^l:: [)E L'ART l'LNDAN'l' LA RLXAISSANCK. rien que de généreux : ils se hgur.iient qu'ils pourraient ressusciter une civili- sation éteinte. Excusons-les, pardonnons-leur: ils ont été les premières victimes de leurs illusions. Combien d'entre eux, écrivains Je talent, sont aujourd'hui profondément oubliés, rien que pour s'être escrimés avec ime langue qui n'était pas celle de la masse de lem's concitoyens ! Nous rencontrons donc tout d'abord une armée de grammairiens, de philo- logues, de rhétoriciens et de rhéteurs : gent qui, on le sait, ne fait son appa- rition qu'aux époques où la vigueur de l'esprit fléchit. Quant aux poètes — je parle des poètes de race et non des versihcateurs, car rarement on a forgé telle quantité d'hexamètres, — c'est une L> Juchebse Hippul\ lu de Calabre recevanl l'Iiommas du Novellino de .Masuccio. (Fac-similé d'une ijravure de 1.^9:.) éclipse complète, et Platon, s'il axait vécu au quinzième siècle, n'aurait pas eu besoin de les chas- ser de sa République idéale. Considérons d'abord les fictions en prose : l'énumération n'en sera pas longue. Quand nous aurons cité les Facéties du Pogge, le petit roman d'EiirytiIc et Lucrèce par /Eneas Sylvius, les Kouielles de Masuccio de Salerne, et les pre- miers bégayements du théâtre ita- lien vers la fln du siècle, nous en aurons épuisé la liste, ou peu s'en faut. Ht encore le Pogge et ^Eneas Sylvius se sont-ils servis du latin, non de l'italien. C'est en latin également qu'est écrite la petite comédie de Léon Alberti Battista, célèbre, un instant, sous le titre de Philodoxeos. Je me hâte d'ajouter que son succès était dû à une mvstihcation. Alberti la publia comme un ouvrage du poète romain Lepidus, et toute la cri- tique contemporaine de l'admirer à ce titre. L'erreur ne fut dissipée qu'au bout d'une dizaine d'années, et le succès tomba immédiatement. Ainsi, faire passer une de leiu's productions pour antique, telle était alors l'ambition suprême des poètes. L'intrigue se distingue d'ailleurs par sa simplicité extrême dans la plu- part de ces compositions; dans le Philodoxeos, un jeune Athénien modeste devient amoiu'eux d'une jeune Romaine que convoite également un adversaire riche et audacieux : ce dernier essaye de l'enlever, mais enlève par erreur sa sœur, qu'il épouse au milieu du tumulte, tandis que le jeune homme modeste épouse l'objet de sa tendresse. C'est l'entance de l'art. Dans la poésie, plus de variété, en apparence du moins. Jamais, à nulle époque, à ne consulter que les titres de tant de poèmes interminables, se INTRODICTIOX. chiffrant par des huit ou dix niille hexamètres, l'épopée n'aurait jeté aussi vif éclat. Ce ne sont que Sforxjades, que Borséides, quHespériiit's (la première, composée en l'honneur des Sforza, par François Philelphe; la seconde, un panégyrique de Borso d'Esté, par Titus Strozzi; la dernière, la glorification de Sigismond Malatesta, par Basinio Basini), ou encore la Fcltria, dans laquelle Porcellio de' Pandoni célèbre les hauts faits de son protecteur Frédéric de Montefeltro. Mais ces pastiches, encore rendus plus fastidieux par une basse flatterie, manquent aux conditions les plus élémentaires de la poésie épique, aussi complètement qu'y manque la Hciiriade, par exemple, et ce n'est pas peu dire. Rien ne se saurait imaginer de plus artificiel ni de plus vide. Ces figures, si caractéristiques et si vivantes, de Sforza, de soldat de fortune devenu souverain d'un puissant Etat, ou du païen Sigismond Mala- testa bravant les foudres de l'Eglise et tenant tête à l'Italie coalisée, ces héros si généreux ou ces criminels audacieux, n'avoir inspiré que les froides et plates élucubrations de courtisans payés à la tâche, quelle pitié ! On se sent pris d'indulgence, devant une impuissance pareille, pour les épopées consacrées à l'antiquité clas- sique. Du moins VAJrica de Pétrarque abonde- t-elle en vers éloquents, qui soutiennent le récit des exploits du héros, Scipion l'Africain. C'est également par ses strophes d'une suavité exquise que se sauve la fameuse Giostra de Politien. Mais ici encore, voyez à quel point les sou- venirs de l'antiquité font perdre de vue les hommes et les choses du temps! Politien avait pris la plmne pour célébrer la Joute, «Giostra », de 14')^^, dont le vainqueur était Julien de Médicis. Or, dès le début, la mythologie enveloppe et envahit le thème choisi par le chanteur attitré de la maison de Médicis : Julien, insensible jusqu'alors aux séductions de l'Amour, se rend à la cliasse, comme un autre Hippolvte; une biche blanche d'une beauté parfaite excite son admiration; quittant ses compagnons, il s'élance à sa poursuite, s'égare, se fatigue, jusqu'au moment où la biche blanche, se transformant en nymphe, lui adresse le plus éloquent discours. De là le poète passe à la description de la cour de Vénus dans l'île de Chypre; il nous peint la beauté de la déesse, celle de ses nymphes, célèbre la richesse de son palais, raconte les amours de Jupiter; bref, s'étend avec tant de complaisance sur tous ces hors-d'œuvre charmants, que le poème s'arrête brusquement, au bout de l368 vers, avant même qi; nous ayons eu la satisfaction de voir entrer dans la lice le bouillant Julien. .Médaille de Politien. 24 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Nous touchons d'ailleurs au moment où le charme se rompt et où la langue italienne, grâce à l'initiative des Médicis, recouvre une partie de ses droits. Comme pendant aux épopées prolixes et vides, un déluge d'épigrammes et d'élégies, d'épîtres et de satires, de tragédies et de comédies, composées sur tous les thèmes antiques possibles, et à l'aide de tous les mètres connus. Ce n'est pas que le talent y fasse défaut; si la note élégiaque n'est pas le foit des humanistes, gens d'ordinaire excessivement pratiques, en revanche ils savent aiguiser l'épigramme avec une perfidie consommée. Mais est-il rien qui nuise plus à la sincérité, \ h spontanéité de l'inspiration, que l'emploi incessant de formules vieilles de douze ou de quinze siècles, d'un vocabulaire irrévo- Médaille de Victoiin de Feltie, par Pisanello. Médaille de Guarino de Vérone, par Malteo de' Pasli. cablement fixé, d'images toutes empruntées au passé! Ne dirait-on pas une fresque dont l'auteur se serait imposé pour règle de ne fliire usage que de couleurs trouvées dans les ruines de Pompéi! Si du domaine de la fiction on passe à celui de l'histoire, immédiatement riiumanisme se relève dans notre estime. A côté du travail énorme qu'il a réa- lisé en discutant et en commentant les textes anciens, il s'est appliqué, avec plus d'ardeur peut-être que de succès, à retracer les annales contemporaines (je ne parle pas des historiographes proprement dits, tels que Porcellio, dans ses Commentaires sur les guerres du royaume deNaples pendant les années [452 et 1453, ou Pontano, dans son Histoire des guerres du roi Ferdinand). Léonard l^runi, le Pogge, ^neas Sylvius, Decembrio, Platina et plusieurs autres ont raconté avec indépendance et élévation les luttes de leur temps, caractérisé leurs acteurs, analysé leurs causes politiques et morales. L'Histoire de In République florentine, les Commentaires à' JEnc:\s, ses grands traités historiques et géographiques sur les principales contrées de l'Europe, les Fies des Papes de Platina, s'ils n'ont pas la naïveté des chroniques de \'illani ou de Froissart, s'ils ne sont pas spirituels et profonds comme celles de notre Commynes, se distinguent parfois par la chaleur et l'émotion. Puis, peu ,\ peu, dans la Un tombeau d'humaniste au xV siècle. Mausolée de Léonard Bruni, par Bernard Hossellino. (Eglise Santa Croce, a Florence.) E MimU. — 1. llalie. Le» Primililb 20 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. préoccupation de calquer les modèles anciens — et à quel point l'emploi même du latin ne favorisait-il pas de pareilles tendances! — la sincérité disparait et il ne reste qu'un culte à outrance de la forme. Tel est le cas de l'historien Bernard RuccelLii, le beau-trère de Laurent le Magnifique : à force de vouloir imiter Salluste, il perd de vue son sujet, cependant si propre à l'inspirer, l'Expédition de Charles VIII en Italie, De BclJo italico. Tous ces ouvrages sont d'ailleurs écrits en latin; quant aux chroniques écrites en italien, elles servent tout au plus à témoigner de la dégénérescence de la langue nationale, abandonnée par tous les écrivains de talent. Le jugement porté sur les historiens peut s'appliquer à leurs confrères les orateurs : eux aussi eussent pu s'élever très haut s'ils avaient consenti à cultiver la langue nationale. J'ose à peine formuler une réserve analogue en ce qui touche les épistolographes, tant, malgré l'insuffisance de l'instru- ment dont ils se servent, on trouve chez eux d'aisance, de vivacité et d'esprit. Mais le triomphe du quinzième siècle, qui ici encore se trouve débiteur de Pétrarque, l'initiateur par excellence, c'est la littérature d'édification, je parle d'édification morale autant que d'édification religieuse. Les humanistes étaient avant tout des précepteurs hors ligne : \attorino de Feltre et Guarino de Vérone (voyez les portraits de la page 24) ont élevé des dynasties de princes, les marquis de Mantoue, le duc d'Urbin, Lionel d'Esté, les initiant à toutes les vertus en même temps qu'aux plus hautes jouissances de l'esprit; un essaim d'élèves accourus de près et de loin, et jusque du fond du Portugal ou de la Hongrie, se pressaient autour de leur chaire, recueillant avec ardeur la bonne semence, qu'ils allaient ensuite répandre en tous lieux. Chez Léon-Baptiste Alberti également, le moraliste fait souvent oublier l'artiste, tant il a mis d'observations sagaces et généreuses dans ses Traités sur la Famille, sur la Tranquillité d'àme et sur tant d'autres problèmes de morale. Et quel spectacle radieux lorsque, quittant la pédagogie, on aborde la haute spéculation philosophique! Quels efforts épiques chez les Grecs Gémiste Plé- thon et Bessarion, chez Marsile Ficin, chez les Médicis, pour faire triompher les sublimes doctrines de Platon! C'est ici véritablement que le Concile latino- grec réuni à Florence en 1430 et la prise de Constantinople (sans action au- cune sur l'art, car qu'auraient pu apprendre aux Italiens du quinzième siècle les artistes grecs — c'est-à-dire byzantins — de leur temps.'') ont été les points de départ d'une des révolutions les plus profondes de l'esprit humain. En inon- dant l'Italie, et dans la suite l'Europe entière, de représentants souvent bien indignes — mais qu'importe cette indignité, lorsqu'il s'agit du triomphe des idées! — elles ont ouvert un inonde de jouissances nouvelles, exalté les plus INTRODUCTION. nobles aspirations, donné à la Renaissance ce caractère de haut spiritualisme qui est encore, somme toute, le plus pur de sa gloire. C'est à cette dernière étape de l'humanisme qu'il faut nous attacher, pour nous rendre compte de l'influence que la littérature du quinzième siècle a exer- cée sur l'art contemporain. Si rien n'est plus rare que de voir un artiste du temps demander des inspi- rations à un poète — on aimait autant remonter tout de suite à la source, c'est-à-dire à l'antiquité, ou bien s'adresser aux grands poètes de l'âge précé- dent, à Dante et ."i Pétrarque, — en revanche, l'action progressive de la philoso- phie néo-platonicienne ne saurait être prisée trop haut. C'est elle qui a déta- ché peu à peu les esprits de la contemplation de la réalité pour les transporter dans des régions supérieures; c'est elle qui a mis la flamme et l'éloquence à la place des pratiques d'observation minutieuse, ou des généralisations encore si timides propres aux Primitifs; c'est elle qui a fait de l'École italienne, si pro- fondément réaliste au début du quinzième siècle, du moins si on la considère en bloc, une bcole d'idéalistes; c'est elle, en un mot, qui a fra_yé les voies ;\ Léonard de Vinci, à Michel-Ange et à Raphaël. III Vis-à-vis de certaines époques, étudier l'histoire des arts, c'est uniquement poursuivre la solution de problèmes d'esthétique, apprécier les tours de force de l'ébauchoir ou de la brosse, s'extasier devant le fini de tableaux de cabinet. Pour l'Italie de la Renaissance, au contraire, c'est toucher aux suprêmes questions de la morale, de la philosophie, de la religion et de la vie nationale (quelque détournée que soit parfois la forme sous laquelle celles-ci se produisent). D'après le mot d'un penseur illustre, c'est emplir son esprit et son cœur, si larges qu'ils soient, des idées les plus généreuses et des images les plus sublimes. A côté de ces morceaux de haut style, dans lesquels l'artiste poursuit l'idéal le plus élevé, l'art italien accorde une place aux œuvres qui reflètent les mille péripéties de la vie de flimille et les conquêtes de cette ère si attachante. Les grands courants qui ont assuré aux Italiens du quinzième siècle leur supré- matie ne sont toutefois ni la ferveur du sentiment religieux, ni la vivacité du patriotisme. Si ces sentiments n'ont pas subi une éclipse aussi complète que les détracteurs de la Renaissance l'ont soutenu, ils n'avaient du moins plus la même puissance qu'au moyen âge. Qui sait ? Peut-être en s'atténuant rendirunt-ils plus de liberté aux imaginations (la Muse de l'inspiration est si 28 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. capricieuse ! ), et l'esprit tra Juisit-il avec plus d'éclat des impressions qui ne l'ab- sorbaient plus tout entier. Il restait, en tout cas, assez de convictions religieuses et assez de vertus publiques ou privées pour mettre dans les œuvres des Primitifs la sincérité, l'émotion ou la fierté que nous ne nous lasserons pas d'admirer en elles. Je n'en veux pour preuve que les madones si recueillies de Fra Angelico et du Pérugin, les poignants drames de la Passion de Donatello, les adolescents à la tournure si martiale de Benozzo Gozzoli ou de Piero délia Francesca, tout un monde de créations idéales qui nous fait voir l'humanité en beau. En se tempérant, la piété et le patriotisme livrèrent passage à d'autres sentiments, plus profanes, il est vrai, mais qui profitèrent plus directement aux arts : l'amour de la magnifi- cence et de la gloire, le culte des jouissances de l'esprit et des belles formes, l'enthousiasme d'une génération retrouvant, après tant de siècles, le secret de rendre les eft'ets de la nature, de lutter avec elle, de la surpasser; c'est leur grand mot : « naturam vincere ». Si nous y joignons la jeunesse et la fraîcheur dans les idées, le talent de donner à toutes les productions de l'art un parfum de grâce, un cachet souverain de finesse et de distinc- tion, d'évoquer un monde éminemment poé- tique et digne de sympathie, nous aurons indiqué les causes du charme irrésistible qu'exerce la Renaissance à ses débuts. Un Grec du siècle de Périclès ne serait pas mort en paix s'il n'avait pas eu le bonheur de voir auparavant le Jupiter Olympien de Phidias : dans l'Italie du quinzième siècle, le tableau du maître à la mode foisait courir la cité entière. Et dans toutes ces jouissances, nulle précipitation, nulle fièvre, comme aujour- d'hui; la santé est si robuste, l'esprit si bien pondéré, que l'enthousiasme naît sans excitation artificielle. Dans son livre aujourd'hui classique ', Jacques Burckhardt a montré excellem- ment comment la gloriole, une des formes de l'ambition personnelle aussi bien Jeune page italien du xv' siècle. (D'après le Jeu de cartes d'Italie.) 1. Dk CuUur tkr Riiiaissance in Italien; 4'' édition, publiée par les soins de Louis Geiger. Leipzig, l885. Une tr.iduction faite sur la deuxième édition allemande a paru en i885 à la librairie Pion, sous le titre de /a Civilisation ai Italie au temps ,h- la Renaissance. Tête d'enfant. Fac-similé d'un dessin de Lorenzo di Credi (Musée du Louvre). INTRODUCTION. 29 que de l'esprit municipal ou du patriotisme, et une des conséquences directes de l'esprit d'individualisme qui se développait alors avec tant d'énergie, a été la source de cette activité sans pareille. Ces générations si vivantes et si géné- reuses ne pouvaient se résoudre à mourir tout entières; elles se révoltent à i'Ai'/S A\fe çrï^ -«^'^r^ à§P\^ '-^'^/J^' 'Pi Le Triomphe de Jules César (iragmenl). Fac-similé de la gravure de .Mantegna. cette pensée amère; elles luttent pour laisser ici bas une trace de leur pas- sage, pour dérober quelque parcelle de l'immortalité qu'elles entrevoient par delà le tombeau; elles invoquent la brillante déesse chantée par Pétrarque, la Renommée, la « Fama » : Clic trac r uom di scpolcro c' n vita il serva '. La vue de la civilisation antique qui, après une éclipse dix fois séculaire, I. > Le moyen âge, avec ses tendances au mysticisme et au naturalisme, son déta- chement à l'égard des choses d'ici-has, avait été avant tout l'œuvre des races franco-germaniques, une civilisation fondée sur les exigences d'un climat plus septentrional, sur les aspirations de peuples plus robustes, peut-être aussi plus rudes, que les heureux habitants des bords de la Méditerranée. Vers le quin- zième siècle enfin, les Italiens, longtemps opprimés et écrasés, relèvent la tête, grâce à un concours de circonstances exceptionnelles, — intelligence, activité, richesse, — et s'efforcent de prendre, dans le domaine intellectuel du moins, la revanche sur les Barbares qui les ont vaincus. Le mépris des hommes de la Renaissance — parmi eux le doux Raphaël lutte au premier rang — pour les Goths et pour tout ce qui se rattache à eux, trahit des rancunes séculaires. Les Goths, en effet, sont les premiers Barbares qui aient fondé en Italie un empire durable. Leur invasion était un des fléaux innombrables qui avaient accom- pagné le triomphe du christianisme. On s'explique donc aisément pourquoi les champions de la Renaissance ont tenté de remettre les choses en l'état oii elles étaient avant cette invasion, et aussi quelque peu, n'essayons pas de le dissi- muler, avant le triomphe du christianisme. Les germes antiques, cachés, étouffés durant tant de siècles, avaient gardé leur vitalité : pour être plus artificielle, la floraison nouvelle n'en fut pas moins brillante. Est-ce à dire qu'il faille dédaigner l'art du moyen âge, si original et si vivant, avec les merveilles de l'architecture romane et de l'architecture gothique, avec son peuple de statues, tour à tour si majestueuses ou si recueillies, tour à tour pleines de force brutale, de verve ou d'ironie, qualités qui éclatent à un si haut point dans l'œuvre trop méconnu de nos grands sculpteurs français du treizième et du quatorzième siècle, ou encore cette ornementation si pittoresque et si profondément nationale, empruntée à la flore ou à la faune de chaque province! Une telle intolérance serait aujourd'hui inexcusable. En exaltant l'art de la Renaissance du quinzième siècle, l'art de ces Précurseurs si longtemps I . Pliilosopliic de TAii cil Italie, p. .S-h. — Rtiskin, J.ins ses Sloiies of Veiiice (t. II, p. 2), admet, du moins pour l'architecture, trois périodes dans le développement de la Renaissance : Earh Renaissance, — c'est notre Première Renaissance ; — Central ou Roinaii Renaissance, — c'est la H.iute Renaissance; — Grotesijne Renaissance, ou période de déclin. INTRODUCTION. 41 méconnus, eux aussi (ce n'est que de nos jours que les Donatello, les Mine, les Fra Angelico, les Mantegna, les Botticelli, ont été vengés de l'injustice de l'ancienne critique académique), nous entendons surtout célébrer les conquêtes d'une époque où l'artiste est enfin redevenu maître de tous les moyens d'expres- sion, grâce au travail persévérant des générations antérieures, grâce aux progrès de la perspective, de l'ana- tomie, de l'ordonnance; d'une époque où la sin- cérité de l'observation et l'intimité charmante du sentiment s'allient à la plénitude ou à la pureté des formes révélées par l'antiquité, où, en un mot, l'artiste a retrouvé le secret de traiter un sujet avec cette puissance dramatique, cette liberté illimitée que réclame l'es- thétique moderne. Les admirateurs les plus ardents du moyen âge re- connaîtront que l'art ita- lien, au début du quin- zième siècle, devait se renouveler ou abdiquer : les formules anciennes étaient usées, avilies à force d'avoir été répétées; les meilleurs artistes se traî- naient dans l'ornière, en attendant l'homme supérieur appelé à leur offrir un idéal nouveau; la lassitude, l'indifférence avaient envahi tous les esprits. La question n'est donc pas de savoir s'il est heureux pour l'Italie que la tra- dition du moyen âge ait été renouvelée par un autre idéal' (elle ne pouvait pas ne pas l'être, et un effort en avant était pour l'art une condition même de vie), mais s'il est heureux que l'École nouvelle se soit inspirée, comme elle l'a tait, de Le Printemps, par liutlicelli. Fragment. (Florence, Académie des Beaux-Arts.) I . Écoutons un penseur peu suspect de tendresse pour la Renaissance : « Les artistes de la Renaissance, dit Proudlion, eussent été capables de refaire la besogne des Grecs, tant était grande, à la sortie du moyen âge, la lassitude de l'.iscétisme ; tant les cœurs soupiraient à l'unisson après la beauté; tant ils éprouvaient le besoin de la ressaisir, ange ou démon, ou du moins de se créer un autre idéal, n (Du Principe de l'Art ; Paris, i865, p. 80.) E. -Muiilz. — 1. Italie. Les Priniitils. 42 lllSTolKi; Di; L'ART l'IlNDANT LA K1;NAISSAK(E. l'antiquité. Arrêtons-nous un instant sur ce problème. Deux voies s'ouvraient aux novateurs : ou le naturalisme à outrance, un naturalisme qui, n'étant plus soutenu par les hautes aspirations du moyen âge, risquait fort de sombrer dans la vulgarité (l'exemple de Paolo Uccello, d'Andréa del Castagno, des Pollajuolo l'a bien prouvé), ou bien la nature contrôlée, purifiée, ennoblie par l'étude des modèles anciens, en un mot le progrès reposant sur un enseignement suscep- tible de se transmettre de génération en génération et profitant de tous les per- fectionnements découverts dans l'intervalle. Toute la question , une fois le problème tranché dans ce sens, consistait à savoir dans quelle mesure il fallait taire intervenir les deux éléments, la tradition et le naturalisme, et si l'équilibre n'a pas été rompu au détriment de l'un ou de l'autre : problème qui sera examiné à chaque page de ce livre. Ce qu'il importe de retenir ici, et ce que l'on ne saurait proclamer assez haut, c'est qu'un style une fois parvenu au terme de son évolution, toute réaction, quelle qu'elle soit, est préférable à la stagnation, si ce n'est pour le salut de l'art, du moins pour la dignité de l'artiste. Quelle que fût la supériorité du principe de la Renaissance, ce principe n'aurait pas suffi pour enfanter des œuvres vivantes là où ne préexistait pas un groupe de maîtres actifs, intelligents, doués; en un mot un sol propice, une race artiste, un milieu véritablement fécond. Sinon, autant aurait valu prétendre substituer les règles au talent et créer des grands hommes au moven de bonnes méthodes, ou encore compter sur des formules pour tenir lieu d'inspiration. Entre le moyen âge et la Renaissance (qui n'est pas sortie, tant s'en faut, armée de pied en cap du cerveau d'un grand artiste ou d'un amateur prodigue), la rupture n'a donc pas été aussi brusque qu'on pourrait le croire; la preuve, c'est que l'on chercherait en vain, au quinzième siècle, un centre de quelque importance dont la vitalité ne se serait pas déjà manifestée au quatorzième ou au treizième. Exemples : Florence, Sienne, l'Ombrie, la \'énétie, la Lonibardie, où partout la moisson préparée par les artistes gothiques parvient enfin à sa pleine maturité. La réciproque toutefois ne serait pas vraie : Rome, dont l'Ecole, principalement recrutée dans la famille des Cosmati, avait envoyé au loin, pendant le treizième et une partie du quatorzième siècle, jusqu'en France et jusqu'en Angleterre, ses peintres, ses mosaïstes ou ses architectes, tait preuve au qLiinzième siècle d'une désespérante stérilité. A plus forte raison, les germes répandus aux douzième et onzième siècles par les Ecoles de Pise, d'Amalfi, de Palerme ont-ils depuis longtemps perdu toute efficacité; la sève s'y est tarie jusqu'à la dernière goutte. En résumé, la Renaissance a perfectionné; elle n'a pas improvisé, n'a pas rompu violemment avec le passé, et c'est pour cela qu'elle a jeté des racines si protondes, non seulement en Italie, mais encore de ce coté- IXTRODITTION. 43 ci des Alpes, où son action bienfaisante, on est en droit de le proclamer, n'a cessé de se faire sentir jusqu'à nos jours. Est-il nécessaire d'ajouter, après cette profession de foi, qu'il serait excessif de soutenir que la Renaissance procède uniquement de l'antiquité? Ce serait méconnaître la liberté de l'esprit humain et le caractère propre de la civilisation italienne. Mais, cette concession foite, on n'en sera que mieux autorisé à affirmer que les enseignements de l'antiquité forment la note dominante et comme la raison d'être de la Renaissance : aussi doit-on proscrire formellement l'emploi du terme de Renaissance pour caractériser les eiforts des puissants réalistes ou naturalistes appartenant aux Écoles du Nord, les \'an Eyck, les Rogier van der We_vden, les Claux Sluter. L'œuvre de ces maîtres originaux et audacieux a manqué en effet des tendances spiritualistes, de la distinction, du sentiment d'harmonie, inséparables de l'art classique. Mais nous serons les premiers à proclamer que les deux éléments, l'étude de l'antique et l'étude de la nature, sont entrés pour une part à peu près égale dans la formation des grandes Ecoles méridionales du quinzième et du seizième siècle, et que cette union féconde leur a valu leur qualité souveraine, l'alliance de la vie avec la beauté. Bacon a déclaré que l'art était l'homme ajouté à la nature, « homo additus natura; » (définition qui pourrait d'ailleurs s'appliquer tout aussi bien à la science qu'à l'art). Ne pourrait-on pas appeler également la Renaissance l'antiquité ajoutée à la nature? Répétons-le à satiété : ce n'est pas le fait d'avoir copié servilement les modèles antiques qui a donné à la Renaissance la vie et la fécondité; son triomphe vient de ce que cet héritage a été recueilli par les Italiens, successeurs directs et légitimes des Grecs et des Romains sur les bords fortunés de la Méditerranée, de ce que les Italiens se le sont assimilé, qu'ils en ont tait leur chair et leur sang, de ce qu'une nation moderne, si longtemps à la tète de toutes sortes de progrès, a repris pour son compte — au prix de combien d'eflibrts et d'angoisses! — cet héritage tombé en déshérence, en y ajoutant la vivacité du génie moderne et les conquêtes du christianisme. Supposons un instant qu'au fond delà Scandinavie le caprice d'un souverain eût tout à coup entrepris de ressusciter l'antiquité romaine — le cas a pu se présenter, — il n'aurait fait qu'iine œuvre morte, frappée de stérilité. De ces facteurs multiples, les uns seront étudiés au tur et à mesure que nous nous occuperons des artistes qui s'en sont fiits les champions. Mais il en est d'autres auxquels il est indispensable de consacrer dès à présent une étude spé- 44 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. ciale, car ils déterminent les évolutions de l'art pendant toute la durée de la Renaissance, et lui donnent la forme sous laquelle il se manifeste cent cinquante années durant. l'aurai successivement à passer en revue les Mécènes, c'est-à-dire les grands seigneurs, les municipalités ou les simples amateurs, qui ont tracé aux artistes le cadre qu'ils avaient à remplir, qui ont dirigé leur goût et favorisé leurs aspirations, se fiisant ainsi leurs au.xiliaires et leurs collaborateurs. A cette partie de notre travail fera suite l'étude des éléments qu'a fournis à la Renaissance la double source à laquelle elle a puisé : I'antioue d'une part, la NATURE et la SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE de l'autre. Je rangerai dans cette dernière catégorie les motifs si pittoresques empruntés aux mœurs, au.x costumes, aux fêtes du temps, en un mot l'apport direct du quinzième s^cle dans cette grande oeuvre de reconstitution artistique. Quant au corps même de l'ouvrage, il sera partagé en livres répondant aux grandes divisions de l'art : Architecture, — Sculpture, — Peinture, — Arts décoratifs, avec des notices biographiques développées sur les représentants de chacune de ces branches à l'époque de la première Renaissance; en d'autres termes, jusque vers la fin du quinzième siècle. Fleuron d'un manuscrit de Tile-Live aux armes des Médicis. (Florence, hibliolhùque Laurenlienne.) Ka._-slmill du iHiiNUM'Ut iji « Sain] Jlkômi: » ra: \ knisk m^ç»'!) w^t::^.: î^:;CT^ Grille de la chapelle « délia Cinlola », au dôme de Pralo. CHAPITRE I LES MEDiaS ET LE MILIEU FLOREKTIX. — l'ISE, LUCaUES, SIENNE ET LES AUTRES VILLES DE LA TOSCANE. l'oMBRIE : PÉROUSE ET ORVIETO. L-ndant le moyen ùge les arts avaient reçu la protection la plus large, la plus libérale. L'Eglise, les souverains, les municipalités, de pieux fondateurs, avaient rivalisé de zèle pour élever des cathédrales, des hôtels de ville, des palais, d'une richesse merveilleuse; la sculpture et la peinture se voyaient partout associées aux cérémonies du culte; les trésors regorgeaient des chefs-d'œuvre de l'orfèvrerie. Mais il semble que le terme de Mécènes, qui implique à la fois la libéralité et le dilettantisme, ne saurait s'appliquer qu'aux amateurs de la Renaissance. En effet, seuls ils possédaient, avec l'amour de la magnificence, le goût éclairé qui leur permettait d'apprécier à la fois l'ancien et le moderne, les chefs-d'œuvre de l'art rétrospectif et ceux de leur temps; seuls ils intervenaient comme collabo- rateurs, en quelque sorte, des artistes attachés à leur ser\-ice. Beaucoup d'entre eux ne dédaignaient pas de discuter avec leurs architectes, le crayon et le compas à la main; tels étaient les papes Nicolas V et Pie II, le duc Frédéric d'Urbin, Laurent le Magnifique. Si les deux premiers fixèrent jusque dans les moindres détails les dispositions de leurs palais de Rome et de Pienza, Frédéric d'Urbin et Laurent semblent avoir apporté une compétence encore plus technique dans 48 iiisToiRi-; 1)1-; i.'AKi' i'i-;M).\Nr i.\ rtnaissaxcI':. leurs entreprises;^ Laurent, surtout, consulté de près et de loin par tous les bâtisseurs, pouvait entrer en lice avec les hommes du métier : il le prouva en prenant part, en 141)1, au concours pour rachèvcinent de la taçade du dôme de Florence, cette tàclie si épineuse qu'il a été donné au dix-neuvième siècle seulement de mener à fin. C'est donc à bon droit que, dans une histoire de l'art pendant la Renaissance, les Mécènes (les Italiens emploient le terme pittoresque de « fiuitori dell' arte », fauteurs de l'art) viennent revendiquer un chapitre à part, à côté des artistes qu'ils ont encouragés, inspirés et souvent dirigés. Cette revue aura en outre l'avantage de nous taire parcourir successivement les difterents foyers de l'art en Italie et de nous montrer le groupement régional des Écoles. Sans prétendre substituer l'action d'un Mécène aux causes permanentes ou aux causes historiques qui président à la formation des Ecoles (pour ne point parler du hasard, qui fait parfois naître l'homme de génie dans le milieu le plus ingrat), il est permis d'affirmer que, les éléments fltvorables préexistant, les Mécènes, pour peu qu'ils aient su nettement ce qu'ils voulaient, ont toujours réussi à leur imprimer une direction déterminée : ainsi l'ont tait les Médicis à Florence, les Montefeltro à Urbin, les princes d'Esté à Ferrare, Ludovic le More à Milan. Si l'exemple des cours de Naples et de Rome nous apprend que les encouragements les plus efficaces ont été impuissants à créer une Ecole locale, vivace et homogène, alors qu'une Ecole douée de toutes ces qualités a spontanément surgi dans l'Ombrie abandonnée à elle-même, il n'est pas moins certain que toutes les fois qu'une cité n'a pas eu à sa tète une tamille, ou un homme disposé à prendre en main la cause de la Renaissance, le dévelop- pement de celle-ci en a été retardé : tel est justement le cas de l'Ombrie (ses peintres, malgré leur mérite, ne sauraient passer pour des représentants de la Renaissance), ainsi que de Sienne, de Bologne, de Venise, de Gênes. Les huma- nistes et les artistes avaient si intimement lié leur cause à celle des grands personnages avides de gloire, que ceux-ci se trouvaient tout naturellement portés à favoriser le mouvement de toutes leurs forces et à appeler à leur cour, leur popularité auprès de leurs concitOA'ens ou sujets dût-elle en souftrir, les Florentins, apôtres du nouvel art; le calcul, à défaut de conviction, leur en eût fait une loi. Les encouragements d'en haut venant à manquer, la foule s'en tenait au contraire au style traditionnel. Seules Padoue et ^'érone firent excep- tion : c'est que la Renaissance y remontait au quatorzième siècle et à Pétrarque, et qu'au quinzième siècle le long séjour, dans ces régions, d'un artiste aussi extraordinaire que Donatello tint lieu de toute autre propagande. Dans ce grand concours entre des races aussi différentes les unes des autres que le Napolitain, avec sa mobilité et son hrio, l'est du grave et orgueilleux citoyen de la Ville éternelle , que le Florentin , avec son esprit à la fois vif et posé et son activité féconde, l'est des Calabrais ou des Romagnols, dominés par la violence de leurs passions, ou l'Ombrien, pauvre et mystique, du Vénitien, C/5 ^ TD 5s LES MILIICLX ITALIENS. 49 plein de finesse et amoureux de magnificence; que le montagnard belliqueux l'est du laborieux habitant de la plaine; que les laboureurs de l'Emilie le sont des matelots de la Ligurie : la victoire tient, non pas à la vitalité des popula- tions, à leur richesse, à leur puissance ou à leur instruction, mais à des causes spécifiques, de l'ordre le plus délicat, et dont plus d'une échappe à l'analyse. Par quelles lois mystérieuses expliquer, par exemple, comment le microscopique duché d'Urbin a pu produire, à lui seul, trois des génies qui ont laissé dans Florence au xix' siècle. l'art italien la trace la plus profonde. Bramante, Raphaël, Rossini ! Et même ces facultés héréditaires — une fois bien et dûment constatées — ne sont rien si des circonstances propices ne viennent pas les ftvoriser et si l'œuvre du temps ne s'ajoute pas à celle de la nature. L'histoire et l'ethnographie nous enseignent que telle ou telle population était laborieuse, belliqueuse, indolente; mais l'ethnographie qui nous révèle pourquoi, chez telle ou telle population, l'art s'arrêta complaisamment sur une forme élégante, sur un ton vibrant, les saisit, les fixa, et transforma en images durables ces impressions fugitives, cette ethnographie-là est encore à créer '. i . Bibliographie : Il est à peine nécessaire de rappeler ici les principaux ouvrages sur l'his- toire de la Renaissance dans les différentes parties de l'Italie, les File de Vasari (la dernière et meilleure édition est celle qu'a publiée à Florence, chez Sansoni, M. G. Milanesi, g vol. in-8°, 1878-1885); le Carkggio hiedito lU Artisti dci sccoli .\IV, .\V e XVI, de Gave (Florence, 1809- E. .MûntE. — I. Italie. Les Primitifs. 7 5o HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Le foyer de la Renaissance ne fut point un de ces États florissants, gouvernés par les princes si magnifiques et si énergiques qui s'appelaient les Visconti, les Este ou les Aragon, mais bien une République vétilleuse et ombrageuse, quoique riche par son agriculture, son industrie et son commerce, où les Mécènes, pour faire accepter leurs largesses par leurs concitoyens, devaient recourir aux subter- fuges les plus subtils. C'est à Florence, presque à l'extrémité septentrionale de la grave et laborieuse Etrurie, dont les Toscans prétendaient avoir recueilli l'héritage, que le mouvement, esquissé au treizième siècle à Pise par Kiccolo Pisano, repris au quatorzième siècle à Padoue et à ^'érone sous l'influence de Pétrarque, et dans une certaine mesure aussi en Toscane par Giotto, Orcagna et Simone Martini (Memmi), prit enfin corps, pour rayonner des bords de l'Arno sur l'Italie, sur l'Europe entière. Les fauteurs de cette révolution qui, dans l'architecture, éclate brusquement par la toute-puissance du génie d'un seul homme, furent Brunellesco, Donatello et Masaccio; ses auxiliaires, les Médicis; ses émissaires, ses « missi dominici » dans le reste de la Péninsule, les Michelozzo, les L. B. Alberti, les Bernard Rossellino, les Giuliano et Benedetto da Majano', les Giuliano et Antonio da San Gallo, pour l'architecture; les Donatello, les Mino da Fiesole, les Antonio Rossellino, les \'errocchio, pour la sculpture; les Masolino, les Paolo Uccello, les Piero délia Francesca (un Toscan, sinon un Florentin), les Fra Filippo Lippi, les Benozzo Gozzoli, pour la peinture*. A quelles causes attribuer l'essor prodigieux, non seulement de l'art, mais encore des sciences et des lettres à Florence , cette réunion extraordinaire d'hommes de génie, depuis Dante jusqu'à Machiavel, jusqu'à Lulli? Aux facultés natives? A l'esprit public? A un long et savant entraînement? A mon avis, ces trois éléments ont également contribué à constituer ce que l'on peut appeler le MILIEU FLORENTIN, et entre eux la solidarité est complète. Et d'abord, il est certain que la race florentine se distingue par son intelligence et sa finesse. Des auteurs anciens attribuent la vivacité de son esprit à- la subtilité de l'air des montagnes voisines. Mais ces montagnes sont toujours en place, l'air 1840, 3 vol. in-'!"); (/<• VAil chrcliat, p.ir Rio, ouvrage d'un ùn.itiquc, dans lequel on trouve les idées les plus élevées à côté des plus étranges déclamations; la Philosophie de l'Art en Italie et le Voyage en Italie, de M. Taine ; le Ciecrone, publié pour la première fois par J. Burckhardt, en l855, réédité plusieurs fois depuis avec des additions dues à MM. Bode et H. de Geymûller (5° édit., Leipzig, 1884); puis, pour l'architecture, les ouvrages do MM. Burckhardt, Lûbke, Redtenbacher et Ricci; pour la sculpture, celui de M. Perkins; pour la peinture, l'admirable monument de critique qui s'appelle V Histoire de la Peinture en Italie, par MM . Cavalcaselle et Crowe; pour la gravure, le volume de M. le vicomte Delaborde et celui de M. Lippmann; pour l'art du médailleur, les publications de MM. Armand, Heiss et Friedlx-nder; enfin V His- toire des Arts indnstriels de Labarte, ouvrage devenu bien insuffisant. 1. Je rappelle au lecteur qu'en italien le mot « da », placé entre deux noms propres, indique la patrie (Benedetto da Majano = Benedetto, né à Majano), et le mot « di » la filiation (Pietro di Giovanni = Pierre, fils de Jean). 2. BiBLiOGR.\PHlE : Les documents sur l'histoire de l'art toscan sont disséminés dans une foule de publications, dont les principales seront indiquées chacune en son temps et lieu. T D INE GR.\VURE UNIQUE CONSERVÉE AU CaBINET DE BERLIN) LE MILIEU FLORENTIN qui en vient n'est pas moins subtil qu'autrefois, et cependant il n'existe plus d'École florentine : c'est donc qu'il a fallu un concours spécial de circonstances pour favoriser le développement des facultés natives. Parmi ces circonstances, tenons compte, avant tout, de la jeunesse relative de la race florentine; du treizième au quinzième siècle elle était dans toute sa fleur; aujourd'hui elle est vieille et usée. Les cités et les races ont leurs périodes climatériques d'adolescence ou de déclin; l'esprit des nations vieillit comme celui des individus, et rien ne démontre plus clairement la solidarité psycho- logique, on serait tenté de dire physiologique, des hommes vivant dans le même climat et sous les mêmes lois. Heureuses les villes où la floraison dure trois siècles, comme à Florence ! Venons-en aux conditions de la vie publique. Il est à peine nécessaire de rappeler l'àpreté des luttes politiques, de ces guerres civiles permanentes entre les héritiers des Guelfes et ceux des Gibelins, entre Blancs et Noirs, entre les Médicis, les Pazzi et les Albizzi, ou entre le parti aristocratique et le parti popu- laire. On les retrouve d'un bout à l'autre de l'Italie aussi ardentes, aussi inexo- rables. Partout elles ont trempé les caractères, accentué les individualités, fourni aux poètes et aux artistes l'occasion de peindre la passion avec une vérité et une énergie suprêmes. Les poètes toutefois y ont gagné plus que leurs con- frères les artistes; ceux-ci en effet ne sont guère sortis, jusqu'au quinzième siècle, du cercle des représentations religieuses; l'écho des luttes civiles n'arrivait à eux qu'atténué et en quelque sorte transformé. Mais ces luttes, à leur tour, n'ont pas forcément, étalement, inspiré les poètes ou les artistes, provoqué un mouvement intellectuel fécond. Prenons les popu- lations de la Romagne, de la Calabre, de la Corse, de l'Amérique du Sud : les passions politiques n'ont pas cessé, depuis bien des siècles, de s'y donner carrière, et cependant ces provinces n'ont eu ni un Dante, ni un Machiavel, ni un Michel-Ange, pour peindre leurs luttes, pour intéresser l'humanité entière, que dis-je ! pour la passionner en foveur de ce qui n'était parfois qu'une pauvre que- relle de clocher. C'est qu'à Florence il y avait autre chose encore : grâce à une tournure d'esprit particulière, les Florentins relevaient et ennoblissaient les luttes à main armée par des luttes oratoires, par des discussions pénétrantes, qui met- taient en action toutes les ressources de leur dialectique et donnaient à leur esprit, comme à celui de leurs ancêtres intellectuels, les Athéniens, une tension perpétuelle. Grâce à ce développement de leurs facultés critiques, ils devinrent les premiers diplomates, les premiers financiers, les premiers commerçants et les premiers industriels du monde entier, comme ils en étaient les premiers littérateurs et les premiers artistes. La piété et le patriotisme, une piété et un patriotisme qui n'allaient pas sans une forte dose d'orgueil et un vif besoin d'ostentation, enfin la prospérité générale, firent le reste. Le gouvernement florentin voulut avoir les églises les plus belles et les plus riches, l'hôtel de ville le plus magnifique de toute l'Italie, ,•52 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. • et les particuliers rivalisèrent d'ardeur avec les représentants de l'autorité, avec les corporations religieuses. De là ce concours extraordinaire d'artistes de toute sorte, et cette réunion, unique au monde, de monuments dont un seul suffirait pour taire la gloire de toute autre cité. Enfin, cette sorte d'entraînement que provoque la culture régulière, suivie, intensive, d'un art. Assurément, le fils d'un grand artiste ne sera pas forcément un artiste supérieur. Mais combien de chances pour que l'exemple de ce grand artiste détermine la vocation et exalte l'ardeur de ses concitoyens plus jeunes, et pour que ceux-ci, à leur tour, forment des élèves savants et habiles, appelés à réaliser de nouveaux progrès ! « Les secrets des arts », a dit Albert Durer, « se perdent facilement, mais il fliut beaucoup de temps et de peine pour les retrouver. » Que d'efforts ont été épargnés aux artistes qui avaient le bonheur de naître à Florence, dans cette atmosphère de délicatesse et de magnificence ! Ce que les autres étaient condamnés à épeler péniblement, ils le savaient en quelque sorte de naissance; dès leurs premières années, profitant de l'expérience acquise par leurs prédécesseurs, ils pouvaient se consacrer à la recherche de nouveaux problèmes, foire faire à l'art un pas de plus. Ainsi s'explique cette gradation prodigieuse : pour l'architecture, Arnolfo, Brunellesco, L. B. Alberti ; pour la sculpture, Orcagna, Donatello, Michel-Ange; pour la peinture, Giotto, Masaccio, Léonard de ^'inci. En résumé, la suprématie de l'Ecole florentine tient à trois causes principales : les aptitudes naturelles d'une race douée d'une foçon exceptionnelle ; une édu- cation et des mœurs publiques essentiellement fovorables aux choses de l'esprit, mœurs qui étaient alors dans toute leur fraîcheur, toute leur vigueur; enfin la continuité des eftbrts dans chacune des branches de l'art, cette initiation savante qui transmettait aux générations l'héritage de leurs aînées, en y ajoutant pério- diquement sa part de progrès. Supprimez un de ces trois hicteurs, les autres perdent immédiatement leur efficacité : au lieu d'une Ecole pleine de vitalité, vous verrez soit un art encore informe, soit un art déchu. Au quinzième siècle, les Médicis lient si intimement leur cause à celle de l'art florentin, qu'il est impossible de séparer leur biographie de la genèse de la Renaissance. L'érudition moderne, qui s'est ingéniée à détruire tant de légendes et à défaire tant de réputations, n'a réussi, pour cette himille illustre, qu'à for- tifier ses titres à la gratitude de la postérité'. Tout éloge ici se trouve au-dessous de la réalité, et cette libéralité tant vantée, pour ne pas dire cette prodigalité I. BiPLiOGRAPHii-: ; F.ibroni, Afiigni Cosiiii Mediici vita. Fisc, 1780. — Id., Liuircnlii Medicis Magnifici vita. Fisc, l'^^- — Roscoe, Vie de Laurent le Mugiiificiiie. — A. de Rcumont, Loreiii^o de' Medici il Magniftco, 2' odit. 2 vol in-S°. Leipzig, if!83. — Voigt, Die Wiederhelehiiiig des clas- sischen Altertlmms, 2" édit. Leipzig, 1880-1881. — Enfin les Prèeiirseiirs de la Renaissance et les Collections des Médicis an qnin:^icnie siècle, que j'ai publiés à ht librairie Rouam, en 1882 et en 1887. LES .MKDICIS. 53 sans bornes, est encore le moindre des services rendus à l'art : il s'y mêlait, avec la foi la plus vive et le goût le plus sûr, je ne sais quel besoin d'aftection Le palais des Médicis {palais Hiccardi), dans l'ancienne Via Larga, à Florence. et de tamiliarité bien propre à tirer les artistes de l'état d'abaissement dans lequel la société contemporaine les avait si longtemps laissés langLiir. L'action des Médicis s'exerce dans toutes les directions à la t'ois, plutôt par 54 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. l'expansion naturelle de leur enthousiasme que par l'application de quelque pro- gramme bien méthodique : l'architecture, la sculpture, la peinture, les arts déco- ratifs sous toutes les formes, profitent de leurs encouragements autant que les rettres et les sciences ; ils se passionnent pour l'art contemporain autant que plou les vestiges de l'antiquité ; leur bibliothèque si riche a pour pendant un musée encore plus précieux, parce qu'il est absolument unique. Et même si, à travers la multiplicité de ces eflbrts, se renouvelant jour par jour pendant la durée de trois générations, on peut saisir une idée maîtresse, une note domi- nante, cette idée, c'est la conviction qu'il faut accroître sans cesse leurs collec- tions de modèles antiques, source intarissable de la Renaissance florentine. Dans cette œuvre gigantesque, chacun des trois chefs successifs de la fmiille a cependant joué, peut-être à son insu, un rôle distinct. Cosme, le Père de la Patrie (i.^Mi)-i4(>4), l'homme d'État profond, le banquier aussi habile qu'auda- cieux, est le bâtisseur par excellence, à qui l'église Saint-Laurent, le couvent de Saint-Marc, le palais de la Via Larga, l'abbaye de Fiesole, les villas de Careggi, de Caiîiiggiuolo, de Trebbio, doivent leur édification '. Son bras droit est Brunellesco, assisté ou remplacé dans la suite par Michelozzo ; Donatello, son ami, n'intervient guère que pour décorer ses bâtisses (médaillons de la cour du palais de la Via Larga et statue de la Judith; chaires de Saint-Laurent; portes de bronze et tombeau de Jean de Médicis dans la sacristie de la même église ; tombeau du pape Jean XXIII, au Baptistère). Cosme est le premier chef de gouvernement qui ait tait de l'architecture un moyen de propagande. Il répétait souvent que, connaissant l'humeur de ses concitoyens, il savait que dans cinquante ans il ne resterait de lui et des siens que les quelques constructions élevées par ses soins : « quelle poche reliquie ch'egli aveva murato « (notons cette jolie expression de « murare », bâtir). En réalité, en Italie, dans le reste de l'Europe, en Asie même, partout des monu- ments somptueux proclamaient la magnificence du chef des Médicis. A Assise, il fit restaurer l'église Sainte-Marie des Anges, dont le puits porte encore aujour- d'hui ses armes; à Rome, il enrichit la basilique de Saint-Pierre de six vitraux également à ses armes ; à Cortone, il perpétua son souvenir par le don d'un riche retable, offert à l'église Saint-Dominique"; à Venise, par la construction d'une bibliothèque; à Milan, par la décoration du palais dont François Sforza lui avait fait présent; à Paris, par la restauration du collège des Florentins; à Jérusalem, par la fondation d'un hospice. Comme Benozzo Gozzoli a lu dans l'âme du vieux Cosme en le représentant, au Campo Santo de Pise, assistant, avec les siens, à la construction de la tour de Babel, la plus gigantesque entre- prise architecturale de l'humanité! (Voy. les gravures des pages 36 et 3~.) Un tel monument eût été en efiet le rêve suprême de ce bâtisseur enthousiaste. 1. Voy. h's Pnniisfiirs tic la Reiuiissaiicc, p. l37 et suiv. — RL-dtciihacher, ih'e Archili-cliir dcr Renaissance, p. g et suiv. 2. Voy. /(' Tour ihi Monde, 188,3, t. I, p. 3l6. LES iMÉDICIS. 55 Sans proscrire les représentants des Écoles mystiques, Ghiberti, Fra Angelico, les délia Robbia, qu'il honora de diverses commandes, Cosme, inspiré peut- être par ses amis les humanistes florentins, les Léonard Bruni, les Charles Mar- suppini, les Niccoli, les Pogge, encouragea de bonne heure les novateurs — Brunellesco, Michelozzo, Donatello, Paolo Uccello, Dello, Fra Filippo, Andréa del Castagno, — de même qu'il donna tous ses soins à la formation d'un riche cabinet d'antiques, rendant ainsi à la Renaissance ce double service : exciter ses champions par ses libéralités, et développer leur goût par les meilleurs modèles. Le premier, Cosme établit entre les artistes l'intimité (Vasari se sert du terme si pittoresque de « domesticanza »), qui devint de tradition dans sa maison. Tantôt il se fliit accompagner dans son exil à \'enise par l'architecte-sculpteur Michelozzo, un de ses plus chers amis; tantôt il s'occupe lui-même de renouveler la garde-robe de son autre ami, Donatello. N'est-il pas touchant de voir ce dernier, au moment de mourir, ambitionner la laveur de reposer auprès de son illustre protecteur, comme un chien fidèle aux pieds de son maître ! Et quelle liberté d'esprit chez cet homme d'État chargé de si graves intérêts, chez ce banquier intatigable, dont les comptoirs s'échelonnaient depuis Bruges jusqu'au Caire! S'agit-il de ses études favorites, il est prêt à tout abandonner et trouve des accents d'une tendresse charmante, comme dans cette lettre adressée à Marsile Ficin, qu'il avait élevé tout exprès pour en taire le champion du platonicisme : « Mens me rejoindre à Careggi, mon cher Marsile, viens aussitôt que tu le pourras et n'oublie pas d'apporter avec toi le traité du divin Platon, « Du souverain bien ». Si tu m'en croyais, à l'heure qu'il est, tu l'aurais déjà traduit en latin ; il n'est pas de recherche à laquelle je me livrerais avec plus de passion que la recherche de la vérité. Mens donc, et apporte avec toi la lyre d'Orphée '. « Un trait rapporté par Vespasiano peint admirablement cette ardeur sans pareille. Au moment d'arrêter les comptes de l'année, un agent de la banque des Médicis à Florence paraît devant Cosme et lui dit, croyant le surprendre par des chiffres si éloquents : « Vous savez que vous avez dépensé cette année 7000 florins à la Badia de Fiesole et 5ooo à Saint-Laurent. » Et Cosme de ré- pondre tranquillement : « Eh bien, le personnel de Saint-Laurent mérite un blâme sévère, car s'il a dépensé si peu, c'est preuve qu'il a peu travaillé, et celui de la Badia mérite les plus grands éloges, car il a prouvé qu'il a travaillé plus que celui de Saint-Laurent'. » Pierre le Goutteux (m^-^Oo), tils de Cosme et père de Laurent le Magni- fique, figure disgraciée par la nature et maltraitée par l'histoire, semble s'être I. Voy. la Renaissance de Dante à Lii/her, par M.irc Monnicr; Paris, i88.^, p. 194. ;. Vespasiano, Vite, p. 2.54. 56 HISTOIRE DL; L'ART I'I:M).\NT LA RENAISSANCE. plus spécialement imposé pour tâche de commander des tableaux et des statues, étendant ainsi au loin les rapports de sa maison avec les artistes, et d'organiser les séries, de plus en plus riches, du musée médicéen. Esprit sage et actif, sans la grandeur de son père ni l'éclat de son lîls, il a rendu, dans une sphère plus modeste, les services les plus signalés. Il comptait pour amis intimes L. B. Alberti, Filarete, Fra Filippo Lippi, Benozzo Gozzoli (auquel il n'hésitait pas, à l'occasion, à imposer son goût, témoin ces chérubins qu'il le força d'effiicer dans un de ses tableaux '), et pour clients une foule d'autres artistes distingués, Matteo de' Pasti, qui peignit pour lui les Tiioiiiplh's de Pclrarqtic, aujoiu-d'hui exposés au Musée des Oflîces, Mino de Fiesole, qui sculpta son buste, Francesco d'Antonio del Cherico, qui enlumina ses manuscrits, le peintre Domenico Veneziano, etc. Son frère Jean (mort en i 4't-'>) partageait ses got'its : nous le voyons rechercher les antiques, commander dans les Flandres de riches tapisse- ries, entretenir un commerce d'amitié avec les peintres Fra Filippo Lippi, Giovanni Angelo de Camerino, avec le fameux ingénieur et architecte Aristotele di Fioravante, etc. Médaille de Cosme de Médicis. De 14.^4 à 1471, c'est-à-dire du retour triomphal de Cosme de Médicis au début du principat de Laurent le Magnifique, les Médicis n'avaient pas dépensé moins de 663755 florins (environ trente millions de francs), en impositions, en aumônes et en constructions. Ces chiffres sont fournis par Laurent lui-même, qui les cite avec enthousiasme. Il ne devait pas tarder .1 éclipser encore la magni- ficence tant vantée de sa maison. Laurent le Magnifique (1441'!- 141)2) est à la fois l'homme d'Etat hors ligne, aux inspirations de génie (comme de courir à Naples se mettre volontairement au pouvoir de son ennemi le roi Ferdinand, et de le conquérir par son élo- quence), qui seul aurait pu détourner de l'Italie le fléau de l'invasion; le rénova- teur de la poésie italienne; l'auteur si profondément religieux des Mystères et si spirituellement licencieux des Chanis à danser (« canti da hallo ») ou des Chants carnavalesques (« canti carnascialeschi »); l'arbitre du goût, qui dirige l'évolution suprême de la Renaissance florentine, et dont les artistes ou les amateurs de l'Italie entière sollicitent respectueusement les arrêts; l'homme d'initiative qui découvre les talents nouveaux, et l'amateur prodigue dont les largesses peuplent Florence de chefs-d'œuvre. Grâce à l'ardeur de son aïeul Cosme, qui n'a guère laissé a construire après lui, Laurent peut concentrer ses eflorts sur la peinture, I. Gayc, Ciuieggw, t. I, p. kjI. Fragment d'lne fresque de Bekozzo Gozzoli (Palais Riccardi, a Florence) 1J:S MKDR'IS. l;i sculpture et les arts dccoratits : aussi remarque-t-on que c'est à peine s'il occupe les architectes pour lesquels il professe la plus vive admiration et l'affec- tion la plus tendre, les da San Gallo et les da Majano; le service qu'il leur rend consiste surtout à les mettre en relation avec ses illustres amis, les souverains de Naples ou de Milan, les Républiques voisines. Personnellement, il se contente de taire élever par Giu- liano da San Gallo la charmante villa de Pog- gio à Cajano; il est pro- bablement aussi pour quelque chose dans la reconstruction de l'é- glise Santo Spirito, in- cendiée en 147 1, et dans l'achèvement du palais Strozzi, dont son ami Philippe Strozzi lui avait confié en mou- rant la direction. On a du reste vu précé- demment quelle était la compétence de Lau- rent le Magnifique en matière d'architecture : le triomphe définitit de la Renaissance est en grande partie son œuvre. Les sculpteurs atti- trés de Laurent étaient Bertoldo, le vieil élève et continuateur de Donatello; puis Verrocchio, qui reçut de lui la commande du tombeau de Cosme et de Pierre de Médicis à Saint- Laurent, et celle du charmant Enfant an Dauphin. Comme peintres, il affec- tionnait principalement Botticelli, Filippino Lippi, Domenico Ghirlandajo, A. Baldovinetti, les Pollajuolo; comme miniaturistes, Gherardo et Attavante, pour ne point parler des artistes innombrables qui tenaient leurs regards fixés sur ce grand dispensateur de richesses, sur ce juge sans appel, depuis l'illustre Mantegna jusqu'aux horlogers Volpaia et Dionisio de Mterbe, jusqu'au mé- dailleur Guaccialotti, jusqu'aux adolescents dont Laurent devinait le talent naissant, Léonard de Vinci et Michel-Ange. Les artistes pris individuellement n'étaient pas seuls à profiter de son ardeur, de son initiative; des branches entières de l'art lui doivent leur renaissance : la gravure en pierres dures, dont li. .Mimtz. — 1. Italie. Les Primitifs. 8 Buste Je Pierre de Médicis, le Goutteux, par .Miiio de Fiesole. (Musée national de Florence.) 58 iiisToïKi-; 1)1-; i/Airr i'i:Nn.\N'i' la ri:naissanc'e. il fut le restaurateur, de concert avec le pape Paul II, la peinture en mosaïque qu'il tira d'un long et injuste oubli. Lorsque cet homme extraordinaire, également éminent comme diplomate, comme poète et comme connaisseur, mourut, à peine âgé de quarante-quatre ans, le palais des Médicis formait le musée le plus riche et le plus complet que l'Italie eût vu depuis les temps des anciens Romains : à côté des innombrables chefs-d'œuvre de l'art antique — statues, bas-reliets, bustes, pierres gravées, médailles — s'alignaient les merveilles de la sculptLU'e du quinzième siècle, signées des noms de Donatello, de Desiderio, de Mino, de A'errocchio; les pein- tures de Masaccio, de Paolo Uccello, de Fra Angelico, de Fra Filippo Lippi, de Francesco Peselli, de Domenico Veneziano, de Matteo de' Pasti, de Botticelli, des Polla juolo, alternaient avec celles des chefs de l'Ecole flamande, les \'an Eyck et les Petrus Cristus. Le mobilier était d'une variété et d'un luxe éblouissants : tapisseries des Flandres, cuirs de Cordoue, émaux, majoliques, ouvrages damas- quinés. L'orfèvrerie pouvait, malgré son prix, passer pour ce que le palais rentermait de moins précieux. Médaille de Laurent le Magnifique, attnbu>:e à Niccoio Fioreniino. Considérée uniquement au point de vue de l'art, l'œuvre des Médicis paraît gigantesque, leurs services infinis; et cependant ce n'est là qu'une moitié de la tâche glo- rieuse à laquelle ils se sont dévoués : la philosophie, la science, la littérature, n'ont -elles pas d'aussi grandes obligations à ces amateurs de génie qui en adoptant Marsile Ficin ont voulu préparer un interprète à Platon, qui par leur exemple et leurs encouragements ont remis en honneur la poésie italienne, si longtemps sacrifiée à la poésie pseudo-classique, qui ont tonde l'admirable bibliothèque Laurentienne? La gloire d'un Pogge, d'im Ambroise le Camal- dule, d'un Cristoforo Landini, d'un Politien, d'un Pic de la Mirandole, d'un Lascaris, de plus d'un autre parmi les savants ou littérateurs attachés aux jMédicis, aurait pu parfois porter ombrage à leurs émules les artistes; mais leurs communs protecteurs « épandaient leurs faveurs et ne mesuraient pas ». Qut)ique le présent ouvrage doive être limité aux choses de l'art, nous ne sau- rions caractériser le mouvement dont le foyer se trouvait au palais des Médicis si, à côté des artistes, nous n'accordions pas du moins un coup d'œil à la pha- lange de littérateurs et de savants groupée autoui' de cette famille illustre. Toutes les branches des connaissances humaines étaient représentées dans ses rangs. Ici des historiens et des philologues, tels que les deux Arétins, Leonardo Bruni et Carlo Marsuppini, tous deux chanceliers de la République florentine. Là, l'heureux dénicheur de manuscrits, le conteur sarcastique, l'archéologue ToMBtAf I)i; PlKKRi; ET DE COS.ME DE .MÈDICIS, PAR VeRROCCHK). (T'"<;LrSE SmxT- L.M'RENT A FLORENCE.) rin HISTOIRE nv: L'ART Pl'.NO.WT L\ lU:NAISSA\rE. sagace et surtout le penseur si indépendant et si éloquent qui s'appelait Poggio Bracciolini. Chez Traversari, plus connu sous le nom d'Amhroise le Camaldule, Térudition classique et sacrée l'emporte, et cependant quel enthousiasme cet hel- léniste distingué ne sait-il pas mettre dans ses lettres, lorsqu'il raconte ses triom- phantes expéditions dans les bibliothèques de l'Italie ! Léon-Baptiste Alberti, le grand architecte, cultive à la fois la morale et l'esthétique. Niccolo Xiccoli, esprit à la tournure négative, représente le collectionneur par excellence : il se persuade que tout a été dit par les Anciens, et se renterme dans l'admiration du passé sans songera produire. Francesco Filelfo, l'un des princes de l'hellénisme, commence par accepter une chaire à l'Université de Florence des mains de ces mêmes Mé- "^ Médailles de la Conjuration des Pazzi, avec les portraits de Julien et de Laurent de .Médicis, par A. Pollajuolo. dicis qu'il devait dans la suite accabler de tant d'injures; comme son ennemi le Pogge, il excelle à la fois dans le panégyrique et dans la satire, dans la critique des textes et dans l'épistolographie, avec quelque chose de moins prime-sautier et de moins généreux toutefois. Marsile Ficin, l'immortel interprète et commen- tateur de Platon, n'était alors qu'un enfant (il était né en 1433); mais déjà Cosme de Médicis avait deviné son génie naissant. Le don d'une maison située à Florence, celui d'un petit domaine situé à Careggi, et suffisant pour l'entretien de trois personnes, mirent le jeune philosophe à l'abri du besoin pour le reste de ses jours. Puis c'étaient des mathématiciens, des médecins, des géographes, que la libéralité du premier Médicis fixait à Florence et inféodait à sa maison. Tous ces persoimages, sauf L.-B. Alberti, n'écrivaient que le latin; mais c'était un latin souple, incisif, vivant, et non une langtie morte telle que l'ont faite les puristes des âges suivants. Pour libraire, Cosme de Médicis avait ce brave \'espasiano de' Bisticci (né en 142 1 , mort en 1 4i)"i), le fournisseur des papes, des ducs d'Urbin, du roi de Hon- grie Matthias Corvin, et, de plus, l'auteur de ce livre d'or (les Italiens se servent de la jolie et intraduisible expression de « aureo libro »), qui raconte avec une naïveté touchante les vies des principaux personnages du quinzième siècle, sou- verains, cardinaux, archevêques et évéques, hommes d'Htat et littérateurs. 62 HISTOIRE DR L'ART PKNDANT LA RENAISSANCE. Le concours d'un commerçant tel que ^'espasiano était doublement précieux à une époque où, l'érudition l'emportant sur l'imagination, les Médicis s'occu- paient plutôt de sauver de l'oubli les auteurs anciens que d'encourager les pro- ductions nouvelles. Réunir des manuscrits, organiser des bibliothèques, vulga- riser les trésors littéraires, tel était en effet l'un des objectifs qui ne cessèrent d'être les plus chers aux trois chefs successifs de la famille, à Cosme, à Pierre et à Lau- rent. Cosme surtout, toutes les fois qu'il bâtissait un couvent, s'empressait de le doter d'une bibliothèque. A Saint-Marc de Florence, les manuscrits laissés par Niccolô Niccoli formèrent le noyau de la collection naissante. Le problème était plus embarrassant pour l'abbaye (la Badia) de Fiesole. La destinant à des religieux studieux et lettrés, Cosme ne savait comment improviser une collection digne d'occuper leurs loisirs. Il fit venir Vespasiano et lui demanda conmient il s'y prendrait pour mener .'i bonne fin cette tâche. \'espasiano de répondre qu'il était impossible de trouver à acheter une telle quantité de livres; peut-être, ajouta-t-il, en mettant sur pied une armée de copistes, réussirait-on à constituer un fonds sérieux dans l'espace de temps si limité fixé par Cosme. Ainsi fut lait : Cosme mit un crédit illimité à la disposition de son libraire, et celui-ci, ayant enrôlé quarante-cinq copistes, parvint à faire transcrire deux cents volumes en vingt-deux mois, tour de force qui le couvrit d'honneur et qui doit donner à réfléchir aux imprimeurs modernes. Le savant chargé de dresser la liste des auteurs dignes de figurer dans ces collections d'élite, et de rédiger le canon bibliographique qui servit de base à Cosme, n'était autre que le pauvre et obscur Thomas Parentucelli de Sarzane, subitement élevé par un coup de fortune au trône de Saint-Pierre, sous le nom, qu'il immortalisa, de Nicolas V. Ce n'est pas un des moindres titres de gloire des Médicis que d'avoir deviné le mérite et utilisé les services de ce bibliophile éminent, le futur fondateui' de la bibliothèque du Vatican. — Le canon biblio- graphique de Thomas Parentucelli existe encore : il a été livré à la publicité, il y a peu d'années, par M. Sforza'. La passion des Médicis pour une diction élégante, des pensées ingénieuses ou les prodiges de l'érudition n'allait pas toutefois jusqu'à leur faire fermer les yeux sur ce que l'on pourrait appeler leurs intérêts dynastiques. Le savant et éloquent Giannozzo Manetti en fit la triste expérience : frappé par Cosme d'amendes énormes, il dut s'expatrier et chercher fortune à la cour de Nicolas V d'abord, d'Alphonse V ensuite. Laurent le Magnifique fit preuve de plus de générosité, peut-être aussi de plus d'habileté, en pardonnant à Philelphe les invectives qu'il avait lancées, quelque quarante années auparavant, contre son aïeul le grand Cosme. Si Cosme déjà, qui n'était et ne voulait être qu'un simple curieux en pareille matière, avait réussi à grouper en faisceau tant d'illustrations littéraires ou I. La Pallia, la Fini.'ii;lia c la Giovincua di papa Niccoio J'. Liicqucs, 1884. LES xMEDICIS. 63 scientifiques, que tut-ce lorsque Laurent le Magnifique, élevé dans ces études et ayant le droit de se poser en homme du métier, prit en main la propa- gande de l'humanisme! De ce moment, il n'v eut plus en Italie un savant, un littérateur, un philosophe, plus un travailleur obscur maniant la plume, qui n'eût les yeux fixés sur le palais des Médicis, qui n'y cherchât des inspirations ou des oracles, comme dans l'antre de la Sibylle. Quel sanctuaire que celui où se rencontraient journellement, dans une contraternité touchante, des philo- sophes tels que Marsile Ficin, des poètes tels que Politien, des érudits tels que Jean Lascaris, l'historien Bernard Ruccellaï, Bibhiena, l'un des créateurs du théâtre italien, pour ne point parler de l'universel Pic de la Mirandole, et qu'il iMédaille Je Vie Je la .MiraïKiule. MéJaille Je -Mai>ile Ficin. dut être difficile au fils de Laurent, le pape Léon X, d'éclipser encore la gloire de la maison paternelle ! Les célèbres Dispiilationes atnialdiilenses de Cristoforo Landini nous initient aux entretiens philosophiques et littéraires de cette société d'élite. Pendant l'été de l'année 146H', Laurent le Magnifique et son fi'ère Julien, Piero et Donato Acciajuoli, Alamano Rinuccini, l'ancien élève du Pogge, Marco Parenti, le beau-fi'ère de Filippo Strozzi (voy. ci-dessus, page 16), Cristoforo Landini, Mar- sile Ficin, Léon-Baptiste Alberti, et quelques autres, s'étaient donné rendez- vous dans les montagnes du Casentin, au couvent des Camaldules, cherchant la fraîcheur et le recueillement au milieu des hêtres séculaires qui couvrent et des eaux vives qui arrosent les ravins creusés autour de l'antique monas- tère. Le lendemain, après avoir entendu la messe, ils gravirent la montagne, et, s'étendant à l'ombre d'un hêtre gigantesque, prêtèrent l'oreille aux graves et ingénieux discours d' Alberti, qui eut pour mission, pendant ces jours de villé- giature, de diriger la conversation. Celui-ci, s'adressant aux deux jeunes Médicis, leur signala les difficultés qui les attendaient quand ils auraient pris en main les rênes de la République florentine, que la santé chancelante de leur I . C'est la date mise en avant par M. Mancini dans sa Vita di L. B. Alberti, p. 481 , et adoptée par Alfred de Reumont dans son Lorvii-o de' Mcdici (x. II, p. .54-36), auquel j'emprunte le récit ci-dessus reproduit. 64 iiisroïKi; i)i; i. art 1'i;m).\\'i' i.\ ki;naissancl:. père ne tarderait pas à leur livrer, et leur recommanda la vie contemplative célébrée par Platon. Laurent répliqua en invoquant la nécessité de concilier le principe contemplatif avec les devoirs sociaux, et de remplir ainsi la tache qui est assignée à l'honnne sur cette terre. On discLita ensuite sur les destinées de l'âme, sur le souverain bien, sur les plus hautes questions d'économie politique et de morale. Les entretiens suivants furent consacrés à l'examen des rapports de VÉiiêidc de A'irgile avec la philosophie de Platon : là encore le jeune Laurent entendit ou énonça des doctrines sublimes, qui, s'il les avait suivies, auraient fait de lui le chef d'Etat le plus vertueux de l'Italie antique ou moderne, mais non pas, assurément, le diplomate le plus fin de son temps. On le voit par ces exemples, comme par tant d'autres, le génie tamilier de la maison de Médicis, c'est Platon : la propagande de sa philosophie, tel est le secret de la domination que ces grands ciiarmeurs exercèrent sur l'esprit de leurs contemporains. Plus encore que la littérature classique, la littérature italienne a contracté en- vers les Médicis une dette qu'il lui sera difficile de jamais acquitter. Leur ardente initiative a tiré de l'oubli la langue nationale, si complètement sacrifiée au latin dans les cours de Rome, de Xaples, d'Urbin. Dès 1441, Pierre de Médicis, le fils de Cosme, décernait une couronne d'argent aux vainqueurs du concours institué par L. B. Alberti en faveur de poésies écrites en italien. La femme de Pierre, Lucrèce Tornabuoni, se rendit célèbre par ses poésies religieuses, les Laiidi. Quant à leur fils Laurent le Magnifique, il ne se contenta pas de grouper autour de lui les maîtres de la poésie italienne, Politien, dont les stances sur la Joute de 1468 sont demeurées inimitables pour leur suavité, Lodovico Puici, dont le Morgaiilc Maggiorc, publié en 1481, a servi de prototype à Bojardo, à l'Arioste, et à tous les autres chantres du cycle carlovingien; le jeune Mécène encouragea encore Cristoforo Landini dans ses tentatives pour remettre en hon- neur Dante et s'occupa — mais sans succès — de fltire revenir dans sa patrie les cendres du grand exilé. Bien plus, il voulut prêcher d'exemple, et, comme on l'a vu, conquit dans la poésie italienne du quinzième siècle un rang qui ne peut lui être disputé que par son protégé et ami Politien. Sous les au.spices des Médicis, des relations suivies s'établirent entre huma- nistes et artistes. Il serait difficile d'exagérer l'influence que la fi-équentation d'archéologues ou de collectiomieurs tels que le Pogge et Xiccolô Niccoli a pu avoir sur Donatello et son école, ainsi que sur Ghiberti, ou les conversations de philosophes et de poètes tels que Marsile Ficin et Politien sur les artistes de la fin du quinzième siècle, entre autres siu' Michel-Ange. Peintres et sculp- teurs s'eftbrcèrent d'acquitter leur dette en multipliant partout les portraits de ces amis auxquels ils devaient tant de conseils utiles', mais qui contribuèrent I. On trouvcr.i des dOtails sur ces rapports d.ius les Prciiinfiirs ik la Rcnaisstvia' , p. 204 et suivantes. LE GOUVERNEMENT FLORENTIN. 6.Î aussi, comme il sera dit plus loin, à détacher l'art italien de l'étude de la vie réelle pour le transporter dans le domaine de l'abstraction. Autour des Médicis gravitent cinq ou six fomilles florentines, entraînées dans Buste de Philippe Strozzi, par Benecietto da Majano. (Musée du Louvre.) le tourbillon par l'exemple de ces amateurs prodigues'. Enrichies de la veille seulement, elles ont hâte de jouir et de faire jouir de leurs trésors (les parvenus sont décidément les rois des Mécènes!), tandis que les représentants de la très vieille aristocratie florentine, les Acciajuoli, qui se sont élevé au quatorzième siècle un monument impérissable dans la Chartreuse du Val d'Ema, les Peruzzi, I. Voy. sur ces diverses familles les FiiiiiigUe celehii, de Litta, et les Pri'cuvseurs de la Renais- sance, p. 2.38 et suiv. E. .Mlinlz. — I. Italie. Les Primitifs. o 66 mSTOlRR DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. qui ont fiiit peindre par Giotto leur chapelle de Santa Croce, et qui depuis ont si 2;lorieusement attaché leur souvenir à rembellissement de la Florence moderne, les Bardi, etc., se reposent sur leurs lauriers. Les Strozzi' (Palla, 1.172-14(12; Matteo, né en 1,197; Filippo, T420-I4()i) se signalent en commandant à Gentile da Fabriano V Adoration des Mages, qui est son chef-d'œuvre ; en taisant élever le petit et le grand palais qui portent leur nom, avec les bustes sculptés par Mino, Desiderio, Benedetto da Majano ; enfin en confiant à Filippino Lippi la décoration de leur chapelle à Sainte-iMarie Nouvelle. Les Ruccellaï (Giovanni, 1403-140I; Bernardo, 144M-1514)" lient si intime- ment leur cause à celle de L. B. Alberti, qu'il sera bien malaisé à la postérité de jamais séparer leur nom du sien : ils le chargent d'élever leur palais de la « Via délia Vigna Nuova », l'oratoire de Saint-Pancrace, avec une réduction de l'église du Saint-Sépulcre, ainsi que de doter Sainte-Marie Nouvelle de sa taçade; on ne citera ici que pour mémoire leurs fomeux jardins, les « Orti Oricellarj », qui, au début du seizième siècle, ont tenu une si grande place dans l'histoire des lettres florentines. Les Tornabuoni (Francesco, mort en 1436; Giovanni, trésorier de Sixte I\'), proches alliés des Médicis, tout comme les Ruccellaï, laissent des témoignages de leur magnificence, à Rome, dans les tombeaux de l'église de la Minerve; à Florence, dans les fi'esques dont D. Ghirlandajo orna l'abside de Sainte-Marie Nouvelle, et dans le palais qui a donné son nom à l'une des principales rues de la cité. Les Martelli s'honorent de l'amitié de Donatello, qui sculpte pour eux un Saint Jean-Baptiste et plusieurs autres statues ou bustes bien connus; les Pazzi, de celle de Brunellesco, qui élève leur palais dans la Via del Proconsole et leur chapelle à Santa Croce. Lucas Pitti enfin s'assure l'immortalité en commandant également à Brunellesco le plus grandiose des palais de Florence. Accordons aussi un souvenir aux collectionneurs d'antiquités, à Niccolo Niccoli (i36.-!- 1437), à Ghiberti, le sculpteur, au Pogge"'. Il n'v avait pas jusqu'aux Florentins fixés à l'étranger qui ne voulussent s'im- mortaliser dans leur ville natale par quelque fondation grandiose. Le noble aven- turier connu sous le nom de Pippo Spano (Filippo degli Scolari, f 1426), qui avait frit une fortune si brillante en Hongrie et attiré autour de lui un si grand nombre de ses compatriotes, légua une somme considérable pour édifier le temple des Anges à Florence. Ce monument, commencé par Brunellesco, resta malheureusement inachevé. 1. Voy. sur les Strozzi les File de Vespasi.iiio ; édit. B.utoli, p. 271-21^11; — la l'ila di Filippo Strox^i il Vecchio; édit. Bini et Bigazzi. Florence, l85l ; — AU'ssandra Macinghi iii'gli S 1 10:^:^1 ; édit. Guasti. Florence, Sansoni, 1877. Voy. ci-dessus, p. 12 et suiv. 2. Passerini, Gli Alh'rli. — Id., Ciiriosità storico-artistiche fioreiilim', V série. — Bernard Ruccellaï, Liber de tirhe Roiiia; édit. Becucci. Florence, 1770. ,3. Voy. les Précurseurs de la Renaissance, p. 104-125. LE GOUVERNEMENT FLORENTIN. 67 Le gouvernement florentin — la Seigneurie, comme on l'appelait — avait dès le treizième siècle célébré dans un langage magnifique la dignité de la mission de l'art. Qui ne se rappelle les termes de la délibération par laquelle il confia, en 1294, à Arnolfo la reconstruction de la cathédrale de Sainte-Marie des Fleurs? « Attendu que la souveraine prudence d'un peuple de haute origine consiste à procéder dans ses affaires de manière que ses actes témoignent à la fois de la sagesse et de la magnanimité de ses entreprises, nous ordonnons à Arnolfo, maître d'œuvres de notre commune, de fliire un modèle ou un plan de la recon- struction de Santa Reparata, avec la plus haute et souveraine magnificence, afin qu'il soit impossible à l'activité et à la puissance des hommes de la faire plus grande ni plus belle, conformément à ce qui a été délibéré par les hommes les plus sages de cette cité dans les réunions publiques et pri- vées, à savoir, qu'il ne faut point entreprendre les choses qui intéressent le bien public (« il comune ») si l'on n'a pas le désir de les taire correspondre aux aspirations d'un cœur devenu très grand, parce qu'il se compose de l'esprit de beaucoup de cit03-ens unis ensemble en un seul vouloir. C'est ce qu'il importe de fltire davantage encore, étant donnée la qualité de cette cathédrale'. » A l'époque qui nous occupe, sous l'inspi- ration de Palla Strozzi, ainsi que des Albizzi et de Niccolo da Uzzano ', dont on est trop tenté de sacrifier les titres à ceux des Médicis, la Seigneurie inter- vient à tout instant dans l'embellissement de la cité. Tantôt elle prend à sa charge les frais des travaux ou accorde des subsides, tantôt elle fait exécuter ces travaux par voie législative, comme lorsqu'elle décida, le 20 avril 1406, que chacune des corporations représentées dans l'Oratoire d'Or San Michèle serait tenue, dans le délai de dix ans, d'enrichir une des niches extérieures de la statue en marbre de son patron, « une statue grande et honorable », faute de quoi elle serait déchue de ses droits (cette décision, on le sait, nous a valu les chefs-d'œuvre de Ghiberti, de Donatello, de Nanni di Banco et de Verroc- chio). Parfois aussi la Seigneurie intervient pour s'opposer à des actes de van- dalisme : en 1448 nous la voyons prendre contre les frères du couvent de Santa Croce la défense du « dormitorium (dortoir) magnum et nobile et Médaille de Jean Tornabuoni, par le médailleur « à l'Espérance ». 1. Villani, Croiiiclje, liv. Mil, ch. vir. — Riclia, Noti\ie islorichc délie Chiese fiorentim- ; Flo- rence, 17.54-1762, t. VI, p. 14. 2. Xiccolô da Uzzano (| 1432), dont les traits nous ont été conser\'és par le buste de Dona- tello, aujourd'hui au Musée national de Florence, fit commencer par Lorenzo di Bicci son palais de la Via dei Capponi, ainsi que le collège de la « Sapienza », destiné aux étudiants de l'Université florentine. 08 HISTOIRE Di'. i.Airr pi:m).\nt la renaissance. amplum », que ceux-ci déshonoraient en y pratiquant des portes, des fenêtres, des cheminées, ce qui nuisait à la beauté, à la solidité et à la convenance de l'édifice : « pulchritudini, fortitudini et aptitudini dicti hedificii ». Dans cette protection accordée aux arts, elle pouvait s'autoriser de la fière réponse faite cent années auparavant par les Florentins à leur tyran, le duc d'Athènes : « que l'on voit des hommes aimer la liberté uniquement grâce aux souve- nirs que leur ont laissés leurs pères, et que si ceux-ci ne leur avaient pas transmis ces souvenirs, les palais publics, les lieux de réunion des magis- trats, les enseignes (les bannières) des corps libres se chargeraient de les leur rappeler » ' . Au quinzième siècle, indépendannnent des travaux de fortification et des travaux de voirie, ceux-ci placés sous la direction d'un bureau spécial, la Sei- gneurie concourt pour une part plus ou moins considérable à la construction ou à la réparation des églises Saint-Marc, Saint-Laurent, Sainte-Croix. Elle fait élever dans cette dernière, vrai Panthéon des gloires florentines, où Dante a son monument à côté de Galilée, Machiavel à côté de Michel-Ange, des mausolées magnifiques à ses deux chanceliers, Léonard Bruni et Charles Mar- suppini. Mais la grande préoccupation des chefs du pouvoir est la décoration du Palais Vieux, qui leur sert de résidence. A partir de 1454, il ne se passe guère d'année sans que l'on y entreprenne quelque embellissement important. Tantôt c'est une suite de tapisseries de i.ioo coudées que Ton tait tisser par Liévin de Bruges (1457); tantôt un candélabre monumental en bronze, que l'on commande à Verrocchio (1468); tantôt encore une statue de géant que l'on charge Agostino di Duccio (1463) de tirer d'un bloc de marbre. Puis on décrète la reconstruction de la grande salle et de la salle d'audience (147.-!), dont les sculptures et les marqueteries sont confiées au Francione, à Giuliano et à Benedetto da Majano et à divers autres (1476-1479), tandis que Domenico Ghirlandajo, Botticelli, le Pérugin, Filippino Lippi, Pietro Pollajuolo, Leonardo da Mnci sont chargés de la peinture (14B2). Rien ne parait aux membres du Magistrat trop beau ou trop rare pour eux. En 1477, ils iont scier, pour en orner la porte de la salle d'audience, un morceau de porphyre, matière dont la taille était longtemps restée un secret. Partout, dans ces délibérations ou proclamations, percent le légitime orgueil des représentants d'une grande cité et un patriotisme que la postérité doit bénir, puisqu'il a profité, non pas tant aux intérêts municipaux immédiats qu'à la cause, infiniment plus large, de l'art. Les expressions de « magnificentia com- munis Florenti.i; », de « honor Dei et decus nostr:t; civitatis », « ad honorem et gloriam communis », la mention de pierres devant durer éternellement, « de lapidibus perpetuo duraturis », etc., disent assez combien ces sentiments avaient de force et de netteté. 1. Machi.i\\;l, hloric JioicHlhic, liv. 11, ch. xxxiv. L1-: GOUVERNEMENT FLORENTIN. 69 A côté de la Seigneurie, les fabriques, les confréries religieuses et les corpora- tions civiles déploient une rare activité. L'œuvre de la cathédrale fait com- mencer et achever la coupole; elle commande à Piero di Giovanni Tedesco, à Niccolô d'Arezzo, à Nanni di Banco les bas-reliefs des portes du sanctuaire; à Donatello, les statues de l'intérieur et celles du campanile, ainsi que la tribune des chanteurs, dont une moitié est sculptée par Luca délia Robbia. Les riches corporations des fabricants d'étoffes de laine et d'étoffes de soie, 1' « Arte délia Lana » et l'« Arte della Seta », veillent à l'achèvement des portes du Baptistère Rencontre de saint Dominique et de saint François. (.Mtribué à Andréa délia Robbia.. (Hôpital Saint-Paul à Florence.) (ces deux portes coûtèrent à elles seules oo "Cjm florins et une traction, soit environ i millionet demi de francs), assurant ainsi l'immortalité àGhiberti; à la décoration des niches d'Or San Michèle, qui s'enrichissent des statues de Dona- tello, de Ghiberti, de Nanni di Banco, de Verrocchio; à la construction de l'hospice des Lmocents sur la place de l'Annonciation, à celle de l'hospice de Saint-Paul. A la Badia, les Bénédictins, pris d'un beau mouvement de reconnaissance rétrospective, commandent à Mino de Fiesole le tombeau de leurs bienfaiteurs, le marquis Hugues de Toscane, mort quelque cinq siècles auparavant, et Bernard Guigni; à Santa Croce, les Franciscains demandent à Benedetto da Majano de sculpter la chaire que l'on sait. Examinons le rôle et l'attitude de ces juges en quelque sorte impersonnels, pour la plupart de braves bourgeois, siégeant en commission. S'ils n'avaient pas la distinction et la netteté de goût des Médicis, ils n'apportaient certainement que plus de vigilance dans leur contrôle. Loin de se contenter de l'autorité d'un grand nom, ils entendaient entrer dans la discussion des moindres défauts de 70 HISTOIRE Dl£ L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. l'œuvre, la soumettre à la critique la plus minutieuse. Ils avaient tellement à cœur la perfection, qu'ils multipliaient les formalités, trouvant toujours qu'ils n'avaient pas assez de garanties. C'était d'abord comme un examen professionnel, examen assez sévère, puisque à Orvieto, en 1440, un maître de la valeur de Benozzo Gozzoli échoua et fut éconduit; puis venait le concours, qui avait pour but de choisir, entre les productions de deux artistes également capables, la production la plus parfiitc. Au cours même du travail, c'étaient des observations sans fin; bien souvent on forçait l'artiste à recommencer; parfois, cette seconde édition n'ayant pas paru suffisante, on refusait purement et simplement le travail livré. Une clause introduite dans la plupart des contrats stipulait en effet que l'ouvrage ne serait accepté qu'autant qu'il paraîtrait satisfaisant, « a giudizio d'ogni buon maestro » '. Mais que sont ces encouragements, à la fois si brillants et si intelligents, au prix de l'ardeur qui transportait les artistes eux-mêmes, de cette émulation rare, de ce progrès de tous les jours ! Pas une branche de l'art, depuis les plus humbles jusqu'aux plus élevées, qui ne comptât les représentants les plus éminents. Citer les noms des architectes, des sculpteurs et des peintres florentins qui ont illustré ce siècle, ce serait faire l'histoire même de chacun de ces arts. On démon- trera plus efficacement le prodigieux essor et parfois la tension excessive de l'esprit florentin dans toutes les directions en rappelant que la gravure était alors cultivée par des maîtres de la valeur de Finiguerra, de Baccio Baldini, de Pol- lajuolo, de Robetta; l'orfèvrerie par les Ghiberti, les Verrocchio, les Ghirlan- dajo; la marqueterie par Giuliano et Benedetto da Majano, Baccio Pontelli; que Pollajuolo mbdela des médailles et composa des cartons de broderies; que David Ghirlandajo, Baldovinetti et Pesello remirent en iionneur la peinture en mosaïque; que Lorenzo Monaco, Monte di Giovanni, Gherardo, Attavante, excellèrent dans la peinture en miniature; que le Caparra acquit une sorte de célébrité par ses ouvrages en fer forgé ; que Giovanni délie Corniole se signala par ses gravures en pierres dures. Et au-dessous d'eux, quels ouvriers incom- parables dans la mise en œuvre de la laine ou de la soie; quels verriers, quel céramistes " ! L'art était alors dans tout, mais nulle part sa floraison ne fut aussi complète que sur les rives de l'Arno, dans l'enceinte étroite comprise entre les riantes collines de San Miniato et de Fiesole. De Florence, l'art nouveau se répand rapidement jusqu'aux confins de la Tos- 1. Sur lus concours et les expertises, -je prends l.i liberté Je renvoyer le lecteur .lu Raphaël publie' par l.i maison Hachette, 2' édit., p. 80-84, et à la Rcnaiisancc au temps de Charles l'III. p. 1,% et suiv. 2. Quelques chiffres pour donner une idée de l'importance des industries d'art à Florence : du temps de Laurent le Magnifique on y comptait .3o ateliers ou boutiques de batteurs et fileurs d'or, 44 d'orfèvres et joailliers, 84 de « legnajuoli di tarsie e intagliatori » (ouvriers en marqueterie et sculpteurs en bois), 83 de fabricants de soieries, 270 de labricants d'étoffes en laine. (Pagnini, Delhi Décima, t. II, p. 276.) S PRATO. - PISE. - SAN GEMIGNANO. — AREZZO. 71 cane. A Prato, l'une des villes les plus coquettes de la plaine de l'Arno, Donatello et Miclielozzo enrichissent la cathédrale de sa chaire extérieure, avec .sa Ronde d'Enfants dansant ; Fra Filippo Lippi de ses fresques de l'Histoire de Saint Jean- Baptiste; Mino de Fiesole et Antonio Rossellino de sa cuve baptismale'; Giu- Porlique de Sainte-.Marie des Grâces, près d'Arezzo, par UenedeUo da .Majano. liane da San Gallo élève dans la même ville la délicieuse église de la « Madonna délie Carceri ». Empoli s'honore de conquérir V AnnonciatiotLàe. Bernardo Rossellino et le Saint Sébastien de son frère Antonio; Pistoia, le mausolée de Lazzari, également par les Rossellino, et le monument de Forteguerra, par Verrocchio. A Pistoia encore, Brunellesco cisèle deux statuettes de prophètes, à mi-corps, pour le retable en argent, ouvrage monumental auquel l'église Saint-Jacques fit travailler pendant I. Vasari, t. II, p. .3.^0. 72 HISTOIRE Di: I/ART PENDANT LA RENAISSANCE- lA ■ prcs de Jeux siècles, tandis que Tommaso Finiguerra, Piero di Sali et Antonio Pollajuolo exécutent les candélabres destinés au même sanctuaire'. A Pise, vénérable berceau de l'art toscan au moyen âge, des monuments prodigieux, le Dôme, le Campanile, le Baptistère, le Campo Santo, rendirent difficile la tache de la Renaissance : ils n'ont cessé depuis de donner à la ville sa physionomie si caractéristique et comme sa raison d'être. Inconsolable de la perte de sa liberté, Pise avait pris dès lors cet aspect morne auquel elle a dû le surnom de « Pisa Morta «, et, après avoir tenu une si large place dans la Statue funéraire d'Aragazzi. par Michelozzo. (Cathédrale de -Mnntepulciano.) Renaissance du douzième et du treizième siècle, se trouva sans force et sans courage vis-à-vis de la Renaissance du quinzième. Concentrant son effort sur son Campo Santo, ce sanctuaire de la mort qui reflète si exactement l'image de la cité, elle se contenta de commander à Benozzo Gozzoli un monument impé- rissable, les fresques de V Ancien Testament. San Gemignano « aile belle torri », la ville aux belles tours, fait appel .'i Benozzo Gozzoli, à Domenico Ghirlandajo et à Benedetto da Majano; Arezzo-, cette Florence en miniature, qui a sur son prototype l'avantage d'occuper le site le plus pittoresque, avec ses foubourgs s'étendant dans la plaine, tandis que le centre se développe sur une série de monticules, Arezzo devine une des pre- mières le génie de Piero délia Francesca, né à Borgo San Sepolcro, mais devenu Florentin par ses études. Piero y crée son œuvre capitale, les tresques de l'église Saint-François. Elle confie ses constructions à un de ses concito\-ens, l'habile 1. Vasari, t. III, p. 228. 2. BiBL. : A. et U. Pasqui, la Ciittcitrale Arelina e siioi motiumcnti. Arezzo, 1R80. E. MuiU/. — I. llalie. Les l'nmilils. IIIST01RI-: DE i;art pendant la renaissance. sculpteur et architecte Niccolô Lamberti, qui lui revient de Florence transformé en champion de la Renaissance. A Benedetto da Majano elle commande l'élé- gant portique du couvent de Sainte-Marie des Grâces. Même spectacle à Borgo San Sepolcro, patrie de Piero délia Francesca, et à Cortone, patrie de Signorelli. Cette dernière ville eut en outre l'honneur de servir d'asile pendant quelques années à Fra Angelico, et la bonne inspiration de confier à Francesco di Giorgio Martini la construction de la belle église, si pure dans sa froideur, de la « Madonna del Calcinajo ». Castiglione Fiorentino tait tour à toiu" appel à Lazzaro ^'asari, à Bartolo- meo délia Gatta et à Signorelli. Montepulciano doit à Michelozzo l'important mausolée du secrétaire aposto- lique Bartolomeo Aragazzl; Pienza, à Bernard Ivossellino sa cathédrale et son palais; le couvent de Montoliveto Maggiore, dans l'âpre solitude de Chiusuri, à Signorelli une partie des fresques de son cloître. Qui connaît les bourgs ou les monastères perdus du Casentin : Poppi, Bib- biena, Stia, la ^'ernia, les Camaldules? Qui peut se flatter d'avoir entrevu, ne tùt-ce qu'en courant, les trésors dont ils regorgent? Partout, en effet, des chefs- d'œuvre qui feraient l'honneur d'un grand musée : terres cuites des délia Robbia ; fresques ou retables de quelque primitif, tel que Domenico Ghirlan- dajo; mausolées sculptés par un des habiles « marmorarii » florentins. Dans cette région féconde et ce siècle béni, la sève jaillissait abondamment jusqu'aux moindres extrémités. Lucques l'Industrieuse, la ville pittoresque et active, se détachant en plaine sur un fond de montagnes d'une beauté incomparable, la patrie antique des chan- geurs et des ouvriers en soie, se repose sur le Siennois Giacomo délia Quercia et sur un enfant du pays, Civitale, pour faire triompher la cause de l'art moderne. Le nom de Paolo Guinigi, seigneur de Lucques, et le plus riche peut-être des Italiens au début du quinzième siècle (il avait placé rien qu'à A'enise la somme énorme de 202 lôo ducats, soit une dizaine de millions de francs, au pouvoir actuel de l'argent), se rattache au mausolée d'Ilaria del Caretto, sa seconde épouse (il fut marié quatre fois), aux travaux de la cathédrale, à la construction du palais, ainsi qu'à de nombreuses autres œuvres d'art'. Dans son trésor, dia- mants, rubis, émeraudes, perles se comptaient par centaines; sa bibliothèque renfermait MO manuscrits, presque tous d'auteurs classiques; il possédait, outre une pierre gravée (une « corniole »), un « idolo di niarmo » sur un piédestal de cuivre. Le linge, d'ime richesse extraordinaire, venait de Reims, de Bourgogne et surtout de Paris (« guardanappe parigine sottilissime », etc.), les tapisseries d'Arras. Chassé en ^4M>, ce Crésus mourut misérablement dans ime prison de Pavie, à peu d'années de là. I. BniL. : P. Bongi, di Paolo Guinigi e delk sue ricchei^e. Lucques, 1871. — (Enrico Ridolfi), Guida di Lucca. Lucques, Giusti, 1877. — Du même auteur : TArtc in Liicca stiidiata nella sua caltcdrale. Lucques, Canovetti, 1882, in-S". SIENNE. 75 Dans la même villa, Cosimo Rosselli peignit, pour l'église Saint-Martin, Nicodème sculptant le fameux crucifix de Lucques; Filippino Lippi y exécuta différents ouvrages. Un des plus liabiles d'entre ces artistes en marqueterie (« intarsiatori «), alors estimés à l'égal des peintres (et de fait ils peignaient avec des lamelles de bois), Cristoforo Canzio de Lendinara, fut appelé pour exécuter les boiseries du Dôme'. Avant de quitter la Toscane, rappelons qu'il n'est pas une bourgade qui n'ait été tributaire de ce vaste centre d'exportation artistique qui s'appelle l'atelier des délia Robbia. Dans leur consciencieux travail, MM. Cavallucci et Molinier n'ont Le tombeau J'Ilaria del Carelto, par Giacomo délia Quercia. (Cathédrale de Lucques.) pas inventorié moins de 238 terres-cuites, conservées de nos jours encore, en dehors de Florence, dans les différentes parties de la Péninsule, mais surtout en Toscane'. Une seule ville de Toscane, Sienne, la rivale et l'ennemie séculaire de Flo- rence, semble braver ces envahisseurs d'un nouveau genre". Ses ressources en matière d'art ne sont-elles pas infinies, ne lui permettent-elles pas de s'isoler sans abdiquer et de soutenir le blocus le plus rigoureux? Il importe de recher- cher avec soin, car nous touchons ici à un problème historique particulièrement curieux, comment cette République en miniature a pu maintenir son prestige plus d'un siècle durant et défrayer d'artistes toutes les parties de ritalie\ Sienne, 1. Vasari, t. III, p. 186, 404, 466. 2. Les Delhi Robbia. Paris, Rouam, 1884. 3. BiBL. : G. Milanesi, Docummti per la storia delT Arte seiiese. Sienne, Porri, 3 vol. in-8°, 1834-1856; ouvrage magistral, que chaque province italienne devrait tenir à honneur d'imiter. — G. Robert de Fleur)-, la Toscane an moyen dge. Architecture civile et militaire. Paris, 1866, in-fol. 4. En 1428,1a corporation des peintres de Sienne ne comptait plus que trente-deux membres 76 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. pendant tout le moyen âge, s'était appliquée a maintenir la pépinière artistique qui fliisait sa principale prospérité; on y devenait peintre ou sculpteur, comme ailleurs on devenait tisserand ou charron. Au début du quinzième siècle, c'était par centaines encore que se chiffraient ses architectes, ses peintres, ses minia- turistes, ses sculpteurs, ses orfèvres, ses brodeurs. Une tradition séculaire et la concurrence de tous les jours garantissaient, sinon un niveau de goût très élevé, du moins une habileté professionnelle fort grande, et de fait, pendant toute la première Renaissance, nulle part on ne peignait plus proprement « a tempera », nulle part on n'apportait plus de conscience à l'exécution technique, surtout lorsqu'il s'agissait des arts décoratifs, où ce point de vue domine : les ouvrages en ferronnerie, en marqueterie, en broderie ne cessaient de se distin- guer par leur fini extrême. Aussi les Siennois continuèrent-ils, jusque vers la fin du quinzième siècle, à compter une clientèle respectable dans les environs, clientèle recrutée exclusivement parmi les attardés ou les indifférents. La cathédrale d'Orvieto, notamment, persista jusqu'après 1480 à leur deman- der ses maîtres d'œuvre; représentants attitrés du style gothique, ils avaient leur place marquée auprès de tous les édifices gothiques en voie de construction, et le nombre en était grand en Italie. C'est à ce titre, mais à ce titre seulement, que Jean Galeaz Sforza invita les Siennois, en 1490, à prendre part au concours pour l'achèvement du Dôme de Milan. Le Magistrat de Sienne tirait évidemment vanité de l'autorité qu'il exerçait sur des compatriotes illustres : il aimait à se faire prier par de puissants sollici- teurs, afin de se donner de l'importance. On le voit à la jalousie avec laquelle il surveille son Francesco di Giorgio Martini. Vers 1490 notamment, il lui fallut répondre à un déluge de requêtes : le duc de Calabre, Jean délia Rovere, préfet de Rome, Virginio Orsini, les Anciens de Lucques, le duc de Milan réclament presque simultanément le concours du fameux ingénieur et architecte. L'absence de Francesco se prolonge-t-elle, vite la Seigneurie lui rappelle ses devoirs, lui enjoint de revenir, le menace de le mettre à l'amende, comme elle l'avait fait pour Giacomo délia Qiiercia. Sienne est la première ville qui nous fournit l'occasion de vérifier cette loi historique, que la Renaissance était surtout taite pour les populations des plaines, et qu'elle rencontrait de sérieux obstacles dans les villes montueuses. Nul style ne se prêtait mieux que le style gothique, avec la dyssymétrie qui lui était chère, avec sa recherche du pittoresque, ses caprices, ses surprises, aux accidents de terrain. Cette cathédrale qui se développe sur un monticule, ce baptistère (Gave, t. II, p. 3l), qui rayonnaient toutefois encore dans différentes parties de l'Italie, avec cette différence que, où l'on en occupait une demi-douzaine au siècle précédent, on n'en occupe plus qu'un de loin en loin. Entre 1402 et 140.Î, on trouve à Païenne le peintre siennois Niccolô di Magio (di Marzo, / Gagiiii, t. I, p. 20); entre 1407 et 1415, à Gènes, un autre peintre sien- nois, Francesco, et en I4I.t son compatriote Pietro (Alizeri, Notifie, t. I, p. 210-214); ê" MStî, Domenico Bartolo peignait à Pérouse ; en 1478-1480, Francesco da Siena àNapIes; en 1407, un miniaturiste siennois travaillait à Orvieto pour le Dôme, etc., etc. SIE^INE. 77 placé à une demi-douzaine d'étages plus bas, ces palais de briques avec leur façade ondulée, leurs créneaux, leurs tourelles, parfois leurs mâchicoulis, suivant avec une docilité parfaite le cours des rues les plus sinueuses, ou encore suspendus aux flancs de collines abruptes, de telle taçon que leur façade soit de plain-pied et que le derrière surplombe sur un abîme, voilà où éclate le triomphe de l'archi- tecture du moyen âge. La Renaissance, elle, signifie avant tout l'avènement de sm^:-^rf:^-'"-^^i ,,^:w. . Vue de Sienne. ^^i^:^'^- la netteté et de la clarté, de la régularité et de la lumière; aussi a-t-elle besoin, pour faire valoir tous ses avantages, de grandes surfaces planes : quand un édi- fice est disposé par masses verticales, comme les édifices gothiques, peu importe que le sol soit irrégulier ou non ; mais quand les lignes horizontales en forment la note dominante, comme dans les édifices de la Renaissance, que reste-t-il, étant donné un terrain inégal, des effets fondés sur l'alignement, sur la symé- trie, sur un développement simple et noble ? Si nous ajoutons que les montagnards sont plus attachés à leurs traditions que les habitants de la plaine, que le style gothique et les croyances religieuses avaient fini par s'identifier à leurs yeux, nous comprendrons pourquoi la Renais- sance a mis tout un siècle à triompher à Sienne, aussi bien qu'à Arezzo (j'excepte la partie de la ville qui se trouve dans la plaine, avec le couvent de Sainte- Marie des Grâces), à San Gemignano, à Volterra, à Cortone, puis dans l'Ombrie, à Pérouse, à Orvieto, à Spolète, etc., etc. Urbin est la seule ville de ce genre où 78 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. un monument de premier ordre, le palais ducal, ait pris naissance : il a fallu, pour opérer ce miracle, l'énergie du duc Frédéric. La cause de la Renaissance est-elle en jeu, les Sicnnois sont lorcés d'abdiquer, sauf de rares exceptions, où ils ont la bonne fortune de compter dans leurs rangs des champions de l'art nouveau : Giacomo délia Quercia, le grand sculpteur, Francesco di Giorgio Martini, le grand architecte et ingénieur, et aussi, dans un rang inférieur, l'architecte Antonio Federighi. Telle est d'ailleurs la pénurie de ces maîtres qu'à tout instant il faut faire appel à des artistes du dehors : .'i Ghiberti et à Donatello, pour les bas-reliefs de la cuve du baptistère; à Bernard Rossellino, pour la construction du palais Piccolomini; à David Ghirlandajo, en 1490, pour les mosaïques du Dôme. L'insuffisance de leurs peintres surtout éclate au grand jour : Pie II, dont le goût manquait quelque peu de netteté, eut seul l'idée d'en occuper un, le W-cchietta, aux retables de la cathédrale de Pienza. Les principales œuvres d'art qui prennent naissance à Sienne pendant le quinzième siècle, période troublée et sans gloire, sur laquelle l'élévation au pontificat de Pie II, Siennois d'origine, et les fondations de ses parents les Piccolomini, jettent seules quelque éclat, sont : la décoration d'une partie du palais public (fresques bizarres, presque comiques, de Taddeo di Bartolo, représentant les Hommes célèbres de l'antiquité et les Planètes (1414); — Vie du pape Alexandre III, par Matteo Spinelli, 14'^'':'; — incrustations en bois de couleiu- du chœur de la chapelle, 141?), la fomeuse fontaine de Giacomo délia Quercia, la cuve baptismale, la Loge des officiers ou « Casino nobile » (141 7), l'oratoire de Sainte-Catherine (1434), la Loge du Pape, par A. Federighi (1460), le palais Piccolomini, dont il vient d'être question, et les palais Nerucci et Span- nocchi. Deux fois, en 143^ et en 1442, des étrangers essayaient d'acclimater à Sienne la tapisserie de haute lisse (voy. plus loin le chapitre consacré à cet art), mais sans grand succès. Pandolfo Petrucci, maître de la ville, dans les dernières années du quinzième siècle, se garde bien d'ailleurs de prendre les Médicis pour modèles; le nombre des œ-uvres d'art dont on peut taire honneur à cette famille, célèbre surtout par ses crimes, est des plus limités. Une mention doit être accordée aux Piccolomini, parents et héritiers du pape Pie II : ils continuèrent ce que celui-ci avait commencé si brillamment à Sienne; le cardinal François surtout, pape pendant quelques jours sous le nom de Pie III, laissa des témoignages de son goût dans la « libreria » de la cathédrale, décorée par Pinturicchio de ses fomeuses fresques. Rappelons enfin les Spannocchi, riches banquiers siennois, qui commencèrent en 1471 la construction d'un palais, aujourd'hui occupé par le «Monte dei Paschi », qui protégèrent le fameux mécanicien et horloger Dionisio de Mterbe (lettre de 1477 adressée à Laurent le Magnifique'), et qui, en appelant dans 1. Gave, Carh'ggid, t. L p. 254. LOMBRIE. 79 leur patrie le Sodoma, sont, à proprement parler, devenus les parents intel- lectuels de la nouvelle Ecole de peinture siennoise. Un autre banquier siennois, Agostino Chigi, l'ami de Raphaël, appartient déjà plutôt au seizième siècle. Entre la Toscane, qui savait si habilement manier les armes qu'elle avait em- pruntées aux Anciens, et Rome, l'arsenal où ces armes avaient dormi inutiles dix siècles durant, s'étend une région montagneuse et pauvre abritant une race plus fervente qu'intelligente, avec beaucoup de conviction et peu d'imagination, au t3'pe souffreteux ou ingrat, ces Ombriens longtemps obscurs et sur lesquels, au treizième siècle, saint François d'Assise avait subitement attiré l'attention du monde chrétien'. La Renaissance, avec son cortège d'éléments profanes et parfois subversifs, ne devait que difficilement trouver accès auprès de ces esprits lents et tristes, qui se passionnaient rarement, sauf lorsqu'il s'agissait de religion ou de politique. C'est tout au plus si à Pérouse l'on contra, vers le dernier tiers du siècle, au Florentin Agostino di Duccio, la construction et la décoration de l'Oratoire de Saint-Bernardin et de la Porte Saint-Pierre, puis, un peu plus tard, à deux autres Florentins, Giuliano da Majano et Domenico del Tasso, des sculptures en bois et des marqueteries. La statuaire et les arts décoratifs végé- taient; à peine peut-on signaler un peintre verrier de talent, Francesco Baroni, deux ou trois orfèvres habiles, Emiliano Orlini, Ludovico de Foligno. Pas de Mécènes, d'ailleurs : les Oddi et les Baglioni, tour à tour maîtres de la ville, ne songeaient à s'illustrer que par leur férocité, ou tout à coup, au sortir de quelque orgie sanglante, par une dévotion outrée. Comment, dans ce milieu si peu propice, a pu surgir une école de peinture capable, pendant près de cent ans, de maintenir son autonomie et d'imposer son style même aux Florentins, même aux Milanais et aux Vénitiens, école peu nombreuse, il est vrai, mais avec des chefs de la valeur de Gentile da Fabriano, de Buonligli, de Fiorenzo di Lorenzo, de Niccolo de Foligno, de Pierre Pérugin et de Pinturicchio? Quelques artistes heureusement doués, une population concentrant toutes ses aspirations sur les images pieuses, et vivant en communion intime avec ces artistes, il n'en a pas fallu davantage pour donner naissance au mouvement dont Pérouse est devenue le centre. Je me reprends : j'oubliais les différents éléments de progrès que les peintres ombriens sont allés chercher au dehors et qu'ils se sont si heureusement assimilés. Ce serait en effet leur faire une grave injure que de comparer leur attitude à celle des pitoyables peintres siennois contemporains, les Sano di Piero et ////// quanti, I. BiBL. : Mariotti, Lcttcre pittoriche periigiiic. Pérouse, 1788. — Guardabassi, Lidicc-Guida dci Monmncnti pagani c cristiani risgiianhiiti Tistoria e Tarte esistenti iwlla prcu'iiicia deW Uinhriu. Pérouse, Buoncompagni, 1872, in-4°. — Giormlc di Enidixjone artistica, 6 vol. Pérouse, 1872- 1877. — T.-B. Rossi Scotti, Guida illustrata di Penigia, 3° éd. Pérouse, 1878. — Les diverses publications de M. A. Rossi et le Rabhacl édité par la librairie H.ichette, 2' édit., p. 28-53. 8o H1ST01R1-: D1-; LART PENDANT LA RENAISSANCE. n'en déplaise à leur champion Rio. Ceux-ci se sont figés dans leur mysticisme, leur paresse intellectuelle : les Ombriens au contraire, surtout le Pérugin, n'ont pas hésité à entrer dans l'atelier de maîtres florentins pour y apprendre la perspective et la science du coloris. Cet abandon de tous les autres arts au profit de la peinture se fait sentir à Orvieto', à Città di Castello', à Cività Castellana, à Fabriano', autant qu'à Pérouse même. La cathédrale d'Orvieto, qui avait commandé au siècle précé- dent les admirables sculptures de sa façade, ne sollicite plus désormais que le concours des peintres. Gentile da Fabriano, Fra Angelico, le Pérugin, Signo- relli, tels sont les noms qui, pour le quinzième siècle, font oublier tous les autres dans ce sanctuaire, le plus splendide dont l'Ombrie puisse s'enorgueillir. Les palais à l'antique, les mausolées à la florentine, les terres cuites des délia Robbia même, autant de marchandises de contrebande dans cette région opiniâtre. Vers la fin du siècle enfin passe sur ces montagnes comme un souffle braman- tcsque. On a attribué à l'illustre architecte d'Urbin les dessins de la cathédrale de Città di Castello, du portique de la cathédrale de Spolète, de la Madonna délia Consolazione de Todi, tous ouvrages exécutés non par le maître, mais sous son influence. Il est d'ailleurs bien tard déjà, la sève créatrice a tari et nous passons presque sans transition des monuments du moyen âge à ceux de la décadence. A Foligno, l'impulsion donnée aux lettres et aux arts par les seigneurs de la ville, les Trinci (Ugolin III, f 14 14; Nicolas, f 142 1; Conrad III, f 1441)' fut malheureusement arrêtée par l'expulsion de cette famille, en 1439'. Leur palais (devenu le « Palazzo del Governo », et aujoiu'd'hui bien défiguré) contient une salle dite des Géants, « sala dei Giganti » (probablement identique à la salle des Empereurs), où subsistent jusqu'à nos jours, quoique aux trois quarts ruinés, les portraits en pied, peints dans des niches, de Scipion l'Africain, de Mucius Scicvola, de Caton, de Décius, de ClaudiusNéron, de Fabius Maximus, d'Auguste, de Tibère, de Camille, de Fabricius, de Marcus Curius Dentatus, de Manlius, de Cincinnatus et de Marcellus. Une autre salle, plus petite, contient quatre fresques représentant des Scciws de rbistoirc de Roiiiuhis et de Rciuiis. Quant à la chapelle, elle fut ornée en 1424, par Ottaviano Nelli, de Seèites de F Histoire de la Vierge et de Scènes de f Histoire du CJirist. Parmi les peintres indigènes qui travaillèrent pour les Trinci, nous rencou- 1 . BiBL. : Dclla V.iUu, Storia dd Diioiiio di Orvielo, Rome, 1791 . — Luzi, // Diioino di Orvieto, Florence, i8t)6. 2. BiBL. : Mancini, Istni-;joi\e- slorico-pittorica per visitare te cliiese e i patax^\i di Ciltii di Ciisleilo. Pérouse, 1802, 2 vol. iii-8°. — Mannucci, Guida storico-artistica di Città di Castetlo. Città di Castello; Lapi et Rasclii, iPçH. On annonce comme imminente la publication d'une très impor- tante monographie artistique de Città di Castello par M. Magherini Graziani. .3. BiBL. : Arcljivic stoiico per TViuhria, et les diverses publications de M. le chanoine Faloci- Pulignani. 4. Voy. l'intéressant travail de M. Faloci-Pulignani : le, Arti et le Lellere iilla Carte dei Trinci di Foligiw : Giornak storico, t. I, p. 190-229; t. II, p. 28, 58. LOiMBRIE. ol trous Bartolonmifo di Tonimaso de Foligno, qui fut jugé digne, par Nicolas X, dètre employé à la décoration du palais du Vatican. Mais le nom qui éclipse tous les autres pendant le quinzième siècle est celui du peintre Xiccolo di Libcratore appelé Niccolo Alunno. Nous suite de ce travail , de re groupe des artistes de ¥o- pendant le quinzième peintres et une Quoique inféodi les Folignates mérite de l'ar 1479, voulant la loge supé- lais com- de Foligno , aurons l'occasion, dans la venir sur ce maître. Le ligno comptait au total, siècle, une dizaine de zaine d'orfèvres'. 'Ecole ombrienne, valent apprécier le assique . En faire décorer une frise « ail' antica », sur le modèle de celle de la salle des Empereurs. Ce n'est point un effet du hasard, assurément, si le seul médailleur (on sait par quels liens cet art se rattachait à l'étude de l'antiquité) que l'Ombrie ait produit au quinzième siècle, Lodovico, a précisément eu pour patrie Foligno : il est vrai qu'il dut chercher fortune à la coin- de Ferrare, où nous le trouvons iixé dès 144?. 1. .\. Rossi, 1 l'iltoii lU Foligno. Pcrousc, ifl72. E. Miinlz. - I. luilii;. 1,L■^- l'nniilifs. Il 8: HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. C'est d'une imprimerie établie dans cette vaillante petite cité que sortit, en 1477, la première édition de la Divine C.oiuàiic. A Assise, les moines de la basilique de Saint-François, se reposant sur les lauriers cueillis au siècle précédent, se bornent à orner le sanctuaire de deux ranimées de stalles en marqueterie, du travail le plus pur et le plus beau : les stalles de la basilique inférieure, terminées en 1471 par Apollonio de Ripa- transone; celles de la basilique supérieure, exécutées de 14 ■ à i."^(ii par Dome- nico da Sanseverino. A Città di Castello, alors gouvernée par les \'itelli, ce fut probablement un Lombard, Elia di Bartolommeo Lombardo, qui commença, en 148H, la con- struction de la cathédrale'. A Spolète, Bernard Rossellino fournit les dessins de la forteresse; Ambrogio d'Antonio de Milan et Pippo d'Antonio de Florence (1491), ceux du portique de la cathédrale, dont ils dirigèrent l'édification'. Dans l'intervalle entre ces deux entreprises, Fra Filippo Lippi avait commencé la décoration du chœur de la cathédrale (terminée, après sa mort, par son élève Fra Diamante). Ajoutons, à l'honneur des Spolétains, qu'ils tenaient au souvenir du brillant peintre. Sur leur refus de restituer sa dépouille mortelle, relique d'un nouveau genre, Lau- rent le Magnifique dut lui faire élever un riche mausolée dans le sanctuaire qui contenait son dernier chet-d'cvuvre. 1 . V.is.iri, t. IV, p. i5o. r. Vasari, ihiiL Sailli Jérôme, (.\telier dWnJrea délia Robhia.) (.\ncienne collecUon de San Doiiato.) •^SS^S^liSR^P*""^^'*^^^^ iJliiiiLiiL.ÛÇBiBùrii .** ^':;-,i^,^^ i'^vV Cha»^e de ^aiiil Zanobi (face antérieure), par CihihcHi. iCalhéJrale de Florence.) CHAPITRE II LA PREMIERE RENAISSANCE A ROME. MARTIN V. EUGENE IV. NICOLAS V I-.T LA TRANSFORMATION DE LA VILLE ÉTERNELLE. PIE II ET PIENZA. — PAUL II ET LE .MUSÉE DU PALAIS DE SAINT-.MARC. SIXTE IV ET LA CHAPELLE SI.XTINE. — INNOCENT VIII. LES ENVIRONS DE ROMF. la suite des Médicis, figureront, comme de droit, les papes, ces alliés si dévoués de la Renaissance : on leur en a souvent fait un crime'. Le premier, Martin ^' (1417-14.11), de la famille des Colonna, se consacra à la restauration de la ^'ille éter- nelle, si cruellement éprouvée pendant les troubles du moyen âge, troubles plus violents et plus funestes à Rome que partout ailleurs. Puis, après avoir mené à fin cette tâclie en quelque sorte négative, le sage et laborieux pontife s'occupa d'embellir à son tour : il appela auprès de lui trois des représentants les plus éminents de la nouvelle Ecole de peinture, trois novateurs chacun dans son genre : Masaccio, qui orna de fresques la basilique de Sainte-Marie Majeure, Gentile da Fabriano et Vit- tore Pisanello, ces deux derniers chargés de décorer la basilique du Latran. Antérieurement, Martin \ avait conlié à Ghiberti le soin de ciseler une tiare et I. BiBL. : Les Aris à la cour des Papes. Paris, Tliorin, ifi-S à ififii, vol. I à III. {Biblio- thèque des Écoles frauçaises d'Atlicues et de Rome.) — \. Bertolotti, Avlisli lomhardi a Roiiia. Milan, 1881. — Id., Artisti hologiiesi, etc., etc. R4 IlISTOIRI'. Dl': LART PKNDANT LA RENAISSANCE. un biniton de cliapL-. Tous ces ouvrages ont disparu; mais le nom de Martin \' n'en reste pas moins attaché au souvenir des premiers rapports de la papauté, rétablie dans ses États, avec les principaux cham- pions de la Renaissance. A travers le laconisme des pièces comptables et les réticences des histo- riens, on entrevoit un luxe très grand, peut- être encore un peu lourd, déployé tant au palais Colonna qu'au château de Genzano, près de Rome, une des créations fltvorites de ce pape, à qui l'on a reproché à tort son avarice. Nature plus passion- née et plus ardente, le successeur de Martin \', le \'énitien Eugène W (14.M-1447), pénétra plus protondément aussi dans l'esprit des temps nou\eaux. Son long sé- jour à Florence (un exil peu déguisé) le mit en relations avec les repré- sentants les plus mar- quants de la Renaissance des lettres et des arts, avec les Médicis d'abord, puis avec les chefs de l'humanisme, enfin et surtout avec des artis- tes tels que Brunellesco, Ghiberti, l*ra Filippo Lippi, Antonio Averulino, surnommé Filarete; Fra Angelico, qui, malgré son mysticisme et l'archaïsme de certaines de ses figures, mérite à tant d'égards de prendre rang parmi les novateurs; probablement aussi Donatello. A Ghiberti, il commande une tiare monumentale d'une Slaliie du pape Martin V, par Jacopino da Tradale (Dôme de Alilan.) MARTIN \' FAIGKXR IV. 8.S valeur de 38ooo florins d'or (près de 2 millions de francs); à Filarete, les portes de bronze de Saint-Pierre de Rome, œuvre considérable, mais qui ne Tombeau du pape Eugène IV. (Éi;lise San Salvaloie in Lauro à Rome.) répondit pas à l'attente du pape; à Fra Angelico, les peintures de la cbapelle du Saint-Sacrement, toutes productions sur lesquelles nous reviendrons dans la biographie de ces différents maîtres. On trouve en outre au service d'Eugène IV, son compatriote, l'architecte vénitien Antonio Riccio, chef d'une famille fomeuse 86 IIISTOIRI-: DK L'ART l>i:\n.\NT LA RICNAISSANCL. dans les annales de l'architecture; Fra Antonio, de Viterbe, qui sctilpta sur les portes de bois de Saint-Pierre les principaux actes du pontificat; Silvestro Ariscola d'Aquila, le sculpteur de la chasse de saint Bernardin, à Aquila; trois orfèvres florentins distingués, Rhialdo di Giovanni Ghini, son frère Simone, et Angelo di Niccolo; enfin le célèbre brodeur napolitain Fra Gio- vanni. Pisanello continua, par les ordres d'Eugène lY, les fresques du Latran, et notre Jehan Fouquet fit son portrait. Quelque fragmentaire que soit l'çeuvre d'Eugène W, ce pape avait groupé à Rome quelques-uns des éléments dont bientôt une volonté plus énergique et une intelligence plus haute devaient tirer un si magnifique parti : dès lors la Ville éternelle était le point de mire des artistes de l'Italie entière. Parmi les prélats de la cour d'Eugène IV', le cardinal A'itelleschi (f 14411)' patriarche d'Aquilée et généralissime des armées pontificales, a marqué sa place plus profondément que tout autre. Né pour l'intrigue et pour le métier des armes plutôt que pour un ministère de paix, c'était, comme l'a excellemment dit Alfred de Reumont, un condottiere se cachant sous la pourpre cardinalice, digne successeur, par ses exploits guerriers, de l'illustre cardinal Albornoz (le grand justicier de l'Italie au quatorzième siècle), et non moins digne prédéces- seur du belliqueux cardinal Scarampi. Son rôle commença lors de la fuite d'Eugène IV : chargé de combattre les barons romains, il accabla les Colonna et les Savelli, ravagea la campagne, détruisit de fond en comble Palestrine, se signala par une énergie et une cruauté sans exemple. L'Ombrie ne trembla pas moins sous ses coups : c'est lui qui chassa, en I4."î(), de Foligno la puissante famille des Trinci. A la fin, aveuglé par son ambition ou se persuadant qu'il était le sauveur indispensable, il s'aliéna l'esprit du pape, qui donna l'ordre de se saisir de lui. Un piège lui fut tendu au fort Saint-Ange : au moment où, ses troupes ayant passé le pont-levis, Vitelleschi se trouvait seul encore dans l'enceinte du fort, le gouverneur laissa tomber les chaînes et mit la main au collet du tout-puissant cardinal. Celui-ci tira son sabre et se défendit vaillamment : couvert de blessures, il mourut quelques jours après, soit empoisonné, comme on l'a souvent prétendu, soit des suites de ses blessures. Jean Vitelleschi a mieux mérité de son temps et de la postérité en fiiisant commencer à Corneto, sa ville natale, le beau palais qu'une monographie récente vient de taire connaître dans tous ses détails. Les portes de marbre de cet édifice, sur lequel nous reviendrons, passent pour provenir de la cathédrale de Palestrine, démolie par le fougueux cardinal. Puisque je viens de prononcer le nom de Scarampi, je m'occuperai, avant d'aller plus loin, de ce personnage, bien qu'il soit mort en 1465, longtemps après le pontificat d'Eugène IV. Né à Padoue, Louis Scarampi ou Mezzarota pratiqua I. L'ouvr.igL* le plus complet et le plus digne de loi sur la biographie des cardinaux est celui de Ciacconio : FiliC et rcs gesta Poiitificuin loiiniiioniiii cl S. K. 11. CarJiiialiinii, édition de 1677. 4 vol. in-folio. LK (AKDIN AL SCARAMP 87 d'abord la médecine, mais il ne tarda pas à abandonner cette carrière pour entrer dans les ordres ; il se fit nommer successivement archevêque de Florence, patriarche d'Aquilée et, en 1440, cardinal. Après la mort de A'itelleschi, il le remplaça comme général des armées pontificales : allié aux Florentins, il fut un des vainqueurs de la bataille d'Anghiari; plus tard il prit la part la plus glorieuse à la victoire de Belgrade, remportée sur les Turcs. Sa rivalité avec le cardinal Pierre Barbo, neveu d'Eugène W , troubla l'existence de ce prélat aussi ambitieux Vue de Rome en 1490. (Fac-similé d'une <;ravure tirée du fiufflcmenlinn chronicarum.) qu'énergique, et lorsque à la mort de Pie II il se vit préférer son rival, qui monta sur le trône en choisissant le nom de Paul II, il mourut de douleur. Il avait eu le temps, dans l'intervalle, de réunir d'immenses richesses (on les évaluait à 200(Kx;) florins, quelque chose comme dix millions de francs) et une précieuse collection d'œuvres d'art (il n'était pas Padouan pour rien et ses relations avec Cyriaque d'Ancône' n'avaient pu qu'affiner son goût), dont la perle était VEnU- vcnicnt du Palladium, la fameuse pierre gravée qui avait appartenu en prenfier lieu à Niccolô Niccoli, et qui passa ensuite dans les collections de Paul II et de Laurent le Magnifique. A Rome, le cardinal perpétua son souvenir par la restauration du Campo dei Fiori, par celle de la basilique de Saint-Laurent in Damaso, où le sculpteur Paolo Romano lui éleva un mausolée; il se signala I. Voy. Mchus, Introduction ,iux Lclhcs d'Anibroisu le C.inialdulc, p. XXVI. UISTOIRK 1)1:: l.AKT i'KNDANT LA RKXAISSANCK. .M^idaiilc du i:ai\iiiial Scaraiiipi. également par les travaux exécutés dans la cité et au couvent de Savello, où, à l'instar des anciens Romains, il fit construire des aqueducs. Scarampi était en outre possesseur des Arènes de Padoue, que ses héritiers tirent démolir pour \' construire des maisons. Le portrait de Scarampi, peint de la main de Mantegna, est entré, du palais de Francesco Leoni, où il se trouvait au seizième siècle, au musée de Berlin. Une petite médaille, peut-être d'une fltcture encore plus libre et plus précise, nous a également conservé cette ph\sionomie au nez atrophié, à la bouche rongée, empreinte d'une indéfinissable dureté'. Un autre prélat contemporain, le cardinal Branda, né en I.i5()à Castiglione d'Olona, mort en I44.'î, a bien mérité de la Renais- sance en appelant Masolino en Lombardie pour lui taire peindre les fresques de Castiglione. Prononcer le nom de Nicolas \' (1447-14.^5), c'est évoquer l'image la plus haute et la plus radieuse du Mécène italien au quinzième siècle, Celle du souverain pontife qui a su allier à toutes les vertus chrétiennes le culte le plus ardent de toutes les jouissances de l'esprit, qui a peuplé Rome d'une élite de savants, de littérateurs et d'artistes, organisé la Bibliothèque du \'atican, commencé la rééditication de la basilique de Saint-Pierre et du palais adjacent, rendu .'i sa capitale l'aspect monumental qu'elle otirait sous les empereurs, et fait d'elle, pour plus d'un siècle (de 1447, date de son avènement, à i."^4i), J^ite de la mort du pape Paid III), le centre, sinon le fo^'er, du mou\ement intel- lectuel et artistique de la Péninsule, je devrais dire du monde entier. Nicolas V se distingue de ses prédécesseurs, aussi bien que de ses succes- seurs, d'un côté par l'ardeur de sa toi et par la sainteté de ses mœurs; de l'autre par l'étendue de son progrannne, la distinction de son goût, une libéra- lité et une magnihcence qiie seul peut-être Léon X de Médicis a égalées. Combien les eflbrts des papes du quinzième siècle, y compris ceux du pro- digieux organisateiu' Sixte I\ , paraissent fragmentaires à côté des siens! Il ré\ait (et il eût mené à bonne fin ce rêve audacieux si la mort ne l'eût siU4iris après luiit années de règne seulement), il rêvait la transformation de Rome entière, et tant de créations faites pour immortaliser un autre pontificat, l.i construction des Stances du ^'atica^ (celles-là mêmes que Raphaël devait dans la suite couvrir de chefs-d'œuvre), la restauration des basiliques, la rééditication de Saint-Pierre, ne sont que des épisodes dans cette conception véritablement épique. I. BiDL. : Ciaccoiiio, Vilu; édit. de 1677, t. II, p. 229. — Lfs Ails à lu cour iks l'ujvs, t. II, p. I!i-i(j9, 177-178. — Les Pràiirseurs de ht Rciuiissuiice, p. K)>!-l84. NICOLAS \". 8g Le biographe de Nicolas V, le fiuneux humaniste florentin Giannozzo Manetti, a mis en lumière le caractère méthodique, systématique, des entre- prises de ce L;rand pape, et les documents toLU'nis par les Archives du \'atican n'ont foit que confirmer son témoignage. Nicolas V s'était proposé de refaire les murs de Rome, de restaurer les quarante « Stations », de transformer le « Borgo « en résidence de la curie, de rebâtir la basilique de Saint-Pierre ainsi que le palais du \'atican, de restaurer les places fortes de l'État pontifical, car ce souverain pacifique entre tous, ce bibliophile, comme l'appelle Ferdinand Gregorovius, édifia plus de citadelles que n'importe lequel de ses prédécesseurs. La transformation de la voirie romaine ne le préoccupait pas moins : il résolut -MùJaille du pape NicoUs V. par Guaccialolli. de rectifier l'alignement des rues de sa capitale et de dégager les abords des places publiques; celles-ci devaient être reliées les unes aux autres par des portiques, des colonnades, destinées à protéger les passants contre la pluie ou contre le soleil (\'asari a encore vu un de ces projets, dessiné par L. B. Alberti). De ces idées généreuses et magnifiques, quelques-unes furent menées à fin heureusement; mais, par suite de la brièveté du pontificat, l'ensemble demeura inachevé, comme une ébauche colossale. Les successeurs de Nicolas V réussirent à en terminer l'une ou l'autre partie; mais aucun, même les bâtisseurs infatigables qui s'appelaient Sixte lY, Jules II, Sixte V, n'osa rêver, à part lui, dans ses plus grands transports d'orgueil, d'attacher son nom à la réalisation d'un programme aussi vaste, aussi splendide. Pour auxiliaires, Nicolas \' choisit les artistes les plus éminents de l'Italie entière, mais principalement les citoyens de cette ville de Morence qu'un long séjour lui avait fait chérir. Ses architectes s'appelaient Léo Battista Alberti, Bernardo Rossellino, Antonio di Francesco de Florence, Ridolfo Fioravante de Bologne, surnommé Aristote, à cause de l'universalité de ses connaissances, artiste également tameux comme architecte, ingénieur et fondeur, et qui, après avoir rempli l'Italie du bruit de ses tours de force, mérita d'être appelé en Russie pour édifier à Moscou la cathédrale de l'Assomption, enfin Giacomo di Cristoforo de Pietrasanta, dont les titres ont été longtemps usurpés par le trop tameux Baccio Pontelli. E. Aliml/. — I. lialK-. l.cb l'rimllils. 12 (p HiSTOiRi: DE L'Airr pi:m)Ant i.a renaissance. Nul doute que les sculpteurs n'eussent été associés dans une large mesure à la décoration des monuments édifiés par Nicolas '\''; mais la plu- part de ces édifices sortaient à peine de terre lorsque le pape mourut : il ne fout donc pas s'étonner de ne voir à son service que des maîtres en réalité de deuxième ou de troisiètne ordre, Paolo Romano, Fra Antonio de Viterbe, Varrone de Morence. Les peintres que Nicolas V chargea d'orner de fresques la basilique et le palais du Vatican comptent, au contraire, parmi les chefs de l'Lcole florentine et de l'École ombrienne; citer Fra Angelico, Benozzo Gozzoli, Benedetto Buonfigli, Andréa ;;■ del Castagno, Piero délie Francesca, Tomaso de Foligno, !"■ c'est dire avec quelle ardeur, mais aussi avec quel éclectisme, Z le pape-humaniste s'occupa de grouper autour de lui l'élite des £ maîtres italiens contemporains. g Fn étudiant Thistoire des arts à la cour des Papes, il faut 5 toujours ouvrir un compte spécial en laveur du groupe si g important des artistes industriels, ou, pour employer un terme 'à à la fois plus exact et plus noble, des décorateurs. Les pro- :^ ductions de l'orfèvrerie et de l'art textile étaient si intime- ' ment liées aux cérémonies de la cour pontificale, que les g orfèvres et brodeurs fiiisaient partie intégrante de la maison ^ du chef de l'Église, au même titre que des chapelains ou des ^ secrétaires. Chez Nicolas V, un faible, bien excusable chez un 5 si grand honnne, pour le luxe et la parure resserra encore ces l liens. Les achats ou commandes de vases précieux, de riches S" étoffes, d'ornements de toute sorte en métal ou en soie, firent 5 périodiquement de larges brèches au Trésor pontifical, dans = lequel le jubilé de 1450 venait de verser des flots d'or. I Bientôt, les ateliers de Rome ne suffisant plus aux exigences - du pape, il fallut mettre à contribution ceux de Florence, de Sienne, de Venise, de Paris même. On vit alors s'accumuler sur les crédences et dans les bahuts du ^'atican le plus extra- ordinaire assemblage de vaisselle plate, d'ornements sacrés, d'aiguières en or, de vases en pierres précieuses, d'émaux, de tapisseries, que la chrétienté eût admiré depuis le temps des papes d'Avignon. Mais, au milii.ai de ces entraînements, Nico- las ^' retrou\ait .'i tout instant cette netteté de conception qui le range parmi les grands organisateurs en matière d'art : quoique la fltbrication flamande lui offrît en abondance les plus riches tentures historiées, il tint à établir au Vatican un atelier spécial de haute lisse, le premier qui ait pris naissance sur les bords du Tibre. mm CALIXTE III. 91 Pour achever de montrer dans combien de directions s'est exercée l'action de Nicolas V, il faudrait encore rappeler ici les peintres verriers (Fra Giovanni de Rome, dom Francesco Barone de Pérouse, Giovanni d'Andréa et Carlo di Niccolo, tous deux de Florence), les miniaturistes, les huchiers, et cette iniî- nité d'autres maîtres dont la mission était d'ennoblir l'existence par tous les raffinements du luxe. Grâce à cet efFort gigantesque, la papauté avait, pour tout un siècle, lié ses destinées à celles de la Renaissance. L'Espagnol Calixte El (i 455- 1458), le fondateur très vertueux, mais très faible, de l'exécrable dynastie des Borgia, ne fut qu'un accident dans le dévelop- ^.^r*^' ^(0^%. Médaille du pape Calixte III, par Gu.accialolli. pement de la Renaissance romaine. Nommé dans un moment de réaction contre la politique trop pacifique et les entreprises trop somptueuses de Nicolas V, il mourut au bout de trois ans, avant que le flot montant des idées nouvelles eût eu le temps de l'annihiler ou de le renverser. Les deux seules fois pendant toute la durée de la Renaissance, et les denx dernières fois d'ailleurs depuis le quinzième siècle jusqu'à nos jours, que des étrangers montèrent sur le trône de saint Pierre (je ne parle pas d'Alexandre VI, né en Espagne, mais grandi en Italie), ils reçurent la mission de se placer en travers du mouvement; mais Adrien \l, le Calixte III du seizième siècle, régna moins de temps encore, et d'ailleurs qu'eut pu un homme contre les forces réunies d'une époque! Pie II (1458-1404), le fin et ambitieux diplomate, l'humaniste brillant, l'un des esprits les plus ouverts et les plus libres de ce siècle de lumières, ne tint pas, à Rome du moins, les espérances qu'il avait tait concevoir alors qu'il ne portait encore que le nom si cher aux lettres d'^neas Sylvius Piccolomini. Quand j'aurai mentionné la loge de la bénédiction et la chapelle de Saint-André à Saint- Pierre de Rome, la statue de saint André près du Ponte Molle, et difli"érents monuments d'importance secondaire, ainsi que les prescriptions, quelque peu platoniques, de sa bulle du 28 avril 1462, destinée à protéger les monuments antiques, j'aurai épuisé, ou peu s'en faut, la liste des services rendus par lui à la cause de l'art dans la capitale du monde chrétien. Sienne, sa seconde patrie, fut iiiS'i'niKi-: Di; i.-.\K'|- i>i:M\\Nr i.\ hi;naissan(i:. mieux partagée : elle lui doit entre autres le palais Piccolomini, le plus vaste et le plus imposant de ses palais de la Renaissance. Mais ce qui distingue Pie II, qui entendait la gloriole à sa manière, c'est une idée grandiose, absolument unique dans les tastes de la Renaissance : la fondation d'une ville qui transmettrait aux générations à venir le nom de Pie, de même qu'Alexandrie avait perpétué le nom d'Alexandre et Constantinople celui de Constantin, Aussitôt dit, aussitôt t'ait : l'humble bourgade de Corsignano, berceau de sa flimille, dans les environs de Sienne, se vit transformée par ses soins en cité de Pienza', et telle tut son ardeur, qu'en moins de quatre ans surgissaient, dans cette solitude montueuse et aride, une cathédrale, un évêché, le splendide palais Piccolomini et de nombreux autres édifices. Mais la mort avait si beau jeu vis-.\-vis de vieillards tels que les papes (le pontificat le plus long du quin- zième siècle, celui d'Eugène I\', dura quinze ans) : elle l'enleva au bout de six années de règne seulement et avec lui s'arrêta l'essor tout factice de sa création favorite. Au fond. Pic II appartenait à la catégorie de ces amateurs sans parti pris, assez nom- breux encore à cette époque, surtout à Rome et sur le trône pontifical. Il se montrait éga- lement prêt à admirer les productions du moyen âge et les productions modernes, non point tant par suite d'une com- préhension exceptionnellement pénétrante que grâce à sa curiosité, à son ouverture d'esprit, à sa large sympathie. Il s'extasia devant la flèche de la cathédrale de Strasbourg, parce que « cet ouvrage merveilleux cache sa tète dans les nues »; il choisit pour modèle de la cathédrale de Pienza une église ayant trois nefs également hautes, qu'il avait eu l'occasion de voir en Autriche; il prodigua les éloges à un peintre d'Ulm, du nom de Nicolas, artiste com- plètement inconnu'. Puis, monté sur le trône, on le voit hésiter entre les représentants de la vieille et de la nouvelle École. Dans ses Commentaires, le pape-humaniste nous a laissé la description aussi précise que vivante d'une fête organisée par ses soins et dont le souvenir dura longtemps à la cour pontificale. Je reproduis son récit, pour montrer comment cet esprit si éminent entendait la mise en scène. Se trouvant à Viterbe pendant l'été de I4(>2, il résolut de célébrer la Fête-Dieu avec un éclat inaccoutumé. Monarque en général assez débonnaire, il usa cette fois de son autorité pour amener les prélats de sa cour à déployer ce fliste italien qui n'avait peut-être 1. On trouvera dans le Tour du Momtc (18H2, t. 1, p. .m" et suiv.) une description détaillée de cette ville, avec gravures à l'appui. Voy. aussi, ci-après, le chapitre consacré à Bernard Rossellino, l'architecte de Pie 11. 2. J'ai réuni ces différents témoignages dans ks Arts à la cour tics Papes, t. I, p. 221 et suiv. Alédaille du pape Pie II. PU-; Il (;.i d'égal que celui des ducs de Bourgogne ou des rois de France. C'était prêcher à des convertis. Chaque cardinal choisit un emplacement déterminé dans la rue l,e palais Piccolomiiii à Pieiiza. que la procession devait parcourir et s'efforça de l'orner de la manière la plus .somptueuse. Les archevêques et évêques se chargèrent du reste. Pie II cite, parmi les cardinaux qui exposèrent les plus belles tapisseries, ceux de Rouen, 94 HISTOIRE DE i.AKT I'i:ni)\ni' i.a renaissaN( i:. de Constance," de Pavie, d'Arras, de Mantoue, etc. Les « arazzi » de Rodrigue Bors^ia, le futur Alexandre VI, excitèrent surtout une admiration unanime : la matière en était aussi précieuse que l'exécution en était parfaite; ils enlevèrent les suffrages non seulement delà foule, mais encore des amateurs les plus raffinés. Constatons à ce sujet que toutes les fois que le pape-écrivain parle de Tart merveilleux de la haute lisse, toutes les fois qu'il prononce ce mot magique de tentures d'Arras, son stvle s'élève et quelque parole émue trahit son enthou- siasme. Pie II lui-même avait fait dresser dans le cimetière de Saint-François, de\ant l'église, une sorte de pavillon gigantesque, orné de tissus aux couleurs variées. On }' voyait de ces « histoires » si chères à nos ancêtres, des portraits d'hommes célèbres, des scènes de chasse; des guirlandes de myrte, de laurier, alternaient avec les tapisseries et en fiisaient ressortir toute la richesse. Les rayons du soleil couchant pénétraient, pour nous servir des expressions mêmes de Pie II, ces parois de laine et donnaient naissance à des jeux de lumière com- parables à ceux de l'arc-en-ciel. A un certain moment l'effet fut tellement saisissant, que le pape se crut transporté dans les régions célestes et que le pavillon du cimetière de Saint-François lui sembla un autre paradis '. L'humaniste devenu souverain pontife conservait des trésors de poésie et d'indépendance. Personne n'était plus heureux d'échapper aux pompes, toutes les fois que le cérémonial ou la dignité de l'Église romaine ne l'y contraignait pas; personne ne se réfugiait avec plus de volupté dans la solitude, au milieu des bois. Arrêtons-nous un instant à ce trait de mœurs tout moderne. Pour la première fois depuis l'antiquité, nous voyons la nature recouvrer tous ses droits : une nature sans fard, un paysage sans apprêts; et cette prédilection dis- tingue la Renaissance autant du moyen âge que du dix-septième siècle, pour lequel la poésie du pavsage n'existait déj.'i plus. Grâce à ce contact bienfaisant, ce qu'il pouvait y avoir d'excessif dans une civilisation aussi raffinée s'atténua et l'équilibre un instant menacé se rétablit. La villa devint désormais le corol- laire du palais; les jardins rivalisèrent de richesse avec les appartements (jar- dins de la Sforzesca, près de Mgevano; jardins des Médicis, à Poggio a Cajano; jardins des rois de Naples, à Poggio Reale); à tout instant les plus grands seigneurs, fuyant le voisinage des hommes, demandèrent l'hospitalité aux forêts. Q.ue l'on se reporte de cent années en arrière : quelle indifférence encore pour les beautés de la nature, quoique l'éloge du mois de mai et du rossignol formât comme le début obligé de tout poème lyrique"! Pétrarque lui-même, l'esprit le plus ouvert et le plus suggestif, le « premier homme moderne », lors- qu'il tenta l'ascension du mont Ventoux, près d'Avignon, poussé par une curiosité irrésistible, n'accorda que quatre ou cinq lignes à la de.scription de ces 1. Voy. Y Histoire de la Tapisserie en Italie, publiée par la librairie Dalloz; Paris, 1884, p. 8-q. 2. J. Burckhardt a consacré un de ses chapitres les plus attachants au sentiment au paysage chez les hommes de la Renaissance : Ciilliir, t. II, p. |5 et suiv. Voy. aussi de Laprade, tlii Sentiment de la Nature che\ les modernes. PIE II. • q5 âpres rochers, de ce site grandiose, de cette nature incomparable : tout le reste du récit est un développement oratoire, au cours duquel il perd de vue le géant du Comtat-\'enaissin pour nous parler de Tite-Live et de saint Augustin, du mont Hémus, de l'Athos et de l'Olympe*. Quant aux peintres de son temps, ils sont persuadés que des rochers dénudés forment la base de tout paysage. La description que Pie II tait du mont Amiata, dans les en\irons de Pienza, se distingue, quoique écrite en latin, par une fraîcheur et un charme particu- liers. A travers mon imparfixit essai de traduction, le lecteur sentira le chaud et vibrant amour de la nature qui transportait le vieux pontife; il admirera les ressources de cette nature richement douée. Pie II le premier a su peindre, dans une langue précise et colorée, l'infinie variété, la haute poésie des forêts et des montagnes; il est le père des pavsagistes modernes. « Le mont Amiata — c'est Pie II qui parle — situé sur le territoire de Sienne, égale en hauteur les Apennins; on assure que dans toute l'Italie il ne le cède qu'aux Alpes de Pistoie. Il est entièrement couvert de torêts; son som- met, souvent caché dans les nuages, porte des hêtres; puis vient une zone de châtaigniers; plus bas on trouve soit des chênes, soit des lièges. La base est occupée par des vignes, des arbres fruitiers, des champs, des prairies. Dans un des replis de la montagne s'élèvent des sapins majestueux, qui tournissent, soit aux Siennois, soit aux Romains, des matériaux de construction fort estimés : c'est de là que Pie II fit venir les poutres destinées à ses constructions de Pienza. La montagne n'est dénudée qu'entre les sapins et les châtaigniers, et là même elle est couverte de gazon et sert de pâturage. » Après avoir décrit les châteaux et les bourgs qui s'étendent à la base du mont Amiata et qui forment autour de lui une brillante ceinture, le pape-écrivain nous fait remonter vers les régions supérieures : il accorde une attention par- ticulière à un sanctuaire fort vénéré dans le pays, une vieille chapelle située à environ quinze cents pas au-dessus du monastère de la Badia et contenant les ossements de l'épouse du roi Rotharis. « La fraîcheur qui régnait dans ces parages était si grande, ajoute-t-il, que les cerises, quoique l'on fût au mois de juillet, n'étaient pas encore mîires. Le pape dina près d'une source abondante, qui jaillissait d'un rocher; il donna ensuite audience aux ambassadeurs et aux solliciteurs. Pendant qu'il restait en ce lieu, un certain nombre de personnes de sa suite tentèrent l'ascension du sommet, par un chemin escarpé et difficile, que l'on oserait à peine gravir, si les hêtres, assez serrés de ce côté, ne cachaient pas la vue des précipices et n'offraient pas un point d'appui en cas de chute. Au sommet de la montagne, les explorateurs trouvèrent une sorte de plate-forme, au milieu de laquelle s'éle- : . l-.i tr.Kluction de l' Ascension du Moiil Vcnlonx fonin; une Olcgantc pl.iqLHjtlc publiée par M. \'. Devel.iy clicz Jouaust, en iffîo. 96 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. \,iit un i;rand rocher, s'appuvant contre un rocher de dimensions non moins considérables; ils montèrent sur l'un et l'^uitre et itperçurent au loin, c'est du moins ce qu'ils racontèrent, les montagnes de la Sicile et de l:i Corse. Parmi ceux qui prirent part à cette exCLU-sion figurait l'ambassadeur vénitien Nicolas Sagondino. Les châtaigniers, qui succèdent aux hêtres, sont excessivement éle- vés; ils s'élancent jusqu'au ciel. Quant aux chênes, on en trouve beaucoup que qLiatre hommes se tenant par la main ont de la peine à embrasser; plusieurs d'entre eux qui sont creux peuvent abriter jusqu'à vingt-cinq brebis. Au-dessous des châtaigniers s'étendent des collines couvertes de gazon : l'ombre y règne jusqu'après les premiers froids de l'automne; .'i ce moment les ravons du soleil, pénétrant à travers les branches dégarnies de teuillage, viennent enfin les éclairer. Poètes qui aimez les doux ombrages, les sources argentées, les herbes verdoyantes, les riantes prairies, venez passer l'été ici! Quoi qu'en dise la Fable, les montagnes de Cirrha et de Nysa ne me paraissent pas dignes de vous être comparées; je ne vous préférerais pas les cimes de Tempe «Le pape résidait dans le monastère; six cardinaux se logèrent dans la ville, ainsi que beaucoup de membres de la curie; les référendaires fixèrent leur demeure à deux milles de là, dans une localité du nom de Piano, endroit assez agréable et qui ne le cédait pas à l'abbaye. A des jours déterminés ils se ren- daient à la signature, que le pape donnait dans la forêt, tantôt sous un arbre, tantôt sous un autre, près de sources au doux murmure. Chaque jour on en- treprenait d'autres excursions à la recherche de nouvelles sources, de nouveaux ombrages : le choix n'était pas toujours facile. Parfois, pendant que le pape était occupé à signer, il arrivait que les chiens découvraient quelque cerf gigan- tesque couché dans le voisinage. Après s'être débarrassé de ses ennemis à coups de cornes et à coups de sabots, le gibier s'enfuyait à toute vitesse dans les montagnes. Le pape se plut également à tenir le consistoire avec les cardinaux sous les châtaigniers, ou à donner audience au milieu des prés. Il ne se pas- sait pas de jour sans qu'il se fit porter à travers les bois : les membres de la CLu-ie le suivaient; en route on s'occupait ensemble des affaires publiques et des affaires privées. Vers le soir, le pape se rendait dans un endroit peu éloigné du monastère et d'où l'on pouvait apercevoir les champs couverts de blé ; il s'v asseyait avec les moines et s'y livrait à d'agréables causeries. On éprouxait une rare volupté : tandis que dans la vallée le soleil avait tout brûlé, que les arbres se desséchaient au milieu des champs altérés, que le sol se chan- geait en cendre, comme si un nouveau Phaéton l'avait incendié, autour du monastère et dans les régions plus élevées tout était verdoyant ; on ne sentait nulle trace de chaleur, on respirait la brise avec délices. On aurait cru qu'ici était le séjour des bienheureux, dans la vallée le lieu du supplice des damnés. » Le rival de Pic 11, lors du conclave qui suivit la mort de Calixte III, le car- -MûNLMENT tLEVL E\ l'iIONNELR DE aAl.NT AndRÉ PAR PlE II, PRES DU PONTE MoLLE. (Sculpture de Paolo Ro.mano.) li. .Miuilz. — I. Italie, l.o Primilil:; gH HISTOIRi: W. l.'ART P1:ND.\N'|- LA RENAISSANCK. dinal Bessarion (1403-1472), était un des Grecs schismatiques qui avaient siégé au concile de Florence. En homme d'esprit, il comprit qu'il y avait tout à perdre dans l'Empire d'Orient, tout à gagner en Italie; il resta, embrassa le catho- licisme et ne tarda pas à recevoir la pourpre. Hàtons-noLis d'ajouter que nul, par l'élévation du caractère et du talent, n'était plus digne d'une telle distinction. Champion ardent du platonicisme, il contribua par ses écrits à son triomphe sur les doctrines d'Aristote et de ses imitateurs du moyen âge, réunit une admirable bibliothèque rentcrmant plus de Hdo manuscrits, qui lui coûta ,M)0()ii ducats (un million et demi de trancs) et qu'il donna de son vivant à la ville de "\'enise, et fonda une Académie dans la Ville éternelle. Si j'ajoute qu'il tut chargé d'importantes missions diplomatiques et qu'il fit la plus énergique propagande en faveur de la croisade, j'aurai signalé les principaux traits de cette figure de Mécène véritablement sympathique'. « Bessarion, dit M. \'ast, avait la taille élevée, l'œil brillant et grave, le regard imposant, le front haut et dégagé. Ses cheveux tout blancs, sa longue barbe (qu'il portait seul de tous les cardinaux), ajoutaient encore à l'air d'autorité qui se dégageait de toute sa personne, son nez arqué et effilé, ses lèvres minces, qui semblaient toujours prêtes à esquisser un divin sourire, trahissaient chez lui la finesse et l'esprit délié du Grec. » A Rome, Bessarion résidait habituellement au Quirinal, où il occupait le palais Colonna, commencé par le pape Martin V et embelli par les soins de son nouveau possesseur. Une vingtaine de domestiques ou tamiliers tormaient son entourage. Quoique ses revenus fussent loin d'égaler ceux d'autres prélats, il donnait à pleines mains, aux pauvres d'abord, puis à ses compatriotes, puis aux humanistes et aux artistes. Bessarion, en effet, et j'ai réservé cette mention pour la fin de ce paragraphe, Bessarion comptait parmi les « fautori dell' arte » les plus éclairés. Vers I455, il fit peindre à Bologne une chapelle de Santa Maria in Monte par l'habile maître ferrarais Galasso. En 1464, il chargea le peintre Antonazzo de Rome (il eût pu mieux choisir!) de décorer de fresques les cha- pelles Saint-Ange et Sainte-Eugénie dans la basilique des Saints-Apôtres. Sa collection d'œuvres d'art, moins riche que sa collection de manuscrits, semble avoir surtout renfermé des ornements sacrés : ouvrages d'orfèvrerie, parements, tapisseries, mosaïques grecques portatives; c'étaient, pour employer les expressions du temps, les éléments de la plus magnifique « chapelle » '. Le Vénitien Paul II (1464-147 1), neveu d'Eugène IV, est un pape calonmié. Les historiens n'ont envisagé que son goût pour le faste, son amour des gemmes et des joyaux; ils ont perdu de vue des entreprises considérables, qui tiennent 1. Le rôle littéraire, politique et religieux de Bessarion a été fort bien exposé par XL Vast k cardinal Bessarion. Paris, Hachette, 1878. — Cf. le volume que j'ai publié en collaboration avec M. Paul Fabre : la Bihiiolbéquc du Vatican au quiu:^ièmc siècle, à la table. 2. Voy. les Arts à la cour des Papes, t. II, p. 82, 29H-,3o4. PAIL II. - SIXTF IV. qq dignement leur place dans l'histoire de la Renaissance romaine, la continuation du Saint-Pierre de Nicolas V, les importants travaux du palais du Vatican, l'édiiication du palais de Saint-Marc ou palais de ^'enise, pour ne point parler de la restauration de tant de monuments antiques, sauvés de la ruine par ses soins. Le premier il devina et sut mettre en lumière le talent de Giuliano da San Gallo, chef d'une tamille d'architectes illustres. Mais ce qui distingue l'œuvre de Paul II et donne à ce Mécène sa physionomie caractéristique, c'est son goût pour les chefs-d'œuvre de la sculpture et de la glyptique antique, jusqu'alors si négligés des papes. Le premier, alors qu'il n'était encore que cardinal, il réunit une inappréciable collection de pierres gravées antiques, de bronzes, d'objets d'orfèvrerie, de curiosités de toute sorte, qui, sottement vendus après sa mort par son suc- cesseur Sixte IV, devinrent le plus riche ornement du musée des Médicis. De même. Sixte IV, cette fois mieux inspiré, n'eut qu'à puiser dans l'héritage de Paul n pour réunir les éléments du musée du Capitole, le premier en date des musées modernes. • Si Paul n négligea relativement les sculpteurs et les peintres contemporains, il eut l'honneur de ser^'ir de parrain à la gravure en pierres dures. Médaille du pape Paul ii. subitement tirée de l'oubli par son initiative, et dont la résurrection se lie si intimement à celle des chefs-d'œuvre de la glyptique antique. Avec le caractère le plus violent, les vues les plus personnelles, le goût peut- être le plus borné. Sixte IV (1471-1484), l'oncle de Jules II et le fondateur de la dynastie des délia Rovere, réussit, grâce à une activité méthodique et à une énergie indomptable, à marquer sa trace à Rome plus profondément que ne l'a fait aucun autre pape de la Première Renaissance, sans en excepter Nicolas V. Quoique l'ardeur chez lui tînt lieu de compétence et qu'il se laissât guider dans ses choix par la réputation des artistes plutôt que par leur mérite réel (comme architectes il employa surtout les maîtres réputés pour travailler vite; comme peintres il prit tous ceux que lui signalait la renommée, associant, dans la cha- pelle Sixtine, Signorelli et le Pérugin, Botticelli et Cosimo Rosselli, Ghirlandajo et Piero di Cosimo), l'œuvre de Sixte IV ne cessera de frapper par sa variété et sa magnificence. La chapelle Sixtine, les églises de Sainte-Marie du Peuple et de Sainte-Marie de la Paix, l'hospice de San Spirito, lui doivent leur origine ; vingt basiliques, le « Pons Quinti « ou Ponte Sisto, la fontaine Trevi et d'in- nombrables autres monuments, leur réédification; les rues de Rome, l'aligne- ment qui a fait de la Ville éternelle la première cité moderne. Ses auxiliaires dans cette tâche gigantesque ne portent point de noms célèbres : Baccio Pon- telli, dont on a si singulièrement exagéré le rôle, est le seul d'entre eux qui soit HISTOIRE DF. L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Médaille du pape Sixte IV, par Guaccialotti. connu. Bornons-nous à citer, à côté de lui, Meo de! Caprina, Giacomo da Pietrasanta et Giovannino de' Dolci. La sculpture, fovorisée au détriment de la peinture, par les deux prédécesseurs de Sixte IV, fut au contraire de nouveau sacrifiée. On ne trouve à mentionner que les statues d'apôtres, ciselées par Verrocchio pour la chapelle papale, et le tombeau de Sixte IV par Antonio Pollajuolo. Mais, en ce qui touche la peinture, ce pontificat s'honore de la plus extraordinaire réunion de maîtres célèbres : en dehors de Mantegna et de Benozzo Gozzoli, tous les grands peintres contemporains travaillent pour Sixte I\', Melozzo da Forli, le Pérugin, Pintu- ricchio, Domenico et David Ghirlandajo, Botti- celli, Filippino Lippi, Signorelli, Fra Bartolom- meo délia Gatta, et une infinité d'autres. Le concours ouvert pour la chapelle Sixtine fut le prélude des entreprises glo- rieuses de Jules II et de Léon X. Éblouis par l'exemple du pape, ses neveux, les membres du Sacré Collège, les grands seigneurs romains et jusqu'aux représentants des maisons étrangères, ne songèrent plus qu'à bâtir, à commander des statues et des tresques ou à recher- cher les merveilles de l'art antique. Le plus ardent fut le cardinal Julien délia Ro- vere (i44i-i5i3), le futur pape Jules II: par la restauration de la basilique des Saints-Apôtres et de la basilique de Saint- Pierre-ès-Liens, par celle du palais pon- tifical d'Avignon, par son intimité avec le célèbre architecte Giuliano da San Gallo, par ses luttes avec Laurent le Magnifique pour la possession des antiquités trouvées à Ostie et avec le chapitre de la cathé- drale d'Orvieto pour le renvoi du Péru- gin, dont il déclarait ne pouvoir se pas- ser', le bouillant jeune homme préludait aux splendeurs et aux violences de son pontificat. Son cousin, le cardinal Raphaël Riario (i45i-i52i), se signala, un peu plus tard, par la construction du palais de la Chancellerie, un des chets- d'œuvre de Bramante; son autre cousin, Dominique della Rovere (f i5oi), par celle du palais Scossa Cavalli, près du Vatican, par la restauration des cathé- drales de Turin et de Montefiascone. Le cardinal français Guillaume d'Estou- Le pape Sixte IV. (Fac-similé d'une gravure ancienne.) I. Biccliicr.ii, Alcimi Dociimciili aiiisl'ui non mai slaiiipali ; Florence, l855: p. 17. Sixte IV conférant a Platina les fonxtions de préfet de la Vaticane. Fresque de Melozzo da Forli. (Pinacothèque du Vatican.) SIXTE \X. — INNOCENT VIII. lOI teville (1403- 1480), le plus riche membre du Sacré Collège, reconstruisit l'église et le couvent de Saint-Augustin, la citadelle et la ville d'Ostie, restaura Sainte- Marie Majeure et l'enrichit du superbe retable de Mino de Fiesolc. Le couron- nement de sa carrière de bâtisseur fut sa nomination à la charge de surintendant de l'édilité romaine. Le cardinal Rodrigue Borgia (i43i-i5o3), le futur pape Alexandre \'I, compte à son actif l'édification d'un beau palais entre le pont Saint-Ange et le Campo dei Fiori, ainsi que d'importants travaux à Subiaco; le cardinal Marc Barbo (f 1490), neveu de Paul II, la continuation du palais de Saint-Marc et l'exécution du magnifique mausolée de son oncle, par Mino de Fiesole et Jean Dalmate; le cardinal Piccolomini (le futur Pie III), la construc- tion d'un palais magnifique; le cardinal François Gonzague (1444-1493), la forma- tion d'un riche cabinet d'antiques. Seule l'aristocratie romaine ne céda que lentement à l'entraînement général, préoc- cupée qu'elle était de conserver sa position politique ou d'étendre ses possessions ter- ritoriales. Les Orsini ouvrirent la marche, avec le cardinal Giordano, bibliophile ardent (t M-'^r); François Orsini, comte de Ta- gliacozzo et préfet de Rome, fit restaurer l'église de la Minerve et construire celle de Vicovaro; le palais qu'un autre Orsini, Na- poléon, fit élever à Bracciano était assez somptueux pour que Sixte IV daignât l'habiter quelque temps. II reste moins de monuments de l'activité des Co- lonna, des Savelli, des Caetani, des Capranica. Enfin les Tornabuoni, repré- sentants à Rome de la banque des Médicis, décorèrent une chapelle de la Minerve de fresques dues au pinceau de D. Ghirlandajo, de statues et de bas- reliefs sculptés par Mino de Fiesole et par Verrocchio. '3^ -Médaille du cardinal d'Eslouleville. Le successeur de Sixte IV est une figure des plus effacées. Quelle place v a-t-il pour un Innocent Mil (1484-14Q2) entre la haute personnalité de son prédé- cesseur et celle de son successeur, ces hommes de génie qui surent mettre au service d'une ambition effrénée, l'un, une vigueur indomptable, l'autre une astuce infernale : Sixte IV délia Rovere, et Alexandre VI Borgia ! Chez ce lourd et cupide Génois, la médiocrité de l'esprit n'est égalée que par l'indécision et la faiblesse du caractère; il ne sait ni réaliser, ni concevoir de grandes choses. S'il a, malgré tout, attaché son nom à quelques entreprises intéressantes, l'édifi- cation de la villa du Belvédère, celle du rendez-vous de chasse célèbre sous le titre de la Magliana, la commande à Mantegna des fresques du \'atican, c'est l'influence féconde de la Renaissance qu'il faut bénir, non l'initiative d'un homme qui en manquait absolument. I02 IIISTolUi; 1)|-: l.'ART PF.NDAXT LA RENAISSANTE. L'incurie d'Innocent VIII en matière de finances était extrême; à tout instant il achetait de nouveaux joyaux avant d'avoir retiré ceux qu'il avait précédemment mis en gage; on le voit même engager les joyaux qu'il a en main pour en acheter d'autres qui le tentent par leur nouveauté. Rarement tant de détresse s'est alliée à tant de prodigalité. En i486, le pape acquiert d'un coup pour 5848 du- cats de perles, de pierres précieuses de toute sorte; en 1487, pour 1 2 000 ducats, non compris 2O0(i ducats pour une perle piritorme, ni 4187 ducats pour des jovaux divers; et cependant, dès 1488, il est forcé d'emprunter 20 699 ducats sur la tiare pontificale, qui resta longtemps entre les mains des prêteurs. Cette leçon lui profite-t-elle? Nullement; la même année il achète, pour sa satisfaction personnelle, un rubis balais de 2200 ducats, et, pour les offrir à la femme d'un capitaine, des jo3'aux d'une valeur de i 201) ducats. Rn 1490 il ne peut résister à la tentation d'acquérir, pour 600 ducats, une émeraude dont le vendeur n'est autre que Laurent le Magnifique. Mais, nous ne saurions assez le répéter, le courant était si fort que, même en l'absence de vues supé- rieures, les grands seigneurs du temps ralliaient tout naturellement autour d'eux des artistes de la plus haute valeur, et attachaient, presque à leur insu, leur souvenir à des œuvres impérissables. Accordons ici une place d'honneur au cardinal Olivier Carafta de Naples (f l5ii) : ce vaillant commandant des flottes pon- tificales, ce prélat guerrier, digne successeur des Vitelleschi et des Scarampi, commanda au Pérugin V Assomption de la Vieroe; à Filippino Lippi, les fresques de la Minerve, où il trouva son tombeau ; l\ Bramante, le cloître de Santa Maria délia Pace, également à Rome. Mcdailit; ilu pape IniiOLi'iil \'in AUribuiie ;ï Pollajiiolo. Dans la protection accordée aux arts par les papes du quinzième siècle, il y a plus que des encouragements propres à faire éclore des chefs-d'œuvre : leur action a pesé sur le développement de la Renaissance; elle a arrêté celle-ci ati bord de l'abîme où elle risquait de tomber; en la forçant de servir d'inter- prète à la religion, elle Ta maintenue en contact — un contact relatif — avec les couches profondes de la société. Si en matière d'architecture les papes faisaient preuve d'un éclectisme absolu, l'orthodoxie n'étant pas plus en cause dans le choix d'un tvpe gothique que dans celui d'une basilique du style chrétien pri- mitif, si l'orneiTientation comptait trop peu pour qu'ils y attachassent de l'importance, ils avaient par contre la mission de surveiller sévèrement la sculpture et la peinture, si portées dès lors à aborder les sujets profines, et ils réussirent, avec un tact parfait, à retenir ces arts sous la discipline de l'Église. Rien de plus rare .'1 Rome, pendant toute la durée du quinzième siècle, que des représentations protanes. Sixte IV lui-même, malgré sa gloriole, recula constam- INFLUENCE DES PAPES SUR LA RliXAISSANCE. ment devant toute composition n'offrant pas un caractère sacre. Dans les fresques de l'hôpital San Spirito. il ne fit \jj^^^^; AUA COEf^rtSIA CODIDIT , PH HV]V.s;i0CI MONA'>ll DESt BENEfJERrtD 56('VL9M^M VLTvsTAfEATJTtfTVM "M^U Vr|T/yP/,RVTANO SALVTIS M OCCCLXX'XJ J*" ./ AI. . W N, ' S , Suubasâenicnl Ju idinbeau du maïquib lluî^ues. par .Mino du Kicsnlc. (Hadia de l-'lorence.j CHAPITRE III LA l'KHMIERi; HHXAISSANCK A XAPLES. LADISLAS ET JEAWK II. — ALPHONSE LE MAGNANIME. l'aRC DE TRIOMPHE DU CASTEL NUOVO. EERDINAND. LE DUC DE CALABRE. LA PORTA CAPUANA. LA \TLLA DE POGGIO REALE. l'importation FLORENTINE ET l'iMPORTATION ELAMANDE. — LA SICILE. cclicrclK-t-Dii une antithèse ,\ Pindirtércncc oryiicillcusc ou à la paresse intellectuelle — comme on voudra l'ap- peler — des Romains (je parle de ceux du quinzième siècle), on la trouvera dans la tacilité d'assimilation, la mobilité et la pétulance des Napolitains, le sang le plus mêlé de toute l'Italie, le peuple qui a le plus souvent changé de maître. Qualités diamétralement opposées en apparence, mais qui, dans le domaine de l'art, ont provoqué une stérilité non moins grande, et pour cause, car sans la conviction, sans la foi, une foi pro- fonde et ardente dans le beau, les œuvres d'art ne sont que jeux futiles de l'imagination, créations parfois spirituelles, mais à coup sûr privées de portée et de réalité. Veut-on découvrir combien cette culture était superficielle, on n'a qu'à laisser de côté un instant les grands arts pour s'attacher à ces formes accessoires où le besoin de production qui possédait alors les autres artistes de l'Italie se manifestait avec tant d'intensité : la gravure, l'art du médailleur, la E. Muni/. — I. UaliL'. Lc> l'iimiul-. IJ iivi HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. céramique, la tapisserie, etc., etc., si florissants partout ailleurs, ne brillent à Naples que par leur absence'. On sait de reste par quelles vicissitudes le royaume de Naples passa pendant le premier tiers du quinzième siècle. Aux entreprises aventureuses du roi Ladislas (régna de i3;6 Je V.Xvc Je Triomphe Je Naples. ébloui les contemporains par leur libéralité, se présentent devant la postérité les mains vides. (Ce n'est pas à dire que le rôle de ces prodigues n'ait pas son utilité : honuues d'initiative, d'ordinaire pleins de teu et de brillant, ils sont d'elle à l.i Bibliothèque Nationale de Paris. — Vov. L. Delisle, /(• Ciibiiict des Maiiiisiiils, t. I, p. 217-245; t. III, p. 257, 262, et Mazzatinti, Iiiivnlario ih-i M î*s^ lipiuii.^ «.lu I .Vi L ^n.- lii'inipiK- Lie .Naple de son palais, et les rois de Naples qui ont commencé vingt monuments' et n'en ont fini aucun; bien plus, qui, tout en .semant l'or, n'ont su fixer dans leur capitale aucun de ces artistes supérieurs dont le passage fait époque, un Bru- I. On ne compte pas à Naples, pour le quinzième siècle, moins de soixante églises rèéJiliées, restaurées ou enrichies de quelque œuvre d'art importante. Voy. la GiiiJa sacra dclla città di Xapoli, de M. Galante. Naples, I07.1, hissim. 112 1IIS-|()1KK ni; l.ART PENDANT LA RKNAISSANCl-: nellesco, un Donatcllo, un Mantcgna! Au reste, il y a quelque chose d'inexpli- cable dans riiistoire de leurs fondations : avec des ressources et une libéralité telles que les leurs, comment aucun d'eux n'a-t-il pu finir de son vivant ces arcs de triomphe en miniature, « l'arco del Caste! Nuovo » et la « Porta Capuana » ? Ne serait-ce pas que, malgré ses ardeurs généreuses et une magnificence sans bornes, le goût d'un Alphonse V, et à tortiori celui de son fils indigne, Ferdinand, ait eu ses lacunes? Ne serait-ce pas que ces Espagnols, malgré leur extrême bonne volonté, soient restés aussi étrangers aux raffinements et aux splendeurs de l'art italien que leurs compatriotes les papes Calixte III et Alexandre Yl ? Problèmes inquiétants, que je me bornerai à signaler à la curiosité de nies lecteurs, sans tenter de les résoudre. L'arc de triomphe du Château Neuf, du « Castel Nuovo », tel est aujour- d'hui le seul monument de quelque importance qui rappelle la magnificence d'Alphonse V, et encore n'a-t-il été achevé que longtemps après la mort de ce monarque, lîlevé sous la direction du Milanais Pietro di Martino, l'arc tut décoré par les sculpteurs Isaia da Pisa (14.^.^-145(1), Antonio da Pisa, Domenico di Monte Mignano (i45()), Paolo Romano (14.^'!), Desiderio da Settignano, Domenico Lombardo, assistés de quelques artistes indigènes, Francesco Azzara, Silvestro Ariscola d'Aquila et Andréa d'Aquila (1450), etc. '. Outre les étrangers que nous venons de nommer, il faut citer comme établis à Naples pendant le règne d'Alphonse les sculpteurs florentins Giovanni da Miniato, surnommé Fora (1428-1 433, 1445), le peintre milanais Leonardo da Besozzo (vivait encore en 1458), enfin le constructeur d'orgues Antonio Squar- cialupl (:4.'^(i)'. L'importation des œuvres d'art — même des ouvrages de dimensions colos- sales — fut de règle à Naples pendant tout le quinzième siècle, fivorisée qu'elle était par les communications maritimes. C'est ainsi que les héritiers du cardinal Brancacci connnandèrent à Florence, en 1427, à Donatello et à Michelozzo, le mausolée de leur parent poiu' l'église Sant' Angelo a Nilo; c'est à Florence égale- ment que furent exécutées les trois sculptures monumentales qui font l'ornement de l'église de Monte Oliveto ou Santa Anna dei Lombardi : la Nativilc, d'Anto- nio Rossellino; le tombeau de Marie d'Aragon, duchesse d'Amalh, attribué tour à tour au même artiste ou .'i Benedetto da Majano; et YAïuwnciation du même Benedetto (vers 148(1). Le règne de Ferdinand l" (né en 1420; régna de 1458 à 141)4), ce prince astu- cieux et cruel (on disait qu'il avait du sang maure dans les veines), dont la suprême volupté consistait à s'entourer de ses ennemis, les vivants enfermes dans des cages, les morts embaumés et revêtus du costume qu'ils portaient 1 . Voy., sur tous ces artistes : Gli aiiisli ed aiicfici che- lavoraroiio in CiuU'l K'iioiv, p.ir Minicii Riccio; N.iplcs, 1876; — la Rcihiissaiicc au temps ifi' Chailes l'III, p. 424-42.^. 2. Rcuniont, Lo/v/i-i) Je Mctliei il Ma^-^iiijieo, t. II, p. l.'"i2. L'Arc nu triûmpiil: du Ciiati:au Nkuk a NaI'Ii:^ K. Mtinl/. I. Iialic. Lc^ PnmitiN 114 HISTOIRE DE LART RENDANT LA RENAISSANCE. pcnd.uit leur \ic', est marque par une iiilinité d'entreprises, mais sans direction nette, sans vues élevées. Connue au temps de son père, la culture des lettres marche de pair avec celle des arts. Aux illustrations anciennes viennent s'ajouter Jovien Pontano (i42C)-i5o3), qui donna son nom à l'Académie Pontanienne, Constantin Lascaris (f vers 1493), Pandolphe Collenuccio (-j- i5o4), et surtout Sannazar (i40t'>-i53()), le poète éloquent dii de Failli l'irgiiiis. De même, la bibliothèque continue à faire l'objet de la .sollicitude du souverain; une quaran- taine de copistes et de miniaturistes ne cessent de transcrire et d'enluminer ■. Ces calligraphes et ces enlumineurs, Ferdinand les fît venir non seulement des provinces du royaimie (c'est la majorité), mais même de l'étranger. Je remarque parmi les calligraphes les noms d'Ottone Quarto d'Allemagne, de Jean de Bruges, de Pierre Burdeo de France (1481), de Wenceslas de Bohème; parmi les miniaturistes, ceux de Joachim et de Jean d'Allemagne. On manque d'ail- leurs de données précises slu' la bibliothèque formée par les rois Alphonse et Ferdinand. (On sait seulement que plus de trois cents manuscrits, dont quinze en grec, provenant de cette collection, se trouvent aujourd'hui à la Bibliothèque nationale de Paris''.) Le nouveau roi, s'inspirant de l'exemple de son père, poussait l'admiration pour la peinture flamande jusqu'à envoyer dans les Flandres un jeune homme du nom de Giovanni di Giusto, fils du vice-châtelain de la Tour Saint-^'incent, pour s'y familiariser avec les secrets de l'Ecole de Bruges (146(1) '. Pendant la première partie du règne de Ferdinand, les dépenses de luxe et de f'itntaisie (achats d'étoffes précieuses, de plumes rares, de curiosités de toute sorte; commandes de cages peintes, d'armes pour les joutes, de meubles, d'im encrier monumental, etc.) tiennent presque autant de place que les travaux impliquant un goi'it supérieur. On constate pour la même période une fluctua- tion entre les adhérents de la vieille École et les champions de la nouvelle. En tète de ces maîtres continue .\ figurer l'architecte et sculpteur Pietro di Martino de Milan, qui reçoit, de i^b5 à 14O7, des payements assez importants pour les sculptures de l'arc triomphal du Château Neuf. A côté de lui travaillent Guglielmo Monaco de Pérouse (1452, 1465), tour à tour statuaire, fondeur d'artillerie, horloger, auteiu' des bas-reliefs en bronze du Château Neuf, représentant les principaux épisodes de la Guerre des Barons; les sculpteurs Giovanni di Guarces ( 1 466), Francesco Lombardo ( 1 4O7), le peintre Francesco de Sienne ( 1 478- 1 480)". 1. Burckhardt, la Civilisalicii en Italie, t. I, p. 4.1. 2. Minieri Riccio, Cfiiiio skvico ilcUa Accadciiiia AIjoiisiiia ; X;ipk'S, 187.5, et Barono, d.ins VAixhivio ston'co de Naples, 1884-1883. 3. L. Delislc, k Cabimi des Manuscrits de la Bibliothèque Xatiomile, t. I, p. 238-23y. 4. En 1492, Giovanni di Giusto, probablement depuis longtemps de retour à Naples, expertisait avec plusieurs de ses confrères les peintures exécutées par Rizzardo Guartararo dans le Castel Nuovo. {Archivio storico de Naples, 1884, p. 12.) .5. Voy. sur tous ces noms l'Archivio storico mipoletaiio, \Vi:\^, p. 211, 2l3, 214, etc., et l'opuscule de Minieri Riccio : Gli artisti cd artefici. FERniwM) lv\l^\^,(^^■. Puis le mouvement s'accentue avec l'arrivée (1472) d'Aristotele di Fioravante de Bologne, le plus fameux ingénieur et un des plus insignes architectes italiens du quinzième siècle ', qui, après avoir transporté pour le pape Nicolas V d'immenses colonnes monolithes de la Minerve au \'atican (1451), après avoir déplacé, sans la démolir, une tour monumentale dans sa ville natale (1455), se signala succes- sivement au service des Sforza, à celui de Mathias Corvin (1468), et à celui du pape Paul II (1471 -14-3), et couronna enfin sa carrière au service d'Iwan III, Buste (.le FerJinand d'Aragon. (Musée national de Naples.) tsar de Moscovie, pour lequel il construisit la cathédrale de l'Assomption, frappa des monnaies et fondit des canons. A Naples, maître Aristote fut chargé d'un travail relativement ingrat : il s'agissait de retirer une caisse tombée dans la mer, près du môle ; aussi ne reçut-il que la modique gratification de 8 flo- rins. Deux années plus tard, en 1474, nous rencontrons au service de Fer- dinand un sculpteur dalmate, sur lequel nous aurons plus d'une fois l'occasion de revenir : Francesco Laurana, un des principaux promoteurs de la Renais- sance dans notre pays. Laurana, après un premier séjour à la cour de René d'Anjou, de 1461 à 1466 environ, avait cherché fortune en Sicile, où nous constatons sa présence de 14C18 à 1471. En revenant de Palerme pour regagner I. BiBL. : McDioric risgiuirJaiili... iimslro Rùlolfo dfllo Aristotelc Fioravanti Modène, iH2.t. — Gualandi, Aristotele Fioravanti Bologne, 1870. — Malagola, Delk cose operate in Mosca du Aristotele Fioravanti. Modène, \^'ç~ ■ — E. Mûntz, les Arts à la Cour des Paprs, t. I, p. Ri, 108; t. II, p. 24. 110 insToïKi-: ])V. i.'Ain" i'I'.ndam' la rknaissance. la cour du roi René, il accepta sans scrupules de travailler pour Ferdinand, compétiteur du bon roi, et exécuta pour lui une statue de la Vierge avec l'entant Jésus, destinée à la chapelle du Château Neuf, travail qui lui fut payé 5o ducats. L'année 14'^' 4, date à laquelle Ferdinand posa la première pierre de la « Porta Capuana », élevée sur les plans de Giuliano da Majano (terminée en i535 seu- lement), marque la fin de cette première période. Pendant les dernières années de son règne, et sLU'tOLit après sa dernière vic- toire sin- les barons révoltés (i4iS,"^), noLis trouxons chez Ferdinand une vision tellement nette du style nouveau, destiné à tuer le style hybride jusqu'alors en faveur à Naples, et une ardeur tellement vive, tellement touchante pour la cause sacro-sainte de la Renaissance, que toutes nos répugnances tombent devant des services aussi signalés et une sincérité aussi grande. Laurent le Magnifique, devenu l'ami intime du roi après avoir été en butte à toute sa haine, tel est le magicien qui a accompli ce miracle; sa correspondance le prouve à l'évidence. Ce sont d'abord les grands travaux confiés aux deux frères Giuliano et Benedetto da Majano, soit par Ferdinand même, soit par son fils le duc de Calabre (édifi- cation des villas de Poggio Reale et de la « Duchesca », statues du duc de Calabre et de don Frédéric, etc. '). Puis le projet de palais commandé à un autre architecte toscan célèbre, Giuliano da San Gallo ', qui reçut pour ce travail, le 2~ février 148(8, un présent de 100 ducats. Puis des commandes de peintures faites à un certain Calvano (14M7) et à un certain Carluccio (141)2), tous deux de Padoue et probablement élèves de Mantegna, et des commandes de pierres gravées faites à Andréa di Mesnage (1487) et à maestro Battistino Taglia de Gênes, « maestro di fare cammei » (1488). Après la mort de Giuliano da Majano ([41)11), Ferdinand et son fils appellent près d'eux, sur le conseil de leur oracle Laurent le Magnifique, Luca Fancelli, l'habile architecte du marquis de Mantoue. Deux autres architectes toscans, Antonio di Giorgio da Settignano et Francesco di Giorgio Martini de Sienne (i4<)2-I4q5), se fixent également, pour quelque temps du moins, à leur cour, ainsi que Vincenzo de Cortone, constructeur de modèles de forteresses (141 »•■>), et les peintres florentins Pietro et Polito, qui peignirent à Poggio Reale les épisodes de la Guerre des Barons. A ce moment, les étrangers sont assez nombreux pour battre en brèche les maîtres indigènes, les peintres Marchitello Gallo (1470-1472), Angelillo Artuzzo de Naples (1472), Antonello de Capoue (1472-141)2), Colantonio de Perrino (1487), Rizzardo Quartararo (14(^2), et enfin le tameux Giovanni Donnadio da Mormanno ' 1. Vo\-. Jii Ri'iiiiissaïur mi leiiips de Charles l'III, p. 42^-431. 2. Le projet de palais de San Gallo a été publié dans l'ouvrage Je M. de Gexinûller : ilii- Al chilektiir lier Renaissance hi Toscana. Munich, 188.S, 1" livr. ?>. Milanesi, Documenli per la storia dell' arte seiiese, t. H, p. 446-4.^2. 4. Le prince Filangieri a établi, dans l'Archivio storico per le Proi'ince Xiipolelaiw, 1884, p. 286- 3o6, que Mormanno était bien né dans le royaume Je Naples, fait qui avait été contesté par plusieurs historiens d'art. I F.KDIXANI) TVAKAC.ON. (Johannes Mormandiis), architecte de la foçade de San Severino (141)0), ainsi que de l'éijlise Santa Maria délia Stella, et constructeur d'orgues (mort vers ir<22). L'arrivce de plusieurs artistes de la haute Italie achève de taire pencher la La Guen-e des Barons, par Guglielmo Monaco. (Castel Niiovo de Naples.l balance du côté des novateurs. A partir de 14H9, un sculpteur qui s'est créé des titres également considérables en Italie et en France, Guiddo Mazzoni de Mo- dène, surnommé Modanino ou Paganino, entassa sculptures sur sculptures (surtout des terres cuites coloriées) dans les églises et les palais de Xaples (« Mortorio « ou Calvaire de Monte Oliveto ; Géants modelés pour le duc de Calabre, etc.). En 1492, l'arrivée du moine véronais Fra Giocondo, non moins fameux comme architecte et ingénieur que comme théoricien, porta le dernier coup à l'influence de l'École indigène. Fra Giocondo, fixé à Naples en 1489 HISTOIRE or I. ART PF.NnANT l.A RI-AAISSAXCE. (il s'y trouvait encore en 14O-), partageait son temps entre l'archéologie et les études d'ingénieur. Il se rendit sur l'ordre du roi à Pouzzoles, en compagnie du poète Sannazar (qui célébra plus tard, dans un distique fameux, la construc- tion, par son ami, du pont de Notre-Dame à Paris), pour y visiter les antiquités, et composa également pour Ferdinand un recueil d'architecture et un autre d'artillerie. Par une coïncidence qui n'est certainement pas due au seul hasard, cette même année 1492, Ferdinand fit relier le Trailc d'Airbitertiire de¥i\.\Tt:xe, ce bréviaire de la nouvelle Ecole'. Citons encore parmi les étrangers un peintre vénitien, Pierantonio Veneziano (1493), assez heureux pour trouver de l'occu- pation à Naples, alors qu'un des fils les plus glorieux du rovaume des Deux- Siciles, Antonello de Messine, était forcé de chercher fortune à A'enise. L'essor de l'architecture n'était pas seulement flivorisé par le concours de maîtres aussi extraordinaires, il l'était encore par le voisinage des monuments romains les plus variés, à Baies, à Pouzzoles, etc. Ces monuments inspirèrent à la fois Fra Giocondo, Francesco di Giorgio Martini et les deux frères da Majano, puis Giuliano da San Gallo, qui, dans l'album conservé à la Biblio- thèque de Sienne, a esquissé les principales ruines de Capoue, d'Aquin, de Bénévent, aussi bien que de Baies et de Pouzzoles (folios 8, g, 16, 24, 26, 27). Le peintre Morto da Feltro, le restaurateur des grotesques, les étudia de son côté au point de vue de la décoration. Il n'y eut pas jusqu'au pédant Jean Burchard, le fameux maître des cérémonies d'Alexandre M, qui, lors de son vovage à Naples, en 1404, ne prît plaisir à contempler et à décrire ces ruines augustes ". Quoique à Naples aussi bien qu'à Rome les étrangers seuls semblent avoir eu le privilège de deviner l'intérêt de ces modèles, la Renaissance n'aurait peut- être pas manqué de jeter des racines dans ce pays enchanteur et de donner une riche moisson, sans les guerres qui ensanglantèrent le royaume à partir de 1495 et qui, renversant du trône la dynastie aragonaise, coupèrent pour toujours court à de si brillantes prémices. Le fils de Ferdinand, Alphonse, duc de Calabre (1448-1495), roi un instant sous le nom d'Alphonse U, tenait de son aïeul Alphonse le Magnanime le goût des armes (c'est lui qui reconquit Otrante sur les Turcs), et de son père Ferdi- nand l'astuce, la cruauté, la cupidité''. « Après avoir mérité par ses débauches le surnom de Dieu de la chair, « Dio délia carne », surnom à rendre jaloux les Césars de l'ancienne Rome (et cependant le Journal de son médecin nous le montre remplissant tous les jours avec une ponctualité extrême ses devoirs reli- 1. Archivio storicp, i885, p. i2-l3. 2. Diarium, édit. Thuasne, t. II, p. 170, 174. 3. « Nul homme », dit Commyncs, « n';i este plus cruel que lui, ne plus mauvais, ne plus vicieux et plus infect, ne plus gourmand. » — Le prince Filangieri de Satriano a publié les Effemeridi délie cosc faite per il diiai di Calabria (1484-1491) dans le tome I de ses Doatmeiili pcr h storia, le arli e le industrie délie Proviucie Napoletatie. Naples, iSR."!. LE DUC DE CALABRE. iig gieux), il huit s.i vie dans la pciiitcnce. Singulier agrégat de vices et de talents, Alphonse ne figurerait pas dans cette galerie d'honneur s'il ne s'était distingué par un goût très délicat pour les arts. A partir de I4f!7 il lit commen- cer, sur les dessins de Giuliano da Majano, la construction de deux villas célè- bres, qu'il entoura des plus beaux jardins, la Duchesca et Poggio Reale, toutes deux dans le voisinage immédiat de Naples. Dès 1488, les travaux de Poggio Reale étaient assez avancés pour qu'Alphonse put oflrir dans sa nouvelle rési- dence un festin somptueux à son père et à sa mère. L'édifice, comprenant deux étages et un attique, était carré, avec quatre tours également carrées atix angles : tout autour régnait un promenoir (un portique) voûté. Au centre, ime salle basse, dans laquelle on descendait par un escalier de huit ou dix marches, se trouvait reliée aLix conduits d'eau et un mécanisme ingé- nieux permettait de la submerger en un tour de main. Une des distractions favorites d'Alphonse (notons ce goût pour les plaisanteries vulgaires) consistait à offrir dans cette salle des repas à des seigneurs et à des dames richement habillés. Puis, lorsque tout le monde était assis, il £tisait jouer subitement un ressort, et les convives, avant d'avoir pu prendre la fuite, se trouvaient trempés jusqu'aux os. Des appartements richement décorés, et surtout dans les jardins des arbres et des fleurs rares, des fontaines, des statues, un groupe avec une Sirène accompagnée de deux adorateurs, un autre avec l'hermine se livrant aux chasseurs pour ne point souiller sa fourrure, répandirent au loin la réputation de ce lieu de délices. Peu à peu délaissé par les souverains qui se succédèrent sur le trône de Naples, Poggio Reale végéta tristement jusqu'au dix-huitième siècle, époque à laquelle cette villa incomparable acheva de tomber en ruine. Il n'en reste aujoiu'd'hui d'autre souvenir que le plan publié par Serlio'. I. L'iiistoire de la « Duchesca » fait l'oBjct d'un aniclc publié dans l'Anhivio sloiiio pcr h Piovinck Napoktane, 1884, p. 563-574; '^^"'^ ''^ -Pogg'o Reale, d'un autre article publié dans le même recueil, i885, p. i86-20g, 309-342. — J'ai publié dans la Renaissance au temps de Charles VIII (p. 435) la description de Poggio Reale, faite par André de la Vigne dans le Fer- gicr irhonneur, ainsi que le fac-similé de la coupe de la villa, d'après Serlio. Un des compagnons de Charles VIII de France nous a laissé cette description enthousiaste des murailles de Poggio Reale (i4g5) : « Avant que le rov entrast en la ville, il a couché une nuyt à Poge royal, qui est une maison de plaisance que le roi Ferrand et ses prédécesseurs ont fait faire, qui est telle que le beau parler de maistre Alain Chartier, la subtilité de maistre Jehan de Meun et la main de Fouquet ne sauroient dire, escripre ni peindre. Elle est assise loing de la ville, aussi loing que de Tours au Plesseix, et depuis la porte de la ville jusque-l.'i on va par grands sentiers et allées de tous coste/.. Elle est environnée d'orengers et de rommarins et de tous autres arbres fructueux tant en yver que en esté, à si grand quantité que c'est chose inestimable. Ledit jardin est clos de murs en carré, et il est si beau que il ne sauraye escripre en la vie d'homme. Environ ceste maison sont les belles fontaines, les viviers pleins d'oyseaulx de toutes sortes et si estranges qu'on ne sauroit penser. De l'autre costé le beau parc où sont les grosses bestes à foison, la garenne de coimins et de lièvres, l'autre garenne de faisans, de perdrix, et il semble que tout v soit fait par désir humain, car par mon souhait ni par celui d'homme vivant rien ne pourroit advenir de plus à nature humaine.... » (De la Pilorgerie, Campagnes et Bulletins Je la grande Armée d'Italie commandée par Cliarles VIII, p. Ii/i.) Voy. aussi Burchard, Diarium, t. II, p. 174. 120 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. I.c iiK-daillciir Guaccialotti ou Giiazzalotti de Prato nous a conserve les traits du duc de Calabre (vov. la gravure ci-contre). Sur le revers d'une de ces médailles le duc est représenté assistant .'i im sacrifice fait au dieu Mars. Quel signe des temps ! La femme du duc de Calabre, HippoKte Storza, rille du duc François, comptait parmi les princesses les plus savantes de la Renaissance, copiant de sa main les manuscrits des auteurs classiques, possédant le latin au point de pouvoir iiaranguer publiquement un pape. (\'o\-. plus loin le chapitre consacré .'i la Lomhardie.) On manque d'intormations sur les .uitres protecteurs des artistes à Naples. Bornons-nous à rappeler le souvenir du cardinal Olivier Caraffa (f l.~'ii), qui enrichit Rome de plusieurs ouvrages importants (voy. ci-dessus, p. ni2). Jovien Pontano (i420-i5o3), le fameux ministre, historien et poète du roi Ferdinand, a perpétué sa mémoire par la construction de la « Capella Pon- taniana », située près de l'église Pietrasauta (via Piu'gatorio ad Arco). Cet oratoire, élevé en 14').!, se distingue par une simplicité de bon goût; les' inscriptions en font le principal ornement'. Par un de ces soubresauts si fréquents dans Ihistoire des lettres ou des arts, à moins que l'on n'y voie de mystérieuses affinités électives, la plupart des artistes marquants qui ont laissé leur trace à Naples devaient également faire fortune en France et devenir dans notre pays les principaux artisans de la Renaissance. Fran- cesco Laurana sculpta dans la Provence et dans le centre, à Marseille, à Avignon, au Mans, les monuments que l'on sait. Giuliano da San Gallo, non content de relever les principaux monuments antiqiies de notre Midi', tra\ailla pour le car- dinal Julien délia Rovere, le futur pape Jules II, dans le Comtat Venaissin. Fra Giocondo et Modanino passèrent du ser\ice de la cour de Naples à celui de Charles \'III, qui les emmena à Amboise. Et qui sait si ce "N'incenzo da Cor- tona, qui en I4i).') exécutait pour le roi Ferdinand des modèles de forteresses, n'est pas le père de Domenico da Cortona qui avait h même spécialité et qui. plus connu sous le surnom de Boccador, devait si étroitement lier son souvenir .1 celui de la reconstruction de l'Hôtel de ville de Paris ? Serait-ce donc que notre Renaissance française, avec sa naïveté touchante, ses saintes ardeurs, est iille de la Renaissance napolitaine, cet art hybride et corrompu ? Grave question qui sera examinée à fond dans un des volumes suivants. On remarquera, dans le royaume de Naples, aussi bien que dans les Etats Romains, dans la Toscane, dans la A'énétie et dans la Lombardie, que les villes 1 . La façade est gravée dans le M:isw Boiboiiico, t. XIV ; des relevés manuscrits se trouvent à l'École des Beaux-Ans de Paris, parmi les dessins de Clerget. — Cf. Galante, Guida sacra dcUa ciltà di Kapoli. N.aples, 187.3, p. i63. 2. Vov. le travail que j'ai publié en collaboration a\cc .M. Je Laurière dans les Mémoires dr la Sociiic des Anliquairis de Fraïur, li)o.T. LA SICILE. qui avaient déployé le plus d'ardeur au moyen âge sont précisément celles qui s'effacent le plus au quinzième siècle. Du côté de la mer Tyrrhénienne, le Mont Cassin, Capoue, Bénévent, Amalh, Ravello, Salerne, si fécondes pendant la domination des Xormands, des Souahes et des princes d'Anjou, se bornent à vivre sur leur passé. Dans la Fouille, sur la mer Adriatique, Foggia, Lecce, Barletta, Trani, Bari, Brindisi, Otrante, Troia, laissent passer la Renaissance avec non moins d'impassibilité. Un peu mieux partagées, les Abruzzes, avec des villes telles que Aquila, Amatrice, Atri, Chieti, Solmona, Tagliacozzo, Teramo, comptent, d'après les relevés de M. Bindi, une trentaine d'artistes pour tout le quinzième siècle, entre peintres, sculpteurs, architectes, miniatu- ristes et orfèvres. A Aquila, ville restée à moitié libre, les admi- nistrateurs de l'église Saint-Bernardin comman- dent aux délia Robbia deux retables qui existent encore, V Assomption et le Couronnement de la Vierge. Cette intervention de la Toscane n'a rien que de bien naturel dans une ville qui avait élevé une église en l'honneur de saint Bernardin de Sienne. .Médaille du duc de Calabre, par Guaccialotti. Par une contradiction fréquente chez les Ita- liens de la Première Renaissance — on en trouve des exemples marquants à Urbin, à Venise et à Gênes — l'importation flamande alternait ;\ Naples avec l'importation florentine, formant avec elle un amalgame bizarre'. Nulle part ailleurs on ne rencontre un aussi grand nombre de tableaux de l'Ecole de Bruges (^Annonciation de Jan Van E}-ck, Scènes de la Passion de Roger \'an der Weyden, Christ trônant de Petrus Christus, etc.). Pas plus que les littérateurs ou les savants (il suffit de nommer Antonio Beccadelli de Palerme, Porcellio de Naples, Pomponio Leto et le nouvelliste Masuccio, tous deux de Salerne ou des environs, les Simonetta, originaires de la Calabre, devenus Milanais par adoption)', les artistes de talent ne manquaient dans le royaume de Naples, « il Reame » tout court, comme disaient les Italiens, car les autres États, voire les plus puissants, n'étaient que des duchés ou des marquisats. Rappelons les noms des sculpteurs Silvestro Ariscola d'Aquila, Niccolô de Bari, qui exécutait Bologne une partie delà châsse («arca») de saint Dominique, d'où son surnom de « Niccolo dell' Arca « ; du peintre Antonello, de Messine; du frère Jean, de Naples, brodeur célèbre, qui travailla 1. J'en ai rapporté les preuves dans la Renaissance au temps de Charles VIII, p. 42'!, ainsi que Jans un article du journal l'Art, 188.Ï, t. II, p. 154-160. 2. Masuccio, le seul nouvelliste italien du quinzième siècle, ou peu s'en faut, a eu l'honneur de fournir à Shakespeare le thème de Roméo et Jiilielle. E. Mùnlz. — I. Italie. Les Primitifs. 16 122 iiiSTdiKi: Di; i.'AKi' i'i;M>.\N'r i.,\ ki-aaissanci:. pour le pape Eugène IV '; du frère Salvo Casetta, de Païenne, architecte habile, tixé à Rome sous le pontificat de Sixte IV -, pour ne point parler du n^ystèrieux Colantonio del Fiore, ni de Ténigmatique Antonio Solario, surnommé le Zin- garo. Mais la plupart d'entre eux durent chercher tortune au dehors. En Sicile, à Palerme, à Messine, à Termini, le mouvement des arts et des industries qui y ressortissent s'accentua vers la fin du quinzième siècle. En 1487, les sculpteurs et constructeurs fondèrent à Palerme une corporation, « una maestranza »; en 1499, la même ville comptait plus de soixante charpentiers et autres maîtres travaillant le bois (« legnajuoli »). Les Lombards, si actifs partout, n'avaient pas manqué d'y fonder une importante colonie. Parmi ceux de ces hôtes du Nord dont les noms nous sont parvenus, il faut citer en pre- mière ligne Domenico Gagini, de Bissone (près de Lugano, déj.'i fixé à Palerme en 1463), chef d'une dynastie qui devint rapidement illustre dans les annales de l'art sicilien"'. Deux autres Lombards, Pietro di Bonate et Giorgio de Milan, et le Dalmate Francesco Laurana exécutèrent, à Palerme, à Monte San Giu- liano, à Xoto et à Termini, entre i4(xS et 1487, d'intéressantes sculptures, que l'admiration publique a sauvées de la destruction. Quant à la peinture, elle oscilla entre l'influence des Florentins et celle des Flamands. Si le Triomphe Je la Mort, peint à F « Ospedale Grande » de Palerme, a pu être revendiqué en fiveur d'un Flamand, la Saiiilc Cécile d'Antonio Crescenzo, dans la cathédrale de la même ville (147(3), révèle l'étude des modèles du continent italien'. 1. Le P. Marchtsc, Mcinciie, 4° c-dil., t. I, p. .^.3,i. 2. Di Marzo, / Gagini, t. I, p. i5. 3. Voy. G. di Marzo, / Gagini, t. I, p. 21-23, 26 et suiv., 67. 4. Janitschek, Reperlorium, 1876, p. 368. l-a planèle .Meiùure. (Fragment d'une yin\uie Je Uaccio lialJini.) kjUgmiipJIÏIM g^^^^SW^^nm BWWMHnWMWBWWPHtffyeat^gffBB!»^ l'riï^e J'Hnranl^. par Donalcllo (Miisjtj nalional du Florence CHAPITRE IV LA ROMAGXE ET LES MARCHES. RIMIXI ET LES MALATESTA. AU QUINZIÈME SIECLE. PESARO ET ALEXANDRE SFORZA. FRÉDÉRIC DE MOXTEFEI.TRO. — FORLI. — AXCÔXE. UXE COUR PAÏENNE URBIN ET LE DUC i les Roinagnols, « race de héros ou race de criminels' », ont excellé en beaucoup de choses, ce n'est point assu- rément dans-les arts. Cette impuissance n'a pas empêché les amateurs de grouper autour d'eux des artistes du plus grand mérite, des Florentins pour la plupart. A Rimini, à Pesaro, à Césène, à Fano, s'agitent les derniers repré- sentants dune maison fameuse, dès le douzième siècle, par ses crimes autant que par ses talents, héritiers de ces Malatesta, tous tètes exaltées, les uns flétris par Dante (on se rappelle le touchant épisode de Françoise de Rimini, femme de Jean Malatesta), les autres célébrés par Pétrarque, et qui portaient les noms si caractéristiques de Malatesta le Centenaire, de Paul le Beau, de Malatesta des Sonnets (ainsi nommé .'i cause de ses poésies), de Galeotto le Saint, tour à tour alliés ardents ou ennemis irréconciliables des papes. A l'époque dont nous nous occupons, Charles Malatesta (i3C)4-i42q) se distinguait par son goût pour les lettres et pour les arts. Il entretenait les relations les plus affec- tueuses avec les humanistes florentins, réunit une belle bibliothèque et eut l'honneur d'attacher à son service, en 141"), le jeune Ghiberti, alors âgé de I . Reclus, Giv^'iciphic iiiiiversclU- 124 HiSTOiRi; i)i: L'ART pi:Nr)\Ni LA ri:naissance. vingt-deux ans seulement. Quoique Ghiberti ne travaillât pour lui qu'eu qua- lité de peintre (il s'occupait de décorer les salles de la résidence de Riniini), Charles l'apprécia assez pour lui offrir une situation exceptionnelle s'il con- sentait à rester à son service; mais le concours pour les portes du Baptistère venait de s'ouvrir et le jeune Ghiberti n'eut pas à regretter pour sa gloire d'a\oir refusé les oftres du souverain étranger pour répondre à l'invitation de sa patrie. Le vrai Mécène selon le cœur des archéologues tut Sigismond Malatesta (141 7-1468), le spirituel, tastueux et turbulent tyran de Rimini. Autour de lui, les représentants les plus ardents de la culture classique, soit comme savants, soit comme littérateurs ou artistes. Ce n'est pas une église qu'il b.itit, mais un temple; ce n'est point à un saint qu'il dédie ce temple, mais à sa maîtresse, la belle et savante Isotta, « diva; Isott;t sacrum »; aux reliques des martyrs il substitue les ossements d'humanistes fameux, entre autres de Gémiste Pléthon, dont il était allé chercher en Grèce la dépouille mortelle. Pour décoration, dans ce Panthéon d'im ncni- \eau genre, auquel on a accolé, on ne sait trop pourqLioi, le nom de saint François, et qui dut être tout étonné de voir officier des prêtres chrétiens, non des pontifes romains, les sujets les plus protanes, les Scifiices, les Arts, les Planètes, les Signes du Zodiaque. Les emblèmes sacrés sont remplacés par une ornementation bizarre, exotique, fan- tastique : là où l'on sculpte d'ordinaire des chérubins se développent des éléphants, emblèmes des Malatesta, les chiffres entrelacés du fondateur et de sa maîtresse, des fleurs de lotus. « Cinq cents écussons ou devises, cent bas- reliefs, trois sépulcres, vingt statues, toute une flore ornementale qui végète aux parois des parties supérieures, constituent, dit M. Yriarte, lui ensemble d'ornementation d'une parfaite unité, malgré tant de richesse; et pas une seule fois, dans cette maison de Dieu, élevée sous l'invocation de saint François, on ne trouve le souvenir des choses saintes, le signe de Rédemption, les images sacrées ou les divins symboles'. » Léon-Baptiste Alberti, le fougueux champion des anciens, le Rienzi de l'art du quinzième siècle, était bien l'auxiliaire qu'il fallait à un Sigismond Malatesta. Efftcer d'un trait de plume le moyen âge et l'antiquité chrétienne, revenir purement et simplement aux pratiques et au stvle de l'Empire Romain, tel était le rêve caressé par cet esprit audacieux, qui a poLir excuse la sincérité de son enthousiasme et l'élévation de sa pensée. I. Un Coudoltiirc au cjiiiii:^uiiic jvVv/i'. Rimini. Eludes sur les If lires cl les iiris il lu Cour tics MiilaksUi. Paris. Rothschild, iflfi^. MtLiaiUc de Si^ismoïKl .Malalcsla. par Pisanellu. 126 PIISTOIRE DE I,-\RT T'F.ND.WT LA RENAISSANCE. 0- ■;2'^::'^>*N„ ^ L'architecte et médailleur Matteo de' Pasti ne péchait pas davantage par excès de convictions religieuses, lui qui n'avait pas hésité, à certain moment, à entrer au service de Mahomet II. Le triumvirat était complété par un sculpteur d'inii- niment de talent, mais sans la moindre moralité, Agostino di Duccio, chassé de sa patrie, Florence, pour toutes sortes de métaits. Lorsqu'il s'agit de placer sa propre effigie dans le temple, Sigismond fit appel au maître le plus savant, mais aussi le plus sceptique, de toute l'Italie, observateur impeccable, poète vérita- blement inspiré dans le rendu des jeux de lumière, mais dont le cœur semble n'avoir jamais battu, les fibres jamais tressailli : j'ai nommé Piero délia Fran- cesca, le créateur de tant de figures aussi belles qu'impassibles. Jamais encore on n'avait plus complètement fait abstraction de la tradition vivante et des besoins contemporains, pour revenir à une civilisation morte; jamais encore la raison pure n'avait à ce point étouffé les sentiments qui font les grands princes et les grands artistes. Aussi le temple des Maletesta, autour duquel gravite le mouvement provoqué par Sigismond, n'oftre- t-il d'intérêt que pour l'historien curieux de vérifier une loi psychologique; et sans la chaude et lumineuse restitution de M. Charles Yriarte, qui se douterait aujourd'hui que la cour de Rimini a été, pendant près d'un demi- siècle, un des centres d'art les plus actifs de l'Italie ? La mort de Sigismond, en 14'iM, mit fin à cette floraison toute factice. Son fils Robert eut ;\ compter avec trop de difficultés pour reprendre le rôle de Mécène, cher à son père : ce furent d'abord ses luttes avec sa belle-mère Isotta et ses frères consanguins, qu'il parvint à renverser du pouvoir et qu'il fit massacrer; puis ses expéditions militaires pour le compte de l'Eglise. On s.iit que, vainqueur du duc de Calabre à la bataille de Xettuno, ce prince valeureux succomba au milieu de son triomphe (14'^:;). Un bas-relief funéraire, autrefois à Saint-Pierre de Rome, aujourd'hui au musée du Louvre, est tout ce qui reste de lui au point de vue de l'art. Pour être plus long, le règne de son fils Pandoltaccio (1482-1532) n'en tut que plus terne, jusqu'au moment où son petit Htat fut réuni aux possessions de l'Église. On aurait peine à découvrir quelque entreprise d'art digne d'être rappelée. Tout au plus l'industrie des faïences semble-t-elle avoir pris quelque développement à Rimini vers la fin du siècle; nous savons du moins que Pandoltaccio envova en i 400 des vases de fabrication indigène à Laurent le Magnifique'. La forteresse des .Malalesla au XV" siècle. Revers d'une médaille de Matteo de' Pasti. I. G.nyc, Caileggic, t. I, p. 304-.111.S. SK.iSMi iM) \i \i,\ ri;si\. Donicnico Miikitcsta ou Malatesta Novello (1418-1465), frère puîné de Sigismond, nature timide, prudente, recueillie, autant que celle de son frère était emportée et inquiète, a concentré son activité sur sa résidence Césène'. La fondation delà bibliothèque de cette ville, construite en 1452 par iMatteo Nuti de Fano, et qui s'est conservée intacte jusqu'à nos jours, comme l'imprimerie des Plantins à Anvers, est son principal titre de gloire. Une belle médaille de Pisanello nous a transmis les traits, empreints d'une douceur et d'une distinction rares, de ce représentant de la branche bénie des Malatesta. Vers la tin du siècle, Césène s'enrichit d'œuvres d'art intéressantes aux- quelles se rattachent les noms de Bramante, des Lombardi et de F. Francia. La loneicbot; Jes Malalesla au xi.x' oiccle. A Pesaro, après que cette ville eut été perdue par les Malatesta, Alexandre Storza (1409- 1473), frère du grand François Sforza (qu'il n'hésita pas, au cas échéant, à sacrifier à d'autres alliances) et père de la savante Baptiste Sforza, l'épouse de Frédéric d'Urbin, fonda, comme devaient le faire son gendre et son voisin Malatesta Novello, une bibliothèque dont Vespasiano, juge quelque peu intéressé en pareille matière, car il était libraire, ^■ante l'excellente composition ". 11 accueillit avec bienveillance Mathieu Strozzi, ce délicat ami des lettres et des arts, ce digne père de Philippe Strozzi, lorsqu'il fut exilé de Florence en 1434; mais cet amateur distingué, qui aurait pu tant faire pour la propagande de la llenaissance, mourut malheureusement au bout de quelques mois^. Un autre Florentin, Brunellesco, dessina pour Sforza le projet de la forteresse du port '. — Constant Sforza, fils d'Alexandre (1447-147.^), continua la tradition paternelle. 1. Yriartc, Riniiiii, p. 3(X) et suiv. 2. Fite, p. ii3-ll6. — Cf. d'Adda, IiitUigiiii, t riuni, p. 35-36. 3. Guasti, Akssandra Macinghi iiegli Stroni, p. .\xi 4. Vasari, t. II, p. 36o. I, p. 1.10. — Cyriaque d'Ancùiit;, Ilincnt- \ 128 HISTOIRE DE I.ART PENDANT LA RENAISSANCE. Faenza, célèbre dès lors par ses faïences, eut l'honneur d'occuper un instant le grand Donatello, dont plusieurs ouvrages, un buste de jeune garçon en marbre, une statue en bois représentant saint Jérôme, ornent encore la biblio- thèque municipale. Plus tard (1474), cette cité fit élever une cathédrale à trois nefs, imitée des basiliques florentines de Brunellesco', et commanda à Bene- detto da Majano l'élégant tombeau de saint Savin, orné de six petits bas-reliefs sur lesquels nous reviendrons. Le groupe des artistes indigènes ne manquait cependant pas d'importance : on a découvert jusqu'ici les noms de dix-neuf peintres de Faenza vivant au quinzième siècle". Les Manfredi, seigneurs de la ville, ne semblent pas avoir fait preuve d'un goût bien caractérisé. L'un des derniers d'entre eux, Galeotto, est surtout /T^^'^^'^î^r'^ célèbre par sa fin tragique (14^^) : il tomba .,<^" Av;-^.;V^v V'^'^N sous les coups de sa femme, une Bentivoglio, 'V ^*'- ""-■"?' ' ''A qui lui reprochait ses infidélités. — Les Man- fredi passent pour avoir donné l'hospitalité, neuf années durant, à Bramante; mais cette légende est combattue par l'historien de ce maître", et la cathédrale, commencée en 1474, semble ne rien devoir à l'illustre architecte urbinate. Médaille de MalalesUi Noveilo, par Pisaneiio A Raveune, si riche en souvenirs de la domi- nation des Goths et des Byzantins, un seul monument de quelque importance, le mausolée de Dante par Pietro Lombardi (1482), rappelle la Première Renaissance. Urbin, la plus inconnue des villes bâties sur les cimes abruptes de l'Apen- nin central, sur le versant qui regarde l'Adriatique, au point de jonction de l'Ombrie et des Marches, Urbin doit à la Renaissance sa prospérité, hélas ! bien éphémère, et sa gloire qui ne périra pas. Nul exemple plus frappant de ce que peut, dans le milieu en apparence le plus ingrat, l'action d'un Mécène géné- reux et intelligent'. Le comte Guidantoiiio de Montcfeltro, par le règne duquel (14(1.1-144,1) le 1 . Burckhardt et Bodc, Ciccroiie. 2. Valgimigli, dei Pittori e degli Arlisti Jth'ntini i/c" secoli XV c XVI. Faenza. Conti, 1871. .3. De Gevmûller, les Projets primitifs, p. 27, 28. 4. BiBL. : Vespasiano, Vite di tioiiiiiii illiistri, éd. Bartoli, p. 72-112. — Baldi, Descri-ioiic del Paldyio diicalc d'Urbino (l.^87), nouv. édit. Florence. Lemonnier, i85g, p. .^.iS-Sgo. — Dennis- toun, Memoirs of the diihes 0/ Vrbino. Londres, i85l ; 3 vol. in-8°. — Delahorde, Etudes sur les Beaux-Arts en France et en Italie, t. IL — Passavant, Raphaël d'Urbin. — Arnold, der her^og- liche Palast von Vrbino. Leipzig, i856-l8.Î7, in-fol. — Mùntz, Raphaël, 2" édit., et la Renais- sance au temps de Charles FUI, p. 3.Î4-371. — Schmarsow, Melono da Forli. Berlin. Spemann, 1886. — Le même, Gioimiiii Saiili. Berlin. Hanck, 1887. — // Raffaello, recueil publié à LVbin ; 1869 et années suivantes. c.rinANTONio \n: montkfkltro. 120 quinzième siècle s'ouvre à Urbin, se distingue par ses vertus guerrières — c'est une des qualités maîtresses de ce petit peuple, — non moins que par la sagesse de son gouvernement. Il tenait néanmoins du condottiere, comme toLis les princes italiens du second rang, prêt à vendre son épée au plus offrant : Bas-relief funéraire de Robert .Malatesta. (Musée du Louvre.) c'est ainsi qu'il servit et combattit tour à tour le pape et le roi de Naples : exemple qui fut suivi par son fils immortel, le duc Frédéric. Les souverains d'Urbin ne se piquaient d'esprit de suite que dans leurs rapports avec leur voisin, le seigneur de Rimini, le turbulent et audacieux Sigismond Malatesta : vis-à-vis de lui ce tut une lutte de tous les jours. Guidantonio parvint, par les armes comme par la diplomatie, à arrondir son petit État, qui empiétait sur l'Ombrie (avec Gubbio) aussi bien que sur la Marche d'Ancone; il réunit un trésor considérable et fonda la grandeur de K. -MiiiUz. — 1. Ualie. I^es Primitifs. 17 1,50 IIISTOIRI': L)l-: I.ART PENDANT LA R1:NA1SSANC1:. sa maison. Mais rien ne nous prouve qu'il ait témoigné quelque intérêt aux arts de la paix, ni pris couleur dans la grande lutte entre les novateurs et les partisans du passé, cette lutte qui commençait à passionner toute l'Italie. Le seul artiste de marque qui travaillât à Urbin pendant son règne fut Ottaviano Nelli, un peintre ombrien passablement attardé, dont nous aurons l'occasion de dire un mot dans la suite. Lorenzo et Jacopo de San Severino exécutèrent en 1416 les fresques de l'oratoire de Saint-Jean-Baptiste, ouvrage fort intéres- sant, mais où l'on chercherait en vain quelque trace de l'esprit nouveau. Quand nous aurons nommé le peintre Antonio Alberti de Ferrare (1439), artiste des plus médiocres, nous aurons épuisé la liste de ceux des maîtres qui firent quelque figure à Urbin au début du quinzième siècle'. Quoique perdue au milieu des montagnes, cette ville recevait de temps en temps la visite de quelque hôte illustre, qui, s'il n'apportait pas avec lui les chaudes et vibrantes aspi- rations de la Renaissance florentine, éveillait du moins par son exemple le goût de la magnificence chez une population sobre et pauvre. Guidantonio laissait deux fils : l'un, légitime, Oddantonio, qui se rendit fameux par ses débauches et qui mourut assassiné après une année de règne seulement; l'autre, illégitime, Frédéric, qui porta si haut la gloire de la maison de Montefeltro'. Frédéric, né en 142:, avait été élevé à Mantoue, sous la discipline du noble et vertueux \'ictorin de Feltre, une des figures les plus propres à honorer et à foire aimer l'humanisme, le maître vénéré à qui les princes de la maison de Gonzague durent leur haute moralité et leurs ardeurs généreuses. Frédéric ne comptait que vingt-deux ans quand il fut appelé, en 1444, à succéder à Oddan- tonio, au milieu de difficultés sans nombre, dont il ne triompha que grâce à son énergie indomptable, grâce à ses talents militaires, qui furent de premier ordre. Époux en premières noces de Gentile Brancaleoni, qui lui apporta en dot les villes de Sant' Angelo in ^'ado et de Mercatello, il épousa en 1459 Battista Sforza, fille du seigneur de Pesaro, âgée de treize ans seulement. Un héros et un sage, général vainqueur dans de nombreuses batailles, adnn- nistrateur actif et intelligent de son petit duché d'Urbin, dont il fonda la pros- périté, protecteur enthousiaste de la littérature et de l'art, nature essentiellement généreuse, esprit essentiellement pondéré, tel fut Frédéric de Monteteltro. Dans ses Vies d'I.'oiniiics illuslres, ^'espasiano dei Bistici nous trace le tableau le plus iiai'f et le plus attachant de cette existence si remplie, consacrée tout entière aux tâches les plus hautes. J'ai peine à résister à la tentation de traduire intégralement cette biographie curieuse, qui n'est pas connue dans notre 1. On trouvera quelques autres noms dans VElogio stor'tco Ji Giovanni Santi, par Pungilconi ; Urbin, 1822, p. 48 et suiv. 2. En admettant cette filiation, qui a été discutée, je suis l'opinion Je M. Ua;olini, le dernier en date des historiens d'Urbin. FREDERIC DE MONTEFELTRO. loi pays. Le lecteur me saura gré d'en détacher du moins quelques traits épars. La cour de Frédéric était gouvernée comme une maison de religieux, quoi- qu'elle comprit un train de cinq cents personnes ou davantage. Là, ni jeux ni jurons, mais les conversations les plus décentes. En été, le matin, à l'aube, le duc sortait à cheval, accompagné de quatre ou de six cavaliers, tous sans armes. Au retour, il entendait la messe, puis donnait audience à n'importe lequel de ses sujets. Quand il se mettait à table, il faisait ouvrir les portes à Vue d'I'rbin, prise du côté du palais ducai. deux battants et laissait entrer qui voulait. Les aliments n'avaient rien de recherché : il ne buvait pas de vin, si ce n'est du vin fait avec des fruits, avec du miel, et ne mangeait pas de ces plats sucrés qui, sous le nom de « con- fetti », jouaient un si grand rôle dans la cuisine des Italiens de la Renaissance. Pendant le repas on lui faisait la lecture à voix haute : en carême, on lui lisait des écrits religieux; le reste de l'année, les Décades de Tite-Live en latin. Une fois la table levée, un juge lui exposait, en latin, les causes frappées d'appel; le duc prononçait son arrêt, également en latin, avec une compétence à faire envie à Bartolo ou à Balde. Le reste de la journée était consacré à l'expédition des affaires courantes, à des audiences, à des lectures. Vers les vêpres, le duc allait visiter quelque cou- vent d'Urbin ou des environs, où il prenait plaisir à voir les jeunes gens se livrer à toutes sortes d'exercices. La journée se terminait par un souper, suivi de doctes conversations avec ses favoris. lllS'IOIRi; Di: l.ART PKNDAN'l- l.\ RKNAISSANCi:. Le duc, ajoLite ^'espasi;lno , avait les connaissances les plus sérieuses en matière de littérature; il n'était pas seulement foniiliarisé avec les Saintes Ecri- tures, mais encore avec la philosophie, à l'étude de laquelle il s'appliqua plu- sieurs années durant, sous la direction d'un homme rare, qui s'appelait maître Lazzaro, et qu'il iit ensuite nommer évèque d'Urbin. Il étudia et discuta avec lui V Ethique d'Aristote , 11(11.1 - -iiiii-pipy la Politique, la Physique. La théologie succéda aux sciences profanes; il se ht lire une partie de saint Thomas d'Aquin, pour lequel il éprouva toute sa vie une grande vénération. D'innombrables autres au- teurs, dont Vespasiano a dressé une liste minutieuse, firent l'objet des délices ou des méditations de son noble client. Ne dirait-on pas, à voir une telle acti- vité, ou que les hommes avaient alors un cerveau plus vaste ou que les jour- nées étaient plus longues? Il était rare qu'im lit- térateur ou un s.ivant de mérite ne reçût pas de lui quelque témoignage de bienveillance. A Campano, par exemple, qui se trou- vait dans le besoin, il fit don de looo ducats ou davantage. Un érudit, un écrivain, venait-il à L'rbin, le duc lui faisait honneur ou l'hébergeait dans son palais. II ne regarda .i nul sacrifice pour enrichir sa bibliothèque : dés qu'il entendait parler d'un ouvrage précieux, soit en Italie, soit au dehors, il s'eftbrçait de le conquérir. Il entre- tenait régulièrement à Urbin, à Florence et dans d'autres lieux de trente à quarante copistes. La poésie, l'histoire, la philosophie, la théologie, se trou- vèrent ainsi successivement représentées dans sa bibliothèque par les ouvrages les plus célèbres. La Bible fut transcrite en deux volumes, qu'il fit enrichir de superbes miniatures, recouvrir en brocart d'or et garnir de fermoirs en argent. Les vivants avaient part à sa sympathie aussi bien que les morts : le pape Pie II, Ambroise le Camaldule, Léonard Bruni, Gianozzo Manetti, avaient leur place HaUisla Slorza, duchesnc d'Urbin, par Piero tiella Francesca. (iMusée des Offices à Florence.) FRÉDÉRIC DK MONTKFKLTRO. marquée à côte de Coluccio Salutato, de Boccace, de Pétrarque, de Dante. Il admit même, en bibliophile que rien n'effraye, les écrits du licencieux Antonio Beccadelli de Palerme. Ce qui distinguait la bibliothèque ducale d'Urbin, ce fut, toujours au témoi- gnage de ^^espasiano, l'équilibre qui régnait dans toutes ses sections. En com- parant les inventaires de collections analogues, que r~---------r-T''5---'-^rïr?î~rTrs? le duc avait tait venir de toutes les parties de l'Eu- rope, voire d'Oxtord, on constatait que le même ou- vrage y figurait en plu- sieurs exemplaires, tandis que d'autres y brillaient par leur absence. Nulle trace de ces impertections à Urbiii. Cette colk-ction, dont l'accroissement était prin- cipalement dû aux efforts, d'ailleurs nullement désin- téressés, de ^'espasiano, coûta au duc qtielque chose comme .-ioooc) ducats (un million et demi de trancs); elle comprenait 772 ma- nuscrits, dont ')?> grecs et 72 hébreux. On sait qu'elle forme aujourd'hui un des principaux fonds de la bi- bliothèque du \'atican '. Pour ce prince qui sut si bien organiser sa vie, le culte du beau sous toutes ses formes n'était pas seulement un exemple qu'il devait à son pays et à son temps, c'était également un besoin vital. Aussi jamais Mécène n'apporta-t-il moins d'ostentation dans ses entreprises. Les loisirs de Frédéric étaient partagés entre l'enrichissement de sa bibliothèque, la construction et l'embellissement de son palais d'Urbin, dont il voulait faire — ce sont ses propres expressions — « una hahitatione bella e degna quanto si conviene alla conditione e laudabil fama delli nostri progenitori et anco alla conditione nostra » '. .Sa bibliothèque 1. L'inventaire en a été publié dans le Gioiiiiil,- slon'co tJ('i;li Arcliivl tciscaiii, 1^12-18^.1. Vov. aussi : Il RaffaeJlo, 1H74; t. VI. :. Gave, Carteggio, t. I, p. 214. Frédéric, duc d'Urbin, par Piero délia Fiancesca. (Musée des Offices à Florence.) s. i34 IIISTOIRR DE L'ART PEXnANT LA RENAISSANCE. lui fournissait la matière de lectures quotidiennes, que quatre courtisans avaient pour mission de taire à voix haute pendant les repas. Quant au palais d'Urbin, comme d'ailleurs pour les palais de Gubbio, de Cagli, de Fossombrone, de Castel Durante, et les innombrables citadelles réédifiées par ses soins', les plans en étaient l'œuvre personnelle de Frédéric. Son libraire et biographe, A'cspasiano dei Bisticci, nous dit formellement qu'après avoir pris l'avis des architectes, le duc indiquait à son tour les mesures des édifices à construire; il semblait, ajoute-t-il, à l'entendre raisonner sur de telles matières, qu'il eût passé a vie à cultiver cet art. Aussi le palais ducal d'Urbin passait-il pour « il più degno edifizio » du temps, le plus harmonieux et le mieux compris. Le duc lui- même, dans les lettres patentes de la nomination de Luciano de Laurana au poste d'architecte en chef du palais (1468), proclama la « virtù » de l'archi- tecture fondée, dit-il, sur les arts de l'arithmétique et de la géométrie, « qui tout partie des sept arts libéraux ». Quoique l'existence de Frédéric se soit prolongée jusque fort avant dans le dernier quart du quinzième siècle, le mouvement qu'il provoqua autour de lui n"a ni la liberté ni l'éclat que l'on trouve dans les villes de plaine, à Florence, à Rome, à Milan. Ne le dissimulons pas : il }• a encore quelque chose d'un peu raide et solennel, pour ne pas dire de pédant, chez ce brave. Mécène, de même que chez sa digne moitié, Battista Sforza, qui s'exprimait en latin avec une si grande facilité. Dans les pavs de montagnes, on le sait, les traditions se laissent diffi- cilement déraciner; mais si les manières sont demeurées graves, le langage sententieux, l'accoutrement suranné, il n'en ftut que plus admirer la netteté et la décision de Frédéric toutes les fois qu'il se trouvait en présence des artistes. Chacun de ses coups portait, sur les champs de bataille comme dans les luttes artistiques. En s'attachant les architectes Luciano de Laurana, Francesco di Giorgio Martini et Baccio Pontelli, c'est-à-dire trois des champions les plus décidés de la Renaissance, en commandant son portrait et celui de la duchesse à Piero délia Francesca, et les personnifications des Sciences à Melozzo.de Forli, le Mécène d'Urbin montra clairement que ses svmpathies étaient acquises aux champions de la Renaissance, non à ces maîtres hybrides qui, comme les Cosimo Rosselli, les Piero di Cosimo, les Giovanni Santi, les Francia, flottaient entre l'ancienne et la nouvelle école. Combien il était ami du progrès sous toutes formes, que celui-ci vint d'Italie ou de l'étranger, il le montra en outre en appelant auprès de lui le Flamand Justus de Gand et en le chargeant de peindre les portraits de philosophes, de savants ou d'amateurs, dont une partie orne aujourd'hui la galerie des Sept Mètres, au Louvre, et l'autre le palais Barberini. Certes, Justus était un réaliste grossier; mais en sa qualité de Flamand il con- naissait à fond les secrets de la peinture à l'huile, supériorité toute technique qui parut suffisante à Frédéric pour justifier son choix. 1. L;i liste en a été publiée par Vespasiaiio, File, p. 111. FRÉDÉRIC DI-: MONTEFELTRO. i5ô Assurément, le grand peintre qui devait naître à Urbin une année après la mort de Frédéric — le lecteur a nommé Raphaël — ne put trouver que peu d'enseignements dans les fresques ou tableaux commandés ou aciietés par le vieux duc : il en était réduit à copier, dans l'album aujourd'hui conservé à \'enise, les mauvais portraits de Justus de Gand. Mais il n'en avait pas été de même d'un autre artiste illustre, né quelques années auparavant dans les États de Frédéric; le palais d'Urbin, si ample, si harmonieux, si véritablement moderne dans sa disposition, servit de premier modèle au prince des architectes de la Renaissance, à Bramante, pour développer et porter plus tard à sa perfection le style de Luciano de Laurana'. (Par suite de quelle distraction Frédéric laissa- t-il partir, sans même le mettre à l'essai, ce maître éminent !) L'exemple de Frédéric d'Urbin, de même que ceux du roi Alphonse de Naples, du pape Nicolas V et d'Alexandre Sforza, seigneur de Pesaro, fournira toujours un argument victorieux à ceux qui tenteront de défendre la Renais- sance du reproche d'avoir corrompu les mœurs. Pour quelques natures vicieuses, et dont les penchants se seraient tait jour même indépendamment du retour aux idées de l'antiquité et de l'affaiblissement des convictions reli- gieuses, que de nobles figures chez lesquelles les vies des grands hommes de Plutarque, les enseignements de Platon, de Cicéron et de Sénéque ont développé les plus hautes vertus ! Que de princes qui surent véritablement se montrer antiques ! Je voudrais faire vénérer et aimer, comme je les aime et les vénère, ces esprits généreux, de qui, en somme, procède la civilisation moderne en ce qu'elle a de plus noble et de plus fécond. Il faut nous borner ici à dresser une liste sommaire des artistes appelés à Urbin par le duc Frédéric, saut à leur consacrer une notice plus ample dans les sections auxquelles ils appartiennent : l'architecture, la sculpture et la pein- ture. C'étaient, outre Luciano di Martino de Laurana, Francesco di Giorgio Martini et Baccio Pontelli, et un architecte nommé Sirro de Casteldurante. Parmi les sculpteurs on remarquait Maso di Bartolomco de Florence (1451), qui fit venir de sa ville natale la terre cuite de Luca délia Robbia, encastrée aujourd'hui encore sur la façade de l'église San Domenico d'Urbin ; puis Ambrogio Baroccio de Milan, l'auteur des ornements du palais ducal. Fran- cesco Papa et Antonio di Simone décorèrent le vestibule de l'hôpital des vieillards, tandis que Jacopo de Florence exécutait en 1473 les marqueteries de Santa Maria délia Misericordia'. Parmi les peintres, la première mention est due à Giovanni Santi, le père de Raphaël (f 1494). Non content de perpétuer par le pinceau les traits de son souverain, Santi célébra en vers ses exploits et ses fondations, dans sa Chro- 1. Déb i4Î'.i l.i rcputatioii de ce p.ilais ct.iit si gr.mdu que Laurent le Magnifique cli.u'geait B.iccio Pontelli de lui en envoyer le plan (Gave, diiieggio, t. 1, p. 274). 2. Passavant, Raphaël d'Urbin, t. I, p. ,382. i.Vi lllSTnlKI-; DK i;.\K-|- 1>i;M)W1" i,.\ i4), Georgius de Parme de A'enise (1471)), Filippo Spagnolo (1477), entin Paolo Ucello, qui traversa la ville en 1408. Quatre tapissiers — Francesco de Ferrare, Nicoletto de Flandre, Ruggiero et Lorenzo — tissaient pour le duc une tenture représentant le Siège de Troie, tentures dont les contemporains sont inianimes à célébrer la magnificence. Six copistes transcrivaient des manuscrits poiu' sa bibliothèque. Frédéric ne comptait que soixante ans lorsqu'il mourut ;\ Ferrare, des suites d'une fièvre paludéenne, le 10 septembre 1482, laissant dans le gouvernement de son duché, dans la politique générale de l'Italie, dans la propagande des lettres et des arts, un vide qui ne fut pas comblé. Nous nous occuperons, dans le second vohmie de ce travail, de son fils et successeur Guidobaldo, prince non moins noble et sympathique que son père, mais que les circonstances réduisirent à un rôle infiniment plus efiacé, quoique sa cour comptât par moments des hôtes tels que Julien de Médicis, Bembo, Bibbiena, Balthazar Castiglione et Raphaël. Les artistes protégés par les comtes et ducs d'Urbin rayonnent sur les villes voisines et les défrayent aussi bien d'œuvres d'art que de fortifications, deux genres d'ouvrages aujourd'hui bien distincts, mais entre lesquels la Renaissance ne faisait pas de différence. Lam'ana est l'architecte du palais de Gubbio; Baccio Pontelli et Francesco di Giorgio Martini construisent : le premier, la forteresse de Sinigaglia; le second, celle de Cagli. Giovanni Santi travaille à Cagli, à Fano, à Gradara; puis, de temps en temps, le Pérugin fait quelque incursion dans ces régions que tant de liens rattachent à FOmbrie. s A Forli, le triompiie de la Renaissance est consacré par une série d'ouvrages intéressants : bas-reliet de la cathédrale avec la Vierge et l'Entant (taussement attribué par A'asari à Simon, le prétendu trère de Donatello) ; sarcophage de saint MarcoHn par Antonio Rossellino (145H), au musée de la ville; tombeau de Barbe Manfredi (14O6), à l'église San Girolamo, dans la manière de Desiderio da Settignano; achèvement de la cathédrale par le ^'énitien Marino Citrini (146.^). Rappelons surtout les ouvrages du peintre Melozzo, le plus illustre des ;nfants de cette cité, qui ne conserve nialheiu-eusenient plus la moindre produc- tion de son pinceau. 1. Hlo^'in slon'iV cli Giovanni Suiili, p. 47 ut suiv. Cl. li: tr.iv.iil de .M. Schmarsow. e FORLI. LORETTE. AXCONE. Le seigneur de Forli, l'ambitieux et odieux Girolamo Riario Sforza (f 1488), neveu de Sixte IV, et son épouse Catlierine Sforza (mariée en 1477, morte en 1 009), femme intrépide et dure, née pour le métier des armes plutôt que pour la culture des arts, n'é- taient très certainement pour rien dans cette flo- raison . Recanati ne compte guère à son actif que le palais du cardinal Concha, construit sur les dessins de Giuliano da Majano (1479); Sanse- verino', que quelques pein- tures de Gentile da Fabria- no, de Xiccolo da Foligno et de Pinturicchio, exécu- tées pour le Dôme; Ascoli, qu'une Pictà de Carlo Cri- velli. A Fermo et à Ma- cerata, l'indifférence et l'abstention sont absolues. Nous ne pouvons citer, dans cette dernière ville, que les incrustations des stalles du chœur de la ca- thédrale, exécutées en 1 470 par Giovanni di Stefano da iMontelpare et Battista da Monte-Vidone ". A Camerino, la tamille des \'arano se rendit plus célèbre par le culte des lettres que par celui des arts. La ville de Lorette, au contraire, fait appel, pendant tout le cours du quin- zième siècle, aux maîtres les plus éminents : Giuliano et Benedetto da Majano, Giuliano da San Gallo et Bramante, pour l'architecture ou la marqueterie; Domenico Veneziano, Piero délia Francesca, Melozzo da Forli, Luca Signorelli, pour la peinture; en attendant que les sculptures d'Andréa Sansovino et de Tribolo complètent la décoration de ce pèlerinage fameux entre tous ceux de l'Italie. Ange par .Mclozzv Ja l\jui. (Saciislie de Saint- Pierre de Rome.) 1. Patrie des peintres qui décorèrent l'oratoire do Saint -Jean -Baptiste .i Urbin. (Vov. p. i,3o.) 2. BiBL. : Vogel, âe Ecclesiis Recattaleiisi et Lauretana, Commentarius historiens. Recanati, i85q. — F. Raffiielli, di alciiiie Opeir di sciilliira c tarsia iii legito esistenli a Recanati. Fermo, l8~. E. .Munlz. — I. Italie. Les Primitif;, i38 His'rniKi-: nr: l'art pendam' i.\ renaissance. Dans la première moitié du siècle, Ancône ' — nous le savons par un de ses fils, Cyriaque, le vif, ardent et infatigable archéologue et explorateur — fut em- bellie par les soins du cardinal Condulmer, le futur pape Eugène IV'. Plus tard, PiiTO dell i Francesca peignit, poLir l'église Saint-Cvriaque, un Sposali\io ou Mariiioc df la Vierge, qui a disparu. Mieux partagée, l'église Saint-François conserve encore une petite Mtuloiie de Carlo Crivelli. Les peintres indigènes n'étaient qu'en petit nombre : on en connaît seulement six jusqu'ici pour tout le cours du quinzième siècle, et encore l'un d'eux semble-t-il avoir eu pour patrie la Toscane. Le fameux architecte et ingénieur siennois Francesco di Giorgio Martini passe poLU" l'auteur du « Palazzo del Comune >> d'Ancône. On cite encore dans cette \ille, comme lui élégant édifice de la prennère Renais- sance, le portail de la Madonna délia Misericordia. A Jesi, le palais de la Municipalité fut également construit, sous le règne d'Alexandre \'I, d'après le plan fourni par Francesco di Giorgio "'. 1. BuiL. : /,(• Pitliivv, ScuUitrc e Arcliitctliiic di Ancona. Ancône, 1821. — Ricci, Memoric slo- liik' di-Ue Aiii c ilcgli Artisti dclhi Marca di Ancona. Macerata, 1834; 2 vol. in-8° avec un appen- JicL' publié à Bologne en lfl35 par A. B. A. — Ferretti, Memorie storico-critiche dei Piitori Anco- uihini. Ancône, 188.1. — Guida di Ancona c dci snoi dinlorni. Ancône; Morelli, 1884. — Guida di Ancona descrilta nelhi sloiia c iici nioninncnli. Ancône; Santoni, 1884. 2. Mélanges d'hisloirc et d'archéologie pnbliés par V Ecole française de Rome. i88.t, p. .121. .1. Gianandrea, // Pala^^^o de] coninne di Jesi. Jesi, 187-. l'ne Sirène. Fao-siniilè d'une s^ravure Urée lIu Songe de Pol}-phile (m9<^). «. > / ^^^ V -^v " U« - ><£,\ m: -»w Tètes d'anges, par Agoslino di Duccio. (Église Saint-Bernardin a Pérouse.) CHAPITRE V l-ERRAKE ET LA FAMILLE D ESTE. LES MARQUIS NICOLAS, LIONEL ET BORSO. MODÈNE ET PARME. LES PIC DE LA MIRANDOLE ET LES SEIGNEURS DE CORREGGIO. MANTOUE ET LES GONZAGUE. BARBE DE BRANDEBOURG. BOLOGNE ET LES BENTIVOGLIO. igurons-nous un pays plat, fertile, sinon pittoresque, des communications faciles avec Bologne, au sud, Venise et \'érone, au nord, et, comme conséquence, une population aux caractères peu tranchés, active, mais sans passions généreuses (les Ferrarais sont les premiers Italiens qui se soient volontairement donné un maître au milieu des luttes du moyen âge), une cité régulière, mais pauvre en monuments du passé : telle était Ferrare au début du quinzième siècle. Aucune dynastie italienne ne compte autant de tragédies domestiques, depuis l'exécution de l'infortunée Parisina' et de son beau-fils Hugo par ordre de leur époux et père le marquis Nicolas III, jusqu'à la vengeance atroce exercée par le cardinal Hippolyte sur un de ses frères, auquel il fit crever les yeux; aucune n'a 1 . Ces grands drames italiens étaient bien faits pour inspirer les poètes et les musiciens. Lord Byron a chanté Parisina, dans les strophes qui portent ce titre, de même que Dante avait chanté Françoise de Rimini ; Donizetti l'a traduite sur ia scène. MO IIISTOIKK l)i; l.'AR'l" l'ENDANT LA KKNAISSAM'E. affiché un mépris plus éclatant pour la morale la plus élémentaire (droit de succession accordé aux bâtards, au détriment des entants légitimes), aucune aussi, à l'occasion, n'a consenti à de plus honteux trafics (mariage du duc Alphonse avec Lucrèce Borgia) que la très antique et très ilkistre maison d'Esté, souveraine de Ferrare. Au point de vue spécial qui nous occtipe, beaucoup d'activité et peu de flamme; un goût éclairé et une magnificence raisonnée tenant lieu d'entraînements généreux; le culte de l'art organisé méthodique- ment, comme un service dans un ministère : tels sont les traits qui distinguent les princes d'Esté, d'abord marquis, puis diics de Ferrare'. Ils ont réussi à grouper autour d'eux une armée d'artistes distingués"; ils n'ont eu aucune des inspirations de génie familières aux autres souverains italiens : par exemple de fixer à leur cour im maître supérieur, comme le marquis Louis de Gon- zague par\'int à le taire pour Mantegna, Ludovic le More poiu' Bramante et Léonard de \'inci; ou bien d'éterniser leur mémoire par quelque fondation grandiose comparable au Saint-Pierre de Nicolas V, au palais ducal d'Urbin, à la Chartreuse de Pavie. Plusieurs maîtres de premier ordre, Brunellesco, Donatello, Rogier van der Wevden, Piero délia Francesca, Jacopo Bellini, traversèrent Ferrare : aucun ne consentit à v établir sa demeure; c'est que la dignité de ces libres esprits s'accommodait mal de la tyrannie savante des Este, de leur système d'espionnage organisé d'après toutes les règles de l'art, de leur régime fiscal qui frappait d'amendes énormes les moindres écarts, de leur utili- tarisme véritablement trop moderne, ainsi que de l'égoïsme ou de l'indiflérence de leurs sujets. Ces réserves foites, il faut reconnaître que peu de familles ont encouragé l'École nouvelle avec plus de persistance et plus de netteté. Élevés par les huma- nistes, habitués dès l'enfance à fouler aux pieds les préjugés de la morale vul- gaire, pour ne consulter que leur intérêt ou leur plaisir, désireux de briller et par goût personnel et par calcul, les Este devaient accueillir la Renaissance comme un auxiliaire tout particulièrement précieux. L'art du médailleur, retrouvé par Pisanello, leur servait à multiplier leur effigie; la fonte monumentale, perfec- tionnée par Donatello, à orner les places publiques de la statue équestre du sou- verain; et ce n'était pas trop de tout l'arsenal allégorique et de toute la science de mise en scène légués par l'antiquité pour mettre leurs peintres attitrés en mesure de célébrer, dans les fresques du palais de Schifanoja, jusqu'aux moindres 1. BiBL. : Cittadella, Noli\ie relative a Ferrara. Ferrare, 1864. — Le niOme, Dociiiiieiili ed illiisiraiimii risgiiiirdiviii la storia artisiica ferranse. Ferrare, 186H. — Les différents ouvrages du marquis Campori et les deux brochures de M. A. Veiituri : / Pn'nioidi del Riiiasciiiieiito artislico a Ferrara ; Turin, 1H84, et l'Arle a Ferrara iiel pericdo di Borso d'EsIe: Turin, ififîO (toutes deux extraites de la Rri'isia shviai ilaJiaiia) ; les articles du même auteur dans VJr/, dans V Ainiuaire des Musées de Berlin (1887) et dans le Kiinstfreiiiid. — Heiss, /<■.( MédaiHeiirs de la Renaissance. — La Renaissance au temps de Charles FUI, p. 324-304. 2. On a relevé pour le quinzième siècle les noms de plus de cent peintres nés ou fixés à Fer- rare : Campori, / Pillori degli Estensi nel secolo XV. Modène, 1886. NICOLAS III irESTK. 141 événements de la vie du prince régnant. Les maîtres restés fidèles à la tradition religieuse, les Ombriens par exemple, avaient moins de souplesse et moins de complaisance. Le moven de demander à un Pérugin de prodiguer, en y mettant tout l'esprit et toute la liberté nécessaires, les portraits du prince, de ses courti- sans et familiers, de ses bouffons, voire de ses chevaux! Son adhésion à un tel programme était douteuse, son échec certain. Comme corollaire de ces ten- dances, l'art profane ne pouvait manquer de se développer au détriment de l'art religieux : Lionel d'Esté fît peindre, par exemple, dans son palais VEnlrcviic de Scipiûu r Africain avec Aiinihal. La cour de Ferrare se signala en outre en encourageant le théâtre italien, dont ^'^ .Médaille du marquis Nicoiab 111 d'Esle. par Hisanellu. elle fut une des premières à seconder la renaissance. Dès le règne d'Hercule I", on remit sur la scène les comédies grecques et latines, avec tout l'appareil et toute la magnificence de l'antiquité. Le marquis Nicolas ILI (1384- 1441) brillait entre tous ses contemporains par ses vices autant que par ses talents. Il déploya la plus rare férocité dans le châti- ment des partisans de son compétiteur Azzo, inventa des supplices atroces, fît couler le sang à fîots. Entre temps, il ouvrait l'Université de Ferrare (14(12), groupait autour de lui les savants les plus distingués, entreprenait un pèlerinage à Jérusalem (141 3), s'arrêtait à Pola pour y admirer l'amphithéâtre, visitait partout sur sa route les églises et les châteaux, les jardins et les champs de bataille, et poussait la curiosité jusqu'à foire le voyage de Cvthère pour y con- templer l'endroit où, d'après la légende, Paris avait enlevé la belle Hélène'. Malgré le scandale de sa propre conduite (on lui connaissait vingt-deux bâtards, officiellement avoués'), il se montra inflexible pour son infortunée épouse Parisina et pour son fîls Hugo, qu'il soupçonnait de relations criminelles, et leur fît trancher la tète, la nuit, à la lueur des torches, au pied de la tour des Lions (142?). Par un raffinement de cruauté inconnu dans les annales de la 1. Vciituri, / PriiiloiJi del Riiiiisiiiiieiito iir/islico a Feiitiia, p. z-?<. 2. Rio, (/(.• l'Art chrclivn, t. fil, p. ,'534-337. L'un de ces bâtards, IBaldassart Estenst;, se lit un nom comme peintre et comme niédaillcur; nous le retrouverons dans la suite de ce travail. m: iiisr(jiiŒ dl; L'ART pkxdan r i.a iîi:naissan'ce. justice, il donna l'ordre de punir immédiatement du même supplice toutes les femmes de Ferrare qui s'étaient rendues coupables du même délit, rendant ainsi ses sujets solidaires de ses propres infortunes. Ce tyran iéroce encourageait les arts et avait pour suprême ambition de faire ses sujets plus riches que ceux de n'importe quelle autre contrée. Pour précep- teur de son fils Lionel, il choisit Guarino de \'érone, le « missionnaire de la religion grecque et latine ». La construction d'une église dédiée à saint Gothard (que Nicolas III, par ime de ces ambitions rétrospectives si Iréquentes au quin- zième siècle, prétendait ranger parmi les ancêtres de la famille d'Esté), celle des palais de Beltiore, de Belriguardo, à dix milles de Ferrare, avec ses trois cent soixante-cinq chambres, et de Consandolo, la restauration du palais des Este à ^'enise (connu depuis sous le nom de « Fondaco dei Turchi », aujour- d'hui le Musée Correr), la création d'une belle bibliothèque, tels sont les prin- cipaux titres d'un aussi sinistre personnage à figurer dans cette galerie de Mécènes. Le règne de Nicolas tut en outre signalé par l'apparition de Giacomo délia Quercia, qui, en 140(S, sculpta une Madone pour la cathédrale de Ferrare, et par celle de Brunellesco, qui traversa ces parages en 1431. L'orfèvrerie, l'horlogerie, la broderie, la tapisserie, la miniature, la musique avaient une part égale aux encouragements du Mécène ferrarais. Rien ne parais- sait trop riche à ces svbarites du quinzième siècle : pour satisfaire leiu" goût de la magnificence, ils mettaient à contribution les provinces voisines aussi bien que les régions les plus reculées, et jusqu'à l'Afrique et l'Asie. En Toscane, par exemple, le souverain de Ferrare enrôla les miniaturistes Giovanni Falconi et Jacopino d'Arezzo; à A'érone, le médailleur Pisanello. Aux ateliers de haute lisse de Bruges il demanda des tentures ornées de ses armes et de sa devise. En atten- dant, l'importation ne suffisant plus à satisfaire son impatience, il établit à Ferrare même une manufocture de tapisseries, qui prospéra rapidement et qui fournit une carrière de plus d'un siècle. La ville de Paris, si renommée alors pour la beauté de son linge, défrava très probablement son service de table, une partie de son argenterie et une partie de sa bibliothèque. Dans les Flandres, il recruta les chanteurs de sa chapelle. On remarque d'ailleurs à la cour de Nicolas le mélange de magnificence et de pénurie qui caractérise cet âge. Le quinzième siècle, si expert en toutes sortes d'arts, ignorait celui d'équilibrer un budget. Tandis que le marquis dépensait d'un coup 0000 florins pour acheter des tentures, ses fils en étaient réduits à porter des vêtements râpés. Les doléances faites par le jeune Hugo à sa belle- mère Parisina nous révèlent la détresse de sa garde-robe ; son frère Meliaduce n'était pas mieux partagé. Lionel d'Esté (i 407-1 45(.>), fils naturel de Nicolas III, fait penser à ces belles figures de princes italiens du moyen âge, à Enzio, le fils favori de l'empereur JONEL D'ESTE. 143 Frédéric II ou à Malatesta dei Sonetti. Initié au métier des armes par le vaillant condottiere Braccio da Montone et au culte des lettres par l'humaniste Guarino de ^'érone, il semblait, dit M. ^'L•nturi, qu'il mèlat à la douceur de sa mère siennoise la vigueur lombarde. Bientôt cependant les Muses l'emportèrent sur Mars et la suprême ambition du jeune prince fut désormais de briller dans les tournois poétiques : ses canzoni, ses sonnets lui ont valu, grâce à leur tour aimable, à leur expression gracieuse, d'être comparé par des juges modernes à Anacréon. Déjà du vivant de son père Lionel cherchait à satisfaire son goût pour tout ce qui était rare ou magnifique. En 1484, après l'expulsion de Paolo Guinigi, seigneur de Lucques, il acquit l'armoire que ce personnage avait tait exécuter en 14 14 par Arduino et Alberto de Bologne pour 3^ ren- fermer ses manuscrits'. La collection de pierres gravées antiques qu'il réunit, un des premiers parmi les princes du quinzième siè- cle, fait plus d'honneur encore à son goût. C'est lui aussi, très probablement, qui con- quit pour sa capitale, si pauvre en chefs- d'œuvre classiques, une statue trouvée à Flo- rence et emportée à Padoue par Lombardo délia Seta, l'ami de Pétrarque. L'historien des arts à la cour de Ferrare, M. Venturi, explique par la situation politique de ce petit Etat le lent déve- loppement de l'architecture et la rareté d'édifices de quelque importance appartenant à la première Renaissance. Bâtir des forteresses était plus urgent qu'édifier des palais. Lionel concentra ses efforts sur la continuation du palais de Belfiore, commencé par son père. Il se rendait cependant compte de la supériorité acquise par la nouvelle École; la preuve, c'est qu'il chargea L. B. Alberti de composer pour lui le fomeux Traité d'Architecture. Mais la brièveté de sa vie ne lui permit pas de sortir à cet égard du domaine de la spéculation. Pisanello, attiré probablement par son compatriote et ami Guarino de ^'érone, semble avoir fiit un séjour prolongé à Ferrare, à partir de i-\?>5, ou du moins y être revenu à diverses reprises. II y peignit un portrait de Jules César et, d'après l'ingénieuse conjecture de M. Venturi, y modela ses premières médailles, à l'oc- casion du Concile qui se réunit dans cette ville en 1408 et auquel prit part un des principaux personnages pourtraits par l'artiste, l'empereur Jean Paléologue. Sept des médailles de Pisanello sont consacrées au seul Lionel d'Esté. L'élève de Pisanello, Matteo de' Pasti, à la fois médailleur et miniaturiste. Médaille Ju marquis Lionel d'Esle, par Pisanello. I. Bongi, (// Pitolo Guinigi e délie sue ricclie:^^, p. 27, 4g. M4 IllSTOIRK Di: ART PENDANT LA RENAISSANCE. entreprit souvent aussi le voyage de Ferrare; entre 1444 et 1446 il v fit la médaille de Guarino. Un autre artiste de l'Italie du Xord, novateur non moins hardi, Jacques Bellin, le père de Jean et de Gentil, reçut un accueil empressé à la cour de Lionel, en 1441 . Le gendre de Jacques Bellin, le grand Mantegna, tut à son tour invité par le marquis de Ferrare. En 1449, — le jeune maître ne comptait que dix-neuf ans à cette époque, — il reçut de lui la commande d'un panneau double représentant d'im côté le marquis, de l'autre son fevori Folco di Villatbra. La même année, Lionel accueillit le plus célèbre peintre flamand qui vécût alors, Rogier van der Wevden, de passage à Ferrare pour se rendre à Rome, où il se pré- parait à prendre part aux fêtes du jubilé. Il lui commanda ou acquit de lui un triptvque avec la Descente de croix et Adam et Eve tout nus, chassés du Paradis. L'infatigable voyageur et antiquaire Cvriaque d'Ancône, qui vit cet ou- vrage au palais de Beliiore, en fait le plus vit éloge, ainsi que son contemporain Fazio. Il est probable que Piero délia Francesca séjourna éga- lement à Ferrare vers cette époque. On est sur- pris de trouver, à côté de ces maîtres éminents, représentant chacun une direction nouvelle, un Siennois, du nom d'Angelo Maccagnino, qui ne pouvait apporter que les méthodes surannées de sa ville natale (i447-i45(>). Pom- comble, on chargea Angelo de peindre les Neuf Muses, chacime sur un tableau distinct. Il est vrai qu'il représenta l'une d'elles, Clio, en habits brodés de pourpre et d'or, axtc une chlamyde bleue. Autoiu- de ces maîtres s'agitaient une masse d'artistes inférieurs, dont on trouvera les noms dans les publications de MM. Campori et \'enturi. Le fait d'avoir groupé autour de lui une phalange de peintres hors ligne, tels que ceux dont les noms viennent d'être rapportés, constitue le plus bel éloge que l'on puisse faire du goût de Lionel. Vis-à-vis de la sculpture , au contraire , ses lumières trahirent sa bonne volonté. Il débuta par une idée grandiose, géniale : élever à son père, sur une place publique, une statue équestre en bronze, la première que l'Italie eût vue depuis celle de Théodoric à Ravenne; institua un concours (1444) et nomma pour juge SLiprême de la valein- des concurrents L. B. Alberti, nom qui dit tout. Mais les deux Florentins qui se présentèrent, Antonio di Cristotoro et Niccolo di Giovanni Baroncelli, n'étaient ni des Donatello ni des Ghiberti. Le collège des Douze Sages s'étant réimi de nouveau, sur le conseil d'Alberti, et chacun des deux émules ayant obtenu .1 peu près le même nombre de voix, il tut décidé Un des emblèmes de Lionel d'iîsie, d'après une médaille de Niccclô. BORSO D'ESTE. 143 qu'Antonio exécuterait la statue du cavalier et Baroncelli celle du cheval. Com- promis qui nous parait aujourd'hui singulier, car comment obtenir de l'unité dans une statue équestre, si le cavalier et la monture ne sont pas dans le même mouvement? Quoi qu'il en soit, le cheval était terminé en 1447, et le monu- ment put être inauguré en 14,^1 (il a été détruit pendant la Révolution). Le marquis Nicolas était représenté le bâton de commandement à la main, la toque sur la tête, couvert d'un manteau, avec un capuchon retombant derrière les épaules. Niccolo Baroncelli, surnonnné, en souvenir de sa statue, Xiccoli) dal Cavallo, comme Giacomo délia Quercia tut surnommé Giacomo délia Fonte, et Xiccolo de Bari, Niccolo dell' Arca, fixa sa demeure à Ferrare, où il exécuta dittérents ouvrages : nous le retrouverons dans la section consacrée aux sculpteurs. A côté de lui et sous ses ordres travaillaient plusieurs autres Florentins : Meo di Cecco, Baccio di Netti, etc. .Médaille de Borso d'K»te, par Petrecini. Borso d'Esté (141.-!- 147 1) ' n'avait ni le génie aimable ni les connaissances solides de son frère Lionel : la politique l'intéressait plus que les lettres (il ne savait pas le latin, crime impardonnable pour un Mécène italien); la chasse reléguait chez lui à l'arrière-plan le culte des arts. Mais la volonté et la méthode tinrent lieu d'aptitudes ou de goûts naturels. Aucun humaniste ne fît en vain appel à la générosité du sou- verain de Ferrare (l'Université de sa capitale compta en 1474 jusqu'à quarante- cinq professeurs); la bibliothèque installée dans le château continua de s'en- richir. On a même avancé que l'ignorance du latin hâta le développement de la poésie italienne; il est certain du moins que Borso faisait grand cas des romans de chevalerie français. Ainsi, en partant de points opposés, Laurent le Magnifique et Borso favorisèrent la langue italienne et le retour a la poésie du moyen âge, à ce cycle carlovingien dont Roland était le héros. Cette cour de Ferrare était tellement mondaine, qu'en 1459, lors de la visite du pape Pie II, on ne trouva rien de mieux à organiser en son honneur qu'une sorte de spectacle où l'on vovait des acteurs costumés en Dieux ou en Déesses, en Géants, en Vertus; puis des jeunes garçons et des jeunes filles s'opposant à l'inondation du Pô. Tout le monde s'assit, comme pour une représentation théâtrale '. 1. Voy. Gustave Gruver, hs Peiiiliires du palais de Schifaiioja (Revin- des Deux Mondes, l" août l883). — Venturi, VArte a Ferrara iicl pcriodo di Borso d'Esté. 2. « Personatus apparere divcrsi Dcoruni, ac Dearum, et Gigantuni, et Virtutum, pueri, ac puclls cantare in ;iggeribus, qui aninis inondationeni cohibcnt, quasi ad spectaculum viri ac E. -Muntz. — I. Italie. Les Primitifs. iV i4'i lllSTOIRi; [)i: LART l'ENDAN'l' l.A RENAISSANCE. Par sa libéralité et son faste, Borso laissait loin derrière lui tous les princes contemporains, excepté peut-être les Sforza. Grâce à une administration des plus sages, il put consacrer des sommes énormes à de grands travaux d'utilité publique, à des fondations artistiques, à des fantaisies ruineuses, sans épuiser le trésor, qui à sa mort ne renfermait pas moins de Scioooo ducats, environ J? millions de Irancs. Nul ne se parait d'aussi riches bijoux : il portait des colliers d'une valeur de 'dioo ducats (c'était, ou peu s'en faut, le prix de la tiare des papes Paul II, Sixte I\' et Jules II); il s'entourait d'une cour qui aurait pu taire envie à plus d'un grand roi (on v comptait, par exemple, cent fauconniers'). Borso tut le premier souverain italien qui put contempler sa propre effigie dressée sur une place publique. Ce témoignage d'admiration, ou de gratitude, peut-être aussi tout simplement d'adul.uion, lui tut donné par les habitants de Ferrare : en 14^4 ils placèrent sur une colonne sa statue assise, image sans fierté, mais du nioins très fidèle, de ce prince pacifique. On construisit beaucoup, au temps de Borso, des palais et des maisons de plaisance, Schifmoja et « il Paradiso nuovo », ime chartreuse et un hôpital. Mais ce qui reste de ces monuments n'est pas fait pour imposer à l'artiste ou au vo3'ageur. Ferrare pouvait dès lors se vanter d'être à la fois la ville la plus régulière de l'Europe et la moins pittoresque. Par contre, Borso ne sut pas fixer à Ferrare Donatello, qui y fit une appa- rition en 1451 . Si la sculpture monumentale languissait, deux de ses branches, l'orfèvrerie et l'art du médailleur, faisaient rage : une légion d'orfèvres, parmi lesquels beaucoup de Milanais et de Vénitiens, s'évertuaient à ciseler pour le costume du prince les plus riches bijoux, pour sa table une argenterie magnifique; une légion de médailleurs, Amadio de Milan, Sperandio, Lixignolo, Petrecini, Marescotti, peut-être aussi Pisanello, à fixer son effigie. Sous Borso, comme au temps de Lionel, la peinture éclipse la sculpture. Aussi bien est-ce là Tunique branche des arts dans laquelle la famille d'Esté ait réussi à donner quelque cohésion aux artistes groupés autour d'elle. La prin- cipale entreprise de Borso, la décoration du palais de Schifuioja, a survécu, quoique mutilée. Nous lui empruntons une de ses scènes les plus curieuses, représentant Borso partant pour la chasse, et lui consacrons plus loin (section de la Peinture) la notice détaillée à laquelle elle a droit. Bornons-nous ici à mentionner les peintres indigènes ou étrangers qui ont jeté quelque éclat sur le règne de Borso : Piero délia Francesca, Cosimo TiuM, Francesco Cossa, Baldassare d'Esté, frère naturel du duc, Tito Livio de Padoue, et divers autres. Le grand Mantegna aussi fit une apparition à Fer- mulieres scdcrc. Illi P.ipiv;, isti l^orsio vit.im pivc.iri. » (Coiiiiiicntaircs de Pic II, é-dit. de I.S84, p. 1-2-173.) I. Tirabosclii, S loi in Jilla LdUialimi ilatiaiui, t. VI (éd. de- Mil.m), p. UiQy. 148 HISTOIRF, DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. rare vers cette époque (en 1469), mais ce fut uniquement pour solliciter de l'empereur Frédéric III, qui y séjournait alors, le titre de comte palatin'. Dix-huit ou vingt miniaturistes travaillaient à enluminer les manuscrits des- tinés à la bibliothèque de Borso. Leurs noms nous ont été conservés : mais la simple énumération n'en offrirait pas assez d'intérêt ici, et il fliut nous borner à renvoyer le lecteur à la monographie que leur a consacrée le marquis Campori*. La collection était cependant en retard sur celle de la plupart des autres princes italiens: en 1467 elle ne comptait que 14O volumes''. La £ihrique de tapisseries établie à Ferrare sous les prédécesseurs de Borso reçut de ce prince une vive impulsion. De nombreux haute-lissiers, soit Ita- liens, soit Français ou Flamands, ne cessaient d'y interpréter les cartons exé- cutés à leur intention par des peintres de la valeur de Cosimo Tura. Un coup d'œil jeté sur la colonie d'artistes français, flamands ou allemands fixée à Ferrare nous apprendra quel mouvement régnait dans ces cours ita- liennes, quel va-et-vient incessant les maintenait en communauté d'idées, non seulement avec le reste de la Péninsule, mais encore avec toute l'Europe civi- lisée. Ces courants internationaux, si rares aujourd'hui — quel étranger aurait l'idée de chercher fortune à Ferrare, ou à Mantoue, ou à Urbin! — avaient alors une singulière intensité; l'humeur voyageuse de la gent artiste tenait lieu, pour la diffusion des idées, de chemins de fer et de télégraphes. La sculpture sur bois était représentée par Arrigo de Brabant (I4.-Î.-Î-I -I44), par Bartolonieo di Niccolo Giovanni et Giovanni d'Allemagne, par Giorgio et Giusto Tedeschi (vers 1450); la marqueterie par Leonardo 'Fedesco (1457) et par Cornelio de Flandre (1496); l'orfèvrerie par le Français Louis Vignon (1476), par Simone di Giovanni d'Allemagne (1455-147(1), par Giovanni Te desco; l'horlogerie par Michèle Tedesco; la sculpture en bronze par Jean de France (1456). Les peintres étrangers s'appelaient Giorgio, fils de Domenico de Hongrie (1445), Michèle le Hongrois (1448-1450), Cocalus d'Allemagne, « Nicolaus Teutonicus(i454) >> ; — Giovanni di Romano d'Allemagne (i4'>7); — Giorgio di Alemagna (même date); les miniaturistes Giovanni Tedesco de Mantoue (1455) et Giorgio Tedesco. Parmi les brodeurs, citons les noms de « Petrus Johannis Sircerus » et de Simone d'Allemagne; de Giannino (1452) et de Pietro di Gualtieri de France (1451); parmi les tapissiers, ceux de Giacomo di Angelo de Flandre (14.1')), de Pietro di Andréa de Flandre (i 44(1- 1464), Livino di Giglio de Bruges, Errico ou Rigo de Flandre ou d'Allemagne (14701474), Giovanni de Lattre (14')!)*, Giannino de France (14(12), Gio- 1. Canipori, I Piltori degli Esteiisi, p. .12, ,«. 2. Notifie dci Mitiiatori dei Principi l'siciisi. MoJOiK-, il'rz. ?i. Cittadella, // Caslelh di Fcrrara, p. 6.'î. 4. CiUadella, J\'ol!\ii\ p. 61-62, 6i)(). \Viituri, VArIra Ferrai o lu-l periodo di Borso d'Esté, p. 49, .^o, .54, .ÎK. MODÉNE. — PARME. — MIRANDOLE. 14g ■ < vanni Mille, Rinaldo Grue, tous deux de Tournai (1464), Rubinetto (1469); Giovanni Costa; Gerardo. André Beaufort ou Andréas Gallicus dote Ferrare de sa première imprimerie. Quant aux chanteurs français, ils foisonnent dans la chapelle ducale'. Au quinzième siècle, comme depuis, Modène, la ville aux rues régulières, à l'aspect morose, a £iit peu parler d'elle. Elle s'adressa, il est vrai, à Dona- tello, pour lui conmiandcr la statue en bronze doré de Borso d'Esté (145 i); mais l'aftaire n'eut pas de suite. A défaut d'un ouvrage de Donatello, Modène pouvait du moins montrer, sur la façade du Dôme, quatre bas-reliefs, avec l'Histoire de saint Géminien, de la main d'un habile imitateur de Donatello, Agostino di Duccio (1442). ^'ers la fin du siècle, le sculpteur Guido Mazzoni, sur lequel nous reviendrons, porta au loin le nom de Modanino, sous lequel on le désignait d'habitude. On cite, pour la première moitié du quinzième siècle, l'habileté des sculp- teurs en bois et des incrustateurs (« intarsiatori n) de Modène : les da Baisio (Giovanni, Tommaso et surtout Arduino), à côté desquels brillaient les Canozzi da Lendinara. Ces maîtres eurent l'honneur d'être recherchés* au dehors, même à Florence. Ainsi, dans ce grand concours, chaque cité apportait sa pierre à l'édifice commun. Ce sont des boiseries également, celles du Dôme, exécutées par Cristoforo Lendinara, qui forment la principale contribution de Parme ' à l'œuvre de la première Renaissance. Citons, à côté d'elles, le pavage en fiïence du couvent de San Paolo. A Mirandole, les Pic, comtes .de Concordia, ne devinrent célèbres que par la prodigieuse érudition de Jean, surnommé le « Phénix des Esprits » (-j- 1494). L'un d'eux avait cependant confié à Cosimo Tura, probablement entre les années 1465 et 1467, la décoration de sa bibliothèque. Le célèbre peintre ferrarais y peignit la Poésie, les Neuf Muses dansant et offrant des couronnes à des chan- teurs, auxquels Pitho, déesse de la Persuasion, versait un clair liquide; puis Orphée en buste, avec une tiare parsemée de signes dorés; Hésiode, Virgile, les Sibylles, etc."'. Les Pic de Carpi laissèrent également passer la première Renaissance sans faire parler d'eux : nous les retrouverons au siècle suivant. Le seigneur de Correggio, le comte Nicolas (i45()-i5()8), guerrier et poète (il a composé un drame pastoral intitulé Aurore et Céphale, un roman en vers intitulé Psyché), petit-fils du marquis Nicolas III d'Esté et gendre du Colleone, 1. La Renaissance au Iciiifis île Charles l'III, p. 467, 471. 2. BiBL. : JaiiL'Ui, Di\wiiario biografico dei Parmigiaiii illuslri. Parme; Schenone, 1^77. .1. Venturi, V Arle a Ferrara iiel perioJo di Borso d'Esté, p. 27, 29. HISTOIRI-; DK LART PENDANT LA RENAISSANCE. vivait tour à tour d.uis rintimitL- des cours de Fcrrare et de Milan, mais sans négliger sa petite capitale, dont il fit un centre assez actif, en attendant que la naissance du Corrège la rendît à jamais célèbre. Vers l'époque même de la nais- sance du « peintre des grâces » travaillaient à Correggio une demi-douzaine de peintres, d'ailleurs fort obscurs'. Ils avaient pour collègues des orfèvres dont on vantait l'habileté. Un atelier de tentures de haute lisse , fondé vers 14O0 par le Flamand Rinaldo Duro, compta de longues années de prospérité. (Ainsi des artistes étrangers jusque dans ces cours minuscules!) Nicolas de Correggio, qui pouvait être un guerrier valeureux et un poète élégant, mais qui, nous le savons par la médaille de Sperandio, était loin de pou- voir passer pour un Adonis, construisit des palais, des couvents, dont il ne semble pas rester grand'chose, car les auteurs du Cicérone ne prononcent même pas le nom de la localité. Nous avons cru néanmoins devoir accorder un sou- venir au seigneur dans les Etats duquel est né le Corrège, et qui, en réunissant de sérieux éléments d'étude, a ftcilité les débuts du grand peintre. Plaisance, située sur les confins de l'tmilie et de la Lombardie, participe de la stérilité de la première de ces régions et non de la técondité qui distingue la seconde. Le bilan du quinzième siècle s'y chiffre par quatre peintres, un sculp- teur, un fondeur, un architecte (il est vrai que celui-ci acquit une certaine réputation sous le nom d' « Augustinus de Placentia »), un miniaturiste, un « intaghatore » et deux orfèvres". Ce n'est guère, comme on voit. Ajoutons, à titre de circonstances atténuantes, que cette malheureuse ville, prise en 141- par le général milanais Carmagnola, était demeurée déserte pendant une année entière. Mantoue', ville de marais, dont l'industrie de l'homme a tiré le plus brillant parti, avait dès lors uni son sort à celui des Gonzague. L'amour des lettres et des arts était héréditaire à cette cour. Dès la fin du quatorzième siècle, Jean- François Gonzague (1366-1407), qui avait accompagné à Paris Valentine Vis- conti, réunissait une précieuse collection de manuscrits, parmi lesquels une foule d'ouvrages français et un garde-meuble d'une rare richesse. On trouve, en thèse générale, chez les amateurs qui ont encore participé de la forte éducation du quatorzième siècle, un esprit plus vif, plus curieux que chez leurs succe.s- 1. Pungileoni, Memorie istoricbc di Antonio AUegri, t. Il, p. 4. 2. Arabiveri, ^W Artisti PiacmUni. Plaisance; Solari, 1879. .1. BiBL. : Coddé, Memorie biografiche... dei Pittori , Scidiori , Architetti ed Incisori Maii- lovcini. Mantoue, 1837. — D'Arco, délie Arti e degli Artefici di Mantova. Mantoue, 18.57, 2 vol. in-fol. — A. Baschet : Ga:^elle des Beaux-Arts, t. XX ; et Ricerche di documenti d'arte e di storia negli Archivi di Manlmia. Mantoue; Segna, l856. — A. Bertolotti, Artisti in rehiione coi Gon:^aga, signori di Mantom. Modène; Vinccnzi , i88.5. — Voigt, die WieJerhelclmng des classi- schen Alterthums. — Les différentes publications de MM. Braghirolli, Portioli, Davari, Luzio, et la Renaissante an temps de Charles FUI, p. 330-347. LES GONZAGUE. Jean -François de Cioiizayuc, par Pisanello. seurs du quinzième siècle. Ceux-ci sont plus raffinés, ceux-là ont plus d'ini- tiative. La seule indication des sujets représentés sur les tentures acquises par le marquis ;ï Paris ou à Arras est pleine de promesses : un « capoletto » de laine avec VHisloire de Pyrame et Thisbé, un autre avec VHisloire de Virgile (probablement la Légende de \'irgile suspendu dans le pa- nier), etc. Il était resté à ces libres esprits quelque chose de la gaieté et de la curiosité des « novellieri » appartenant à l'âge précédent : les Boccace, les Sacchetti, les Ser Giovanni, de facétieuse mémoire. |ean-François, premier marquis de Mantouc (né en i3g4, monté sur le trône en 1407, mort en 1444), fit un pas de plus : il protégea Pisa- nello, qui perpétua dans ses dessins et ses mé- dailles ses traits et ceux de ses enfants, notam- ment de sa charmante fille Cécile; employa, semble-t-il, Brunellesco, qui tra- versa Mantoue entre 1431 et 1436, et ouvrit, en 14 19, la plus ancienne fabrique de tapisseries de toute l'Italie. L'université de Mantoue ne lui doit pas moins d'encouragements'; il rendit surtout le plus signalé service à sa famille, à ses sujets, aux lettres, en confiant une chaire et l'éducation de ses entants au vertueux Victorin de Feltre. Sa femme Paule Malatesta se dis- tinguait par son amour pour l'étude; im de ses fils, Gian Lucido (1421-144M), par son goût pour les antiquités : il réunit entre autres, à Pavie, une belle collection de monnaies. Avec le marquis Louis (naquit en 1414, succéda en 1444 à son père Jean -François, mourut en 147'^^), la Renaissance £iit irruption à Mantoue. Les traits caractéristiques de son règne sont, au point de vue de l'art, le pas- sage de Donatello, en 1450-1451; l'établisse- ment de l'habile architecte et sculpteur florentin Luca Fancelll, en 1450 également; les nombreuses apparitions de Léon-Baptiste Alberti, notamment en 1459- 1460, en 1463, en 1470; et, par-dessus tout, l'arrivée, en 1459, du grand peintre Andréa Mantegna, le fondateur de l'École qui porte le nom d'École de Mantoue. D'importants édifices religieux ou civils, les églises Saint- André et Saint-Sébastien, le « Castello di corte », de nombreux retables, fresques, statues ou bas-reliefs, prirent naissance sous les auspices de ce Cécile de Gonzague, par Pisanello. 1. S. Davari, Noli^ic sloricl.v inlonio allô Studio pubhlico in Mcinlova. Mantoui:; Scgna, lV,-(\ t i52 HISTOIRi: DK I.AR'l" PF.NDAN'l" I.A Ki:\ AISS ANC E. prince éclairé et libéral, tandis qu'une armée de médailleurs, d'orfèvres, de tapissiers, de miniaturistes s'évertuait à multiplier son effigie et celle des siens, ou à décorer ses palais. Rappelons en outre que la première repré- sentation de VOrphcc de Politicn eut lieu à la cour du marquis Louis, en Dès 145H (Mantegna n'awiit alors que vingt-six ans), le marquis lui écrivait pour lui déclarer qu'il connaîtrait de jour en jour davantage sa bonne volonté pour lui. Un peu plus tard, les pourparlers pour l'établissement de l'artiste s'engagent : « Nous avons vu, écrit le marquis, ce que vous nous répondez au sujet de la décision que vous avez prise de venir à notre service : chose qui nous cause un giand plaisir, et nous sommes assuré que la pensée que nous avons eue a été bonne et excellente. » Le \T' avril i45iS, nouvelles instances : « Notre excellent (maître). Maître Luca (Fancelli), tailleur de pierres, est revenu ; il nous a rapporté de votre part les intentions où vous êtes et comment vous persévérez dans votre première volonté de venir ici et de nous servir. Ce nous a été un grand ^^^^!^-*!-îp3-^"' plaisir de l'entendre, et notre contentement a été extrême; pour que vous connaissiez bien la bonne Le maruuis I.oiiis lIc (ion/.ai^uu. , Pisaneiio. ' voloute que nous avons pour vous, nous vous avi- sons que notre intention est toujours d'effectuer avec la meilleure grâce tout ce que nous vous avons promis par nos lettres et plus encore, n-ous voulons dire les quinze ducats par mois, une demeure où vous puissiez commodément résider avec votre famille, assez de blé toute l'année pour six bouches et le bois suffisant — » A la fin du mois de décembre, maître Andréa n'était pas arrivé. On lui dépê- cha son compatriote Jean de Padoue, l'un des architectes ou ingénieurs du marquis, pour le presser de hâter son départ. ALùs rien n'y fit. Le 2 lévrier I45q, nouvelle lettre : « Nous vous prions bien que d'ici deux mois vous vouliez mettre un tel ordre à toutes vos aftaires que dans ce délai vous puissiez venir ici sans aucun empêchement.... » En \J,?<) enfin, à ce qu'il semble, après d'in- nombrables missives analogues, l'artiste s'exécuta '. Mantegna était devenu un ami pour la famille. Le cardinal de Gonzague vitnt-il à Mantoue (147:), il écrit au marquis Louis : « Mon très illustre sei- gnt'ur père, pour avoir quelque distraction et quelque heureuse raison de fuir le sommeil, ainsi qu'il est nécessaire en un tel lieu (les bains), je prie votre Sei- gneurie qu'il lui plaise d'ordonner à Andréa Mantegna et .'i Malagiste de venir ici pour s'v tenir constamment avec moi. Avec Andréa, j'aurai un véritable I . Article d'Aniiaiid Buschet dans la Gii^cHt iics Bnuix-Arls, t. XX, p. 32 et suiv. Cl'. \'Ar- chivio slorico âcW Arle, 18B8, p. 82. Étude de tète. Fac-similé d'un dessin de Mastegna (Lille, musée Wicar). LES GONZAGUE. plaisir à lui montrer mes camées et mes tètes de bronze et mes autres belles antiques, sur lesquels nous deviserons et argumenterons de compagnie. De Malagiste, je prendrai plaisir en l'entendant jouer du luth et chanter. » Et avec quel orgueil les Gonzaguc ne parlent-ils pas de leur peintre iavori ! En 14^8, lorsque le marquis François consentit, sur les instances du pape Inno- cent Vin, à l'envoyer à Rome, il lui remit pour le souverain pontife une lettre où il l'appelle « peintre excellent, sans rival dans notre époque». « S'il répond Le marquis Louis et-la marquise Barbe de Gonzaî^u: (Fac-similé d'une ifiavure altribuée à .Maïuegna.) aux espérances de Votre Sainteté, ajoutc-t-il, sa réputation et sa gloire en deviendront plus éclatantes encore et j'en ressentirai un plaisir incroyable, iiicrc- dibilem voluptateni . » Le marquis et la marquise avaient des trésors d'indulgence pour le grand peintre, qui était bien le moins connnode des mortels. A tout instant il avait maille à partir avec ses voisins, avec un tailleur, avec les otticiers de la cour, avec n'importe qui. L'un était accusé de lui voler ses poires, l'autre ses maté- riaux de construction. Sans se lasser, ses maîtres écoutaient ses doléances, s'entremettaient, prenaient à tâclie de le calmer : ils l'excusaient, mettant cette humeur bizarre (« fantastica ») sur le compte du génie. En revanche aussi Mantegna les aimait tendrement — à condition toutefois qu'il y trouvât son intérêt — et se montrait d'une obligeance parfaite. Il con- sentit, en 1469, à pourtraire sur le vif un dindon et une dinde dont le marquis désirait faire placer l'effigie dans les tapisseries au.xquelles il faisait travailler. E. Miinlz. — 1. Italie. Les PrimililV. -O iiisroïKi; 1)1-; i.ar'I' 1'i:m)Ant la i()-i4H3), puis Michel-Ange (i4'»4), de ter- miner le mausolée de leur patron saint Dominique, commencé deux siècles auparavant par Niccolo de Pise. Nicolas de Bari sculpta les prophètes et les saints et un des anges, le Buonarroti l'autre ange, ainsi que la statue de saint Petronius. Citons également, à San Domenico, le tombeau d'Alessandro Tar- l6o H1ST0IR1-: DI-: i.'Airi' pendant la renaissance. tas^ni (f 1477), sculpté par un élève de Vcrrocchio, le Florentin Francesco Ji Simone '. Parmi les autres monuments construits ou décorés pendant le quinzième siècle (c'étaient surtout des constructions en briques), il convient de citer la fliçade du « Corpus Domini » (i45()), la fltçade de la Madonna di Galliera (1470), le palais du Podestat (148?), le palais de la Corporation des « Stracciuoli » (1406), le palais Pava". Pour compléter cette rapide esquisse du mouvement des arts à Bologne, il nous reste à signaler l'activité déployée dans cette ville par quelques médailleurs, ainsi que la fondation d'un atelier de tapisseries par Pietro Sette e Mezzo de Brescia (1460). I . Gravi; dans l'ouvrage de M. Heiss : les Médailleurs de lu Reiuu'ssum-e : Sperandio de Manhiic et les Médailleurs iviouvnies des Benlivoglio. Paris; Rothschild, lîiHfi. ;. Rcdlcnbaclu-r, die Arcliilelchir der ilalitiiiiscl)en Reuaissauee, passiiii. Tliésie et Ariadin;. (Fragment, fac-similé d'une j,Taviire de Baccio Baldini.) ,^.:. j^r-^J^ Ï!S^7S]SZSS1Z^S22SZS m. — ^.-^ .A^ .-^■.^ft^r< ,i^.,xii:: I latiiiicnl il une IVi.-e Je diuliano da San (iallo. (Eglise Sanla .Maria Jclle ('arceii a Pialo.) CHAPITRE VI VENISE ET LA VEXETIE. LE LUXE ET L ART. LE GRAXD CONSEIL ET LE PALAIS DES DOGES. U\ DERNIER BOULEVARD DU BYZANTINISME EN ITALIE. IMPORTANCE DE LA COLONIE ETRANGERE A VENISE. PADOUE. VERONE. VICENCE. LE FRIOUL. LA DALMATIE ET l'iSTRIE. « Et fus bien esmen-eillé de veoir l'assiete de ceste cité, et de veoir tant de clochiers et de monastères, et si grand maisonaement, et tout en l'eaue. n COMMYXES. enise, dont l'École devait, au seizième siècle, prolonger sa vitalité bien au delà de celle de toutes les autres Écoles italiennes, s'affirma tardivement, après un enfantement long et laborieux'. Ce retard tenait, d'une part, aux relations de \'enise avec l'Orient, si propres à y maintenir la tradition bvzantine, de l'autre à la neutralité du gouvernement et au manque de parti pris chez les Mécènes. Ce n'est pas que l'activité artistique fiit moindre qu'ailleurs dans cette cité riche entre toutes (l'église de Santa Maria dei Miracoli fut construite en 1480, à l'aide d'une quête faite sur place, et qui produisit en un rien de temps 3oooo ducats); mais, isolée par les flots, avec son régime despotique et conservateur, avec ses préoccupations commerciales, elle ne devait sentir qu'à la longue le besoin d'innovations — et 1 . BiBL. : Ici encore nous manquons d'un recueil de documents conçu sur un plan métho- E. Miinlz. — I. Italie. Les Primilifs. :i i62 HISTOIRE DE LWRT PENDANT LA RI-.NAISSANCE. surtout d'innovations d'un caractère aussi désintéressé que les conquêtes de la Renaissance. — Que la race eût d'ailleurs de rares aptitudes pour la culture des arts, elle le prouva brillamment dans la suite, bien différente en cela des Génois, rivaux héréditaires des Vénitiens. Dans ce milieu éminemment factice, tout revêtait un caractère étrange, fait pour fasciner, pour éblouir. C'étaient d'abord des mœurs publiques ou privées fortement imprégnées d'influences orientales, le despotisme du gouvernement, son besoin de pompe, cette population bigarrée accourue de toutes les parties de l'univers sur le marché le plus vaste qui fût alors, l'éclat des cérémonies religieuses, l'abondance des esclaves (Venise était l'entrepôt par excellence de la traite des blancs et des noirs). Le spectacle du luxe vénitien surtout était de nature à produire l'impression la plus profonde. Dans ces habitations si pénible- ment disputées aux flots régnaient une profusion de couleurs et une recherche à faire envie aux plus riches patriciens de Florence, aux plus riches prélats de la cour romaine. Écoutons un témoin d'ordinaire peu accessible aux choses de l'art, notre spirituel et profond Commynes. Pendant son séjour en 149?, séjour pendant lequel les \'énitiens le jouèrent si habilement, il eut peine à se rassasier du spectacle de cette polychromie éclatante et harmonieuse. « Les maisons sont fort grandes et haultes, et de bonne pierre, et les anciennes toutes painctes; les aultres faictes depuis cent ans : toutes ont le devant de marbre blanc, qui leur vient d'Istrie, à cent mils de là, et encores maincte i^rant pièce de porphire et de sarpentine sur le devant. Au dedans ont pour le moins, pour la pluspart, deux chambres qui ont les planchez dorez, riches manteaulx de cheminées de marbre taillez, les chalitz des lictz dorez, et les ostevens painctz et dorez, et fort bien meublées dedans. C'est la pkis triuni- phante cité que j'ave jamais veue, et qui plus faict d'honneurs à embassadeurs et estrangers et qui plus saigement se gouverne et où le service de Dieu est le plus soUempnellement taict : et encores qu'il y peust bien avoir d'autres faultes, si croy je que Dieu les a en ayde pour la révérence qu'ilz portent au service de l'Éghse'. » Dans le costume, même magnificence : en i^STi on comptait plus de six cents dames vêtues habituellement de soie, couvertes d'or, d'argent, de joyaux, que c'était une « maesta » de les voir. Le Sénat avait beau lutter': toujours la vanité finissait par triompher des édits les plus sévères. dique. L'histoire des arts à W-nise est dispersée dans les publications ou les papiers de Cico- gna, dans les ouvrages du marquis Selvatico {Sidla Archileltura e suUa ScuUura in Veveiia ; Venise, 1847); dans celui de Lorenzi {Monumeiili per scrvirc alla storia del Pahuo diicale di Vene- lia; t. I, 1253-1600; Venise, 1868); dans l'étrange et génial travail de Ruskin, The Stoiies of Venice; dans les opuscules de MM. Cecchetti, Caffi et Urbani de Gheltof. M. Molinier a com- mencé dans l'Art (1887, t. I) la publication d'un travail d'ensemble sur les arts décoratifs à Venise ; M. Heiss a consacré un volume spécial aux Médailleurs vénitiens (Paris; Rothschild, 1887). 1. Édit. Chantelauze, p. 570. 2. 142.% défense aux mariées de porter des vêtements d'une valeur supérieure à ;ou ducats; VENISE. i63 Pour apprécier pleinement ce mirage de l'art vénitien, il faut nous figurer la mer intervenant dans toutes les fêtes, cet élément mobile par excellence mêlant les reflets irisés de ses vagues au chatoiement des étoftes importées de l'Orient, balançant des barques pavoisées de mille couleurs, de somptueux bucentaures, en un mot un feu d'artifice de tous les jours, éblouissant les yeux plutôt qu'il ne séduisait l'esprit. Nulle part on ne trouvait d'aussi riches joyaux (tous les grands joailliers du quinzième siècle sont Vénitiens), nulle part un luxe aussi étourdissant. Une corporation dite de la « Calza » s'était donné pour mis- Vue du ponl Saint-Jean à Venise. sion d'organiser les fêtes; lors du couronnement du doge Michel Sténo (i4<"0) chacun de ses membres dépensa, pour rehausser l'éclat de cette cérémonie, la somme énorme de 2000 florins (100 000 francs environ) '. En accordant à ces créations éphémères une place dans l'histoire des arts, ne nous dissimulons pas que souvent aussi elles ont tenu lieu d'œuvres plus élevées et plus durables, et que le talent d'un peintre s'est plus d'une fois noyé au milieu des rubans et des pompons. L'exemple de \'enise, celle des républiques italiennes où le pouvoir s'incarnait le moins dans un homme ou dans une famille déterminés, et où les entraî- 1455, proscription dos habits, des manteaux, des journades en drap d'argent ou d'or; 1472, pro- scription des fourrures de martre, hermine, loup cervier. (Mohiienti, la Sloria di Vmexia nella. vila pi ivala : Turin, 1880, p. 296, 012.) 1. Mohiienti, p. 064. i64 IlSTolRi; 1)1-; LART P1;M)ANT la Ri:XAlSSAXCE. Le doge François Foscan (14:3-14?-). nements de toute nature étaient le plus rares, cet exemple-là est tout particu- lièrement propre à nous montrer quelle place un État sage, bien ordonné, avant à la fois le souci de l'économie et celui de sa dignité, accordait à l'art (le dépar- tement des beaux-arts y ressortissait à l'office des « Provveditori del Sale », l'office chargé de percevoir l'impôt sur le sel). Toutes les grandes cités libres de l'Italie — Florence, Sienne, Pérouse — avaient bâti leur palais municipal au treizième ou au quatorzième siècle; aussi rien de plus rare que la con- struction d'un édifice de ce genre à l'époque de la Première Renaissance : tout au plus s'occupait-on de quelque embellissement spé- cial. Seule \'enise consacra toute cette période et le plus clair de ses forces à la construction de.l'immense et splendide « Palazzo Ducale », siège de son gouvernement et emblème de sa puissance, ce palais, « tout de marbre bien taillé, avec tout le devant et le bord des pierres dorées en la lar- geur d'un pouce ». (Commynes.) Aux yeux du Grand Conseil, l'art était avant tout un instrument de domi- nation et un auxiliaire de la politique. Cette vue étroite se fait jour dans la longue série d'inscriptions placées au-dessous des pein- tures de la grande salle représentant l'histoire des rapports de la République avec Frédéric Barberousse et le pape Alexandre III : on y sent que chaque trait doit porter. S'il attache tant de prix à la décoration de cette salle, qu'il appelle en \^?? un joyau très rare et très noble, <( jocale singularissimum et dignis- simum ' », c'est qu'elle sert à rehausser le prestige du premier corps de la République. S'agit-il, par contre, d'entreprises plus désin- téressées, telles que l'installation de la précieuse bibliothèque donnée à Venise par le cardinal Bessarion, on constate une indiftérence rare. Après un semblant de mesures prises en 1408, il nous faut aller jusqu'en 1404 pour trouver une décision définitive, et encore cette décision consiste-t-elle dans la cession de la collection au général des Dominicains, qui offrait de l'installer au monastère de San Giovanni e Paolo '. Le doge Pascal Maligieio (145--1462). 1. Lorenzi, Moiiiiiiieiili, t. I, p. .56, 6l-65 (avec reproduction des peintures). 2. Ihid., t. I, p. 109-110. 5^ VENISE. 16.Ï Le doge Christophe Mauro {14,2-147'}- Le Grand Conseil faisait d'ailleurs preuve d'une extrême parcimonie. Il n'ac- cordait que 125 florins de traitement à Antonio Rizzo, surintendant ou Pivto, comme on disait à \'enise, du Palais Ducal, et seulement '"> ducats par an à Jean Bellin pour l'exécution des peintures du même palais; on sait qu'il se brouilla pour une question d'honoraires avec Pierre Pérugin. Aussi taut-il entendre les doléances de Rizzo : charité à la fois de diri2:er la construction et de sculpter les figures, il a été forcé de fermer sa boutique; il lui est impossible, avec une allo- cation si modique, de mettre quelque argent de côté pour ses vieux jours, de constituer des dots à ses enftnts, etc. Le Conseil, touché de sa misère, finit par porter son traitement à 2(n) florins, mais ce ne fut pas sans peine '. Pendant la période qui noLis occupe, les points saillants de l'histoire du Palais Ducal sont : l'exécution des fresques de la grande salle par Gentile da Fabriano et Pisanello, la construction de la porte « délia Carta » par Giovanni et Bartolommeo Buon, le grand incendie du 14 septembre 14H4, la reconstruction de la partie qui donne sur la cour par Antonio Rizzo, Bartolommeo Buon et Pietro Lombardo, enfin la décoration de la grande salle par Giovanni Bellini, Aloïse Vivarini et plusieurs de leurs confrères. Si la direction des travaux d'architecture tut confiée à des artistes indigènes, lorsqu'il s'agit des peintures, on fit appel autant .1 des étran- gers qu'à des régnicoles, à Gentile da Fabriano, à Pisanello, au Pérugin, habitude qui semble montrer .1 quel point le gouvernement se ren- dait compte de l'infériorité des artistes véni- tiens, restés à moitié byzantins en plein quin- zième siècle. Pour la sculpture également, lorsqu'il tut question d'élever un monument de l'importance de la statue équestre du Colleone, on choisit un étranger, Andréa Verrocchio. Tandis qu'à Florence de simples particuliers, les Strozzi, les Ruccellai, les Tor- nabuoni, enrichissaient la cité d'œuvres d'art propres à témoigner à la fois de leur magnificence et de leur piété (\\4Jonilioii des Mages de Gentile da Fabriano, la façade de Sainte-Marie Nouvelle, les fresques de Ghirlandajo, dans la même église, etc.), à \'enise les amateurs, suivant une tradition séculaire (elle remon- Le doge Nicolas Maicello (1473-M74). I. Lortnzi, Moiiunicnli, t. I, p. lO'S, 10-, n.5. Itt, HiSTOïKi; m; \:.\\ — ^i-'l- vatico. Guida di l'adava c dci stwi pviiiciptdi loiiloriii. Padoue; Sacchctto, 1869. PADOUE. 171 Antoine, la ville bordée de portiques remplaçant le vulgaire trottoir moderne, s'est conquis dans l'histoire de la Renaissance immédiatement le premier rang après Florence. Sans les plus tristes complications politiques, les monuments Le Marlvre de saint Jacques. Fresque de .Manletrna aux Eiemilani de Padoue. de l'architecture y marcheraient de pair avec tant d'autres merveilles et notre brave Montaigne n'aurait pas eu à y déplorer « les rues étroites et laides, tort peu peuplées, avec peu de belles maisons ». Au siècle précédent, Padoue, grâce surtout aux leçons de Pétrarque, avait eu une intuition de l'antiquité véritablement rare et admirable pour cette époque'. I. Voy. h-s Pnxiirsftiti y— VERONE. - LA DAI.MATIE. I/lSTRir:. 173 séjour qu'y ht le frcre François Colonna, l'auteur du tnmeux Songe de Polyphile, qu'il acheva d'écrire dans cette ville l'an 1467. Un humaniste flimeux, Ermolao Barbaro (i-|54-i_|().i), occupait vers cette époque le siège épiscopal de Trévise. II avait fait peindre dans sein palais, antérieurement à I45-'Ï, par un certain Donatello de Trévise, des « Feste romane », c'est-à-dire probablement des scènes de triomphe, dans lesquelles on a voulu voir le prototype de plu- sieurs des gravures du Songe de Polyphile '. On a rattaché à ces peintures, mais sur une simple liypothcse, l'invention des grotesques. Le peintre Vin- ccnzo Catena est né à Trévise; Cima da Cone- gliano dans les envi- rons. Signalons encore l'es- sor de l'imprimerie dans cette petite ville. Le sa- vant Federici n'énumère pas moins de quatre- vingt-douze ouvrages sortis des presses trévi- sanes dans le court es- pace compris entre 1476 et i5oo-. Vue de Vérone. Feltre , près de Bel- (D'après le Suf^plcmcnliun Chniiiicanim de Foresli, édit. de mqo.) lune, a donné le jour au peintre Pietro Luzzi, surnommé Morto, qui passe pour l'inventeur des grotesques. Vérone'', la ville fière et pittoresque, sillonnée par l'Adige, protégée par les dernières ramifications des Alpes, n'a point, pour le quinzième siècle, de sou- venirs à opposer à ceux qu'y ont laissés, pour la période précédente, les délia Scala, race de grands criminels et de grands administrateurs. Soumise aux Véni- tiens à partir de I4(>:'i, elle se concentre et se recueille, sans toutefois abdiquer, comme le firent vers la même époque les Pisans sous le joug florentin. Si les créations monumentales y sont rares, en revanche \'érone donne à la Renaissance les vaillants maîtres qui s'appellent \'ittore Pisanello, Stetano da 1. BiBL. : Federici, Miiiioiic Trcvigiaiie suUc opère di disegno ; Venise, iRo.i, t. I, p. 96 et suiv. Voir en outre, sur Trévise, les Lettere siiUe Belle Arti Trevigiane, de Crico; Trévise, i833, et Y Histoire Je la Peinture eu Italie, de MM. Crowe et Cavakasclle, édit. allem., t. V, p. 446 et suivantes. 2. Meiiiorie Trevigiane snlla Tipografia del secolo XV. Venise, ifin.î. 3. BiBL. : Maffei, Verona illustrata. Vérone, 1731. — Bernasconi, Studj sopra la Slcria délia Pit- liira italiana dei secoli XIV e XV e délia Sctiola pittorica Veroiiese. Vérone, 186.x 174 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Zevio (né dans les environs), Matteo de' Pasti, médaillcur, peintre et arclii- tecte, le graveur Campagnola, Libérale, peintre et miniaturiste, Andréa Riccio, sculpteur insigne, enfin Fra Giocondo, l'un des plus éminents d'entre les architectes, ingénieurs et tiiéoriciens du quinzième siècle , Fra Giocondo dont l'activité féconde s'étendit jusqu'à Paris, où il construisit le pont de Notre- Dame, jusqu'à la Loire, où plus d'un château lui est attribué par une tradition séculaire. Dans le Frioul ', avec sa population énergique, guerrière, fortement attachée à sa foi, les villes d'Udine, Cadore et Cividale, qui ne tarderont pas à être inféodées à l'École vénitienne, après avoir longtemps flotté entre les influences septentrionales et les influences italiennes, ne prennent encore que faiblement part à la nou\'elle évolution de l'art italien. Parmi ses représentants on ne trouve guère à nommer que les peintres Marco Basaiti et Pellegrino da San Daniele. Quant à Bertolotti de Cividale, surnommé Bellunello, et Gian Francesco da Tolmezzo, dont les peintures ont été soigneusement décrites par MM. Crowe et Cavalcaselle, ils se distinguent par la dureté de leurs types archaïques, la sécheresse ou la loiu'deur de leur coloris. La Dalmatie et Tlstrie, alors soumises aux Vénitiens, ne laissent pas d'en- voyer à l'Italie une série d'artistes distingués, les deux Laurana, l'architecte et le sculpteur, le médailleur Paul de Raguse, le peintre Carpaccio. Il n'y eut pas jusqu'à l'EscIavonie qui ne comptât quelques représentants, les peintres Gre- gorio Schiavone, un des meilleurs imitateurs du Squarcione, et Battista, le père de Martino da Udine, si célèbre sous le nom de Pellegrino da San Daniele. T. BiBL. : M;iniago, Storia ckïïe Belle Arti Fviulane, 2" cdit. Udine, i82.'i. — Le même, Guida cVUdine... ciii si aggiuuge la Guida di Cividale. San Vito, i83(). — F. di Manzano, Cniiii hiogra- fici dei Lettcrati ed Artisti Friidani dal sccolo IV al XIX. LTdinc; Gambierasi, iSK.S. — Crowe et Cavalcaselle, Histoire de la Peinture en Italie; édit. allem., t. V, p. 210 et SLiiv. Xielle italien du xv siècle. (Diichesne, n" 223.) Kiise en Icrrc cuile de la Chartreuse je Pavie. CHAPITRE VII LA LOMBAKDIE. MILAX ET LES SFORZA. LES DUCS FRANÇOIS ET GALEAS MARIE. l'œU\RE du DÔME. PAVIE ET LA CHARTREUSE. BRESCL\. LODI. CKÉMOXE. CÔ.ME. LA SUISSE ITALIENNE. BERGAME ET LE COL- LEOKE. DIFFUSION DE l'ÉLÉMENT LOMBARD DANS LA SECONDE .MOITIÉ DU aUINZlÈ.ME SIÈCLE. LE PIÉ.MOKT. GENES ET LA LIGURIE. LA VERSILIE. omme Bologne,- comme Ferrare, comme Mantoue, Milan ne doit rien à la nature, et tout à l'industrie de l'homme. En l'absence ne fût-ce que d'un méchant cours d'eau, il a fallu y amener, au prix de travaux gigantesques, un canal qui fait assez triste figure. Ne cherchez pas non plus, sur ce sol d'une désespérante monotonie, les accidents de ter- rain qui prêtent un cliarme inexprimable à Vérone, à Ber- game, à Gènes; ce n'est qu'au loin, par delà la grasse plaine lombarde, que l'œil trouve à se reposer sur les montagnes. La vaillante cité n'en a eu que plus de mérite à se tailler dans l'histoire des arts la place que l'on sait'. Milan n'a pas été mieux partagée au point de vue de l'héritage du passé : en I. BiBL. : On manque, pour le Milanais, d'un bon recueil de documents ou d'un travail critique embrassant le développement de l'art dans cette région pendant le quinzième siècle. Les Xoliyie siillu vita e siille opère dei priiicipaU architetli , scultoii e pittori chc fiorirono in Miluiw diiraule il governo dei Visconti e degli Sfor^a , de Calvi (Milan, l85g-i869, 3 parties), reproduisent beaucoup d'erreurs anciennes, sans apporter un grand contingent de vérités nou- velles. Par contre, peu de provinces nous offrent une telle abondance de monographies dignes d'être proposées comme modèles. Les précieuses publications de MM. Caffi, Mongeri, marquis 1-6 histoirh: ni: i.art I'KNdani' la rknaissance. dehors de la colonnade de S;iint-Laurcnt, avec la rotonde qui lui fait suite, et des parties anciennes de la basilique de Saint-Ambroise, telles que la net en miniature de San Satire, l'antiquité n'y a laissé que peu de souvenirs, que peu de modèles. Ne déplorons pas ces lacunes : nous aimons mieux les cités qui sont les filles de leurs œuvres; ne faut-il pas, pour que l'inspiration soit vivante, qu'elle ait été précédée d'un effort! Les Sforza, en revendiquant l'héritage des Visconti, cette race de monstres, n'y trouvèrent à recueillir que des traditions de libéralité excessive, de fondations gigantesques, non une direction de goût nettement caractérisée. Le dernier des Visconti, Philippe-Marie ( i-''')i-i 447), tM'an aussi astucieux que farouche et lâche, autre Tibère retiré dans l'inexpugnable château de Milan, comme son prototype dans l'ile de Caprée, passa son existence dans cette splendide et mystérieuse résidence milanaise, dont l'embellissement tut, avec l'achèvement de la Chartreuse de I-'avie, la préoccupation constante des Storza aussi bien que des Vis- conti'. Il se piquait de ne se connaître qu'en chevaux. S'il appela auprès de lui Brunellesco (en 1422 ou en 142,1; peut-être aussi entre I4.-'1 et I4.^'0) '^'-' tut probablement en qualité d'ingénieur plutôt qu'en qualité d'architecte, pour lui demander de rendre encore plus inex- pugnables ces murs derrière lesquels il ne se croyait jamais suttisamment en sûreté. De même, s'il combla de présents et d'honneurs le fameux humaniste François Philelphe, qui vint fixer sa demeure à Milan en 14.'Î0, èe ne tut très certainement que par piu'e gloriole : sans culture littéraire sérieuse, le tvran éprouvait cependant le besoin d'attacher .1 sa cour quelque personnalité en vue, et de fltire chanter ses louanges par quelque adepte des doctrines littéraires nouvelles : c'était une mission dont nul ne pouvait s'acquitter avec plus de talent que le vaniteux, CLipide et servile Philelphe. Il n'est pas de ville où la rupture avec le passé ait été aussi brusque qu'à Milan en ce qui concerne l'organisation de la cour et de tous les services annexes, parmi lesquels il faut citer en première ligne les beaux-arts. Une dynastie telle que les Visconti ne disparaît pas sans laisser un \ide immense; elle n'est pas remplacée par des aventuriers tels que les Storza, sans que ceux-ci soient obligés de réédilîer d'Ailda, Bcltr.imi, Casiui, bcront citOcs au fur et à mesure, .ùiisi que les articles insérés dans VAnhivio slorico loiiihanio. Milan, années 1874 et suiv. Pour la ville de Milan en particulier, il faut signaler l'excellent manuel du regretté Mongeri : l'Aiic in Milaiio. Milan, 1872. I. L'histoire du château de Milan a été récemment écrite, avec infiniment d'érudition et de sagacité, par M. Lucas Beltrami, qui a également préparé pour ce monument un projet de res- tauration dont la mise en couvre fera le plus grand honneur à la municipalité milanaise : Il Caslcllo di Milaiio iollo il doininio dcgli Sjoi\a . Milan, i8U5. .Mcdaille de Ph. -Marie N'isconli, par Pisanello. l'IlIl.II'r'E-MARIK \ISCOXTI. à nouveau toute h machine gouvernementale. La République ambrosienne, qui dura de 1447 à 1450, s'était chargée de faire table rase : quel abîme n'a pas creusé entre l'ancienne et la nouvelle dynastie la démolition du seul château de Milan, cette bastille gigantesque que même l'énergie d'un François Storza a été impuis- sante à rétablir dans sa splendeur première ! La commotion avait été trop violente pour que toutes les branches du savoir ou du goût n'en fussent pas profondément atteintes. Sciences, lettres, arts ne retrouvèrent leur cohésion qu'à la longue, et encore, malgré la réputation des humanistes groupés autour du premier Storza (celui-ci s'était, par contre, déclaré ouvertement contre les astrologues, donnant par là un exemple d'indépendance rare au quinzième siècle), malgré le talent de Médaille de P. Candidù Decembrio, par Pisanello. François Philelphe, de Cicco Simonetta, de Decembrio, du Grec Constantin Las- caris, malgré la prospérité de l'Université de Pavie, François, pas plus que son fils Galéas Marie, ne parvint-il pas à créer autour de lui un mouvement littéraire ou scientifique véritablement intense, à fonder une école véritablement vivante. Le premier des Sforza, le soldat heureux qui devint le duc François (14(11- 1466), eût été excusable de négliger le culte des arts pour se consacrer tout entier, d'abord à la conquête de son duché, ensuite à son organisation. Ce grand capitaine et ce grand administrateur apporta néanmoins dans l'encoura- gement des artistes, non seulement une grande libéralité, mais encore des vues nettement arrêtées. S'il lui fallut au début borner son ambition, par exemple vis-à-vis de l'œuvre du Dôme de Milan, à laquelle il annonça, le 2O juillet i45o, qu'il ne pourrait plus lui accorder qu'une subvention annuelle de 5(i florins', a la place des 100 florins que lui avait accordés son prédécesseur, il ne tarda pas à se voir à la tête de ressources splendides. Dès 14O:! en eftet les revenus du duché atteignirent la somme énorme de 5.^1 ')'>7 ducats, abstraction faite de différents articles. Les dépenses se décomposaient comme suit : Traitements et salaires 63 684 5» 10. Aiiiuili Jilhi Fiihbriid dcl Diiciiio di Milaiio, t. 11, p. i311. -Munlz. — I. Ualie. Les Primitifs. i:R IllSrnlRK DE LART l'KNDANT LA RKNAISSANCE. « Piatello » (nourriture de la famille ducale) ; écurie; traitement de 65 chambellans, etc. 25o(nt Maison de la duchesse iSooo Maison des trères du duc iSooo Aumônes 2 528 Messes 090 40. Chasse au faucon ■> Oùo Chenil 2 ono ' Détalcation taite des dépenses relatives aux atHiires militaires, diploma- tiques, etc., il restait encore des sommes énormes pour satisfaire le besoin de luxe et encourager l'art. Un des premiers soins de François, après la prise de Milan (i 45' 1), fut de reconstruire le CastcUo démoli par l'éphémère République de Saint-Ambroise, après la mort du dernier ^'isconti (il eut l'habileté de foire demander cette reconstruction par les citoyens mêmes contre lesquels elle était dirigée). Les travaux commencèrent en 1451 1" (on ignore quel artiste en traça les plans), sous la direction des « magistri » Filippo Scozioli d'Ancône, Giovanni de Milan (mort l'année suivante, en I45i) et Marcoleone Nogarolo. Jacopo de Cor- tone et le Florentin Filarete ne tardèrent pas à être associés à ces maîtres; mais la richesse de la décoration rêvée par Filarete pour le château nouveau provoqua un conflit entre lui et ses collègues et amena sa retraite, en 1453 selon toute vraisemblance (Filarete ne fut pas plus heureux dans ses relations avec l'œuvre du Dôme : nommé ingénieur en 1452, il fut cassé dès 1454, parce que l'on n'avait pas besoin de lui : « eo quod de eo fabrica non eget' »). N'avons- nous pas là une preuve de l'opposition que les idées nouvelles, personnifiées par ce Florentin, rencontraient à Milan! En I455, Bartolommeo Gadio de Cré- mone tut nommé « commissarius supra laborerio castelli », fonction qu'il remplit vingt-cinq années durant. Citons encore, parmi les architectes attachés aux travaux, Benedetto Ferrini, de Florence, qu'on a confondu, à tort, avec Benedetto da Majano. Malgré toute l'activité que le duc François avait imprimée aux travaux (le chroniqueur Corio dit qu'il 3' dépensa un million de ducats), le château n'était pas encore assez avancé en 14'»6 (date de la mort du duc) pour que celui-ci pût l'habiter, et c'est le palais situé près de la cathédrale qui lui servit de résidence jusqu'à son dernier jour. Le château, au témoignage de Corio, était alors, en tant que château bâti dans une plaine, « il più superbo e forte » de l'univers entier. Le CastcUo, avec ses portiques, ses salles d'armes, ses salles de réception, ses chapelles, ses jardins, ses cours d'eau, ressemblait plus à la résidence de 1. .Vrchivcs d'Htat de Mil.iii. 2. Bcltrami, // diiU-Ilo di Mihiiio, p. 27 et suiv. .1. Aiiuali clvUi! Fahbrica dcl Diioiiio 1// Mihiiio, t. II, p. 14O, i.î,-), 1.55. FRANÇOIS SFORZA. quelque monarque de l'antiquité qu'à une citadelle. Sa réputation ne tarda pas à s'étendre au loin : bientôt il n'y eut plus d'étranger distingué de passage à Milan qui ne demandât la faveur de visiter cette huitième merveille du monde. A côté du château, la construction favorite du duc François tut YOspcdalc iiiaggiore, le grand hôpital. Ici encore il se servit de Filarete, qui, plus heureux qu'au château ou au dôme de Milan, y créa son œuvre maîtresse, une œuvre qui assura à son nom l'immortalité. La dédicace faite au duc du Traité d'archi- tcilinc nous révèle la cordialité des rapports entre l'artiste et son souverain. Filarete ne fut pas, pendant le règne du duc François, le seul artiste florentin qui combattit à Milan pour le triomphe de la Renaissance. A partir de 1406, Michelozzo Michelozzi y exécuta d'importants travaux, d'abord dans le palais donné par le duc à son ami Cosme de Médicis, ensuite dans la chapelle des Portinari, à Sant' Eustorgio, cette chapelle dont les fresques si attachantes, avec les épisodes de la vie de saint Pierre Martyr, ont été retrouvées sous le badigeon en i8~o et fort habilement restaurées depuis. Quant aux relations de l'ingénieur-architecte Aristotele di Fioravante de Bologne avec les Sforza ', il suffit de les mentionner ici sommairement : l'art n'eut que peu à y voir. François fit preuve de moins d'énergie ou de moins de goût dans le choix des sculpteurs et des peintres qu'il groupa autour de lui. Ils appartenaient pour la plupart à l'tcole indigène, c'est-à-dire à une école passablement en retard sur ses rivales. Ce sont en général des noms peu connus, et il n'y aurait véritablement pas grande utilité à les reproduire ici (on trouvera des notices sur les principaux d'entre eux dans les chapitres consacrés à la peinture); mais ce qu'il importe de constater dès à présent dans l'histoire de cette école encore imparfaitement étudiée, c'est que, loin de se traîner, comme les Vénitiens ou les Siennois contemporains, dans l'ornière byzantine, elle développa un réalisme de bon augure (fresques des Besozzo; miniatures du Diltaiiioiulo, à la Bibliothèque nationale de Paris, etc.). Il lui suffira d'un rapide contact avec les principes supérieurs de Léonard de Vinci pour porter ces germes à leur maturité. L'in- fluence du Pisanello et des nombreux Flamands ou Allemands qui sillon- naient la haute. Italie n'aura pas été étrangère à ce résultat. Le portail de l'ancien palais Vimercati, dans la Via Filodrammatici, exécuté d'après M. Lucas Beltrami, à qui je suis redevable de cette information', entre les années 1457 et 1468, nous fait connaître, mieux que tous les textes, l'état du goût milanais â l'époque du duc François. C'est une voûte en ogive, avec une ornementation moitié gothique, moitié antique (l'influence de l'antiquité perce surtout dans la profusion des génies nus); au sommet, la pomme de pin des Sforza, avec l'inscription : SI TE FATA VOCANT; au-dessous le buste en bas-relief du duc François; plus bas, à gauche, celui de Jules César (DIVVS 1. Beltrami, Arislolfk iht Bohgiia al serviiio dA diicii di Milaiio : 14^8-1464. Milan, 1888. 2. Voy. son ouvrage, // CastAlo di Milano, p. 86, et h Pcrseveranxa du 29 juin i885. l8o lIISTolRI'. \W. ART l'I-.NDANT LA Rl'.NAISSANCK. IVLIVS); à droite, celui d'Alexandre le Grand (ALEXANDER M.). De même que l'heureux condottiere du quinzième siècle est associé à la gloire des deux plus illustres généraux de l'antiquité, de même les éléments antiques se marient pendant cette ère de tolérance aux derniers vestiges dti moyen âge. Une autre date précieuse nous est fournie par une médaille due à Pietro da Milano. Cet artiste y a représenté, en i:\l>2, un édifice conçu dans toutes les données du style nouveau '. Parmi les fondations de François, une mention spéciale doit être accordée à Le poiliail du duc François Sforza sur le palais Vinieicali. l'atelier ducal de tapisseries de haute lisse, dont il confia la direction à des artistes français et flamands. Nous en reparlerons dans le chapitre consacé à cette branche des arts décoratifs. Comme plus d'un parmi ses contemporains, François Sforza demandait à l'art de servir ses haines aussi bien que ses affections. Ne pouvant plus atteindre, après son avènement au trône, l'ennemi de toute sa vie, le condottiere Nicolas Piccinino, mort quelques années auparavant (14^4), il voulut du moins se venger sLir sa mémoire : en ^."^."^ il donna Tordre de détruire le mausolée qui avait été élevé à son habile et valeureux adversaire dans la cathédrale de Milan -. La duchesse Blanche-Marie (mariée en 1441, morte en 1460), fille naturelle du dernier des A'isconti et lien bien trèle entre l'ancienne et la nouvelle dynas- tie, seconda vaillamment son époux François, et dans la conquête du duché et dans cette autre forme de propagande qui s'appelle la cidture des arts. Nous 1. De Citfvmûller, li's Projets priiiiilifs pour Sainl-Pierrc lic Roiin\ p. .i."!. 2. AiinaU dclla Fabbrica ikl Duoiiio di Milano, t. II, p. 1.S7. FRANÇOIS SFORZA. la voyons intervenir fréquemment dans les travaux de la construction du dôme ou du grand hôpital. La ville de Crémone également reçut de nombreux témoi- Saint Pierre Martyr guérissant un jeune homme de Narni. Fresque (restaurée) attribuée à Vincenzo Foppa. (Chapelle des Portinaii a Sanf Eustorgio.) gnages de sa libéralité'. Son goût pour la magnificence se révéla surtout dans la formation du trousseau que sa fille Hippolyte (1446- 1484) devait apporter au I. Calvi, Xotiiie, t. II, p. 86-88. iiis'ioiRi: 1)1 AR r IM'.NOAN'r LA RENAISSANCE. duc de Calabre, fils du roi Ferdinand de Naples : il était digne de se mesurer avec cckii qu'une autre Visconti, Valentine, dont le souvenir est resté si populaire dans notre pays, avait apporté quatre-vingts ans auparavant au duc d'Orléans. On \' remarquait tout d'abord un vêtement de «zetanino», avec des dou- blures composées des étoffes les plus précieuses, et des broderies d'argent, d'or et de perles (ces dernières au nombre de 9966! l'or pesait 70 onces); le tout estimé 5t)Oo ducats, quelque chose comme 2.10000 francs. Dans l'écrin, les perles se chiffraient par centaines, comme les rubis; on remarquait, outre les colliers et les broches, un miroir orné de gemmes, du prix de ()ri2 ducats, une argenterie et des ornements sacrés d'une extrême richesse. L'énumé- ration des robes, manteaux, man- telets, des broderies, du linge, remplit à elle seule de longues pages ; bret, l'ensemble représen- tait une valeur de 3oooo ducats (un million et demi de francs). Mais, quoique cet inventaire soit inédit', et malgré mon désir de satisfaire la curiosité de mes lec- trices, il faut savoir se borner. Il me suffira d'accorder encore une mention à la petite bibliothèque portative jointe au trousseau : les manuscrits qui la composaient étaient choisis avec infiniment de discernement. C'étaient : une Bible (du prix de i(H> ducats), deux Livres if offices, dont l'un écrit en lettres d'or et d'argent ( II) ducats), un Bréviaire ÇMi ducats), un Évauc^éliaire grec {iS ducats), la Vie lie la Vierge (4 ducats), saint Augustin, de la Cité de Dieu (100 ducats), la J'ie des Saints (40 ducats), la Vie de saint Nicolas de Bari (.i ducats), un ^'irgile avec les Commentaires de Servius (811 ducats), une Décade de Tite-Live (.16 ducats), un Catholicon (80 ducats), un Bréviaire avec l'Office de la Semaine Sainte (5o ducats). Qu'on ne s'étonne pas de trouver dans le nombre des ouvrages latins et même grecs : la jeune Hippolyte était célèbre par son savoir. Élève de Constantin Lascaris, que son père avait accueilli et qui composa pour elle sa Grammaire grecque, le premier ouvrage en cette langue qui sortit des presses (il parut à Milan en I47<>), Hippolyte charmait ses loisirs en copiant des manuscrits, par exemple le de Seneclute de Cicéron; tels furent ses progrès^ 1. Il se trouve aux Archives d'Etat de Milan : Reg. K, n° 1, fol. 96 et suiv. — M. Caflî a publié dans l'Arcbivio storico hmbardo de 1H76 la liste des créanciers de la duchesse Blanche- Marie ; parmi eux les orfèvres et les brodeurs sont en niaiorité. 2. Tiraboschi, Sloriu detla Letleniliini ilaliaiia, éd. de Milan, t. \'I, p. i:!i)2, 127(1. La duchesse Bianche-.Marie ViscoiUi-Sliirza. Fac-similé d'une gravure de 149-. (Ph. Bergomensis, tie cljris Miilicril'iix.} elALÉAS-MAKli; SI"()R/.A. i83 qu'en 1459, lors du congrès de M;intoue, elle put haranguer publiquement en latin le pape Pie H. Galéas-Marie Stbrza (1444-1471), rils de François, représente, parmi les Mécènes de la Renaissance, le digne héritier des tyrans de l'antiquité: un Néron, non moins beau, non moins raffiné, non moins cruel que son prototype. A la fois cupide et prodigue (son seul vovage à Florence lui coûta 2(:)0 00(i ducats, dix millions de francs!), beau parleur et d'une habileté consommée dans les exercices du corps, observateur rigoureux de la justice, impitoyable dans ses vengeances (il laissa mourir de taim ou fit enterrer vifs des malheureux qui lui avaient déplu), on peut dire qu'il ne mettait de naturel que dans ses défauts, ses excès et ses vices; de l'affectation partout ailleurs. Rien n'égalait les raffinements de sa toilette, la magnificence de sa maison, le luxe de ses équipages de chasse (en une seule année il dépensa de ce dernier chef 16000 ducats, les revenus d'une province) : il faisait garnir les per- choirs de ses faucons et éperviers de velours richement brodé d'argent et d'or, avec les armoiries ducales; et lorsqu'il se rendit à Florence, il emmena cinq cents Le duc GaiJas-.Maiie couples de chiens. Son orgueil ne connut surtout plus ^. . ^'o^za. r o r D après une médaille de bornes lorsque son mariage avec Bonne de Savoie aiiribuée à Caradosso. (1468) lui eut donné pour beau-frère le roi de France Louis XI. Grand amateur de musique, de poésie et de peinture, il lui prenait parfois des fantaisies qui dénotent quelque lésion du cer^^eau : par exemple, de faire décorer une salle entière de belles figures peintes en une seule nuit '. Bref, comme Néron, il aurait pu s'écrier, lorsqu'il tomba sous les coups des conjurés: « Qualis artifex pereo ! >> De tels monstres peuvent bien commander par hasard un chet-d'œuvre : ils sont impuissants à inspirer, à diriger une Ecole. Nous en avons la preuve, la preuve consolante (car il est si rare de trouver le goût d'accord avec la morale !), dans la décoration du château de Milan, cette résidence aussi forte que riche, dans laquelle Galéas-Marie ne tarda pas à s'installer après la mort de son père. Non seulement le nouveau duc ne fit appel à aucun peintre de talent pour une entreprise si enviable, mais il s'occupa surtOLit d'}' taire peindre des emblèmes plus ou moins étranges, des seaux sur un fond vert, des lis et des étoiles sur un fond bleu. Pour la décoration d'une autre salle (1472), il traça aux peintres un I. Corio, VHisloria di Miliiiio; i. Ghinzoni.) Galéas semble d'ailleurs s'être familiarisé dans sa jeunesse avec les principes du dessin sous la discipline du niini.uuristc Francesco Binasco. (Calvi, Xoli-ie, t. II, p. o>i.) iR4 IIISTOIRI-: Di: l.'AKT l'i:NnANT LA RKXAISSAXCE. programme plus intéressant, quoique singulièrement bizarre : la salle devait être décorée tout entière de bois peuplés de cerfs, de daims et d'autres animaux; le duc V devait être représenté à cheval, une épée à la main, sur le point de frapper un cerf; près de lui, les courtisans occupés à la chasse, et les chiens; plus loin, un certain Alexis renversé de cheval par un cerf, les jambes en l'air, dans la plus belle attitude possible. Une autre salle était destinée à recevoir les portraits du duc Galéas-Visconti, de la duchesse et de leurs flimiliers, ceux de Philippe- Marie Visconti, debout, les mains appuyées sur les épaules de deux chambellans (il ne marchait que difficilement à cause de son obésité), du duc François Sforza et de la duchesse Blanche, puis ceux de Galéas-Marie et de son épouse, ceux des marquis de Mantoue et de Montterrat, placés de façon qu'aucun ne parût avoir le pas sur l'autre (!); enfin venaient les portraits de saint Roch, de saint Hermès, de la jeune duciiesse Blanche, tenue à la main par la duchesse, de la nourrice avec la Nanneta, de don Tristan et don Sforza le second. La dépense totale devait s'élever à 5400 ducats'. Le château de Pavie était décoré dans le même esprit. Galéas y avait fliit peindre, dans la salle à manger, sa femme la duchesse Bonne de Savoie et d'autres dames, jouant au ballon ou à la pomme (j;V) avec leurs demoiselles. D'autres salles contenaient les peintures de toutes sortes d'animaux : lions, léopards, tigres, cerfs, sangliers; dans la grande salle on admirait les tournois, les chasses, les parties de pèche de la cour ducale; ailleurs on vovait Galéas donnant audience aux ambassadeurs, ou assis à table, servi dans des vases d'or, ou encore le Départ de la duchesse sa fiancée, son Arrivée à Gènes, puis à Pavie, la Rencontre des deux futurs époux, la Réception de la duchesse devant la cathédrale, la Substitution du costume lombard au costume français, etc. Le duc, si prodigue lorsqu'il s'agissait de transmettre à la postérité le souvenir des moindres épisodes de son règne, décida que la chapelle ne recevrait qu'une seule peinture, un tableau d'autel, la voûte devant être ornée d'une couche de bleu d'outremer parsemée d'étoiles d'or, avec la figure de Dieu le Père (1474). Plusieurs artistes ayant soumissionné ce travail, Galéas, par un mouvement d'avarice indigne d'un véritable amateur, donna ordre de le confier à celui qui avait offert de s'en charger aux conditions les plus modiques'. N'est-ce pas le cas de répéter, avec Emeric David, que, « pour apprécier les causes du progrès des arts, il tant examiner principalement si, dans le pays que l'on considère, ils sont honorés, protégés, ou abandonnés à leurs propres efibrts, asservis ou laissés libres, réduits à flatter des goûts frivoles ou dirigés par le gouvernement lui-même vers l'utilité publique et la gloire de l'Ltat! » L'idée la plus féconde peut-être de Galéas-Marie tut de faire élever une statue équestre à son père François dans l'enceinte du ch.UeaLi. On sait que ce projet, 1. Casati, ViiCiuk i-ilili\ic Je! cdsh-llo di Mihiiio; Milan; Brigola, 1876, p. 90-92. 2. Caffi, // Ciistcllû di Piivia; extrait àc VAixhivio slorico loiiihudo, 1876, L-t Sacchi, Noli\ii' pilloriche cremoiiesi ; Crcmonc, 1872, p. 215-219. L'ŒUVRH DU nOMP: DE MILAN. i85 pour lequel il s'adressa d'abord (147.3) au fils de MafFeo da Clivate, puis aux frères Mantegazza et à d'autres sculpteurs encore, fut finalement confié à Léonard de A'inci, qui, après y avoir consacré seize années, eut la douleur de voir détruire son chet-d'œuvrc pendant les guerres du règne de Louis XII et de François 1". Le règne de Galéas-Marie fut marqué par un événement capital pour le déve- loppement de la Renaissance, mais auquel ce prince demeura étranger : l'éta- blissement de Bramante à Milan, entre les années 1472 et 1474. En dehors des Sforza, un seul nom s'impose dans l'histoire de l'art milanais, celui des Trivulce, leurs ennemis; mais les représentants de cette illustre famille appartiennent déjà plutôt au seizième siècle, et il suffira de les men- tionner ici, nous réservant d'v revenir ultérieurement. Bien autrement efiîcace fut le rôle joué par la fabrique du Dôme de Milan. Le conseil d'administration, composé tan- tôt d'un petit nombre de députés, tantôt de quatre-vingts, de cent et même de cent cinquante membres, avait toutes les attributions d'un ministère des beaux-arts, très influent , , v, ,, ' La duchesse Bonne surtout lorsque l'argent abondait. Appelé à s'occuper d'in- de Savoie, dulgences, d'impôts, de quêtes, de legs, de procès, à tout instant aussi le choix des architectes, des sculpteurs, des peintres, lui permettait d'affirmer son goût. Il fut le gardien par excellence de cette arche sainte que l'on nommait le stvle gothique, bien différent en cela de la fltbrique de la cathé- drale de Florence, qui, dès 1404, recourait aux lumières de Brunellesco, le fougueux novateur. C'est à ce titre, -et non à titre d'étranger (aucune époque ne fit preuve de plus de cosmopolitisme que le quinzième siècle), qu'il repoussa Filarete. En thèse générale, les travaux, qui s'étaient ralentis vers 1440, ne reprirent que faiblement pendant l'éphémère République ambrosienne (1447 -1450), sous l'action des « capitanei et defensores libertatis ». Puis survient une nouvelle éclipse, jusque vers le moment où Ludovic le More tente son suprême eftbrt (à partir de 14'^ i). La décoration du sanctuaire au moyen de vitraux peints, l'exécution de la statue du pape Martin \' (gravée p. H4), la collaboration, dès le milieu du quinzième siècle, de la dvnastie des Solario, des commandes de retables et de statues, tels sont les traits principaux de l'histoire de la cathé- drale pendant le règne du dernier Msconti et des deux premiers Sforza. L'achèvement de ce malencontreux monument ne cessa de remplir Milan du bruit des discussions entre architectes. Ce ne furent que concours et expertises. Quand on a tant d'esprit critique, c'est qu'on a peu d'enthousiasme; aux qua- torzième et treizième siècles, on discutait moins, on agissait davantage. Aussi les ingénieurs (c'était le terme consacré à Milan) qui présidèrent à la construction, E. Miintz. — I. Italie. Les Pilmilits. 24 iRù iiisioïKi: m: i.Airr pkndant la renaissance. les Filippino degli Organi (originaires de Modène), les Francesco da Canobio, les Giovanni Solari, les Guiniforte Solari, se noyèrent-ils dans des travaux de détail, sans imprimer à l'ensemble ni un vigoureux essor, ni une direction supé- rieure. Il en fut longtemps de même des scidpteurs. ^'ers la tin du règne de Galéas-Marie seulement, la fobrique s'attacha un groupe d'architectes et de sculp- teurs éminents, Giovanni Giacomo Dolcehuono (1472 et années suivantes), Benedetto Briosco (1475), Omodeo. Les encouragements de l'œuvre du Dôme permirent à une école d'habiles peintres verriers de prospérer à Milan pendant tout le cours du quinzième siècle. Ses représentants s'appelaient Stetano de Pandino (141O), Matirolo de Crémone (1419), Niccolo de \'arallo (1449-1482), Christoforus de Mottis (i 461-1464), Jacobus de Bossis (1463, 1465), noms auxquels il faut ajouter ceux des divers artistes étrangers mentionnés ci-après. Grâce aux travaux du Dôme, Milan devint en outre le rendez-vous d'une foule d'artistes déclassés ou dépavsés, dont beaucoup venaient de France ou d'Alle- magne. Citons, parmi nos compatriotes, les architectes ou ingénieurs Simonetus Nigrus, Mermetus de Sa\oie, johannes Sanomerus (Jean de Saint-Omer) (14(1(1-1402), le sculpteur Matteo di Francia (14(11), les peintres verriers Zanino Agni de Normandie (1416), « Bartholomeus de Francia sive Sabaudia » (1430). Les Allemands, dès lors d'humeur si vagabonde, formaient légion, quoique la faveur qui s'attachait pendant la période précédente aux divers représentants du stvle gothique allât sans cesse en décroissant. Nous trouvons au service de l'œuvre du Dôme, pendant le quinzième siècle, des maîtres d'œuvre tels que Marchestem (1390-1404), le tailleur de pierres Bartolommeo de Cologne (1405), l'ingénieur Jean Nexemperger de Graz (avec son fils), envoyé par le Magistrat de Strasbourg et autorisé â retourner chaque année dans sa patrie (1483-1486), Alexandre de Marpach (14.^3-1484) et Oswald de Marpurgh (1483-1486), tous deux sous-ingénieurs, Pierre de Nuremberg (i4(%), André et Jean Maver, charpentiers (i48.Vi4()o), Petrus Focus ou Tocus, Richard Esler, Jean Ingrim (1483), \'elchirch ( 1 4'13- 1 4i"i4), Thibault Storebecher (1483- I4(!4), Jean Birich ( 1 |M.i-i48()). En 14!!!), l'ingénieur « Laurentius de Alemania majori » oftrit, mais inutilement, ses services. Les sculpteurs (peut-être plus exactement les tailleurs de pierres) ont nom Wal Monich (i3()<;- 1407), Antoine Gixler (i4f-!3), Vincent Fur (1483-1484), Antoine Chixel (1484; peut-être identique â Gixler?), Jean Huster (i4''^6). Parmi les artistes divers originaires d'Allemagne, on rencontre le peintre Pierre (1427), les peintres verriers Arnold et Comero (1428-1429), les batteurs d'or Pierre de 1 . Les annales de cette construction épique viennent d'être publiées (sans commentaires et avec beaucoup de documents sans intérêt) sous le titre de Aiinali Jt-lhi Fohhi ica del Diioiiio di Mihiiw didV origim- fim al présente; Milan, Brigola; 1877-1H8.S; g vol. in-4". Voy. éga- lement \ava. Mciiiorie e dociiDuiili ... che pcssono sen-iie alhi . IllST(MRi; \)V. i:\RT PENHAXT la UKNAISSAXtE. Francia, fabricant de brocarts d'argent, occupé dans les environs de la ville, en 1457, pour le compte du duc François Sforza. A quelques milles de Pavie, la Chartreuse, l'incomparable Chartreuse, vrai Panthéon de la sculpture lombarde, revendique, pour l'Italie du nord, le rôle joué pour l'Italie du centre par la cathédrale d'Orvieto : les maîtres les plus habiles, les Mantegazza, Omodeo, B. Briosco, Ambrogio Borgognone, Barto- lommeo Montagna, le Pérugin, Andréa Solario, Macrino d'Alba, y ont laissé chacun, soit son œuvre maîtresse, soit quelque page fameuse. Citons également la ville de Vigevano, où les Visconti avaient commencé et où les Sforza achevèrent un château, dont la mutilation, consommée dans les temps modernes (cette noble demeure est convertie en caserne), n'empêche pas d'admirer la richesse et l'élégance'. Brescia est représentée dans ce grand tournoi par une famille d'amateurs tels que les Gambara (elle donna le jour, en 1485, à Véronique Gambara, si célèbre dans l'histoire de l'humanisme sous le titre de comtesse de Correggio), et par un peintre de la valeur de \'incenzo Foppa, dont nous aiu'ons plus d'une tois, dans la suite, ;i signaler l'influence. On cite, pour le quinzième siècle, cinquante- quatre peintres nés ou fixés dans cette ville ^ sans compter des hôtes de passage tels que Gentile da Fabriano, qui y décora une chapelle aux frais de Pandolphe Malatesta. La curieuse et pittoresque église de la Madonna dei Miracoli et plu- sieurs palais v proclament, de nos jours encore, les efforts des architectes lom- bards de la Première Renaissance, avec leur style touffu et rocailleux. Orzinovi, dans la province de Brescia, a donné le jour au grand peintre Bartolommeo Montagna, que l'on avait jusqu'à ces derniers temps cru originaire de \'icence. Lodi a rattaché son nom à une petite école de peinture, dont les représentants sont Moschino, Geronimo, Melegolo, les Chiesa, Giovanni da Lodi, Bernardino Lanzano, Buongiovanni dei Lupi ou Lovi avec ses parents, puis les Piazza, école dont Rio a le premier signalé l'intérêt. Depuis, M. Michel Caffi a donné sur ces maîtres des informations nouvelles très curieuses, mais dont l'analyse nous entraînerait trop loin ici ''. Les auteurs du Cicérone mentionnent dans cette ville l'église de l'Incoronata, avec des arabesques de Bramante, et une charmante maison en briques, la Casa Modignani. Treviglio est la patrie de deux peintres de talent, Bernardo Zenale et Butti- none, dont le souvenir s'est perpétué jusqu'aujourd'hui dans leur ville natale par un retable d'une grande importance'. Côme, qui ne cesse de défrayer de « muratori » toutes les parties de la Pénin- 1. On en trouvera lu description dans /.; Rciinissiiih-c au temps de Chiirlcs l'ilj, p. 247-24^. 2. Fenaroli, Dixjoiiario degU Artisti Bresciaui. Brescia; Pavoni, 1877. ?<. Degli Artisti Lodigiani. Milan; Vallardi, 1878. (Extrait de Lodi, Mouogiajia slorico uitisliai.) 4. Casati, Treviglio di Gliiuni d'Adda e suo Territorio. Milan, 187.I. I.ODI. - rOME. - CRKMONi:. igi suie (vov. ci-aprcs, p. IQ4), concentre ses efforts sur la décoration, si délicate et si fouillée, de sa cathédrale. Fière d'avoir donné le jour aux deux Pline, elle place leurs statues sur la façade de ce sanctuaire, associant, par une tolérance touchante, les gloires du paganisme au triomphe de la religion chrétienne. Pour directeurs des travaux elle fait choix des frères Rodari, qui se sont peut-être inspirés d'un modèle tracé par Bramante. Un petit village voisin, Campione ou Campiglione, qui avait produit, au quatorzième siècle, des architectes et des sculpteurs si éminents, se repose au contraire sur ses lauriers. Dans les environs de la ville de Varese, d'où tant de maîtres d'œuvre, compris dans la catégorie des Magislri roiiuiciiii, se répandirent sur le reste de l'Italie, le bourg perdu de Castiglione d'Olona s'enorgueillit des fresques de Masolino, le maître de Masaccio. Ce cycle considérable, exécuté en partie vers 1428, en partie vers 1435, est bien certainement le plus ancien monument de la nouvelle école de peinture florentine dans la haute Italie. Nous y reviendrons dans la suite de notre travail. Bornons-nous ici à accorder un souvenir au cardinal Branda (f 1443), solis les auspices duquel Masolino entreprit cette incursion pacifique. La Suisse italienne, avec des villes telles que Lugano, Bellinzona, Locarno, Bissone, Carona, Melide, tient vaillamment tète à la Lomhardie '. Comme ses rivales, elle inonde l'Italie d'architectes et de sculpteurs. Rappelons parmi eux la dvnastie des Gagini, qui devint si célèbre à Palerme; elle était originaire de Bissone. A Crémone ", les créations de la Renaissance luttent avec celles de la période romane, qu'elles ont peine à reléguer dans l'ombre. La duchesse Blanche-Marie Sforza aimait cette ville, dans laquelle elle s'était mariée, et y fit élever plu- sieurs églises ou monastères. Les particuliers ne voulurent pas demeurer en reste avec la duchesse : la construction du palais Stanga, dont la porte fait aujour- d'hui l'ornement du musée du Louvre, l'exécution de nombreuses sculptures et de stalles monumentales en marqueterie, mirent en œuvre un essaim d'artistes habiles. Plusieurs de ceux-ci ont porté au loin la réputation de l'antique cité lombarde : l'architecte Bartolommeo Gadio de Crémone, les peintres Bonifazio Bembo et Cristoforo Moretto travaillèrent surtout pour la cour de Milan; Cris- toforo di Geremia, l'éminent sculpteur et médailleur, fit fortune à Rome et à 1. BiBL. : R. Rahn, dans le Rt'pcrtoriiim fur Kunslu-issenschafI, dirigé par H. Janitschek (iHf'o, t. III, fasc. 4). — Caffi, di alciini Archilclli c Scullori dfUa Svi\ifni ilalhiim (^Archivio sloiico loinbaido, l885 et 1886). — A. Bertolotti , Artiiti si'incri in Roiiui iici secoli .Vr. .YI7 i' ,VI7/. Bellinzona, 1886. 2. BiBL. : Sacchi, Noli:^ie pilloriche creiiionesi . Crémone, 1872. — Courajod, Dociimeiils sur l'histoire des arts et des artistes à Crémone aux quiii:{ième et sei::^ièiue siècles. Paris, i885. (Extrait des Mémoires de la Société nationale des Antiquaires de France.) ig2 HISTOIRE DE l.ART PICNOANT LA RENAISSANCE. Naplcs, t:iiuiis que Boccaccino, le peintre séduisant, ajouta un nouveau fleuron à la couronne dont se parait l'École vénitienne. Parfois un hôte illustre laissait à Crémone une trace de son passage; tel fut le Pérugin, qui peignit, en 141)4, une Madone dans l'église de Saint-Augustin '. Dans la ville si pittoresque de Bergame, située sur les toutes dernières ramifications des Al- pes, de manière à dominer l'im- mense panorama de la plaine lombarde , Bartolommeo Col- leone (1400-14-5), le condot- tiere fitmeux par ses victoires et peut-être plus encore par sa statue équestre, chef-d'œuvre de Verrocchio, se signala par quelques fondations intéres- santes ■ : les châteaux de Ro- mano, de Malpaga, de Marti- nengo témoignent de son luxe; la chapelle élevée près de Santa Maria Maggiore, à Bergame, enfin le couvent des Domini- cains alla Basella, près de cette ville, de sa piété. Nous repar- lerons en détail de cette cha- pelle, célèbre sous le nom de « cappella dei Colleoni », dans la biographie du sculpteur-archi- tecte Giovanni-Antonio Amadeo 1. DWJd.i, Iiklcigiiii... si/Hii Lihiriid di Pavia, t. I, p. \(r. 2. Rio a consacré au Colleoiic une notice étendue, trop optimiste, car le propre de cet écrivain distingué est de toujours ignorer le juste milieu : de V Art chrétien , nouv. édit., t. III, p. 229 et suiv. Sur l'histoire de l'art à Bergame, voy. Tassi, Vite de' Piltori, Scidtori e Archi- letti Bergamesciii ; Bergame, 1707, 2 vol. 10-4°. — Locatelli, lUtisIri Bergameschi, t. III (Intar- siatori, architetti e scultori). isergame, 1R7Q, in-8°. — TIk Art Journal, 1886, p. 261 et suiv. La porte du palais Slaiii.'a à Cicmonc. iMajjniciU. (iMusée du Louvre.) Li: VU.MUEAL vu COLLLUNL, lAK O.MOULO. (EcLlbU SaNTA .MaKIA .Mai^GIUKI; a BtKl.AMli.) li. Munlz — 1. llalic. Lcb. l^rimiUfe. 1M4 HISTOIRE D1-: L'ART l'ENDAN'T LA' RENAISSANCE. ou Omodco, qui fit ses premières armes sous les auspices du Colleonc et qui créa dans ce sanctuaire une de ses œuvres maîtresses. D'autres artistes de talent se signalèrent à Bergame : Filarete y commença les travaux de la cathédrale ; Vincenzo Foppa y exécuta le retable de l'église Sainte-Marie des Grâces; Bramante y peignit sur la façade du palais du Podestat les portraits de philosophes antiques'. Vers la fin du siècle, Bergame donna naissance à l'habile incrustateur (« intarsiatore ») Fra Damiano, une des gloires artistiques de l'ordre de Saint-Domniique. Un foit peu remarqué jusqu'ici des historiens d'art, c'est l'avènement des artistes lombards dans la seconde moitié du quinzième siècle. Le rôle joué au quatorzième siècle par les Siennois, au début du quinzième par les Florentins, ce rôle, les artistes de Milan et des villes voisines sont en voie de l'accaparer pour l'Italie aussi bien que pour l'étranger. D'abord paraissent de modestes maçons ou tailleurs de pierres, allant par bandes partout où l'on construit une église, un palais ; ils apportent avec eux, outre bon nombre de secrets du métier, quelques idées esthétiques — et l'histoire des arts enseigne qu'une révolution est toujours irré- sistible lorsqu'elle s'appuie sur la technique. — A force d'énergie, quelques-uns d'entre eux deviennent architectes, de même que les tailleurs de pierres de Fie- sole, de Settignano et de Majano devinrent sculpteurs. Ne vous y trompez pas d'ailleurs : ces modestes maîtres nés à Côme et dans les environs, ces Magistri coDiaciiii, dont les origines se perdent dans la nuit des temps, ne sont que les éclaireurs, l'avant-garde d'une invasion bien autrement menaçante. Laissez-les prendre pied, peu à peu ils attireront à eux de vrais chefs d'école, j'allais dire de vrais chefs d'armée : Bramante, devenu Lombard par son séjour prolongé, entre- prendra la conquête de Rome et du reste de l'Italie, précédé ou accompagné de Caradosso, le roi des orfèvres du quattrocento; le Sodoma jettera son dévolu sur Sienne et les cités voisines; Fra Giocondo et Andréa Solario sur la France, où ils seront suivis de Léonard de Vinci, encore mi Lombard, du moins par adoption. Mais n'anticipons pas. Quelques chiffres donneront une idée du rôle joué par les artisans lombards dans les diverses parties de l'Italie, en attendant que les artistes proprement dits se mettent de la partie. A Venise, en i486, le Grand Conseil est forcé d'accorder des avantages particuliers aux « lapicid.t » lombards, sans le concours desquels le palais ducal ne pouvait être reconstruit '. A Sienne, en 1474, les « muratori » lombards sont plus nombreux que leurs confrères siennois (19 contre iH)\ A Pérouse, de 1451 à 14^3, cinq maîtres lombards sont chargés de constructions importantes*. A Rome, le chiflre de 1. Vasari, t. IL P- +''7; t- HI, p. 63ii; t. IV, p. 148. 2. Lorcnzi, MoiiniiiciiH per servira alla sloria th'l Pii/k^^o ihiùilc âi- J'cih\iii, t. L P- U)0. 3. Milancsi, Dcctimaili, t. L P- 128, 129. 4. A. Roisi, Docuincnti iiicdili sopra alciiiie fahhrichc pu iigiiic itd sccoh AT. Pcrousc, 1870. LE MONTFERRAT ET LE PIÉMONT. np « miiratori » lombards dépasse certainement la centaine pour le quinzième siècle '. A Naples, nous trouvons successivement le chevalier Pietro di Martino de Milan, l'architecte et sculpteur fovori des rois Alphonse et Ferdinand; Fra Giocondo et bien d'autres de leurs compatriotes. La Sicile elle-même se peuple de Magistri coinacini, dont le plus éminent est Domenico Gagini, chef de la célèbre famille de ce nom. (Voy. ci-dessus, p. 191.) Dès la seconde moitié du quinzième siècle, les sculpteurs lombards pouvaient à leur tour se mesurer sans trop de désavantage avec les meilleurs maîtres de l'Italie centrale. Pietro da Milano, que la sculpture et l'architecture peuvent éga- lement revendiquer, fait fortune à Naples, comme il vient d'être dit, ayant à côté de lui ses compatriotes Francesco Lombardo et Domenico Lombardo ; Andréa Bregno travaille avec succès à Rome (147^, Sainte-Marie du Peuple) et à Sienne (1485, cathédrale, retable des Piccolomini); Ambrogio Barocci, au palais ducal d'Urbin, puis à Ferrare (1475, tombeau de Roverella, exécuté en collaboration avec Antonio Rossellino). Les médailleurs milanais ne recueillent pas moins de suffrages : Pietro devient un des favoris du roi René; Amadeo coule en bronze les médailles de Lionel et de Borso d'Esté. Enfin Caradosso modèle à Rome les admirables efiîgies, qui n'ont cessé d'être classiques, de Jules II et de Bramante. Les orfèvres milanais jouissaient aussi dès lors d'une réputation solidement établie, et qui ne fit que grandir au siècle suivant. Il v a loin de l'activité, parfois un peu inquiète, mais somme toute si fé- conde, qui caractérise la Lombardie, à l'indifférence des provinces limitrophes, le Montferrat et le Piémont'. Ces populations pauvres, arriérées, profondément attachées à leur foi (il en était de même des Ombriens, et cependant quelle vita- lité chez eux!), s'ébranlèrent lentement, péniblement. Qj-i'elles ne manquassent pas toutefois de dispositions pour les arts, l'exemple des Sodoma et des Gau- denzio Ferrari le prouva brillamment dans la suite. Point de Mécènes d'ail- leurs pour stimuler le zèle des artistes : dans la longue série des ducs de Savoie qui se sont succédé pendant le quinzième siècle, les uns s'absorbent dans la dévotion, comme le duc Amédée VIII (régna de iSgi à 1440; mourut en I45i; créé antipape sous le nom de Félix V), ou comme le duc Amédée IX (1465- 1472), qui mérita d'être inscrit par l'Église au nombre des bienheureux; les autres, s'ils affectent une certaine magnificence (le trésor de la maison de Savoie était un des plus riches de l'époque), manquent absolument de vues supé- rieures. A leur cour, l'influence franco-flamande lutte sans cesse avec l'influence Voy les Arts à la Cour îles Papes, et .le travail de M. Bertolotti, ,4)7/.!// hinhinli a Roiiia ; Milan, Hœpli, 1881 ; 2 vol. in-8°. 2. BiBL. : Fabre, Trésor de la Chapelle des ducs de Saim'e aux XV et A'TV siècles; Vienne, 186;^. _ Claretta, Brève notifia snl vasellame e sulle gioie delli duchi di Savoia alla meta del secolo .VIV Turin, 1879. — Vayra, le Lettere e le Arti alla corte di Savoia nel secolo -VI'/ Turin, ioo3. k/) iiiSToiRi-; ni: i/.\rt pendant la renaissance. italienne. Philibert le Beau encore (i 497-1 504), répoux de Marguerite d'Au- triche, est tributaire des écoles du Nord. Pour la période que nous étudions, c'est donc .1 peine si Ton peut citer de loin en loin quelque œuvre d'art isolée. La façade de la cathédrale de Turin, élevée en I 41)2 sur les dessins du Florentin Meo del Caprino, tel est, très pro- bablement, le premier édifice construit dans le style nouveau : la capitale du Piémont, on le voit, était en retard de trente années pour le moins sur Milan et de soixante sur Rome. Quant .uix cités de Casale, d'Acqui, de Novare, de Saluées, d'Albe, d'Aostc, de Mondo\i, d'Ivrée, de Suse, etc., si les monuments dLi moyen âge ou bien ceux du seizième siècle n'y font pas défaut, il serait diflîcile, en échange, d'y citer une création appartenant à la Première Renais- sance. Dans les inventaires des richesses artistiques de l'Italie dressés avec tant de soin par MM. Burckhardt, Bode et Redtenbacher, leur nom n'est pas pro- noncé. On en peut dire autant d'Alexandrie, gouvernée au début du quinzième siècle par le valeureux condottiere Facino Cane, et d'Asti, où l'influence des seigneurs du lieu, les ducs d'Orléans, maintint bien un certain courant d'art ', mais sans contribuer au triomphe de la Renaissance, dont la cause, on ne sau- rait trop le répéter, s'identifiait alors avec la cause même du progrès. Dans la peinture, le mouvement ne s'accentua également que pendant les dernières années du quinzième siècle, avec Macrino d'Alba (son plus ancien tableau daté est de I4<>'|), avec Deiendente de Ferrari, de Chivasso, dont l'œuvre appartient également pour la majeure partie au siècle suivant, et sur- tout avec le Sodoma (1477-1549), qui porta si loin la réputation de sa patrie, \'erceil-. Nous retrouverons ces maîtres dans la seconde partie de notre travail. Des architectes, des sculpteurs, des peintres, voire des orfèvres et des bro- deurs, on est d'ailleurs sûr d'en rencontrer partout, en plus petit ou en plus grand nombre, car les besoins de la société civile et ceux du culte exigent leur intervention jusque dans les régions les plus reculées. Un critère bien autre- ment sûr de la fécondité d'une école, c'est la multiplicité de ces branches acces- soires, qui supposent ime culture plus développée, un plus grand désintéresse- ment intellectuel : la gravure sous ses différentes formes, la tapisserie, la miniature, la marqueterie, etc., etc. Est-il nécessaire d'ajouter qu'à cet égard les provinces dont nous cherchons à définir le rôle ont foit preuve pendant toute la Prenfière Renaissance d'ime absolue stérilité? En parcourant le consciencieux catalogue des médailles italiennes dressé par M. Armand, nous vo3'ons que les premières médailles en bronze (je ne parle pas des monnaies proprement dites) des princes de Savoie font leur apparition avec Amédée IX (1465- 147 2), et les premières mécTailles des marquis de Saluées avec Fouis II (i47'>-i.'^i») et Boccacino Boccaci (141P). Le manque de cohésion de cette réunion d'artistes — à laquelle on hésite à donner le nom d'École — explique comment le royaume de Naples et l'Espagne même ont pu s'y taire représenter : le premier par Tuccio d'Andréa di Puglia (1488) et Rai- mondo Caraccioli de Naples (1484), la seconde par Altonso Roselle de Murcie Parmi les arts décoratifs, la marqueterie occupe le premier rang à Gènes et dans les environs. Une autre ville du golfe de Gènes, Savone, la patrie des délia Rovere, doit ses principaux embellissements à la magnificence éclairée du cardinal Julien délia Rovere, qui s'essayait sur ce théâtre modeste, en attendant que, sous le nom de Jules II, il peuplât Rome de merveilles. En 1489, Julien connnanda à \'incenzo Foppa et à Lodovico Brea, pour l'église Santa Maria del Castello, un grand retable qui existe encore, le Père éternel entouré d'anges'. Du palais en marbre blanc, construit par Giuliano da San Gallo pour le compte de Julien, son protecteur et ami, subsistent encore : la flrçade, la cour et les parties pos- térieures (aujourd'hui couvent de -Sainte-Claire) '. L'oncle de Julien, le pape Sixte IV, ne montrant pas moins de générosité ou de gloriole, comme on voudra l'appeler, fit bâtir une chapelle destinée à servir de sépulture à ses parents, et un arsenal aux dimensions gigantesques. La cha- pelle, qui se trouve à l'intérieur du Dôme, est restée debout; on y remarque les portraits sculptés de Sixte IV et de Julien. Le pape fit en outre don à ce sanctuaire d'un riche ostensoir, qui s'est conservé jusqu'à nos jours"'. Qiiant aux célèbres boiseries du chœur du Dôme, œuvre d'Anselmo de Fornari, il n'y a pas lieu de nous en occuper ici : elles ne furent commencées qu'en i5o9*. Une mention doit être accordée à la petite cité de Levanto, près de Gènes : 1. Vasari, t. III, p. 449. 2. Gauthier, les plus beaux Edifices de Cènes et de ses environs; Paris, i85o, pi. 64, 6.S. Cf. Rcd- tenbacher, p. 102. 3. Rocca, Le chiese e gli spedali delta citlà di Savouii ; Lucqucs ; Canovitti, 1872. — Garoni, Guida storica, economica e arlisti'ca delta eillà di Savona ; Savone, 1874, p. 2.59. — Les Arts à la Cour des Papes, t. III, p. 227-230. 4. Santo Varni, Tarsie ed intagli del Coro e Preshitero di S. Loreii:y in Cencrua; Gènes, 1878, p. 2V. :(» lliSTUlRl-; Dl:; LART PKNDANT LA RENAISSANCE. elle passe pour avoir donné riiospitalité au fameux Florentin Andréa del Cas- tagne et possède de nos jours encore quelques ouvrages intéressants remontant au quinzième siècle '. Nice donne le jour à deux peintres qui ont acquis une certaine réputation, IVIirallieti et Brea*. Quant à la Sardaigne, elle semble n'avoir pris aucune part au mouvement de la Première Renaissance, pas plus que la Corse ou Malte : nulle part la tradition du style pisan primitif ne se maintint aussi longtemps. Pour rejoindre notre point de départ, la Toscane, il nous reste à parcourir les provinces qui séparent Gènes de Pise, et qui sont connues sous le nom de Lunigiana et de Versilia ", avec leurs inépuisables carrières de marbre, avec des villes telles que Sarzane, Carrare, Massa, Luni, Seravezza. Là l'influence de Morence redevient prépondérante. A Sarzane, patrie du pape Nicolas V, le frère de ce grand pontife, le cardinal Philippe Calandrini, orna la cathédrale d'un autel dont il confia l'exécution à Leonardo et à Francesco Ricommani (14O3 et années suivantes), et pour lequel il mit à contribution, alHrme-t-on, les ruines de l'antique amphithéâtre de Luni. Ce prélat enrichit en outre le sanctuaire^d'une façade bâtie par Lorenzo Ricommani (i4"4)'. Deux années auparavant, Giuliano da Majano avait fourni les dessins du « Pa- l.izzo del C.ipitaneo ». La construction de la forteresse de Sarzane mit à son tour à l'épreuve la science d'architectes et d'ingéiiieurs tels que le Cecca et le Fran- cione (14M7), Antonio et Giuliano- da San Gallo. Enfin, en 149B, les protec- teurs de la fomeuse banque de Saint-Georges de Gênes firent sculpter par Civi- tale im saint Georges destiné à perpétuer, sur la place publique de Sarzane, le souvenir de la reprise de cette ville''. Dans la province de Massa, le marquis Campori " a compté, pour le quinzième siècle, dix artistes indigènes contre près de vingt artistes venus de la Toscane. A Pietrasanta, comme dans le voisinage des carrières de Fiesole, de Setti- gnano et de Majano, nous rencontrons des dynasties d'habiles constructeurs ou sculpteurs, les Ricommani — que nous retrouverons en étudiant l'histoire de l'architecture à Rome — , les Stagi, qui ont travaillé avec un égal talent la pierre et le bois. 1. S;into Viirni, Appiinli arlistici sopra Levanto ; Gênes, 1870. 2. Sch;ieffcr, Giovanni MiraUieti e Lodovico Brcii , pitlori alebri iii^::^ciiili de! .Vf'"" scwlo; Nico (iH8(i?). .1. BiiîL. : Sduiim, Comiiifiilari slorici siiUa Versilia centrale. Pise; 1 858 - 1 863, 6 vol. in-8°. Tolfauelli et Santini, Guida aile Alpi Apiianc. Ravenne; Barbara, 1874. 4. Vasari, éd. Milanesi, t. VI, p. 108. .T. Vasari, t. II, p. 129; t. III, p. 207-208. ('. Meniorie biografiche drgli Sciiltori, ArchiUlli, l'illûri ee. nativi di Carrara e di allri luoghi délia Prûvineia di Massa: Modcnc, 18- .3. t;. Muinz. — I. Ilalie. Le5 Hnmilils. 202 HISTOIRE m-: L".\RT PENDANT LA RICNAISSANCE. Il est temps de clore notre statistique. Aussi bien, ne saurait-on se flatter d'épuiser la liste de ces Mécènes obscurs qui, sans intérêt personnel, par pur patriotisme ou par pure dévotion, ont provoqué la création de tant de chefs- d'œuvre : contréries anon\'mes dont les patientes économies aboutissaient, après plusieurs générations, à la construction d'une chapelle; artisans au cœur ardent, qui, comme le cordonnier de Pérouse, osèrent commander un tableau d'autel à quelque compatriote illustre, tel que le Pérugin. C'est grâce aux efforts de tous, petits et grands, grâce à leur saint enthousiasme, à leur foi profonde dans la cause du beau, que l'Italie torme aujourd'hui encore le plus riche des musjes, que de pauvres villages continuent à s'enorgueillir, au boLit de quatre cents ans, de quelque merveille de l'art, legs imprescriptible tait par les ancêtres du quin- zième siècle à leur postérité la plus reculée. Les placements artistiques — les généreuses municipalités de la Renaissance l'ont bien deviné — ne sont pas, en tin de compte, les moins productifs, ni surtout les moins durables. Tels étaient à la fois les acteurs que les artistes allaient traduire sur la scène, et les auditeurs appelés à les applaudir; société mélangée, mais constituée for- tement, animée de ce patriotisme municipal et de cet esprit de famille qui font aujourd'hui encore la force de l'Italie. Prenons-la pour ce qu'elle vaut, et ne regrettons pas trop qu'elle n'ait pas eu que des vertus. Peut-être dans ce cas aurait-elle moins longuement iixé notre attention ! C'est parce que cette société a professé un culte si profond pour les choses de l'esprit qu'elle a mérité de vivre ainsi dans l'histoire, et en raison de ses efforts généreux, et aussi — il y a toujours de l'égoïsme au fond de notre admiration ! — et aussi parce que ses artistes nous ont laissé un idé;tl dans lequel l'homme moderne aime à retrouver ce qu'il y a en lui-même de meilleur et de plus beau. ^&^fl --«ES' FraÊtnienl d'un bas-relief de C'ivitiile. (.Mu>ée de Soiith-Kensington. Frontisi'ici; du Dècamèkon de Boccaci;. Vexisl:, 1492 Le bari;opliaf;e de 1". Sasselli, par Giiiliano da San Gallo. lii.'lise de la Tiiiiitc a Florence CHAPITRE I I.A TRADITIOX. I. AKT BYZANTIN ET L AUT ANTIQUE. LE CULTE DE L ANTI- QUITÉ AU MOYEN AGE. LES DIEUX EN EXIL. LA RENAISSANCE CARLG- VINGIENNE. TROPHÉES ET LEGENDES. LA RENAISSANCE AU DOUZIEME ET AU TREIZIÈME SIECLE. l'ÉCOLE DE PISE ET GIOTTO. n essayant, dans l'Inti'oduction ', de caractériser le milieu italien du quinzième siècle, de définir les courants géné- raux — politiques, religieux, iiitellectuels — qui ont donné à la production d'art sa forme spécifique, je n"ai pas eu la prétention de tout expliquer; il est d'autres traits propres à la Première Renaissance qui tiennent uni- quement à une certaine modalité du goîit. Cette recherche de la clarté, de la légèreté, de l'élégance, cette vision des « grands corps nobles qui vivent noblement et font deviner une humanité plus fière, plus torte, plus sereine, plus agissante, bref, mieux réussie que la nôtre- »; puis la gr.ice préférée à la force, la distinction à la grandeur, l'idéal de Donatcllo, en un mot, triom- phant h'i où triomphera plus tard celui de Michel-.'\nge; la jeunesse dans les idées, la pureté dans les formes : voilà des problèmes de psvchologie que l'on essaverait en vain de taire tenir dans une tormule philosophique on histo- 1 . Voy. piigt-'s 1 et SLiiv. :;. Tainc, Philosophif de l'Art m llalic, p, i-|. 2o>, l'éloge le plus intelligent, le plus complet. Il les admirait à la fois pour leur perfection technique, pour l'élégance de la composi- tion, la vivacité des expressions. Un archéologue de notre siècle n'eût pas mieux dit. Si ces éloges avaient dû rester à l'état de simples manifestations d'esthétique, il n'y aurait pas eu lieu d'y insister. Mais il y avait en eux un germe fécond, celui de l'imitation, et c'est pour ce motif qu'il était nécessaire de rechercher avec soin les témoignages d'admiration prodigués aux artistes de l'antiquité par le moven âge. Le moment est venu de dire comment cette époque a compris, comment elle a utilisé les modèles grecs et romains. En Italie, pour la période qui nous occupe, les efforts des princes normands, rapidement conquis à l'influence d'une culture d'art si haute, s'imposent parti- culièrement à notre attention. A côté des tentatives taites par Robert Guiscard pour s'approprier, soit des matériaux de construction, soit des sculptures anti- ques destinées à servir de trophées, il fout citer l'imitation des gemmes anti- ques sur les monnaies ou les sceaux de ses successeurs. Quelque informes que soient ces imitations, elles constituent un honnnage rendu .'i la supériorité de l'art classique. Dès le onzième siècle aussi, un retour à des tormes plus pures, à des formes se rapprochant de celles de l'art romain, se manifeste dans l'architecture ita- lienne. A Pise, un ensemble de monuments d'une importance capitale, la Cathédrale (commencée en io63), le Baptistère (ii53), le Campanile (1174), inaugure ce mouvement si merveilleusement dépeint par M. Taine. « Une renaissance avant la Renaissance, une seconde pousse presque antique de la civilisation antique, un précoce et complet sentiment de la beauté saine et heureuse, une primevère après une neige de six siècles, voilà les idées et les paroles qui se pressent dans l'esprit. Tout est marbre et marbre blanc, dont la blancheur immaculée luit dans l'azur. Partout de grandes formes solides, la coupole, le mur plein, les étages équilibrés, la ferme assiette du massif rond ou carré ; mais par-dessus ces formes renouvelées de l'antique, comme un feuillage délicat sur un vieux tronc qui reverdit, ils étendent leur invention propre, un revêtement de colonnettes surmontées d'arcades, et l'originalité, la grâce de cette architecture ainsi renouvelée ne peuvent s'exprimer'. » I. Voyage en Italie, t. Il, p. 65. L'EMPEREUR FREDERIC II. Si, à Florence et dans les environs, le Baptistère, la basilique de San Miniato, la façade de la Badia de Fiesole, tous de la fin du onzième ou du commencement du dofîzième siècle, ne montrent pas autant de rigueur et de parti pris dans le développement de l'arcade, qui forme à Pise le motif dominant, du moins ces édifices se signalent-ils par la pureté des profils, par l'élégance de leurs pilastres, par l'harmonie et la discrétion de leurs incrustations de marbre, imitées de celles des basiliques chrétiennes primitives. Ce mouvement, on le sait, a pour pendant les belles constructions romanes du reste de ritalie, de la France, de l'Allemagne et de diverses autres parties de l'Europe. Nous voyons alors se développer simultanément cette belle poésie latine, si légère, si limpide, si traîche, dont les Caniiiiia Buniiia forment un des plus parfaits modèles, et le stvle roman, avec ses imitations d'ordinaire très maigres, mais parfois très pures, de l'architecture et de l'ornementation romaines. L'intuition du génie de l'antiquité est tellement profonde chez les architectes de certaines écoles, par exemple chez ceux du Baptistère de Florence, que leurs successeurs du quinzième siècle, :\ .\iit;ustaic de rempereur Frcdénc ii. commencer par Brunellesco, purent plus d'une fois s'inspirer de cette première tentative d'adaptation des formes antiques aux besoins de la société nouvelle, au lieu de remonter aux originaux de l'antiquité. Les imitations abondent surtout dans le domaine des arts décoratifs : un vase récemment acquis par le Cabinet des médailles retrace V Histoire if Alexandre; une aiguière en bronze nous montre une figure de centaure très correctement dessinée; les tapisseries du dôme de Halbcrstadt accordent une place à Caton et à Sénèque à côté du Christ et des apôtres. Et que d'emprunts innombrables si l'on examine les ornements sculptés sur les cathédrales ! A ne s'attacher qu'au nombre et à la variété des sujets tirés de la mythologie ou de l'histoire ancienne (scènes du cycle homérique, Légende d'Alexandre, épi- sodes de l'histoire romaine. Combats des J'ertus et des liées, d'après Prudence, Histoire de Pyrame et Thishé, Jugement de Paris, Exploits d'Hercule, etc.), on serait même tenté d'attribuer à l'antiquité une influence infiniment supérieure à celle qu'elle a exercée en réalité sur le treizième siècle. Mais on ne sau- rait trop le répéter : la donnée seule était antique; le caractère des person- nages, leur type, les costumes, appartenaient en propre au moyen âge, et rien ne respire moins l'esprit classique que ces adaptations naïves. A cette époque aussi, pour la première fois depuis longtemps, les souvenirs classiques interviennent de nouveau dans les luttes religieuses. Si l'empereur Frédéric II, par les marques d'admiration prodiguées aux vestiges de l'anti- quité, fournit des armes à ses adversaires, en revanche la Papauté elle-même se trouva bientôt placée sur la sellette pour cause de paganisme. Dans sa lutte avec Boniface VIII, Philippe le Bel reproche formellement au ftstueux pontife 222 HISTOIRE DI-: L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. d'avoir remis en honneur la « pratique abominable de l'idolâtrie », en se faisant élever partout des statues. L'avènement du style gothique ne pouvait que porter le coup le plus sensible à l'influence antique. L'architecture la première s'affranchit des règles tracées par les anciens et suivies par les architectes romans, pour poursuivre les combi- naisons les plus hardies; la sculpture et la peinture cédèrent à tout instant au désir de copier la nature. Cependant, ici encore, au milieu de l'enthousiasme de générations fières d'avoir enfin inventé des moyens d'expression qui leur tussent propres, la préoccupation de l'antiquité revient sans cesse. Si les em- prunts sont moins fréquents, ils n'en prennent que plus de signification, en raison même de l'éloignement des temps. L'indépendance et la souplesse acquises par les artistes représentant le style nouveau devaient d'ailleurs leur permettre de distinguer avec plus de netteté que leurs aînés, d'une part, la nature, de l'autre l'antique, qui n'est au fond que la nature idéalisée. Dans l'architecture, les infitations directes redeviennent rares : en dehors de la loge dite d'Orcagna sur la place du Palais Vieux à Florence (commencée en 1076'), on aurait de la peine à citer quelque monument reproduisant l'ordon- nance ou même les détails des stvles classiques. Tout au plus l'influence latente de l'antiquité, en d'autres termes l'influence des anciennes races méridionales habituées à la vie au grand air, se traduit-elle par la construction d'édifices plus spacieux et plus réguliers, aux lignes plus calmes, à l'éclairage plus abondant. Il a follu, sur ce point, l'effort gigantesque d'un Brunellesco pour substituer, en quelque sorte du jour au lendemain, à l'architecture gothique l'architecture romaine du Haut Empire. La sculpture s'inspira avec plus d'esprit de suite des modèles antiques, s'ap- pliquant, sous le ciseau de Nicolas de Pise (7 1278), de son fils Jean de Pise (■j-vers 1.12g), de Fra Guglielmo d'Agnello, d'Arnolfo del Cambio (1240-1301), à reproduire les types, les attitudes, la manière de draper, et aussi, lorsque l'oc- casion s'en présentait, les emblèmes propres aux sculpteurs romains, notam- ment aux sculpteurs de bas-reliefs. Essayons de caractériser ces différents maîtres, et tout d'abord l'artiste de génie qui leur a servi d'initiateur. Nicolas de Pise est le dernier des sculpteurs romans, plutôt que le représen- tant du style gothique, bien qu'il ait plus d'une fois consulté la nature'. Les proportions de ses figures ■ — assez trapues, — ses draperies, le sentiment général, toujours empreint de gravité, toutes ces particularités de son style procèdent au fond de la tradition romane; tout, même ce culte de l'antiquité, cette étude des sarcophages grecs ou romains conservés à Pise, qui permit au vénérable sculpteur pisan de s'élever si haut au-dessus de ses contemporains. 1. Frey, die Loggia der Laiiii :^ii Flon'ii^, p. 20. Berlin ; Hertz, i885. 2. Voy. les Origines de la Renaissance en Italie, de M. Gebhart, p. ?,~. Y. 224 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. l-'ra Gugliclnu) d'AgiicUo, le disciple ut le ci)lLiborateur de Niccolo Pisnno, montra moins de servilité, sinon moins de respect vis-à-vis de l'antique. Dans sa chaire de l'église San Giovanni Fuorcivitas à Pistoia, la Vierge et sainte Elisabeth, avec leurs draperies si chastement arrangées, leur voile sur la tête, rappellent de tout point les statues de la Pudicité ou des Vestales'. La nymphe nue vue de dos se rattache non moins étroitement à un prototype romain. Si Arnolto del Cambio tut, en tant qu'architecte, un des principaux propa- gateurs du style gothique en Italie — comme le furent d'ailleurs Jean de Pise et pi'ut-étre aussi Nicolas de Pise, — en tant que sculpteur il se montra disciple lervent des anciens, à l'instar de son maître Nicolas. Dans le mausolée du cardinal de Braye (f I jHn), qui orne l'église Saint-Dominique à Orvieto, la Vierge est drapée comme une matrone romaine. Dans la fontaine de Pérouse, qu'il passe pour avoir exécutée en collaboration avec Jeaii de Pise, plusieurs figures sont antiques comme sentiment et comme carac- téristique : le mois d'avril personnifié par une femme debout, tenant une corne d'abondance et un panier de fleurs, Goliath costumé en guerrier romain, avec le casque, la cuirasse et le lambrequin qui descend de la cuirasse; puis le lion, les deux aigles, etc.". Che/i Jean de Pise, les réminiscences classiques s'al- lient, par une contradiction rare, aux excès d'un réa- lisme abominable. Ce novateur fougueux s'applique à copier (Dieu sait connne!), dans le soubassement de la chaire de la cathédrale de Pise (i3o2-]3ii), la Vénus de Médicis, conservée dès lors en Toscane". Dans le même monument, la cariatide composée des trois figures accolées de la Foi, l'Espérance et la Charité est imitée de modèles romains; elle rappelle de la manière la plus frappante la cariatide autrefois incrustée en mosaïque sur la coupole du mausolée de Sainte-Constance près de Rome '. Et combien d'autres emprunts, depuis les aigles et les lions jusqu'aux tenimes couronnées de lierre ou tenant des cornes d'abondance! La Visitation, par Kra Guglielino. (Pistoia.) Une seconde génération, à la tète de laquelle figurent André de Pise (né vers 127,1, mort vers i.''4i)) et les sculpteurs de la façade du dôme d'Orvieto, s'efforce de ti)ndre, plus harnionicusenicnt que ne l'avait tait la primitive iicole de Pise, les éléments antiques dans les tormes générales de l'art du mo\'en âge. 1. Vo}-. Clar.ic, Miisce de Sciûpliiic, pi. 7(0 tt suiv. 2. Massari et Vcrmiglioli, k ScuUure di Niccolo c Giovanni du Pi.ui c di Ainoljo Fiorcnlino chc ornano h Fontana Maggiore di Perngia. Pérouse, 18.14. 3. Voy. les Précurseurs de la Renaissance, p. 141. 4. Voy. la Revue archéologique, 1878, t. I, pi. XI. L'ECOLE DE PISE. 22D Les inconnus (c'étaient probablement des Siennois) auxquels nous devons les admirables bas-reliefs de la façade du Dôme d'Orvieto (première moitié du quatorzième siècle) ne se sont pas fait faute de prélever leur tribut sur l'antiquité. Signalons la prédilection avec laquelle ils découvrent l'épaule droite, faisant supporter à l'épaule gauche tout le poids de la toge, — une toge peu étoffée, et qui n'est antique que d'intention. — Tels se montrent à nous, dans la scène du Jiigcincnt dernier, les deux anges qui repoussent les damnés. Ailleurs, c'est une Sibylle drapée comme une statue grecque. Puis on découvre des sarcophages à strigiles, des génies nus supportant des guirlandes, des soldats revêtus de l'uniforme romain, etc.'. André de Pise, talent noble et discret s'il en fut, se plait à masquer ses emprunts ou, plus exactement, à les noyer dans son style si suave et si pondéré. On peut citer sur la porte du Baptistère de Florence, la peau de lion nouée sous f^- le menton de la Fortiiudo, la corne d'abondance placée sous „ . ' '■ Copie le bras de la Charitas, puis les soldats invariablement cos- de la Vénus de Médicis, , , ■ . > z-' •! 1 r J T^ ' ] 1 ' P'""" J^'""! de Pise. tûmes a la romame. Au Campanile, ht ngure de Uedale n a (Cathédrale de Pise.) d'antique que le sujet, bien différente d'Hercule, qui est parfiiit comme caractéristique et comme étude de nu. Phidias, vêtu d'une longue tunique comme on en portait au moyen âge, sculpte une Vénus nue, tenant une pomme à la main. On voit par ces exemples que l'écho de la Renaissance provoquée par Nicolas de Pise est parvenu, quoique atténué, jusqu'à son compatriote du quator- zième siècle. Telle est également la tendance d'Orcagna (né vers i3o8, f i368), qui dans plusieurs parties de son retable d'Or San Michèle, à Florence, s'est élevé à une si grande pureté de lignes. On n'appréciera pas moins les statues de Sibylles placées dans les niches du Campanile de Florence : ici encore on voit se désaser le trait essentiel de l'art italien, la recherche de la netteté et de la noblesse. Ces statues forment un singulier contraste avec celles des Prophètes qui leur font pendant, œuvres empreintes d'une sorte de réalisme vulgaire. L'œuvre de Nicolas de Pise, d'Arnolfo del Cambio, de Fra Guglielmo d'Agnello, et dans une certaine mesure aussi de Jean de Pise et des sculpteurs Prophète et Sibylle. Bas-reliefs du Dôme d'Orvielo. I. Voy. les Prèciirscurs ik la Renaissance, p. i; E. .Muntz. — 1. Italie. Les Primitifs. I8. 29 226 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. d'Orvieto, est assez varié et assez important pour constituer une Renaissance sui generis, une Renaissance souvent aussi près de l'antiquité que le fut, cent cinquante ans plus tard, la Renaissance du quinzième siècle. Ne regrettons pas toutefois que ce mouvement si remarquable ait été inter- rompu par l'invasion du style gothique : étant donnée la société du temps, la tentative par laquelle Nicolas de Pise s'est immortalisé était véritablement trop artificielle et absolument prématurée. Des floraisons aussi hâtives ne sauraient donner de fruits. La période de tâtonnements et de luttes qui lui fitit suite ne tut point perdue d'ailleurs. Dans l'intervalle, les différentes formes de la civi- lisation avaient eu le temps de se développer également, et lorsque les Brunel- lesco, les Donatello et les Masaccio reprirent l'œuvre de leurs aînés, ils purent s'appuyer sur cet ensemble d'éléments intellec- tuels qui a donné à la Renaissance du quin- zième siècle sa force et son harmonie. Si, aux treizième et quatorzième siècles, la sculpture a surtout empnmté à l'antiquité quelques-uns des éléments caractéristiques du stvle, — proportions, canon, types, système de draperies, — la peinture, par contre, s'est principalement attachée à reproduire les idées propres aux anciens : emblèmes, attributs, ornements. Giotto fut le premier qui entra dans cette voie. A tout instant l'illustre rénovateur de la peinture met à contribution les modèles antiques : tantôt il leur demande des détails d'ornementation (imi- tation de la colonne Trajane et du temple de Minerve à Assise, dans les fresques de la basilique de Saint-François à Assise; Victoires tenant des palmes, égale- ment â Assise; reproduction d'un des chevaux de Venise sur la £içadedu temple de Jérusalem, dans une fresque de la Madonna dell' Arena, à Padoue, etc.), tantôt il leur dérobe quelque motif allégorique plus ou moins ingénieux, tel que le Cupidon aux yeux bandés, le carquois en sautoir, l'arc à la main, de la même basilique de Saint-François; tantôt enfin, comme dans sa belle personnification de l'Espérance, à l'Arena de Padoue, il s'inspire du costume antique et s'efforce de disposer ses draperies en plis harmonieux, à l'exemple des sculpteurs grecs ou romains. Il n'est pas rare non plus de trouver dans son œuvre ou dans celui de ses contemporains la chlamyde nouée sur l'épaule, un des motifs antiques qui se sont maintenus avec le plus de ténacité pendant tout Copie d'une statue antique, par Giiitto. (Eglise Santa Croce à Florence.) I . Une fresque de Simone Martini, il Assise, représentant saint Martin offrant de se battre contre les Germains, nous montre l'Empereur, assis sur un trône et costumé à la romaine; son front est ceint d'une couronne de laurier; il tient le bâton de commandement. (Alinari, GIOTTO ET L'ANTIQUITÉ. 227 Copie d'un des chevaux de Venise, par GioUo. (iMadonna dell'Arena à Padoue.) On constate en outre chez Giotto et chez ses disciples l'habitude de placer sur la toiture de leurs édifices des socles supportant des statues, soit habillées, soit nues. Exemples : le Festin cfHérodc, à Santa Croce; la fresque de l'église de l'Antella (Alinari, n° 69); la prédelle du tableau de Taddeo Gaddi, au Louvre (n" 188). A Naples, dans l'église de 1' « Incoronata », je signalerai une autre réminis- cence curieuse. La scène représentant le Sacre- ment du mariage nous montre, sur la cloison servant de fond, des génies nus et ailés, tenant des festons. Ces génies — des « putti », comme les appellent les Italiens — sont de couleur blanche : c'est dire qu'aux yeux du peintre ce sont des statues. Nous retrouvons le même motif dans un tableau d'Ambrogio Lorenzetti, conser^■é à l'Académie des Beaux-Arts de Flo- rence (n" 17, daté de i.''4-). Au Campo Santo de Pise, l'auteur du fameux Triomphe de la Mort n'a pas su se soustraire, pas plus que Niccolo et Giovanni Pisano, à l'influence des modèles antiques qui peuplent cette cité vénérable. Les deux génies volants, tenant un cartouche (gravés à la fin du présent cha- pitre), les génies avec le flambeau, et le monstre avec la faux, sont imités des sarcophages grecs ou romains conservés aujourd'hui encore à Pise '. Dans la composition représen- tant Joh sur Je fumier on remarque des édifices à la tournure antique, un obé- lisque, une colonne triom- phale, une coupole rappe- lant celle du Panthéon. Dans l'hcole de Sienne, ces réminiscences sont surtout sensibles chez Ambrogio Lorenzetti (7 vers 1348), l'auteur des importantes fresques du Palais Vieux, représentant le Bon et le Mauvais Gouvernement. Plus d'une de ces fresques semble détachée de quelque paroi de Pompéi, tant elle se rapproche de l'antiquité par le sentiment et le style : de ce nombre est la personnification de VEté (reproduite page 228). Il suffira de signaler ici d'une manière générale les emprunts que ce maître éminent a foits à l'antiquité, en renvoyant, pour de plus amples détails, aux travaux de MM. Crowe et Cavalcaselle, ainsi qu'aux Précurseurs de la Renaissance. Génies nus tenant des festons. Fresque de 1' <■<■ Incoronata » à Naples. photographie n° 6773.) — Une fresque de Taddeo Gaddi dans l'église Santa Croce à Florence, l'Adoration des Mages (Alinari, n" 6814), reproduit un motif analogue. I. 'Voy. Lasinio, Raccolta di Sarcofagi..., pi. CXLV, XXV et 'LXIII. — Cf. Dohbert, Ueher dcn Styl Niccolo Pisano's iiiid dessen Urspruiig. Munich, iR-.?. 228 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Une miniature placée en tète d'un manuscrit du quatorzième siècle, VEpi- tome vironim iUustrium de Pétrarque, provenant de la bibliothèque des ducs de Milan et aujourd'hui exposé à la Bibliothèque nationale de Paris', nous montre, au centre, un char attelé de deux chevaux s'élançant vers les cieux : sur les chevaux, deux génies nus, ailés, sonnant de la trompette; sur le char, la « Gloria » distribuant de chaque main des couronnes. Dans les airs, d'autres génies nus, irréprochables comme modelé et comme mouvement. Dans le bas, une foule compacte, composée d'hommes à cheval, avec des couronnes de laurier sur la tète ou dans les mains. Je ne connais point de personnification plus éclatante de la Renaissance, telle que l'a conçue et telle que l'a constituée le prince des humanistes. L'histoire des relations de Pétrarque avec Simone Martini est bien foite pour montrer comment s'exerçait l'influence de l'antiquité. Voilà un artiste qui n'avait jamais regardé une sculpture romaine; son ami attire son attention sur le mérite de ces productions, et tout à coup, de propos délibéré, Simone s'évertue à re- produire le costume antique dans le fi'on- tispice du manuscrit de Virgile conservé aujourd'hui à la Bibliothèque Ambro- sienne de Milan. Je me hâte d'ajouter qu'il s'est très mal acquitté de cette tâche; mais l'intention du moins y est et il faut de toute manière lui en savoir gré ". Si Pétrarque a réussi à imposer son goût aux enlumineurs du manuscrit de Milan et de celui de Paris, son influence semble avoir été toute platonique en ce qui touche les peintres padouans, ses quasi-compatriotes. En examinant les fresques d'Altichieri et d'Avanzo, dans la basilique de Saint-Antoine et dans la chapelle de Saint- Georges à Padoue', il est impossible d'y découvrir le moindre emprunt classique, soit dans les types, soit dans les costumes, soit dans les accessoires. Les fonds d'architecture qui y abondent sont invaria- blement gothiques. Tout au plus y relève-t-on, sur le bouclier d'un soldat, témoin de la Crucifixion, les fameux sigles SPQ.R. LElc. Fresque d'Ambrogio Lorenzelti. (Palais public de Sienne.) 1. Fonds latin, n° 6o6(), L 2. Cette miniature a été publiée avec un commentaire développé dans la Gaictle archéologique de 1887. 3. Foerster, die Wandgemitlilè der S. CeorgenkapeUe :^ii Padtia. Berlin, 1841. — Photographies d'Alinari. PÉTRARQUE ET L'ANTIQUITÉ. 22Q L'influence classique ne s'explique que par l'ardente curiosité qui poussait les artistes de la seconde moitié du treizième et de la première moitié du qua- torzième siècle à découvrir des voies nouvelles. L'esprit d'initiative venant à s'affaiblir, il était naturel que les essais de restitutions archéologiques perdis- sent également de leur fliveur : je ne crains pas d'affirmer qu'aux approches du quinzième siècle, à la veille de la Renaissance proprement dite, à Florence, à Sienne, à Orvieto, en Lombardie, sculpteurs, peintres, miniaturistes, orfèvres. m^^M *l i\\' "f 1" ■^ ' ' ' V^ Frontispice du manuscrit de XEpilomc riroriim tllustnum de Pétrarque (xiv siècle). (Bihliotlièque nationale de Paris.) et artistes de tout rang et de tout mérite, étaient infiniment plus étrangers à la culture classique que ne l'avaient été, quelque quatre-vingts ou cent années auparavant, les Lorenzetti, les Giotto, les Fra Guglielmo d'Agnello ou les Nic- colo Pisano. Mais si les artistes italiens perdirent ainsi à tout instant le fil de la tradition antique, les amateurs ne cessèrent, à partir de l'empereur Frédéric II, de recueillir à leur intention les reliques du passé, des reliques qui pourraient un jour servir de modèles. On n'a pas assez tenu compte jusqu'ici, dans l'histoire des origines de la Renaissance, du rôle qu'ont joué ces modestes et utiles auxiliaires. En résumé, considéré dans ses rapports avec l'art antique, l'art italien du moyen âge a parcouru trois étapes nettement définies : l'architecture a donné 2:« HISTOIRE DF. L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. le signal aux onzième et douzième siècles par les monuments de Pise, de Flo- rence et des environs; au treizième siècle, la statuaire a suivi son exemple avec Nicolas de Pise et son École; quant à la peinture, c'est au quatorzième siècle seulement, avec Giotto et Lorenzetti, qu'elle s'est appliquée à imiter, sur des points isolés, des modèles antiques. Le rapprochement de ces dates suffit à montrer qu'il n'y a eu ni corrélation, ni par conséquent unité dans les tenta- tives plus ou moins partielles auxquelles le moyen âge italien s'est livré pour provoquer une Renaissance. Génies tenant un cartouche. Fragment du Triomphe de la Mort. Campo Santo de Pise.) 'x:;^:g:x^5?sg^:igr^:T::i7r^gi^^^ "',:^i"T5u:73?r?Sî:.T IJTTiTiii iiiiFiriiiriiii,riMnii>iïi.iri.MHiiiin 1 1 luii in ni! m i i,iii un ii 1 1 iifiitrn m vStkCfclM iMJâlt M* HliC XlOt Xii(*>ai* )Jll< 9M 9iU *M9iifXmïi.mi MX ^MJSfMSM ^iH^ii^J^ ■ ,■,..-',. i^, ri rw: ..^ ,;.i.,t:_^.^-j;.:^'..^^'S.iJ'j,.'r>.t--.i.-:5,r-'ji,'.;j.i'^if>jl.-JJ.rJ.fta Frisc d'une poile, par Bcnedello Ja Majano. (Palais Vieux a Florence.) î CHAPITRE II LA TRADITIOX Çuiilc). INFLUENCE DE L'AXTiaL'lTÉ SUR LE QUINZIEME SIECLE. LES IDÉES ET LES SUJETS. LUCIEN DE SAMOSATE ET LES « GESTA ROMANORUM ». LES FORMES. LA TRADITION CHRÉTIENNE. INFLUENCE DE DANTE ET DE PÉTRARQUE. cpcndant le besoin de nouveauté ou plutôt d'antiquité se faisait sentir en Italie avec d'autant plus de force que ce pays avait conservé, bien qu'à l'état latent, d'innom- brables éléments antiques, des institutions qu'il eût été véritablement difficile de souhaiter plus profondément humaines, des formes qu'on eût en vain cherché à rendre plus belles. Ce pieux héritage £ivorisa singuliè- rement le retour à la législation, à la littérature, aux arts de l'antiquité. Je viens de marquer les trois grandes étapes de la Renaissance italienne aux trei- zième, quatorzième et quinzième siècles, — car un intervalle d'environ cent ans sépare les évolutions de ces trois différentes formes de la civilisation. Au quinzième siècle enfin, l'étude de l'art antique, dégagée à la fois de toute superstition (j'en excepte la croyance, de plus en plus rare, aux vertus des pierres gravées) et de tout calcul autre que le désir de reoroduire des formes d'une beauté parfaite, devint d'un bout à l'autre de l'Italie le mot d'ordre des novateurs : ce qui n'avait été auparavant qu'un accident se changea en règle, en loi : nous n'avons plus affaire à des caprices individuels, mais à un entraî- nement général, comme qui dirait un vertige s'emparant de toute une nation. 232 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Pour introduire quelque méthode dans notre narration, attachons-nous d'abord aux changements dans les idées; nous étudierons en second lieu seule- ment les changements survenus dans les formes. Un des premiers résultats de la résurrection de l'antiquité tut de mettre iin au pessimisme qui caractérisait le moyen âge; les champions de la Renaissance s'efforcèrent, pour employer l'expression de Hegel, « de réconcilier la pensée (c'est-à-dire l'idéal) avec la réalité. » Immédiatement, l'humilité £tit place au sentiment de la valeur individuelle, et avec lui prend naissance la gloriole, Cet agent técond entre tous ceux qui ont favorisé le développement de l'art au quinzième siècle. En même temps on demande à l'antiquité d'exprimer ces aspirations avec tout l'éclat possible, secret auquel l'art romain du temps de l'Empire s'entendait merveilleusement. Un peu plus tard, vers la fm du siècle, la philosophie de Platon viendra don- ner à ces tendances leur consécration suprême, ce caractère de haut spiritua- lisme qui distingue la Renaissance parvenue à son apogée. Au point de vue de la direction des idées la révolution n'aurait pu être plus complète. La résurrection de l'antiquité marque tout d'abord la revanche des races méridionales, si longtemps opprimées par les races du Nord, et par !à prend un regain de vie et de réalité. Avec elle la raison vient refouler l'imagi- nation, laÊmtaisip, le mysticisme; la raison, c'est-à-dire la recherche de l'ordre, de la régularité, de la symétrie, des formes pures et harmonieuses. Autant le style gothique avait été fouillé et pittoresque, autant celui de la Renaissance sera sobre et clair, qu'il s'agisse de cathédrales, de bas-reliefs, ou de tableaux de chevalet. On voit reparaître la sérénité, le goût de la vie en plein air; le soleil inonde de nouveau les portiques à colonnes sous lesquels se promènent les héritiers de la « gens togata », tour à tour graves ou vifs, aux traits nobles, aux grands yeux expressifs, au teint ambré, au corps souple et élégant, aux extrémités petites et d'une finesse parfaite. Autre révolution : si l'art ne s'affranchit pas entièrement de la tutelle de l'Eglise, il conquiert du moins une indépendance relative; rillustration de sujets profanes commence à alterner avec la mise en œuvre de sujets religieux, quoique pendant le quinzième siècle les premiers ne forment encore qu'une mfîme minorité. Une des conséquences directes de cet affranchissement fut le retour à l'étude du nu. Interdite longtemps par les préjugés religieux, qui ne la toléraient que dans certaines compositions, telles que l'Hisloire ifAdain et LfEve, les Scènes de la Passion, avec le Christ en croix, le Jugement dernier, et contrariée, d'un autre côté, par les exigences des climats septentrionaux, cette étude reprit faveur au fur et à mesure que l'Italie avança dans la voie de la Renaissance. Par elle l'art reconquit la hase immuable qu'il avait eue chez les anciens, et renversa l'idéal plus ou moins conventionnel fondé sur le costume. En prenant pour point de départ la discussion scientifique, en s'efforçant de Apollon ol IIlk^ille liKANT i.l l'akc. 1 -^. -.-.l.iIL»- l l:. i-, (Londres, British Muséum). Jlan Eellin L'ETUDE DU NU. 233 se rendre compte des causes et des effets de toutes choses, la Renaissance donna une assiette nouvelle à la vie, sous toutes ses formes, aussi bien qu'aux différentes manifestations de l'art. L'Italien du quinzième siècle se sent plus ■ -^■^ —. ■> !.. „ ^' ---=^= ■ ^ ^_x=.^- — - -^-~- — — -^ — ---- — -^ 'a^Miy.u/y/yzmMa-/i/.-///^M'-ia»'.'xa ,.,. -, ... — , , . -•T.jiB..2i ■<:^oi&iyy~v/4i:xw//iil>^ 1 m H \\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\x L'étude du nu au quinzième siècle. La .Mort d'.Viam. Fresque de Piero délia Francesca. (Église Saint-François a .\rezzo.) libre, parce qu'il a appris à mieux raisonner; réconcilié a\cc les joies de ce monde, il cède à son penchant pour l'épicurisme; l'amour-propre individuel remplace ces grands élans de patriotisme et de magnificence par lesquels, au moyen âge, une cité ou une nation affirmait la solidarité de tous ses membres. Il était à craindre qu'au sortir du moyen âge les éléments nationaux, si long- E. .Muntz — 1. Italie. Les Primitifs. 3o 234 HISTOIRE DE L"ART PENDANT LA RENAISSANCE. temps groupés, sinon fondus, sous la discipline du christianisme, ne reprissent le dessus; il était ;\ craindre qu'à un idéal absolu, à une langue universelle, ne se substituassent autant de systèmes d'esthétique que l'on comptait de races. Au lieu d'Écoles tendant toutes à un même but, sans cesser de développer chacune ses qualités propres, se serait alors produite la plus étrange cacophonie, une incohérence insupportable, quelque chose comme la confusion de la tour de Babel. Supposez les Germains, les Anglo-Saxons, les Slaves, exaltant tour à tour les traits qui les distinguent au point de vue ethnographique, ou célé- brant les épisodes les plus spéciaux de l'histoire locale, à peu près comme le font de nos jours certains peintres tchèques ou polonais, que serait-il resté de la beauté absolue révélée à la Renaissance par Platon, ou de la portée incal- culable de ces pages radieuses par lesquelles Raphaël et Michel-Ange se sont à jamais attaché tout être pensant ! Il ne fallait rien moins que le prestige de la civilisation antique, dont les souvenirs étaient gravés partout en traits ineffaçables, depuis les Iles Britanni- ques jusqu'aux colonnes d'Hercule, depuis les bords du Rhin jusqu'à ceux du Danube, pour écarter un tel danger. Toute autre influence eût provoqué des différends et amené une scission : celle-là seule avait le privilège de réunir de nouveau l'Europe catholique, et jusqu'aux colonies du Nouveau Monde, dans un culte commun. Une fois de plus le latin devint la langue internationale par excellence; une fois de plus les inventions, si profondément humaines, du génie hellénique comptèrent des mvriades d'adorateurs. Peu s'en fallut que les autels des divinités de l'Olympe ne se dressassent de nouveau et ne se couvrissent d'offrandes. Spectacle d'autant plus grandiose qu'il n'est dû qu'à la raison pure, à ces formes de l'intelligence qui s'appellent la science, la philosophie, la poésie, l'art. Telle a été en effet la loi de la Renaissance : le mouvement qu'elle a provo- qué a été essentiellement aristocratique, parce qu'il avait pour point de départ l'évocation artificielle d'un passé depuis longtemps éteint, tandis que l'antiquité elle-même ainsi que le moyen âge s'étaient appu3'és sur un fonds de croyances religieuses trouvant sans cesse un aliment nouveau dans le cœur et dans l'ima- gination de la foule'. Là est la grandeur de la Renaissance, là aussi est sa fai- blesse. Et cependant, quel puissant levier de propagande populaire des inven- tions telles que la gravure n'avaient-elles pas mis entre ses mains ! Et puisque le devoir de l'historien est de montrer le revers de toute médaille, signalons ici encore une autre cause d'intériorité : à force de chercher les formules générales, classiques, absolues, la Renaissance finit par sacrifier à l'ab- I. a ... Le sculpteur ne parle plus à une cité religieuse, mais à un amas de curieux isolés; il cesse d'être pour sa part citoyen et prêtre, il n'est plus qu'homme et artiste. Il insiste sur le détail anatomique qui frappera les connaisseurs, et sur l'expression saillante que compren- dront les ignorants. Il est une sorte d'orlevre supérieur qui veut conquérir et garder l'attention. Il l'ait une simple oeuvre d'an et non une cvuvre d'art nationale. » (Taine, Voyage en Italie, I. II, p. i65, 166.) L'ORNEMENTATION. 2J.T straction. Attachons-nous un instant, par exemple, au domaine de l'ornemen- tation : la progression, il serait plus juste de dire la décadence, est saisissante. Les ornemanistes gothiques cherchaient les éléments de leurs figures autour d'eux, dans la flore ou la foune de leur région : en France ils copiaient la vigne, le hou.\, la fougère, le lierre, l'églantier, la mauve, le chêne, le prunier sau- 'i*&'fet-^3.i. Bordure composée de fruits indigènes. Bas-relief de l'atelier de Giovanni délia Robbia. (Hôpital de Pistoia.) vage, le poirier, les feuilles d'eau, le liseron, le persil, le cresson, le pied-de- veau, le nénuphar, l'iris, le dicl3'tra, la violette, le fraisier, l'oseille, que sais-jc encore ' I En Italie, la Première Renaissance resta fidèle, du moins pendant ses débuts, à ce principe fécond : dans les encadrements polychromes de leurs bas-reliefs, les délia Robbia donnèrent place aux oranges, grenades, pommes de pin, pastèques, des environs de Florence; dans les bordures de ses portes, Ghiberti I. VioUct-lc-Duc, Dictionnaire, article Floke. 2.% I1IST0IR1-: m-: l'art pendant la renaissance. reproduisit, eu les ennoblissant, la gerbe de blé, le lis, l'écureuil, l.i caille et une foule d'autres animaux ou plantes indigènes, de même que Léon-Baptiste Alberti osa orner, lui le fougueux sectateur des anciens, la frise du palais Ruccellai de l'humble tige de 1' « oricello » (la garance), dont les Ruccellai ou Oricellarj avaient tiré leur nom et leur fortune. Plus tard, des importations exotiques, sans saveur, parfois sans raison d'être, des importations absolument artificielles, reléguèrent à l'arrière-plan la nature vivante; lapalmette assyrienne, le lotus égyptien, la rosace romaine, envahirent la demeure des particuliers aussi bien que les monuments publics. Et de même, aux souvenirs d'un caractère personnel, aux armoiries, aux devises, aux em- blèmes, proclamant chacun les conquêtes d'un ancêtre ou la solidarité des membres d'une même fitmille, succédèrent des ornements, propres peut-être à flatter l'œil, mais assurément vides de sens : bucranes, mascarons, sphinx ou satyres, méandres ou postes courantes. C'est là toutefois évoquer les consé- quences extrêmes de la résurrection de l'antiquité : la période dont nous avons à nous occuper dans ce premier volume est toute de transition, disons mieux, toute de conciliation; son ambition suprême a été de fondre les conquêtes de deux mondes aussi distincts que le moyen âge pouvait l'être de Rome ou d'Athènes. Est-il un moment plus charmant que celui où poètes et artistes, secouant une poussière séculaire, découvrent à nouveau ces trésors qui n'ont rien perdu de leur éclat, réveillent cette Belle au bois dormant parée de sa jeunesse éternelle, bégayent un langage si longtemps ignoré? Leur enthousiasme n'est égalé que par leur inexpérience : beaucoup ne connaissent l'antiquité que par de vagues ouï- dire, mais ils l'admirent en raison même du mystère qui l'entoure; la légende les attire, les séduit, et qu'ils ont raison de céder à cet entraînement ! la fiction n'est-elle pas souvent plus vraie que l'histoire? Il y a dans les fastes de la Renais- sance quelque chose de plus touchant que le scrupule religieux avec lequel un Mantegna ou im Raphaël ont essayé de ressusciter ce monde magique : ce sont ces tâtonnements naïfs, frisant parfois le comique, ces erreurs sur les types, sur les costumes, sur la vraisemblance de l'action, Hélène coiffée d'une cornette, Paris, le beau berger troyen, chaussé de souliers à la poulaine, Hector portant un pourpoint brodé, — hommages flatteurs entre tous ceux que pouvait rendre au monde antique le quinzième siècle dans sa sainte ignorance. Considérons d'abord l'architecture, cette interprète la plus fidèle et la plus rigoureuse des besoins et des mœurs de chaque époque : on devine du premier coup d'œil quel essor durent prendre les constructions de toute sorte, surtout les constructions civiles. L'idée de défense mise au second rang, — car au fond ce que l'Italien du quinzième siècle prise le plus, c'est une existence contempla- tive, — le sentiment religieux tempéré par une civilisation plus douce, un monde nouveau s'ouvre à l'ambition des architectes : palais, hospices, tribu- RIIXES ROMAINES ET RUINES GRECQUES. naux, halles, portiques, villas, pavillons, surgissent comme par enchantement : les grands travaux d'édilité alternent avec les inventions de la fantaisie indivi- duelle; l'art des jardins prend naissance. Et quel luxe partout dans la décora- tion, depuis les palais jusqu'aux mausolées ! Dans ces constructions on s'inspire avec passion des édifices romains si bien appropriés au climat de l'Italie. Mais nulle part on ne songea, que je sache, à se rendre esclave des ruines antiques et à remettre en honneur des monuments qui ne répondaient plus aux moeurs des temps nouveaux ; nulle part on ne construisit de thermes, de cirques, de stades. Tout au plus, à Naples, une dynastie de princes étrangers éleva-t-elle deux arcs de triomphe, bien modestes si on les compare à ceux de la Rome impériale. L'architecture antique offrait en abondance aux Italiens du quinzième siècle des modèles de temples, d'arcs de triomphe, de portes de villes, de théâtres, de thermes, etc. ; elle n'en offrait que peu par contre pour les palais, les habita- tions particulières : pour les édifices à plusieurs étages, l'on en était réduit au Septizonium de Septime-Sévère à Rome, et à quelques maisons de Vérone. Les monuments qui ont exercé une influence prépondérante sont : au Nord, l'arc de triomphe de Suse, la colonnade de Saint-Laurent à Milan', les amphi- théâtres de Padoue, de Vérone et de Pola; au centre, l'arc et le pont de Rimini; l'arc d'Ancône; à Rome, les temples, le Colisée, le Septizonium, la basilique de Constantin, les arcs de triomphe, les colonnes triomphales, les mausolées, les thermes de Caracalla, de Dioclétien et de Constantin, les viaducs; à Naples enfin et aux environs, à Baies, à Pouzzoles, etc., des thermes, des temples. Ces modèles, ainsi que l'ont tait remarquer les auteurs du Cicérone, les artistes du quinzième siècle les copièrent sans distinction d'époque ni de style. Les monu- ments de la décadence furent étudiés avec la même ardeur que ceux de l'âge d'or; la basilique de Constantin suscita la même admiration que le Panthéon ou le portique d'Octavie. Il est à peine nécessaire d'ajouter que l'architecture grecque demeura lettre close pour les architectes du quinzième et du seizième siècle : ceux-ci ignorèrent non seulement Athènes, mais encore Pa'stum, Métaponte, Ségeste, Sélinonte, Taormine. La mâle et grave beauté du style dorique ne pouvait prévaloir à leurs yeux contre les élégances du style corinthien. On a souvent exprimé le regret que les architectes de la Renaissance n'aient pas connu les chefs-d'œuvre de l'art grec. Je ne saurais partager cette manière de voir. Nous aurions vu se renouveler l'erreur commise de nos jours par tant I. Dès le quatorzième siècle, Fazio degli Ubcrti célébrait la beauté de ce fragment, qui le transportait en imagination, disait-il, à Rome : Poi fui in San Lorenzo più d'un ora, Vago di quel lavoro grande e bello, Ch' essere mi pareva in Roma allora. {DitlamonJo, liv. III, chap. iv.") 238 mSTôIRl': DK L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. de maîtres oniincnts : on aurait cherché à transporter de toutes pièces les formes helléniques sur la terre d'Italie, si différente de la Grèce par le climat et sur- tout par les mœurs. L'architecture romaine, au contraire, était précisément l'appropriation de l'architecture grecque aux besoins de l'Italie. Puisqu'il était donc écrit que les architectes de la Renaissance devaient être des imitateurs et non des créateurs, il vaut mieux qu'ils aient imité, non des modèles étrangers, mais des modèles nationaux, répondant parfaitement aux besoins de leur patrie. En ce qui concerne la sculpture, nous verrons plus tard combien la situation était différente. Les monuments si purs et si pittoresques du midi de la France, d'Orange, d'Arles, de Nîmes, d'Aix, etc., ne commencèrent ;\ être étudiés que dans le dernier quart du quinzième siècle : ils le furent surtout par Giuliano da San Gallo. Sans l'homme d'initiative qui sait en tirer parti, les meilleurs modèles restent lettre morte : l'attitude respective des Romains et des Florentins vis-à-vis des chefs-d'œuvre de l'antiquité démontre clairement cet axiome. Ici une ville sans passé artistique, du moins pour peu que l'on remonte au delà du moyen âge; là un musée gigantesque. Or ce sont ces parvenus de Florentins qui dé- couvrent et s'approprient les richesses accumulées dans la Ville éternelle, tandis que les Romains restent impassibles à la vue de tant de merveilles et, une fois leur héritage passé en d'autres mains, sont forcés de racheter leur part au poids de l'or. A côté des monuments originaux, il y a lieu de citer les écrits de Vitruve. Son Traité tf Architecture n'était pas resté absolument inconnu pendant le moyen âge'. Néanmoins personne ne le mit en lumière avant le Pogge, qui en découvrit, vers 14 14, au couvent de Saint-Gall, un précieux manuscrit. Il me semble difficile d'admettre que Brunellesco n'ait pas eu connaissance de la découverte de son compatriote. Quoi qu'il en soit, Léon-Baptiste Alberti est le premier qui fit du théoricien latin une étude suivie et qui rapprocha son texte des monuments conservés à Rome. Vitruve fut en outre mis à contribution, vers cette époque, par Ghiberti dans le commentaire dont bon nombre d'au- teurs, entre autres Charles Perkins, lui font honneur*. Francesco di Giorgio Martini l'étudia tout particulièrement. Enfin, parut à Rome, vers i486, la pre- mière édition, due aux soins de Johannes Sulpitius Verulanus, assisté proba- blement de Pomponius La;tus, et dédiée au cardinal Raphaël Riario. Elle tut suivie d'une édition florentine (1496), d'une édition vénitienne (i4')7), puis, en i5i I, de la furieuse édition critique de Fra Giocondo"'. 1 . L'n ni.inuscrit de Vitruve figure dans la partie de la bibliothèque des Papes d'.-Vvignon qui fui transportée vers le début du quinzième siècle à Peniscola, en Kspagnc. 2. Perkins, Glnberti et son Ecole ; Paris, Rouam, 1886, p. i(»i, loi, lod. ."!. Poleni, Exercilatimics Vitniviaii.r priiiue ; Padoue, I73c), p. .î etsuiv. Voir aussi Burcklinrdt, mmm COPISTES ET INTERPR1':TES. 209 Chez Briiiiellesco et Albcrti la préoccupation rétrospective avait été si rigou- reuse, que ce ne fut pas trop de l'effort de toute une génération pour ramener l'architecture au sentiment de la réalité. Aussi, après ces grands artistes, l'étude des modèles romains faiblit-elle plutôt qu'elle ne se perfectionna. Prenons les QÀr"A E uvfAC/XA D£L^r>NT''. î:20T0-VKLC>f*J\rA Croquis Ju Ihijàtre d'Orange. Fac-similé d'un dessin de Giuliano da San Gallo. (Rome : Bibliolhèquc Barberini.) croquis d'un quattrocentiste célèbre, Giuliano da San Gallo : son érudition archéologique est sommaire et imparfaite au plus haut point, comme le prouvent ses croquis du théâtre et de l'arc de triomphe d'Orange. Dans le second de ces monuments, l'artiste du quinzième siècle a surmonté l'at- tique supérieur d'un second fronton couronné par un piédestal; or cet arran- gement n'a pas existé. Les colonnes corinthiennes du monument sont cannelées, celles du dessin sont lisses; ces colonnes reposent, dans le dessin, sur Gcschichlc ikr Rciiaissaihc in Ilidien, p. 3", .38, et RcJtcnbachcr, du- Architektiir dn Ilah'wnischen Renaissance, p. 46-47. 240 HISTOIRE DE LAKT l-ENDAN'l' l..\ RENAISSANCE. des piédestaux; en réalité elles devraient reposer sur le stylob.ite continu qui règne sur toute la largeur de la tace. La trise de l'entablement est représentée unie sans sa décoration; les médaillons de la corniche sont absents; il en est de même des cornes d'abondance qui occupent les angles du fronton ; les grands bas-reliefs de la tace orientale occupent dans le dessin, sur deux zones, les entre-colonnements sur toute leur hauteur; en réalité, ils ne devraient en occuper que les deux tiers, le troisième tiers inférieur devant être uni. En haut, ce sont des trophées, des casques, des boucliers, des cuirasses, des ensei- gnes; mais, dans le dessin, ce ne sont plus les mêmes objets, et leur dispo- sition présente une certaine confusion, qui contraste avec la sobriété de leur véritable arrangement. De même en réalité les personnages figurés sous les trophées sont au nombre de six, un homme et une femme par entre-colon- nement; ils sont tous vêtus; dans le dessin ce sont six hommes, et tous sans vêtement. L'inexactitude dans la reproduction des personnages pourrait facile- ment s'expliquer, si d'autres dittérences de détail, visibles au quinzième siècle, ne prouvaient pas que San Gallo se mettait peu en peine d'exactitude ; en effet, il aura vu les têtes des personnages qui paraissaient, seules, au-dessus de l'en- fouissement de l'arc ; il les aura notées dans son croquis, et dans sa restitution ftite après coup, il les aura complétés tels qu'il lui a plu de les figurer'. Entre l'architecture d'un côté, la sculpture et la peinture de l'autre, se place rornementation, qui, participant à la fois de ces différents arts, sert à les relier les uns aux autres et à assurer l'unité décorative. C'est le domaine dans lequel l'antiquité s'impose avec le plus de persistance. Avant même que les ingénieuses fictions du génie hellénique où tant d'exemples du plus ardent patriotisme eussent séduit l'imagination des artistes du quinzième siècle, ces mille et mille motifs, il serait plus juste de dire ces mille et mille riens, si pittoresques, si élégants, si merveilleusement « trouvés », — ■ grecques, méandres, guirlandes, postes courantes, bucranes, mascarons, rosaces, banderoles, sphinx, génies, triglyphes, rinceaux, torsades, atlantes, balustres, oves, caducées, boucles, dau- phins, candélabres, mufles, imbrications, urnes, sirènes, rostres, trophées, — avaient captivé le regard, l'amusant de leurs contours nets et harmonieux, cornme un enfant peut l'être par un joli jouet. Architectes, sculpteurs, peintres, graveurs, et jusqu'aux orfèvres, jusqu'aux miniaturistes, jusqu'aux potiers, c'était à qui s'en approprierait quelques bribes. Ainsi s'athrma pour la première fois l'empire de ces revenants, plus puissants après leur mort qu'au temps de leur plus grande splendeur. On imita pour le plaisir d'imiter, sans chercher au delà; plus tard seulement l'on s'occupa d'analyser méthodiquement, de rai- sonner et de codifier. Michelet a peint d'un nu)t ces t.'uonnenients si séduis.uits 1. J'emprunte ces observations il un s.iv.int mémoire de M. de L.mriére ; Giiiliaiio ihi Sun Gallo et les Mommunts antiques du midi dv ta Fiance. P.iris, l88.T (Extrait des Mémoires de la Société nationale des Antiquaires de France, t. XLVj. LES SOURCES LITTERAIRES. =41 dans leur naïveté : « Ils travaillent infiniment, énormément, à se parer. Char- mants dans le détail, ils éblouissent, n\n'ant point d'unité, tranchons le mot, n'ayant point d'âme encore '. » Pour le sculpteur, le peintre et leurs congénères, les sources furent en première ligne les auteurs classiques, en second lieu les ruines. Je commencerai par les sources littéraires, parce que, ne fournissant qu'un thème général à inter- ar <.^^fe.>^^44iJ;4o^^^4.<^ '^'^<^=^^^''^^^^y^^''*Sj^<^\^ç^^^^^ Fac-similc d'une iîiavuic tles Fables d'Esope (édit. de Venise, H93). prêter, elles ont excité chez les artistes du quinzième siècle l'esprit critique, tandis que vis-à-vis des modèles appartenant à l'art figuré on se contenta souvent de copier littéralement, sans chercher à comprendre : c'est ce que fit entre autres le grand Donatello, lorsqu'il reproduisit en dimensions gigantes- ques, dans la cour du Palais des Médicis, des camées ou des intailles appar- tenant à ses protecteurs. Auteurs grecs et auteurs latins, poètes et historiens, moralistes et satiriques, le Portique et le Lycée, les Stoïciens et les Epicuriens, tous, petits et grands, fiers ou humbles, fiirent mis à contribution avec une égale ardeur. Le cycle homérique inspira le Combat iT Ulysse et iVIros, plaquette de bronze due à Filarete; V Episode de F Histoire d'UIvsse, retrouvé à Vienne par M. Courajod et 1. Hiiloiie (le France, t. VII, p. 34.1-344. E. Munlz. — I. llalie. Les Primitifs. 242 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. attribue par ce savant au même artiste; Y Histoire île Paris, peinte par Paolo Uccello pour le Musée Médicéen , et de nombreuses autres représentations. A V Enéide on prit Enéc et Didcn, tableau de l'ancienne collection Campana; Didon recevant les envoyés d'Énée, tableau du Musée de Cluny; Fnicain forgeant les armes d'Énée, plaquette en bronze. Quant aux Métamorphoses d'Ovide, il n'en est guère d'épisode qui n'ait trouvé son interprète : Apollon et Dapbiié ont fourni le thème d'une plaquette en bronze; Narcisse, celui d'une tapisserie acquise par les Médicis; Persée délivrant Androinaqne, celui d'un tableau de Piero di Cosimo, au Musée des Offices; le Combat des Centaures et des Lapithes a été interprété par Michel-Ange dans un marbre célèbre. Et qui pourrait énumérer les peintures, bas-reliefs, gravures, nielles, émaux, tapisseries, etc., consacrés à d'autres héros ou héroïnes des Métamorphoses : les Saisons, les Heures, Phaéton, Europe, Bacchus, Vénus et Mars, Atlas, Proserpine, Aréthuse, les Sirènes, les Pygmées, Niobé, Mars3'as, Polyphème, Médée, Thésée et Ariadne, Dédale, Méléagre, Orphée, Vertumne et Pomone, Esculape, Egérie, pour ne point parler de Pégase, de Cerbère, de l'Hippocrène ni du Labyrinthe! Les Fables d'Esope furent traduites en bronze par Eilarete sur les portes de Saint-Pierre de Rome (voy. plus loin la gravure de la page aSt;); Tite-Live, Salluste et les autres historiens latins servirent de point de départ pour célébrer V Enlèvement des Sabines (tableau de la galerie Colonna à Rome), la Constance de Miicius Scd'vola, plaquette, la Mort de Firginie, tableaii de l'ancienne collec- tion Campana et gravure de l'Ecole florentine ', le Triomphe de Paul-Émile, gravure d'un anonyme florentin, le Triomphe de Jugurtha par Botticelli , le Triomphe de Jules César par Mantegna. Les dramaturges comptèrent rela- tivement le moins d'interprètes. Prenons Térence : quoique phis de trente éditions de ses comédies eussent paru au quinzième siècle ', son influence sur l'art contemporain se borna aux quelques gravures destinées à l'illustration de son texte. Constatons, avant de poursuivre, que les artistes du quinzième siècle ne puisaient qu'à la surface, à fleur d'eau; leurs successeurs du seizième siècle seulement se livrèrent .1 un dépouillement méthodique de la littérature clas- sique. Veut-on savoir conuiient le courant s'établit, connnent les germes une fois lancés se développent? L'histoire de l'influence de Lucien'' nous en lait suivre pas à pas les vicissitudes. Les manuscrits du spirituel et caustique auteur des Dialogues des Morts avaient été rapportés de Constantinople dans les dernières 1. Passavant, /i- Pcinlrc-Gravcur, t. V, p. 10. 2. L. Dclisle, Iiistnictions pour la rédaction d'un Inventaire des Incunabtes. 3. J'cniprunti; cts détails à deux mémoires très intéressants de M. le professeur Richard Fœrster : Lucian in dfr Renaissance, Kiel, 1886, et die Verlâumdung des Apellcs in der Renaissance, Berlin, 1887 (Extr. du Jaljrbneh des Musées de Berlin). INFLUENCE DE LUCIEN. 24.5 années du quatorzième ou les premières du quinzième siècle. Presque immé- diatement Guarino de Vérone et d'autres s'empressèrent de les faire connaître par des traductions latines. Mais ces récits aux traits plastiques seraient peut- être longtemps restés inconnus aux artistes, si Léon-Baptiste Alberti, ce pro- i.c TiKimphd de Jules Céï^ar (ira^'nicnt). Fac-similé île la i,'ravure de -Manlct,Mi;i. digieux semeur d'idées, n'avait reconmiandé, dans son Traite de la Peinture (14.15), l'un des plus ingénieux d'entre eux, h Calomnie d'Apelles. «L'invention, dit-il, a une telle importance que par elle seule elle exerce son charme, même en dehors de la peinture. C'est en faire l'éloge que de lire cette description de la Calomnie peinte par Apelles ainsi que le rapporte Lucien. Je pense, en vérité, qu'il n'est pas oiseux de la donner ici, afin que les peintres se tiennent pour avertis du soin qu'il &ut apporter à la composition de semblables inventions. Un personnage est là avec de longues oreilles, aux côtés duquel se tiennent 244 H1ST(1IRK DK L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. debout deux femmes : l'Ignorance et la Superstition. D'un autre côté, la Calomnie elle-même s'avance sous la iigure d'une belle femme, au visage endurci toutefois par l'astuce. De la main gauche elle tient une torche en- flammée, de l'autre elle traîne par les cheveux un adolescent tendant les bras vers le ciel. Elle a pour guide un homme paie, difforme, au visage farouche, qu'on pourrait comparer avec justesse à ceux qu'une longue fiitigue accable dans un combat. Il semble que ce soit la lividité même. Deux autres femmes sont encore là, compagnes de la Calomnie, occupées à parer leur maîtresse ce sont la Perfidie et la Fraude. Derrière elles est le Repentir, couvert de vête- ments sordides et suivi par la Vérité modeste et pure. Si un tel sujet, rien que par le récit qu'on en fait, tient l'esprit en éveil, combien pensez-vous qu'il doive avoir de grâce et de charme, rendu en peinture par un homme habile' ? » Il n'en fallut pas davantage pour taire la fortune de cette ingénieuse allégorie. M. Fœrster a retrouvé treize compositions italiennes du quinzième ou du sei- zième siècle, et six compositions allemandes ou flamandes illustrant le thème indiqué par Lucien, et ces ouvrages ont pour auteurs des maîtres tels que Mantegna, Botticelli, Signorelli, Raphaël, Diirer. Là ne s'arrête pas l'action exercée tant de siècles après sa mort par le spiri- tuel moraliste et conteur de Samosate. En décrivant le Mariage if Alexandre et de Roxane, d'après le tableau d'Aétion, Lucien a inspiré les compositions simi- laires de Raphaël et du Sodoma ; en décrivant un tableau de Zeuxis représentant des Cenlaiircs, il a tourni à Botticelli le sujet d'Luie des petites scènes figurées sur l'estrade du juge dans la Calomnie d'Apelles. Sa caractéristique de VHercule gaulois — ce vieillard chauve, de la bouche duquel s'échappent des chaînes d'or et d'ivoire qui vont se fixer aux oreilles de la nudtitude et la retiennent pri- sonnière — a été traduite au moyen du crayon ou de la plume par Raphaël, Diirer et Ambroise Holbein : l'apologue du Nigriiws, les Archers tirant à la cible, par Michel-Ange, dans le dessin connu sous le nom de // Bersaglio. Par la part contributive d'un seul auteur ancien dans le mouvement artistique de la Renaissance, on peut juger quelle importance ofl're l'ensemble des emprunts faits à la littérature classique. Mais les auteurs qui eurent le privilège d'inspirer les artistes de la Première Renaissance n'étaient pas toujours des écrivains raffinés et célèbres, tels que Lucien de Samosate. Une compilation anonvme, connue sous le titre de Gcsia Ronuvionmi et peut-être rédigée en Angleterre, conquit une popularité bien autrement grande; son succès fut en raison même de la crédulité de ses rédac- teurs : plus les légendes qu'elle produisait sur les hommes célèbres de l'anti- quité étaient naïves et touchantes, plus le public goûtait ces récits fantastiques. Parmi les sujets que les Gesta ont fournis aux peintres, aux graveurs et aux 1. De la Statue et de ta Peinture; traduction ClaudiLis l'opclin ; I^.iris, i)!(k), p. 17.5. 2. Fcerster, Lucjan in der Renaissance, p. iq-23. IJ-:S « GRSTA ROMAXORU.M ». z^^ sculpteurs, on peut particulièrement citer ['Histoire de Pyrame et Thishé (n° 23 1) ', celles de Zaleuhts (n" 5n), d\4riadnc et de Thésée (n° 63; voy. toutefois ci- dessus la liste des motifs empruntés à Ovide), de Coriolan (n" i37), de Persée et de Méduse (n° 218), de Curtius (n° 40), de Lucrèce (n" i35), de Pkilaris (n" 34O), à'AndrocIès et son Lion {n" 278), le Jugement de Canibyse (n" 21»), l'apologue des Fils de roi gui tirent sur le cadavre de leur père (n" 44) ", enfin la jolie légende de l'Enfant et le Dauphin (n" 36-)% qui a inspiré, entre autres, le petit marbre du Musée de l'Ermitage A Saint-Pétersbourg, attribué à Raphaël'. Essayons de nous rendre compte des effets produits par l'invasion des sou- venirs antiques. La réflexion n'eut-elle pas seule part à ce mouvement rétro- spectif, dans lequel devait forcément entrer une grande dose d'abstraction? Les artistes, en puisant dans une civilisation éteinte, ne risquaient-ils pas de s'isoler de leurs contemporains, de renoncer à l'émotion et à l'inspiration qui ne naissent qu'au contact de la vie? La cause sacrée du progrès — et quel progrès gigantesque l'art n'avait-il pas réalisé au treizième et au quatorzième siècle! — n'en devait-elle pas être pour longtemps compromise? Cette glori- fication de la mythologie, qu'aucun écrivain, aucun artiste, même parmi les esprits les plus audacieux de la Renaissance, n'eût songé à rétablir dans ses droits, n'introduisait-elle pas dans l'art une source d'inspiration factice et artificielle? C'est toujours au fond, on le voit, « la question du latin » qui se dresse devant nous, quand il s'agit de l'essor de notre art aussi bien que quand il s'agit de l'éducation de nos enfants, au quinzième siècle tout comme au dix-neuvième; mais ici du moins la solution ne saurait donner lieu à beau- coup de controverses. 1. Nos renvois st rapportent .1 l'édition des Gâta Roiiiaiioniiii publiée à Berlin en 1K72 p.n- M. Oesterley. Il convient d'ajouter que, sur près de J20 manuscrits du quinzième siècle signalés par M. Oesterley, c'est à peine si un ou deux ont pris naissance en Italie. 2. Fresque de Holbein sur la maison Hertenstein à Lucerne. (Holhein fit divers autres em- prunts aux Gesta Romaiionim , comme l'a montré Woltmann.) — Tableau du Bacchiacca au Musée de Dresde. — Émail de Jean III Pénicaud au Musée du Louvre. (Catal. de Laborde, n° 182; catal. Darcel, n° 23o.). — Verre églomisé de ia collection Spitzer, etc. 3. Je reproduis, à titre de curiosité, ce dernier récit dans sa simplicité touchante : « Valère rapporte qu'un enfant de cinq ans se rendait tous les jours au bord de la mer ; ce que voyant un dauphin, celui-ci commença de jouer avec l'enfant et de le porter sur son dos. L'enfant de son coté apportait tous les jours du pain au daupliin et le nourrit ainsi pendant l'espace de cinq ou six ans. Il arriva un jour que l'enfant ayant apporté au bord de la mer le pain selon son habitude, le dauphin ne vint pas. Dans l'intervalle la mer entoura l'enfant et le submergea. La mer s'étant retirée, le dauphin vint et, trouvant l'enfant mort, il tomba de grande douleur près de lui et mourut. » Suit une moralité plus ou moins tirée par les cheveux. Au Musée Poldi Pezzoli, à Milan, les peintures d'un cassone récemment acquis, et dont on fait honneur à Bartolorameo Montagna, représentent l'épisode bien connu de la Vestale Tuccia portant de l'eau dans un crible, afin de prouver son innocence. On trouve sur le même meuble une illustration de l'histoire du consul Duilius et de sa vertueuse épouse d'après le récit de saint Jérôme. (Article de R. Kœhler, dans la Kuiist-Chrotnk du 1 1 août 1887.) 4. La curieuse légende de la Justice de Trajan a été rendue populaire, non par les Gesta Romanoriim, comme on aurait pu le croire, mais principalement par la Divine Comédie de Dante. 246 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Il est certain que les représentations classiques ne pouvaient jeter de pro- tondes racines dans le peuple, accessible aux seules images tirées de la religion qu'il pratiquait, c'est-à-dire du christianisme. Mais les classes instruites, et, d'une manière plus générale, les habitants des villes, ayant subitement placé leur idéal dans le monde grec ou romain, ne pouvaient que se passionner pour ses dieux, aussi bien que pour ses mœurs, pour cet ingénieux et délicat polv- théisme qui reparaissait entouré de tout le prestige d'une résurrection miracu- leuse. Les mythes grecs et romains avaient pour eux entre autres leur extrême clarté; bien des sentiments confus, dont Part du moyen âge n'avait pas réussi à dégager la formule, se reconnaissaient tout d'un coup dans ces allégories d'une si admirable transparence : je parierais que Diane, la chaste et fière chasseresse, retrouva tout un peuple d'adorateurs; le tendre Botticelli peignit avec émotion Vénus sortant du sein des eaux; d'autres célébrèrent Apollon, radieuse personnification de la lumière; et quelle fièvre d'enthousiasme, que de fortes et salutaires résolutions devant : Hercule promenant l'éternelle Justice Sous son manteau sanglant taillé dans un lion. De telles images ne vieillissent pas; elles sont de tous les siècles, car elles répondent à ce qu'il v a d'éternellement jeune et noble dans l'âme humaine. Elles finirent par si bien reprendre racine dans l'esprit des populations que, jusqu'au début du dix-septième siècle, municipalités ou particuliers les firent sculpter en pierre ou peindre à fresque dans les plus obscures bourgades, en France, en Allemagne, en Angleterre, en Pologne, aussi bien qu'en Italie. Je pourrais citer telle ville perdue au fond de l'Allemagne, par exemple Hildesheim, dans le Hanovre, où les images des dieux et des héros de l'an- tiquité ne sont guère moins nombreuses qu'à Pompéi. Aujourd'hui même, essayez d'arracher les enseignements de Tite-Live et de Plutarquc : vous enlèverez avec eux le meilleur de notre âme. Du moment où l'on demande des sujets à l'histoire, non à la vie contem- poraine, peu importe que ces sujets aient un siècle ou vingt. Les souvenirs laissés par César étaient tout aussi vivants que ceux laissés par Charlemagne; l'héroïsme de Lucrèce tout aussi propre \ toucher que la résignation de Griseldis; quand il s'agissait du merveilleux, Calypso pouvait entrer en lutte avec Merlin, comme Achille pour la bravoure avec Roland. Il arriva que chacun se tailla dans l'antiquité un domaine fait à son image : les princes de la Renaissance l'aimèrent à cause des exemples de magnificence et de grandeur légués par les empereurs romains; les républiques, à cause de tant de glorieuses preuves de courage civique ou de patriotisme données par les libres et fiers citoyens d'Athènes, de Sparte et de Rome avant l'établissement de l'Empire. Plus tard seulement, cette forte et sainte admiration, qui se nourrissait et se réchaufi"ait de tout ce qu'il y avait de généreux chez les hommes du quinzième LES SUJETS ANTIQUES. siècle, dégénéra en jeux futiles de l'imagination, tout d'ailleurs comme les sujets empruntés au christianisme. Mais de ce que les eaux d'une rivière se corrompent dans leur cours, la source en reste-t-elle moins pure ? Le Jugement de Paris I^avcnicnt en faïence du Dôme de Parme. A défaut même de témoignages littéraires ou de modèles plastiques, une foule de souvenirs du polythéisme se seraient imposés à la Renaissance, parce qu'ils n'avaient jamais cessé d'être vivants : je parle de ceux qui, adoptés par le christianisme naissant, transmis par lui au moyen âge, se trouvaient en quelque sorte à fleur de terre lorsque le brillant cortège des dieux et des déesses, des héros, des nymphes, des faunes, fit sa rentrée sur la scène du monde : les Mois, les Saisons, l'Année, les Planètes, les Divi- nités fluviales, les Arts, les Vertus, les Vices, en un mot ce peuple de figures allégoriques si émi- nemment pittoresques, sans lesquelles il semble qu'il soit impossible de composer une grande page d'histoire, car nulles autres ne réussissent mieux à résumer l'action principale, à l'animer, à la ré- chauffer et en même temps à relier les différentes parties de la composition, comme le font les génies ailés par exemple dans les ouvrages de Mantegna et de Raphaël. La Renaissance put se borner à restituer à ces figures leurs attributs véri- tables, sans avoir besoin de leur rendre ini rang qu'elles n'avaient jamais perdu. Quelles phases l'interprétation des idées antiques traversa-t-elle dans l'art du quattrocento? Et tout d'abord écartons les copies littérales, si nombreuses au quinzième siècle, surtout en marbre et en bronze : elles ont pu familiariser les copistes (parmi eux Donatello et Ghiberti figurent au premier rang) avec le style des anciens; quant .'i la marche des idées, ces œuvres serviles n'ont rien à y voir. La première période est celle où l'on traite les sujets antiques sans les com- prendre. Exemples : les fresques de Taddeo di Bartolo au Palais conmiunal de Sienne (1414)", les miniatures de Léonard de Besozzo dans le manuscrit de l'ancienne collection Morbio\ YEiilcvciiiciit f Hélène, attribué à Benozzo Gozzoli (National Gallery de Londres)'', etc. Tout est faux : la conception du sujet, la caractéristique des personnages, leur costume, leurs attributs. Orphée a revêtu des chausses collantes et une tunique avec des manches à la juive; Hélène un corset et une coiffe monumentale, tandis qu'Hercule, un adoles- cent imberbe, n'a pour tout vêtement qu'une simple chemise; des pages 1. Photogi'aphiC-cs par M. LoiubarJi, du Sienne. 2. Décrites par M. H. Brockhaus, dans lus Spiiiigii-Sliiditii. 3. Grave dans la Ri'iiaiaaiuf un Uiiips de Charles l'III, p. 1,57. M8 HISTOIRE Dt; L'ART PENDANT I.A RENAISSANCE. portent 1,1 traîne des dames de Mycènes ou de Troie; des hallebardiers servent d'escorte aux rois de Rome; des flamines, costumés à la dernière mode du quinzième siècle, officient dans des temples voûtés en tiers-point et éclairés par des vitraux de couleur. L'ignorance des données les plus élémentaires de l'archéologie et l'absence de couleur locale passent toute mesure dans ces travestissements, d'ail- leurs si amusants dans leur naïveté. Le seul trait qui semble avoir frappé leurs auteurs, c'est que les anciens plaçaient les idoles sur des piédestaux. Oiphiie, Hercule et Thésée. D'après une miniature de Leonardo da Besozzo. (Ancienne collection Morbio à Milan.) Voyez combien cette Première Renaissance est inconséquente : elle évite de représenter les sujets contemporains, et lorsqu'il s'agit de ressusciter quelque sujet antique, elle donne aux Grecs et aux Romains les traits des hommes du quinzième siècle! Ces anachronismes se renouvelèrent .'i tout instant, jusqu'aux premières années du seizième siècle. Le Pérugin encore et Piero di Cosimoet bien d'autres s'en rendirent coupables. On peut dire d'une manière générale que Mantegna ttit à cet égard le grand précepteur de la Renaissance. Ce tut sous le voile d'allégories essentiellement morales que les sujets tirés du monde antique se glissèrent d'abord dans l'art. Ils tirent leur première apparition sur les meubles peints — cotîVes de mariage, plateaux de rele- vailles, etc.', — sur les armes (heaume de la collection des Médicis représentant I . On trouvcr.i une liste de ces peintures dans la Mosaik ;;»)• Kunstgeschichte de G. Kinkel Berlin, ifi^fi, p. 3'_>8 et suiv., et dans la Rfiuusuiiiic un temps ik Charles VIII, p. I.ÎR. LES SUJETS ANTIQUES. 249 Ciipidoii les mains attachées à un laurier), se liant ainsi intimement aux événe- ments les plus saillants de la vie domestique. Si au début on leur demanda d'oflrir un enseignement a la jeune épouse, à la Jupiter el :\Iars. Fresque de Taddeo di Bartolo (Palais public de Sienne). jeune mère, au guerrier qui se prépare à combattre, on ne tarda pas à sacrifier cette préoccupation quelque peu utilitaire au désir de rappeler quelque histoire fameuse de l'antiquité: le Jugement de Paris, VEiiIèvement d'Europe, V Enlèvement d'Hélène, le Combat des Centaures et des Lapillies. E. -Munlz. — I. Ualie. Les PrmiilU's. 3j 25o HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. De mcmc aussi, dans la décoration des édifices publics, on se plut à repré- senter des scènes tirées de l'histoire romaine : tels turent les bas-reliefs des chapiteaux du Palais ducal de Venise avec les Fondations religieuses de Nuiiia Pompa i IIS, h Coiilinoice de Seipioii ; les fresques de l'hôtel de ville de Bellune exécutées en 1490 par Jacopo Montagnana, etc.'. Aux scènes de Thistoire ancienne s'ajoutèrent les portraits des hommes célèbres, et surtout des empereurs romains. Sculpteurs, peintres, médaiUeurs, miniaturistes, s'évertuèrent à reproduire, en pied, en buste, en médaillon, d'après des documents authentiques, ou plus souvent d'après les suggestions de leur fltntaisie, qui des philosophes, qui des guerriers tameux : Mino de Fiesole sculpta en bas-reliet le profil de l'em- pereur Aurélien (Musée national de Florence); un anonyme de génie prit pour modèle Publius Scipion (collection Rathier à Paris); Verrocchio modela les bustes d'Alexandre le Grand et de Darius. Les médaillons des empereurs se développent tout le long du soubassement de la Cliartreuse de Pavie, au nombre de plus de quarante; leurs médailles, sur les miniatures des Médicis, des rois de Naples, du duc d'Urbin, des Sforza. La peinture nous offre, au Palais communal de Sienne, les portraits de César, de Pompée, de Cicéron, de Caton d'Utique, par Taddeo di 13artolo (1414); au Palais communal de Foligno (vo\-. p. l'i 1), des figures de guerriers illustres; dans l'ancien palais des Médicis à Milan, les portraits de huit empereurs peints par Vincenzo_Foppa. De l'habitude d'incruster partout les médaillons des Césars, on passa, par une pente naturelle, à l'habitude de leur associer, puis de leur substituer les médaillons des souverains régnants. Nulle part, je pense, ce moyen de déco- ration ne fut autant en honneur qu'à Milan. Il a déjà été question du buste de François Storza sculpté sur la casa Vimercati (p. 180). J'ai encore vu en place, dans la même ville, sur la casa Verri, les médaillons, aujourd'hui dispersés, des Sforza. A Milan également, une maison du forum Bonaparte (n" 21)), près du Champ de Mars, nous oflre dans sa coiu", son « cortile », les médaillons de François Sforza, de Galéas Marie, de Jean Galéas et de Ludovic le More. Un autre médaillon de Ludovic le More, ayant certainement une provenance analogue, a été acquis par le Louvre dans ces dernières années. Pendant la seconde période (souvent parallèle à la première, selon que l'on envisage le nord ou le midi de l'Italie, des villes en avance ou des régions attardées), les artistes, plus familiarisés avec les exigences de l'archéologie, s'évertuent à reproduire plus ou moins fidèlement les modèles antiques; mais la pratique du style leur fait défaut encore, et leurs compositions abondent en incorrections d'une naïveté charmante. Telles sont les fresques de Domenico 1. Wohni.inn et Wcerm.mn , Ccschid'lc du MaUici, t. II, p. Zto. — Anmiks iiichvhgiijiu's, XVII, p. 2(V.. LES SUJETS ANTIQUES. GhirLind.ijo, de Botticelli, de Filippino Lippi, les dessins de Jacopo Bellini dans les recueils du British Muséum et du Louvre, et cent autres morceaux analogues. D'abord ce sera un joli air de tète, un motif de draperie gracieux que l'on prendra aux anciens; puis, le champ de ces études s'élargissant, on s'inspirera des règles mêmes de leur sculpture, de leur manière d'envisager le monde extérieur, de leur manière de penser. Dans le choix des sujets on commence à faire preuve d'une rare indulgence : pourvu que les héros soient Romains et cé- lèbres, on n'en demande pas davantage; les mau- vais empereurs ont leur buste au même titre que les bons : Domitien à côté de Titus, Caracal- [^ la à côté d'Antonin le Pieux. Cela ne signifie- rait-il pas que l'on ne songe pas tant à hono- rer le mérite de ces sou- verams qu a marquer la succession des empe- reurs légitimes, dont se réclamait le saint-empire romain ? Durant cette seconde période, le monde my- thologique (abstraction foite d'Hercide, si populaire au moyen âge, ainsi que des Saisons et autres personnifications analogues) commence à solliciter l'at- tention. Cependant ce n'est que rarement encore que les artistes osent con- sacrer une statue ou une fresque monumentale à la glorification des dieux de l'Olympe '. Force est à ces ressuscites de conquérir d'abord le domaine des petits arts : gravure, miniature, sculpture décorative, art du médailleur, pein- ture sur meubles, etc. Nous avons à constater ici une loi historique. De même que ces souvenirs se maintinrent le plus longtemps, jusqu'en plein moyen âge, dans les branches accessoires, de même c'est dans les régions neutres, échappant au contrôle de l'autorité religieuse, qu'ils font leur première réap- I. Citons, à titre d'exemple, le Cupidon de bronze de Donatello, des Famws de Desiderio da Settignano, et des Cenlaurcs de Bertoldo, tous deux dans k collection des Médicis; la Nais- sance (II' Viiuis, le Triouiplh: de V Amour, et les différentes l'émis de Botticelli, le Triomphe de Pan de Signorelli. Mcdaillon de Romulus et de Renuis. (Chartreuse de Pavie.) 2.52 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. parition. Peu à peu ils se glissent dans les chambranles des églises (cathé- drales de Florence et de Côme, Chartreuse de Pavie, chapelle du Colleone à Bergame), sur le fût des colonnes historiées (cathédrale de Sienne), se prélassent sur les bases des bénitiers (même cathédrale) ou dans la frise des mausolées, en attendant qu'un pape ouvre le ^'atican à l'apothéose d'Apollon dans le Parnasse de Raphaël. Mais avec les œuvres que nous venoixs de mentionner nous touchons déjà à la Renaissance du seizième siècle, La Mort d'Orphée. D'après une gravure anonyme du nord de l'Italie. et ici nous ne devons pas franchir les limites de la Première Renaissance. Pour le quinzième siècle, la gravure particulièrement se montra d'une com- plaisance à toute épreuve. L'œuvre des hurinistes du quattrocento abonde en réminiscences du paganisme. Citons, pour Andréa Mantegna, outre le Triomphe de Jules César, Hercule et A niée, les Combats des Tritons et des Dieux marins, la Bacchanale à la Cuve, la Bacchanale au Silène; pour Baccio Baldini ou son entourage, les Planètes, Jason et Mèdée, Bacchus et Ariadne, le Labyrinthe, la Mort d'Orphée, de nombreux Cupidons ; pour Pollajuolo, Hercule et Antée, Hercule et les Géants, le Combat des deux Centaures, les Gladiateurs ; pour Mocetto, le Jugement de Midas, Amymone, des Triions et des Néréides, le Sacrijice du Pourceau; puis un Sacrifice au dieu Mars, gravure anonyme de I . Voy. le Pâiilre-Graveiir de Bartsch, le Peintre-Graveur de Passavant (t. \', p. Il, et passim), la Gravure en Italie avant Marc-Antoine, du vicomte Henri Delaborde. 254 11IST01RI-: DI-: L'ART PIONDANT LA RENAISSANCE. L.i dernière phase est celle où, l'assirnihition étant complète, tant au point de \ Lie de la forme qu'à celui de la conception, Mantegna pourra créer son étour- dissant Triomphe de Jules César, ce chef-d'œuvre immense, et Raphaël, VHeole (F Athènes. Après les idées, les termes; après les sujets que l'on interprète, les modèles que l'on imite : ce sont ces modèles, de l'étude desquels est sorti le style de la Renaissance, que je me propose d'étudier dans la seconde partie du présent chapitre; ime troisième partie sera consacrée à l'analyse des emprunts qu'ont faits à l'antiquité les quattrocentistes les plus marquants. La sculpture antique est avec l'architecture l'art qui a le plus pesé sur l'évo- lution de la Renaissance. Brunellesco déjà avait formulé cet axiome : « Il faut étudier la sculpture là où elle est bonne, à Rome. » Cependant, lors du mémo- rable concours pour les portes du Baptistère (1402), qui marque l'aube de la Renaissance, ni lui, ni son concurrent Ghiberti n'avaient très probablement visité la Ville éternelle. Mais Florence même leur oft'rait un choix intéressant de statLies ou de bas-reliefs antiques : la Vénus dite de Médicis, depuis longtemps connue et imitée (Giovanni Pisano l'avait copiée dans sa chaire du Dôme de Pise); puis les sarcophages romains exposés devant le Baptistère (les collections de Niccolô Niccoli, du Pogge et des Médicis ne se formèrent que plus tard). Dans les environs, à Pise par exemple, les novateurs avaient à leur disposition les sculptures qui, un siècle et demi auparavant, avaient inspiré Niccolô Pisano. Puis, deci delà, à Lucques, a Sienne, à Cortone, des fragments plus ou moins considérables — statues, bustes, sarcophages — , sans compter les nombreuses médailles, intailles et œuvres de toute sorte que le hasard des fouilles mettait en tous lieux à join-. Essayons, avant d'aller plus loin, de dresser l'inventaire de ce musée d'an- tiques dont les éléments se trouvaient alors partout, le centre nulle part. Rome offrait à l'admiration de ses visiteurs, outre les nombreux marbres ou bronzes que le pic des démolisseurs faisait sortir du sol presque semaine par semaine, plusiein-s monuments d'une importance capitale : les bas-reliefs des colonnes Trajane et Antonine, des arcs de Titus, de Trajan, de Sévère, de Constantin; la statue équestre de Marc-Aurèle, alors exposée devant le Latran, le Tireur d'épine, imité au onzième siècle déjà dans une dalle du Dôme de Magdebourg', et dont Brunellesco à son tour s'inspira dans son Siieri/iee ifAhnibiuii (il en aura eu connaissance par quelqLie reproduction); la statue du Marforio; la statue de Gaulois copiée par un des miniaturistes du duc de Berry '. Si Naples ne s'était pas encore enrichie des dépouilles d'Herculanimi et de l'ompéi, elle possédait néanmoins des spécimens intéressants, des statues et des 1 . Voy. SpringL-r, Bildcr dus ikr iicucrcii KitiislgcschichU', nouv. éJit., t. l, p. 14. 2. Gesammelte Sludicii ~ur Kiinslgeschichte; Eiiie Feslgahe fiir Anton Springer; Lc\\r/À^, lfi85, p. 1-7 f.irtjclc de H. lie l^uhni). CS. ].\ Ga-cllc airhivhghjiic Je jRfî.S, p. 172. LES MUSÉES ET LES CABINETS D'ANTIQUES. 255 b;is-re!iefs mis à contribution par les sculpteurs de l'arc du Caste! Nuovo. A quelque distance de là, Barletta s'enorgueillissait de sa statue colossale de Théodose. En remontant vers le nord, il faut signaler, à Ravenne, les précieux vestiges conservés dans l'église Saint - Vital ( bas - relief avec les Génies entourant le trône voilé de Nep- tune'); à Pavie, la statue équestre connue sous le titre de « Regisol » (dé- truite pendant la pre- mière Révolution); à W nise, les quatre Chevaux de bronze rapportés de Constantinople (i2o5) et placés sur la façade de Saint -Marc (déjà copiés par Giotto dans ses fres- ques de la Madonna dell' Arena), etc. La formation métho- dique des musées, la dé- couverte du groupe des Trois Grâces, de l'Her- cule de bronze, de la Zin- gara, tous trouvés à Ro- me, marquent une étape de plus. Les amateurs, auxiliai- res souvent inconscients des artistes, réunissent les modèles que ceux-ci imiteront ou interpréteront : les marbres, les bronzes, les médailles, les bijoux, les pierres gravées; ils feront ainsi mieux connaître les formes antiques, la richesse de ces imaginations grecques et romaines si foncièrement plastiques; ils remettront en lumière tout l'attirail archéologique; ils créeront la couleur locale. Dès le premier tiers du quinzième siècle on trouvait dans la plupart des grandes villes de l'Italie, surtout dans le nord, des séries plus ou moins riches de médailles et de pierres gravées. Vers i43o, Ambroise le Camaldule Oniemcnis antiques sur un frontispice du xv" siècle. (Pliilippus Bergomensis : de Claris Mitlieribus.) 1. De- Ronch.uiJ, la Tupisifiif ilaiii V Aiiliqnilc ! P.iris, Rou.mi, I0K4, p. 12.1. 256 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. cite les collections du médecin Pierre et de Benoît Dandolo, à Venise; d'An- dreolo Giustiniani, ;\ Gènes. Cyriaque d'Ancône, lui-même collectionneur passionné, mentionne à son tour, en 1442, les médailles réunies par le fils du marquis de Mantoue, Gianlucido (1421-1448), qui étudiait alors à Pavie. A Ferrare, Lionel d'Esté possédait un choix de cornalines. A Florence, on admirait la collection de Niccolo Niccoli, du Pogge et de Ghiberti. A Naples, le roi Alphonse recherchait siu'tout les médailles des hommes célèbres. Dés le milieu du siècle, Pierre de Médicis avait réussi à conquérir environ ()(k> mé- dailles et 17 ou iB intailles ou camées (inventaire de 1456). Mais sa collection était absolument éclipsée par celle de son rival, le cardinal Pierre Barbo de \'enise (plus tard pape sous le nom de Paul II); en 1457, ce prélat possédait 227 camées, près de 4110 intailles, ()7 monnaies d'or et un millier de monnaies d'argent. Ces chiffres devaient être singulièrement dépassés vers la fin du siècle : en 1492, Laurent le Magnifique laissa plus de î.-îoo médailles; en 141)4, ''^ médaillier de la maison d'Esté comprenait 4.17 médailles en or et .viB.^ mé- dailles en argent. En établissant un dossier spécial pour chacun des principaux monuments de la sculpture, on serait étonné de la multiplicité des emprunts auxquels ces différents modèles ont donné lieu. Prenons les Dioscurcs du Quirinal. L'un d'eux a été copié dans un dessin attribué au Pisanello (Milan, Bibliothèque Ambrosienne) et dans un dessin fort médiocre du British Muséum, laussement donné à Pollajuolo (Braun, n" 65). Le groupe entier a été mis à contribution dans les amhons de bronze de Saint- Laurent de Florence, commencés par Donatello et terminés par Bertoldo, ainsi que dans le retable de l'église Saint-Zénon de Vérone, dû à Mantegna. Un dessin du même Mantegna' nous en offre une imitation libre. Quant aux chevaux, ils ont servi de prototype l\ Léonard de \'inci, à Raphaël et .\ bien d'autres. Le groupe des Trois Grâces, aujourd'hui au Musée de la cathédrale de Sienne, et le bas-relief avec trois nymphes debout presque dans la même attitude, ont inspiré : T un des auteurs des fresques du palais de Schitanoja; 2", 3", 4" les auteurs des médailles de Marie Politiana, de Pic de la Mirandole et de Jeanne Tornabuoni; 5" un bas-relief du seizième siècle (imitation assez libre), conservé au Musée archéologique de Brera (n° loi); 6", le dessin de Raphaël conservé à l'Académie de Venise; 7° le tableau du même récemment acquis par le duc d'Aumale; H" une miniature des Vies de Platina (Florence, Bibliothèque Laurentienne, pi. LXV, n° 38, volume exécuté en 14M1), .1 Flo- rence, avec un frontispice ajouté sous Léon X); nous voyons dans cette I. GiMvO d.uis l.i Caielle dfs Bciiiix-Arts, ifjfiô, t. I, p. 177. L'ANTIQUITE ET LES SCULPTEURS. 207 dcrnicre une médaille avec les trois nymphes « Batinia, Priscilla, nymphis sacrum. Romae [e] marmore. » La Statue équestre de Marc-Auiéle, au Capitole, a été copiée ou imitée à l'infini; d'innombrables petits bronzes, dispersés dans les collections publiques ou particulières de l'Europe entière, ont servi à populariser ce monument, le plus complet et le plus imposant de ceux qui ont reflété aux yeux du quinzième siècle l'image d'un empereur romain. Passons aux pierres gravées. \J Apollon et Marsyus, de la collection de Lau- rent le Magnifique (aujourd'hui au Musée de Naples), a été successivement copié dans les monuments suivants : Médaille de Nicolas Schlifer, par Bol- du; diverses autres médailles; — cinq plaquettes décrites par M. Molinier; — pierre gravée, avec le buste de Paul II au revers (Venise, Musée Cor- rer); — cornaline du Cabinet des Médailles de Paris; — bas-relief de la porte de Crémone, au Louvre; — médaillon du tombeau des Brivio (1484), Milan, église Sant' Eustorgio; — bas-reliet de l'église Saint-Michel à Troves (photographie Dumeteau, n° 790); — portrait de jeune fille, attribué à Botticelli (Musée de Franc- fort) ; — le Jugement de Cambyse (i 4(^8), tableau attribué à Gérard David -(Musée de Bruges); — l'ffo/f £ Athènes de Raphaël; — les Loges de Raphaël; — frontispice d'un manuscrit exécuté pour Mathias Corvin (Bibliothèque Impériale de Vienne); — frontispice de la Sforziade (Bibliothèque Riccardi à Florence); — plat en majolique exécuté vers 1482 (\'enise, Musée Correr), etc., etc. Une autre gemme, l'Enlèvement du Palladium, attribué à Dioscoride, a servi de prototype au médaillon de Donatello, dans la cour du palais des Médicis, à une médaille de Niccolo Fiorentino, à trois plaquettes décrites par M. Molinier, etc. L'Enlèvement du Palladium. Revers d'une médaille de Niccolo Fiorenlino. Ces œuvres, le moulage, dont l'emploi s'était dès lors fort répandu, permet- tait de les multiplier à l'infini. Signalé par Cennino Cennini, dans son Traité de la Peinture, qui remonte à la fin du quatorzième siècle, ce procédé servit, du temps de Ghiberti, à reproduire jusqu'aux compositions des artistes contem- porains : le célèbre sculpteur nous apprend en effet qu'il avait vu beaucoup de figures moulées sur celles d'un sculpteur de Cologne : « vidi moltissime figure formate dalle sue. » Un peu plus tard, le Squarcione réunit dans son atelier de Padoue, à côté des originaux antiques, une riche collection de plâtres. L;. .\lunlz. — I. Italie. Les Primilils. 33 mSTOlRE DE LART PENDANT LA REKAÎSSANCE. t^ \'t'rroccliio en généralisa encore davantage l'usage, comme nous l'apprend A'asari'. Ce qui pouvait rester de la peinture antique mérite à peine une mention, et il est permis de se demander si un seul parmi les Primitifs s'avisa de regarder, soit les vestiges des fresques conservées dans les ruines, soit les mosaïques dans lesquelles un certain nombre de peintures importantes s'étaient perpétuées. Ces études ne commencèrent à se dessiner que vers la lin du siècle, avec le peintre Morto da Feltro. Nous aurons l'occasion d'en reparler. On ne saurait songer à supputer ici la dette colossale contractée par le quinzième siècle envers l'antiquité, ni à relever les emprunts fiiits par chaque artiste pris isolé nient. Il suffira de quelques exemples pour éta- blir que pas un maître de la Première Renais- sance, même en choisissant parmi les réalistes les plus acharnés, n'a su se dérober aux ensei- gnements de cette grande dispensatrice de mo- dèles. De l'attitude de Donatello vis-à-vis des chefs- d'œuvre de la statuaire ou de la glyptique des anciens, il peut paraître superflu de parler ici. L'artiste qui passe pour le plus fougueux des réalistes a su se montrer aussi le plus respec- tueux des disciples : il a pris à l'antiquité ses sujets, ses types, ses attitudes, ses draperies, la conception générale des compositions tout comme les moindres particularités du style : ici, dans la suite des huit médaillons de la cour du Palais des Médicis, il n'a d'autre ambition que de reproduire, en les agran- dissant, des pierres gravées antiques ; là, dans sa frise du Musée national de Florence, il copiera, en le modifiant, quelque bas-relief bachique; on a récem- ment constaté l'imitation de l'antiquité jusque dans ces entants ayant sur le front une mèche relevée : ils rappellent de la manière la plus frappante la série de sculptures à laquelle appartient l'Eu finit à F Oie'-. Chez les élèves de Donatello, ces imitations dégénèrent véritablement en abus : l'invention et l'inspiration ne tardent pas à en souffrir cruellement. Chez les représentants de la section lombarde — les Riccio, les Vellano et autres — ce ne furent plus que Tritons, Néréides, Satyres. La section floren- tine ne se modéra guère davantage. Certains bas-reliefs de Bertoldo ressemblent à des centons, tant ils sont faits de pièces et de morceaux. Son Combat de CompObilion mylholoyique. .MtiJaille attribuée a Bertoldo. I. BiUL. : Ch. Pcrkiiis, tlii Moiihigc en ptdirc chi-~ les anciens. Paris, 1869. — La Renaissance au temps de Charles VIII, p. l3o. — L. Courajod, Onelqnes monuments de la Sculpture funéraire ; Paris, 1H82; — et la Revue des Arts décoratifs ; 1888, t. VIII, p. 161, 227, 25o, 3ll et suiv. .2. L. Courajod, dans la Ga:^elle des Beaux-.-lils, i8o'i, t. II, p. i(>5. LWNTinriTE ET LES SCULPTEURS. a.ig Cavaliers, au Bargello, procède d'un sarcophage (Antonio Averulino) n'est pas moins acharné. Ses portes de bronze de Saint-Pierre de Rome ne sont à certains égards, d'après l'expression pittoresque de AL Courajod, qu'un immense pastiche. Il exé- cuta en outre une réduction en bronze de la Statue équestre de Marc-Aurèk, au Capitole, réduction aujourd'hui conservée au Musée archéologique de Dresde. M. Courajod lui attribue aussi un bas-relict en bronze représentant un épisode de l'Histoire d'Ulysse (collection d'Ambras, à Vienne). Mais Lorenzo Ghiberti, qui passe pour le plus chrétien des sculpteurs de la Renaissance, n'a rien à envier sous ce rapport à Donatello et à ses dis- ciples : Vasari a mis en lumière avec une rare saga- cité les nombreuses contributions que l'auteur des portes du Baptistère a prélevées sur l'antiquité; il le montre prenant plaisir à contrefaire les coins des médailles antiques, réunissant une précieuse collection de bronzes et de marbres (on remarquait parmi eux le prétendu lit de Pohclète), imitant dans ses portes tel ou tel bas-relief, telle ou telle statuette. Dans ses Commentaires, Ghiberti a pris soin de nous révéler lui-même son admiration sans bornes pour l'œuvre des statuaires anciens, dont en sa qualité d'Étrusque, de Toscan (à Florence, les deux mots n'ont cessé d'être synon3-mes). il se crovait appelé à recueillir l'héritage. Écoutons la description qu'il nous tait d'une statue d'Heriiia- tihrodite trouvée à Rome en sa présence : « Dans la I ]o° olympiade, je vis à Rome un véritable chef- d'œuvre, la statue d'un Hermaphrodite, de la gran- deur d'un enfant de treize ans. Elle fut trouvée dans un égout à une profondeur de huit pieds environ, couverte de terre au niveau du sol. Un sculpteur qui y passa un jour s'arrêta dans ce lieu pour foire des fouilles. Par son ordre on retira la statue et on la transporta à l'église Sainte-Cécile au Transte- vère, où il travaillait au monument d'un cardinal. Telle était la perfection de l'ouvrage, que le langage humain serait impuissant à en exprimer les beautés. 1. AUgeith'iues KfmsIlt-r-Lexikoit , de Mever, t. III, p. 720. antique de Pise '. Filarete m^^': Fragment des portes de Saint -Pierre de Rome, par Filarete. Ladite statue était couchée :6o HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. sur un terrain brut, sur lequel était jetée une draperie; le corps tourné de manière à montrer sa double nature; les bras reposaient à terre, et les mains étaient entrelacées. Une des jambes était étendue et l'orteil du pied tenait le tissu. C'est avec un art merveilleux que le sculpteur avait représenté la tension de l'étoffe. La tète manquait. Quoique mutilée, la statue laissait deviner les merveilles de beauté qu'elle devait offrir aux yeux dans son état complet, et quand le regard croyait avoir tout mesuré et tout saisi, le sens du tact décou- vrait encore des perfections nouvelles'. » Il serait aisé de multiplier ces exemples ; mais il importe davantage de mon- trer quels enseignements le maître tira de ces études persévérantes et en quoi celles-ci profitèrent à ses propres ouvrages. Dans le Sacrifice cfAbmhani, la figure du jeune Isaac agenouillé sur le bûcher, avec sa poitrine nue noblement jetée en avant, son modelé si élégant et si suave, montre que dès ce moment Ghiberti était fomiliarisé avec les secrets des anciens, et notamment qu'il s'était appliqué à traiter le nu avec une entière liberté. Cependant dans la première porte (1400-1424) les réminiscences de l'antiquité tiennent peu de place encore. Elles n'en jouent qu'un rôle plus considérable dans la seconde porte (1425-1452). Ici les imitations abondent : Samson, comme Vasari déjà en a fait l'observation, procède d'une statuette d'Hercule; une des prophétesses de l'Ancien Testament rappelle les terres cuites de Tanagra. Vers le bas, à droite, une nymphe couchée se rattache, elle aussi, à un modèle antique. Dans le Combat de David et de Goliath, je signalerai une colonne triomphale à chapiteau corinthien; les édifices d'ailleurs sont tous romains ou romans, sauf dans rEntrevne de la reine de Saha et de Saloiiioii, où une église gothique à trois nefs forme le fond du tableau. L'avant-dernicr panneau de gauche nous montre un roi debout dans un bige, motif certainement copié sur quelque bas-relief romain. Quant aux deux compartiments exécutés par Ghiberti pour la cuve baptismale de Sienne, ils sont infiniment plus pauvres en emprunts (ce qui ne veut pas dire qu'ils soient plus riches d'invention) : on ne trouve guère à y signaler qu'une frise ornée de bucrànes (Lombard! , photographie n" 2qr)). Et que serait-ce si nous analvsions l'œuvre des deux Rossellino, celui de Desiderio da Settignano, celui de Verrocchio ? Nous y verrions, chez les deux premiers, le véritable sentiment de la correction classique ; chez le second, une interprétation essentiellement libre et primesautière; chez le dernier, les inten- tions les plus louables, mais que trahit sans cesse la main de ce maître inégal entre tous. "N'errocchio en effet nous offre ce phénomène extraordinaire : de s'être ingénié plus que personne à copier l'antique et d'y avoir constamment échoué. Félix ciilpa! serait-on tenté de s'écrier; de ses efforts pénibles, de ses tâtonnements malencontreux, est sorti un style nouveau, plus libre, plus I. Perldns, Gliihili, p. i,'i3. L'ANTIQUITÉ ET LES SCULPTEURS. 261 souple, plus morbide, le style que l'on a baptisé du nom de son immortel disciple Léonard de Vinci. Il s'est trouvé cependant en pleine Florence un sculpteur de talent, bien plus -'l Adam et Eve chassés du Paradis. Bas-relief de Jacopo délia Qiiercia. (Eijlise San Petronio à Bolosrne.) une famille, que dis-je, une dynastie de sculpteurs habiles, assez sûrs d'eux- mêmes pour dédaigner le secours de l'antiquité : les délia Robbia — le lecteur a deviné que c'est d'eux que je voulais parler — ont opéré ce miracle de rester les hommes de leur temps et de marcher tranquillement devant eux, à une 202 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. époque où tous leurs contemporains subissaient la fascination du passé. Ce n'est pas qu'ils ne se soient inspirés, à leur insu, des règles générales de rythme et d'harmonie propres aux bas-reliefs antiques, de l'ampleur et de la liberté qui caractérisent les statues du même style. Mais du moins ces imitations sont-elles absolument inconscientes : la volonté n'y est pour rien, car cette volonté ils l'ont affirmée sans cesse, d'un bout à l'autre d'une longue carrière, en proscrivant jusqu'au moindre ornement antique, en s'interdisant tout emprunt dans les types, les draperies, les attitudes. L'exemple des délia Robbia fera venir sur les lèvres de plus d'un lecteur cette question indiscrète : Aurait-il été possible à l'art moderne, par aven- ture, de faire son salut sans le secours de l'antique? Giacomo délia Qiiercia a très certainement, lui aussi, quoiqu'on dise, connu et imité l'antique de propos délibéré. Les emprunts se trahissent dans les génies nus tenant des festons (socle du tombeau d'Ilaria, reproduit ci-dessus, page 75), dans plusieurs détails du retable de San Frediano à Lucques (yeux d'ordinaire sans prunelle; jeune homme ;\ mi-corps, portant une chlamyde nouée sur l'épaule, etc.); enfin et surtout dans les bas-reliefs de la façade de San Petronio à Bologne : nous y retrouvons, chez Adam, chez Caïn et chez Abel, ce même motif de la chlamyde nouée sur l'épaule; chez l'ange chassant Adam et Lve du Paradis, le brodequin ne rappelle pas moins les prototypes grecs ou romains. Mais l'étude de la statuaire antique se révèle avec le plus de force dans cette flrçon si libre et si large de traiter le nu; devant ces torses si solidement construits, devant ces méplats si nettement accusés, on évoque involontairement le souvenir des chefs-d'œuvre de Phidias, le Tlvsà et Vllyssiis. Les petits bas-reliefs en bronze connus des amateurs sous le nom de « pla- quettes » se rattachent plus intimement encore que la sculpture à l'art des anciens; ils ont contribué puissamment à répandre partout, comme le feraient des moules en plâtre, les chefs-d'œuvre de l'antiquité. Une bonne moitié d'entre eux procède de l'art grec ou romain, soit pour la forme, soit pour le sujet. La Liille iV Apollon et de Marsyas, Bacchus et Ariadne, l'Amour conduisant un char, les Travaux d'Hercule, des Baccbanls et Baccbanles , V Enlèvement du Palladium, les figures des dieux, des héros et des personnages célèbres de l'his- toire ancienne, tels sont les motifs principaux représentés dans cette imagerie de métal. Son influence a été prodigieuse sur les grands arts. Dans son excel- lente monographie' M. Emile Molinier a dressé un long catalogue des sculptures monumentales, italiennes ou françaises, reproduisant en grand ces modèles microscopiques. A la cathédrale de Côme on trouve l'amplification de sept ou huit plaquettes représentant des Centaures enlevant des femmes, Hercule I. Les Ilroii:;rs ili' la Raiaissancc : les PlaqiuiU's ; P.iris, Rouani, i?iVi, t. I, p. xxvni et suiv. L'AXTIOL'ITÉ ET LES PEINTRES. 263 étouffant Antce, un Combat de dieux marins, Muciiis Saevola devant Porsenna, MéUagre poursuivant un sanglier. Hercule et Géryon; à Bergame, sur la façade de la chapelle du Colleone, Hercule et Antée, Hercule et l'Hydre, Hercule et le Tau- reau; sur la porte de Crémone, aujourd'hui au Louvre, le Conduit des Cen- taures et des Lapitbes, d'après la plaquette de Caradosso, Hercule et le Taureau, le Triomphe de V Amour, Apollon et Marsyas, une A nia~one, un BacchanI jouant du tambourin. Hercule étouffant le lion de Némée, et différents autres épisodes de l'histoire d'Hercule. En France, le portail de l'église Saint-Michel, à Dijon, est enrichi de copies d'un Cen- taure enlevant une Femme, d'a- près Caradosso, lïHercule en- dormi à qui Cacus vole son troupeau, d'après Moderno, d'Apollon et Marsyas; dans la chapelle de Pagny, près de Beaune, on rencontre Orphée redemandant Euridyce; au châ- teau de Blois, les Travaux d'Hercule, d'après Moderno; dans le cloître de St-Martin, à Tours, une Nymphe endor- mie; à Chartres, sur l'un des pilastres du tour du chœur de la cathédrale , l'A mour endor- mi; au château de Villers-Cot- terets, une Nymphe endormie, Hercule et le Lion de Néniée, etc. De l'imitation au pastiche on ne compte qu'un pas, et ce pas fut plus d'une fois franchi par les sculpteurs italiens du quinzième siècle; les habiles faussaires du siècle suivant, Jean Cavino et Alexandre Bassiano, comptent de nombreux précurseurs. M. Courajod, en décrivant' une série de mé- dailles du quinzième siècle représentant Antigone et Lysimaque, lieutenants d'Alexandre, Aristote et Platon, les empereurs romains (façade de h Chartreuse de Pavie, médaillons de Sainte-Marie des Grâces à Milan, etc.), affirme que l'habileté des quattrocentistes à composer dans le style de l'antiquité a été effrayante : « Dans bien des cas, aujourd'hui, nous sommes encore embar- rassés de discerner la copie de l'original, toutes les fois que l'original a disparu. Et d'ailleurs, Jacopo délia Quercia et ses continuateurs à Sienne — surtout Federighi — ont serré quelquefois de si près l'antique dans leurs imitations. Le Combat des Centaures et des Lapithes Plaquette de Caradosso. 1. De l'Imitation et de ta Contrefaçon des objets d'art antiques au XV' et au XVr siècle : Galette des Beau. x-A ris, scplcnibrc et octobre 1886. 204 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. que plusieurs de leurs ouvrages, notamment les fomeux bénitiers du Dôme sieunois et certaines bases de pilastres, ont été jusqu'à ces dernières années imperturbablement attribués par tous les livres courants à des sculpteurs grecs et romains. » De tous les artistes, les peintres sont ceux qui se sont le plus tardivement appliqués à l'imitation des anciens; ce retard tient à deux causes : l'une que, les vestiges de la peinture antique foisant défaut ou à peu près, il eût été fort difficile aux peintres du quinzième siècle de copier les modèles des Zeuxis, des Apelles, des Parrhasius; voulaient-ils flùre passer dans leurs fresques ou leurs panneaux quelques-uns des traits propres à l'antiquité, ils se voyaient forcés de les emprunter à la statuaire, et par suite de se livrer à un travail de traduction plus ou moins pénible. L'autre cause, c'est que la peinture, étant le moins abstrait des arts, devait rester plus longtemps que la sculpture en com- munion avec la société contemporaine, lui emprunter ses types, ses costumes, profiter de sa merveilleuse souplesse pour lutter sans cesse avec la réalité. L'exemple des novateurs italiens de la première génération confirme ce raisonnement a priori. Examinez les fresques de Masolino, de Masaccio, de Paolo Uccello, d'Andréa del Castagno : vous n'v trouverez rien, ni dans les types, ni dans les costumes, ni dans les attitudes, ni dans l'arrangement géné- ral, qui sente l'antiquité. Dans ce puissant efiort le naturalisme a tout fait. Et cependant ces maîtres n'ignoraient pas l'antiquité, tant s'en fuit; je suis en mesure d'en fiire une démonstration d'une rigueur mathématique : dans la Crucifixion ou Trinilé peinte par Masaccio à Santa-Maria Novella, l'enca- drement architectural rappelle de la façon la plus frappante les modèles ro- mains et les leçons de Brunellesco. Les pilastres corinthiens et les colonnes ioniques, qui supportent l'arcade à caissons sous laquelle se passe la scène, les deux médaillons à palmettes qui la décorent, la frise, l'architrave et la corniche qui la surmontent, tout est irréprochable comme proportions aussi bien que comme ordonnance '. Mêmes préoccupations chez Masolino, dans le Festin ifHcrodc, peint au Baptistère de Castiglione d'Olona, entre 1428 et 14,35 : le maître y a donné pour supports aux édifices soit des colonnes ioniques, soit des colonnes corinthiennes. A Rome, les fresques de la basilique de Saint-Clément, tour à tour attribuées à Masolino et à Masaccio, nous montrent, dans la composition qui représente sainte Catherine prêchant la destruction des idoles, l'intérieur d'un édilîce qui ofiVe des analogies saisis- santes avec le Panthéon, et sur une colonne une statue nue de déesse, Vénus peut-être. Dans les fresques d'Andréa del Castagno, le plus fougueux des réa- listes florentins, sans en excepter Paolo Uccello, l'emploi des motifs d'architec- ture antiques est une règle qui ne soutire pas d'exceptions. Exemples, la Cène du 1. Voy. les Précurseurs de la Renaissance, p. 96 et suiv. È. Munlz. — I. Halie. Les l^rimilifs. ■iA 266 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. couvent lIc S.int" Apollonia; la Cnicifi.xioii, à l'hôpital de Santa Maria Nuova; les Poitrails if boni mes et de femmes célèbres, au Bargello. Voilà donc une loi bien établie : dès ses débuts, la peinture florentine renaissante s'imposa de reproduire l'ornementation romaine : oves, guirlandes, banderoles, cornes d'abondance, pilastres, grecques, rosaces, godrons, statues placées dans des niches, bustes se détachant sur un fond rayonné'. Le tour des figures ne viendra que longtemps plus tard. Prenons maintenant les coryphées du second âge, et tout d'abord Piero délia Francesca, esprit libre et primesautier par excellence. Partout, dans ses tresques d'Arczzo Çiiiiioiiciatioii, dans l'église Saint-François; Entrevue de la reine de Saba et de Salomon, dans la même église; Sainte Marie-Madeleine, à la cathédrale), partout où l'architecture intervient, elle procède des modèles antiques; il en est de même de la fresque du temple des Malatesta, à Rimini, représentant Sigismond agenouillé devant le saint qui porte le même nom. Nous attachons-nous aux champions de l'Ecole mystique, aux plus rigou- reux observateurs de l'iconographie chrétienne, nous trouvons ici encore un fonds d'éléments profanes. Je surprendrai plus d'un lecteur en rangeant le bienheureux Jean de Fiesole, le peintre angélique, séraphique, parmi les secta- teurs de l'antiquité. Et cependant, quelque paradoxale que semble une telle assertion, de nombreux arguments, des arguments irréfragables, viennent la corroborer. C'est à Rome, devant ces ruines éblouissantes, que l'esprit du pieux peintre dominicain s'ouvrit à l'admiration du monde païen. Les fresques dont il orna la chapelle du pape Nicolas V, au ^'atican, nous permettent de le prendre en flagrant délit : tantôt il place au-dessus d'un tribunal l'aigle romaine de bronze au milieu d'iuie couronne de laurier; tantôt il drape à la romaine l'empereur Decius, et lui met en main un sceptre se terminant par la statuette d'une divinité'. Du moins dans ces détails d'architecture et de costume Fra Angelico avait-il pour excuse la recherche de la couleur locale. Mais si nous considérons les proportions des édifices, des draperies et jusqu'aux types des figures, partout nous découvrons des traces palpables de la complaisance avec laquelle le peintre de Fiesole a regardé les modèles du paganisme. Les mêmes réminiscences apparaissent dans le curieux tableau de Munich, Saint Cosiiie et saint Damien devant h juge Lysia. Ne l'en blâmons pas : son évolution nous prouve que ce noble génie est allé progressant, montant toujours; après avoir été l'interprète le plus pur du christianisme, il a fait un pas de plus, et comme son protecteur, le pape Nicolas \', il s'est efforcé d'unir les conquêtes de deux civilisations. 1. Les Ircsqucs des San Scvorino a Urbin (1416) nous montrent, sur la frise du portique qui abrite Zaccharie, trois figures à nii-corps s'enlevant sur un fond de coquillage, comme les iiiia- gitifs dypeatic des anciens. Les modèles antiques avaient donc pénétré jusqu'au fond des Romagnes, jusqu'au fond de l'Ombrie ! 2. Les Pririirsi'iirs de la Rcihiiisaiicc, p. ji.>i, io3. L'ANTIQUITÉ ET LES PEINTRES. 207 Si nous remontons vers le Nord, ces préoccupations éclatent avec tout autant de force. Considérons l'œuvre de l'artiste en qui s'incarne le plus bril- lamment le réalisme lombard, Victor Pisanello de Vérone, à la fois célèbre comme peintre et comme médailleur. Et tout d'abord le tait même d'être revenu le premier à l'imitation des médailles romaines ne prouve-t-il pas à quel point ce maître avait étudié l'antiquité'! Mais il y a plus : à tout instant Saint Cosme et saint Damien devant le juge Lysia. Talileau de Fra Angelico. (Pinacottièque de Municli.) Pisanello s'évertue à copier quelque marbre grec ou romain : ici un des Dios- cures de Monte Cavallo (Bibliothèque Ambrosienne, à Milan), là une scène mythologique (Musée du Louvre), ou encore une divinité couchée, un Éros, des femmes plus ou moins vêtues (Musée de Berlin). Je dois ajouter que dans les compositions de Pisanello l'encadrement ne procède pas de l'antique, comme chez ses émules toscans : il affectionne les édifices gothiques, aux silhouettes pittoresques, noyés dans un beau paysage. A cet égard l'influence des réalistes flamands l'emporte chez lui sur celle des anciens. Il ne montre pas moins d'indépendance dans ses costumes, ses tvpes I. Un dessin de Pisanello (collection His de la Salle, au Louvre) nous montre le profil de l'impératrice Faustine encadré dans une arcade ogivale (!). 268 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. et SCS attitudes. L'antique, pour nous résumer, a tenté sa curiosité, il n'a pas influencé son style. Ce qui chez Pisanello n'était qu'une fantaisie plus ou moins éphémère, devint une règle, une loi, une fotalité chez ses quasi-compatriotes, les peintres de l'École de Padoue, Francesco Squarcione, Gregorio Schiavone, Jacopo Bel- lini, Andréa Mantegna et leurs imitateurs. Ces maîtres sont les premiers en date qui se soient astreints à une imitation méthodique et rigoureuse de l'an- tiquité, telle que leur permettaient de la connaître soit les monuments d'archi- tecture, soit les marbres. Il ne leur suffit plus de produire des personnages sous le masque antique, leur prêtant le type, le costume, les attributs, les atti- tudes des Romains d'autrefois, les plaçant dans un milieu qu'ils ont réussi à restituer à force d'érudition : s'il ne tenait qu'à eux, ils ne traiteraient que des sujets consacrés par la littérature classique. C'est à peine si de loin en loin brille quelque éclair de réalisme. Ces eibrts, quelque exclusifs qu'ils aient été, ont eu pour résultat de hâter la maturation de la peinture italienne. Mantegna est le premier artiste avant Raphaël qui ait réussi à composer un tableau d'après toutes les règles de l'art, disposant en virtuose consommé des artifices de la physionomie, de la draperie, de l'expression dramatique, de l'ordonnance. Dès lors tout peintre se sentant quelque ambition et quelque fierté d'âme devait éprouver le besoin de rompre avec le style bâtard, dernier vestige du moyen âge. En dehors du cercle d'action de Mantegna, nous trouvons cette même prédilection pour les ornements antiques chez Vincenzo Foppa, l'habile peintre de Brescia; dans la Madone du Musée de Brera, l'arcade qui encadre les personnages est ornée d'une voûte à caissons, d'oves, de masques et — ce dernier détail achève de montrer le parti pris du peintre — de deux médaillons contenant des tètes d'empereurs. Transportons-nous maintenant à ^'enise, au milieu d'une Ecole naturaliste s'il en fut : ici encore cette civilisation radieuse impose son empire. Antonello de Messine, le fougueux imitateur des Flamands, drape à l'antique (toge nouée sur l'épaule gauche, tandis que l'épaule droite est découverte) et couronne du laurier traditionnel le poète dont il nous a conservé l'image dans le superbe portrait du Musée municipal de Milan. Dans un autre ouvrage, une fresque peinte en 1490 pour l'église Saint-Nicolas de Venise, Antonello représente deux soldats armés à l'antique, « due armati all'antica ». Jean et Gentil Bellin, Carpaccio, Cinia da Conegliano, n'ont pas moins à compter avec ces réminis- cences, qu'ils subissaient à leur insu, parfois malgré eux. Chez les enlumineurs de manuscrits l'ornementation joue un rôle plus pré- pondérant que chez les peintres; aussi, par une conséquence qu'il était ftcile de prévoir, les éléments antiques dominent-ils chez eux. On s'attache surtout à reproduire les chefs-d'œuvre de la gravure en médailles ou de la glyptique des anciens, notanniient les bustes en profil se détachant en blanc sur un fond noir. o 270 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. à la façon des camées. Ces réminiscences tont d'abord leur apparition dans les manuscrits des Médicis (Bibliothèque Laurentienne et Bibliothèque Natio- nale de Florence); ils passent ensuite dans ceux des souverains de Naples, du duc d'Urbin, des Sforza, de Mathias Corvin'. Un de ces derniers, enluminé par Attavantc, nous offre, outre la repro- duction de la fameuse intaille des Médicis, Apollon et Marsyas, une frise com- posée de Triions (peut- être inspirée par la gra- vure de Mantegna), une Sente de Triomphe avec des prisonniers barbares les mains liées derrière le dos, des médailles d'em- pereurs, des camées, etc. Un livre de prières lom- bard, enluminé entre les années 1460 et 1470, à la Bibliothèque Bodléienne d'Oxford, est également enrichi de camées et de médailles. II en est de même d'un manuscrit de saint Jérôme , entré au Cabinet des Estampes de Berlin, avec la collection Hamilton. Au moment de con- clure, essavons d'embras- ser d'un coup d'œil les influences multiples qui ont donné à la Renaissance sa raison d'être, et qui n'ont pas cessé, depuis lors, de peser sur les destinées de l'art moderne. C'est d'abord l'abondance d'idées plastiques qui constituait l'essence du polythéisme, de ces idées qui, interprétées parle génie hellénique, ont revêtu un cachet de souveraine clarté et de souveraine distinction; puis le culte de la forme se traduisant par la recherche de la pureté dans les contours, de la beauté dans les visages, de la pondération et de l'harmonie dans les moindres détails; l'étude du corps nu substituée à celle de modes essentiellement éphémères; l'élévation du sentiment moral jointe à la recherche de la perfection physique; enfin et surtout cette Portrait de poète costume à l'antique, par Antonello de jMessine. (Mu.sée municipal de Milan.) I. Li's Prccurscms de. la Renaissance, p. i56 et i.S^ p. lîVi-u/î. — La Renaissance au temps de Charles l'III, S' JtRÔME DANS SA CELLULE. D APRÈS UNE MINIATURE DE L'KCOLE VÉRONAISE EXÉCUTÉE ENTRE I47O ET I4S0. (Cabinet des Estampes de Berlin.) 2-2 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. pour.suitc d'un idéal commun à toute l'humanité, cet idéal absolu destiné à remplacer les conventions locales et à unir tous les peuples dans une même admiration. C'est en s'attachant aux belles lignes, à l'harmonie du coloris, à tout ce qui éveille l'idée de la beauté et de la perfection, que les Italiens de la Renaissance ont conquis dans l'histoire des arts le premier rang immédiatement après les Grecs. Les détracteurs de la Renaissance, il est vrai, n'ont vu en elle qu'un écho affaibli de l'antiquité. Sans doute ce reproche est fondé pour la littérature pseudo-classique et, dans une certaine mesure aussi, pour l'architecture et la sculpture. Les modèles laissés par les anciens sont d'une supériorité tellement écrasante, que le génie d'un Brunellesco, d'un Donatello, d'un Ghiberti ne saurait les faire oublier. Seul Michel-Ange a pu reprendre la lutte sans trop d'inégalité. Mais pour la peinture, la gravure, les arts décoratifs, la Renaissance recouvre tous ses avantages. Ce qui nous a été conservé de la peinture antique, à l'exception de la Bataille d'ArheUes, la fameuse mosaïque du Musée de Naples, ne saurait se mesurer avec les créations d'un Masaccio, d'un Goz- zoli, d'un Ghirlandajo, et encore excluons-nous ici, de propos délibéré, les chefs-d'œuvre de Léonard, de Michel-Ange, de Raphaël, pour nous confiner dans le domaine du quinzième siècle. Ne retenons que ce dernier trait, et attachons-nous uniquement à cette supé- riorité de la peinture moderne, si propre à redonner du courage après tant d'exemples d'imitation servile. N'y trouvons-nous pas une démonstration écla- tante, à savoir que l'influence antique s'est surtout montrée féconde là où elle a rencontré des artistes indépendants, disposés à se l'assimiler avec discernement, mais non à la subir aveuglément; là où elle a surexcité, par une sorte de discussion latente, les facultés critiques ; là où préexistaient la sincérité, l'émo- tion et l'initiative! En d'autres termes, l'antique, ce n'est pas la formule qui dispense à tout jamais d'inventer, le modèle qu'il n'y a qu'à recopier indéfini- ment; c'est un guide qui ne conduit au but que les esprits assez vigoureux pour chercher à la rigueur leur chemin eux-mêmes, comme Dante l'a fait en compagnie de Virgile; c'est, pour employer l'ingénieuse définition de Quatre- mère de Quincy, « le miroir qui aide à mieux voir la nature » ; bref, pour dire le fond de ma pensée, l'antique n'a inspiré de chefs-d'œuvre qu'en s'alliant à une forte dose de réalisme. La prépondérance des éléments antiques ne doit pas nous faire perdre de vue la richesse de l'héritage laissé à la Renaissance par le moyen âge, je veux dire par la tradition chrétienne. Le moyen âge a transmis au quinzième siècle, outre un style d'architecture qui s'est maintenu longtemps encore à côté du style clas- sique, l'ensemble des règles qui constituent l'iconographie sacrée, et pour mon- trer par un chiffre, par un simple chifiVe, toute l'importance de cette succession, LA TRADITION DU MOYEN AGE. 273 je rappellerai qu'au quinzième siècle les sujets religieux sont par rapport aux sujets antiques peut-être dans la proportion de vingt à un. Quel que soit l'antagonisme entre l'antiquité et le moyen âge, je réunirai donc dans un même chapitre l'étude des emprunts que la Renaissance a faits à l'une et à l'autre de ces civilisations. Ces emprunts, en effet, se distinguent avant tout par leur caractère rétrospectif, leur caractère traditionnel, et servent ainsi, malgré leur dissemblance, d'antithèse aux tendances réalistes proprement dites. Si pendant le quinzième siècle ce cycle d'idées est resté stationnaire, les mœurs publiques, par contre, ont singulièrement changé. Au moyen âge, l'excès de vitalité s'était traduit par des luttes sanglantes de ville à ville, de citoyen à citoyen; .à l'épo- que à laquelle nous sommes arrivés, cette humeur belliqueuse, pour n'a- voir pas précisément foit place à des sentiments pacifiques , a, du moins perdu la sauvagerie d'autrefois : à l'intérieur, c'est à coups de bulletins de vote et non plus à coups d'épée que les partis se disputent le pou- voir; à l'extérieur, ce sont des mer- cenaires, et non plus de fiers- et ardents citoyens transformés en sol- dats, qui soutiennent l'effort du com- bat. Un pas encore, et l'Italie, qui a si vaillamment résisté aux étrangers pendant tout le moyen âge, sera la nation la plus efféminée de l'Europe. Il ne pouvait en être autrement, d'une part après cette dépense d'éner- gie prodigieuse, de l'autre après les progrès si enviables de la prospérité publique. Il semblerait donc que l'art dût revêtir une forme absolument nouvelle et que les productions du quinzième siècle dussent présenter le contraste le plus frap- pant avec celles de l'ère précédente. Mais ici intervient un fitcteur qu'il faut bien se garder de perdre de vue . Après comme avant, le sentiment religieux continue à inspirer l'immense majo- rité des œuvres d'art. \'oilà donc du coup la tradition renouée et les influences politiques réduites à leur plus simple expression. Ainsi également s'explique comment l'art italien a pu pendant le quinzième et le seizième siècle progresser E. .Munlz. — I. Italie. Les Piimililb. 35 Interprétation d'un sujet antique au .\v siècle : Mercure. Bas-relief d'Agoslino di Duccio. (Temple des Malatesta à Rimini.) 274 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. sans cesse et atteindre à son apogée, malgré la déchéance politique du pa\s. Pour montrer la force du lien qui rattachait l'art à la religion pendant le quinzième siècle, j'anahserai un singulier contrat conclu à Gubbio en 1471 : Un juif avait acheté une maison dans laquelle se trouvait une fresque représentant la Vierge et deux saints. Grand embarras ! Laissera-t-on ces images pieuses dans la demeure d'un réprouvé? Ce serait un sacrilège, et ce n'en serait pas im moins grand que d'autoriser le juif à les détruire lui-même. Après une longue consultation théologique et l'approbation de l'autorité épiscopale, le peintre Giacomo di Bedo, de Gubbio, fut chargé d'effiicer la fresque et d'en repeindre une autre, de tout point semblable, aux frais du juit naturellement, dans l'oratoire de Santa Maria dei Bianchi '. Pendant sa première évolution la Renaissance s'était habituée, sans trop de peine, à incarner dans une figure humaine, à l'instar des anciens, jusqu'aux idées et aux sentiments les plus subtils, en un mot à taire de l'allégorie à outrance. Mais elle n'entendait nullement, sollicitée qu'elle était sans cesse par son penchant au réalisme, elle n'entendait nullement ne fiiire que de l'art s3-m- bolique. Le symbolisme qui caractérise l'art chrétien primitif et l'art du moyen âge, aussi bien d'ailleurs que l'art païen, cette tendance à se servir d'allusions plus ou moins transparentes, au lieu d'exposer les faits purement et simple- ment, ce besoin de transporter les événements et les personnages dans un milieu de convention, bien plus, de les résumer en quelques signes graphiques (le monogramme du Christ, la colombe, l'agneau, une main émergeant des nuages pour représenter le Père Éternel, un mur crénelé comme image de la Jérusalem céleste, etc.), en un mot tous ces vestiges d'une civilisation hiéra- tique, disparurent rapidement, entraînant avec eux le laborieux échafltudage de l'iconographie sacrée. L'art du quinzième siècle a pour trait distinctit l'hor- reur de l'abstraction; s'attachant à obser\'er plutôt qu'à inventer, il veut des faits, un récit circonstancié, que les acteurs choisis parmi les contemporains et revêtus du costume du temps rendent plus saisissant encore, en attendant que le drame, par ime loi fatale, succède à l'épopée, comme dans les littéra- tures primitives, le drame qui pendant cette première période compte à peine deux ou trois interprètes, Donatello, Mantegna, peut-être aussi Filippino Lippi. C'en est fait de la contention d'esprit propre aux siècles antérieurs : les idées ont pris le tour le plus facile et le plus riant. Aux grandes compositions synthétiques de l'ère précédente, le Triomphe de la Chasteté et le Triomphe de la Pauvreté, peints par Giotto sur les voiites de la basilique d'Assise, YEglise militante, qui occupe une des parois de la chapelle des Espagnols à Sainte- Marie Nouvelle, le Bon Goiiveriieiiieiit, qu'Ambrogio Lorenzetti célébra dans le palais public de Sienne, .\ toutes ces allégories si fortes et si éloquentes, font 1. Gualandi, Meiiiuric oiigiiuili italiaiii ris^mudcuili le hllc itrti ; 4' bOrie, p. 5j-53. Bologne, . ln4J. LE SYMBOLISME NOUVEAU. place des narrations de plus en plus pittoresques, avec mille épisodes amusants, déroulant en quelque vingt ou trente fresques monumentales, comme au Campo Santo de Pise, les hauts foits du peuple d'Israël ou les miracles des Saints. Les Jugements derniers eux-mêmes, ces pages sombres et puissantes dans lesquelles chaque génération taisait son examen de conscience, ont perdu leur fliveur. Au siècle suivant seulement, le symbolisme tentera un retour offensif avec ^«'^■S^^^iî"*^ Le Triomphe de TAmour, d'après Pétrarque. Fragment d'nn meuWe peint par -Matleo de' Pasti (Musée des Offices.) Signorelli, Michel-Ange et Raphaël, dignes héritiers en ceci des puissants artistes du moyen âge. En thèse générale, le désir de donner plus de vérité à un personnage, de réaliser quelque bel effet de perspective ou de clair-obscur, de fixer sur la toile im pavsage pittoresque, des fleurs brillantes, quelque animal gracieux, un oiseau, un lévrier, en un mot les fantaisies purement artistiques, relèguent sans cesse à l'arrière-plan les préoccupations dogmatiques et didactiques, les composi- tions littéraires proprement dites, dans le genre de celles de l'École de Bologne et du Poussin. L'art pour l'art, voilà au fond la devise des quattrocentistes. Signalons, parmi les réminiscences, les Vertus théologales et les Vertus car- ilinales (tombeau du pape Jean XXIII par Donatello), les Sciences (bas-reliefs "Tjf) HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. de Lucas délia Robbia, au campanile de Florence, tombeau du pape Sixte I\' par Pollajuolo), etc. Par contre, toute la mythologie bâtarde is.sue du Roman de la Rose, Bon J^viloir, Soiiei, Bel Accueil, Courtoisie, Félonie, etc., fut rigoureusement écartée; disons plutôt qu'elle n'avait jamais pris racine en Italie. Quelques artistes essayèrent, il est vrai, de créer de toutes pièces une symbo- lique nouvelle, mais ils le firent plutôt par ignorance que par indépendance. A Rimini et à Pérouse, Agostino di Duccio, l'habile et profline sculpteur du temple de Saint-François et de l'oratoire de Saint-Ber- nardin , entreprit d'in- venter des symboles et des attributs. Dans ses signes du Zodiaque, il représenta le Verseau (d'après M. Yriarte : Hole) sous forme de pontonnier traversant un paysage à moitié inondé; \'énus sur un char traîné, non par des colombes, mais par des cygnes; la Tempérance tenant un trein; la Pau- vreté en chemise, les mains jointes, tiraillée par un enfant et mor- due par un chien. Jean Bellin, dans une série de tableaux aujourd'hui conservés à l'Académie de Venise, poursuivit une chimère de même nature : la Médisance est pour lui un homme sortant d'un coquillage porté par deux jeunes gens; la Fortune, moitié femme et moitié oiseau, a les veux bandés; ses pieds armés de serres et couverts de plumes posent sur deux globes; elle tient une aiguière dans chaque main. Mais l'embarras du brave maître vénitien éclate à tout instant. En pareille matière, la difficulté consiste d'ailleurs, non pas à inventer des attributs nouveaux, mais bien à les faire accepter. Ainsi seulement, par cette consécration qui est parfois l'œuvre du hasard, et non le privilège de la supé- riorité du talent, les idées prennent racine et deviennent viables. Spécimen Jes illiistialions d'une édition de Danle au xv siècle. (Venise. Kioi.j Quoique les artistes de l'antiquité n'eussent pas pour les images de la mort une répulsion aussi vive que l'a soutenu Lessing dans une dissertation INFLUENCE DE DANTE ET DE PÉTRARQUE. célèbre ', c'est de l'art du moyen âge, et non de l'art classique, que procèdent les illustrations, d'ailleurs de plus en plus rares, de ce cycle funèbre. Les Dansa: macabres -, si populaires de ce côté-ci des Alpes, firent à peine leur appa- rition en Italie; on n'en connaît guère qu'une demi -douzaine d'interpré- tations. Le Dit des Trois morts et des Trois vifs ne tenta que le pinceau des auteurs de la fresque de Subiaco et de la fresque du Campo Santo de Pise (faussement attribuée à Orcagna). Par contre, les Triomphes de la Mort (tou- jours cette idée si foncièrement romaine du triomphe!) firent une fortune brillante dans l'art de la Première Renaissance, formulés comme ils Tavaient été par le génie de NEimiLE', Pétrarque, qui leur avait donné place dans ses Trionfi. En résumé , c'est sous forme de repré- sentations directes , dépourvues de tout caractère svmboli- que, que ces graves et salutaires leçons trouvèrent le plus d'accueil dans l'art italien. Les têtes de mort figurent sur un grand nombre de monuments, depuis la Descente de Croix de Nicolas de Pise jusqu'au mausolée du cardinal de Portugal, par Antonio Rossellino, jusqu'à la médaille de Boldu; les squelettes font leur apparition dans les fresques de Giotto à Assise '", pour se répandre de là dans une infinité d'œuvres d'art. Enfin, c'est aux grands poètes du moyen âge, et à eux principalement, à Dante, à Pétrarque, à Boccace, non aux poétastres du quinzième siècle, que les Primitifs demandèrent des inspirations. Une can~ona de Pétrarque, telle que l'admirable prosopopée de Rome et de 1. Ce fait vient d'être mis en lumière avec autant d'érudition que de sagacité par M"" la comtesse Caetani-Lovatelli, dans un volume d'une rare élégance : Ttmnatos. Rome, tvp. de l'Académie des Lincei. 1888. 2. Ces représentations font l'objet d'une intéressante monographie due à M. Vigo : le Dau:^e macabre in Italia. Livourne; 1878. Cf. la Renaissance au temps de Charles VIII. p. 1.S2 et suiv. M. Vigo annonce une nouvelle édition, entièrement refondue, de son travail. .1. Thode, Fra»^ ïvii Assisi, p. 5i5. l-'ioiUi&pice du Dccaniijron de Huccace. iFiagmenl.) Fac-similt; d'une gravure vénitienne de 1492. 278 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Rienzi (« Spirto gentil »), ou encore ses Trionfi , les sombres invectives ou visions de Dante, voilà de quoi enflammer le cœur et l'imagination du peintre. Aussi est-ce à ces deux coryphées de la poésie italienne que les quattrocentistes font sans cesse appel. Une centaine peut-être de sculpteurs, de peintres, de tapissiers, de brodeurs, de miniaturistes, de graveurs, entreprirent d'illustrer les Triomphes de Pétrarque'. Quant à la Divine Comédie, elle compta pour interprètes, outre les dessinateurs des éditions de Florence, de Brescia, de Wnise, des maîtres de la valeur de Fra Angelico, de Botticelli, de Signorelli, de Baccio Baldini ". On voit par ces quelques exemples combien sont variés, pour ne pas dire complexes, les facteurs qui ont rendu l'art du quattrocento si vivant et si savoureux. 1. Voy. la Renaissance au temps de Charles FUI, p. I4q-i52, et les Eludes sur les Triomphes de Pétrarque par M. le duc de Rivoli (Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1887). — Il est à peine nécessaire de rappeler, au sujet de Pétrarque, les études si attachantes de M. Mézières, de M. L. Geiger, de M. de Nolhac, ainsi que le travail si délicat de M. Gebhart, les Origines de la Renaissance en Italie; Paris, 1879. 2. Passavant, le Peintre graiYur. t. V, p. 4^, 44. FLAVAEMESSI.S. Cérès. — Fac-similé d'une gravure ilu Songe .le Pnhf'liile (i^go). Saint Éloi rerranl un cheval, bas-relief de Nanni di Banco. Florence, éL'lise Or San Michèle. CHAPITRE III LH KHALISMK. PRE.MIEKES TENTATIVES CHEZ LES SCULPTEURS DE L ECOLE DE PISE ET CHEZ GIOTTO. LES DEBUTS DU PAYSAGE. LES AUXILIAIRES UU RÉALISME AU aUINZlÈ.ME SIECLE. LA PERSPECTIVE. l'aNATOMIE. 11 regard de la tradition sous toutes ses formes, en regard de l'expérience accumulée par les ancêtres, qu'ils aient eu pour patrie la Grèce ou les pays du Nord, et transmise par eux à l'état de dogmes, en regard des modèles que l'on imite, des formules et des canons que l'on applique, il faut placer le réalisme ou naturalisme, c'est-à-dire l'étude de la nature vivante et de la société contemporaine, l'eifort individuel de tout artiste doué de quelque initiative, le levain en un mot qui doit introduire la vie dans les enseignements clas- siques. Jusqu'à ces dernières années ce facteur de l'art du quinzième siècle a été complètement passé sous silence dans l'histoire des quattrocentistes, et ce ne sera pas trop d'un chapitre ou deux pour lui restituer la place a laquelle il a droit. Pour découvrir les origines du réalisme dans l'art italien, il nous faut remonter, comme nous l'avons fait pour la tradition classique, au moyen âge proprement dit. 28o IIISTOIIŒ IJE LART PENDANT LA RENAISSANCE. Le style roman, style conservateur s'il en fut, était aussi réfractaire à l'étude de la nature ou de la vie, que favorable au maintien de la tradition clas- sique. L'abstraction, avec ses qualités et ses défuits, avec ses combinaisons fondées sur la raison pure, on serait tenté de dire sur la géométrie, n'en formait-elle pas la base? L'idéal de ses représentants ne consistait-il pas à rendre leurs figures aussi impersonnelles que possible, à mettre partout le symbolisme à la place de récits vivants et dramatiques? En Italie, l'influence de ces doctrines fut particulièrement désastreuse pour la sculpture : rien ne saurait donner une idée de son abaissement : tout sentiment de la forme humaine a disparu des bas-reliefs informes qui s'appellent l'ambon de Saint- Léonard de Florence, les portes de bronze de la cathédrale de Pise, la Porla Roiuana de Milan. Assurément, les sculpteurs et les peintres de l'époque romane avaient essayé plus d'une fois de mettre de l'animation, soit dans les récits de l'his- toire contemporaine (telle est la fameuse broderie de Bayeux, du onzième ^iècle, représentant la Conqiiêlc de F Angleterre par les Noniiaiids), soit dans les scènes de l'histoire sainte; exemples : la Construction de F arche, ou encore le Voyage d'Eléa:{iir, dans les mosaïques de la cathédrale de Montréal en Sicile (douzième siècle). Nous }-■ voyons à tour de rôle des soldats en costume du temps, des charpentiers travaillant avec acharnement, des animaux de toute sorte, depuis les brebis jusqu'aux chameaux. Mais tout s'y borne à l'inten- tion. La structure des figures trahit une ignorance complète des règles les plus élémentaires du dessin; leurs gestes, un manque absolu d'observation. Et puis que de conventions arbitraires ! Noé debout est plus grand que l'arche destinée à l'abriter; le bélier et le cheval ont la même taille, et ainsi de suite. Le réalisme ou naturalisme, on pourrait aussi dire le besoin de précision, car ce qui distingue les réalistes ou naturalistes, c'est le désir de pénétrer plus profondément dans la caractéristique des hommes et des choses, ce prin- cipe fécond, appelé périodiquement à renouveler la littérature et l'art, s'est affirmé pour la première fois dans la poésie italienne avec la génération .\ laquelle appartenaient Dante, Pétrarque, Boccace, Fazio degli Uberti; dans la sculpture italienne, ses plus anciens champions sont Nicolas de Pise et surtout son fils Jean de Pise; dans la peinture, Giotto, dont Politien a si bien mis en lumière le rôle en lui taisant dire : Je suis celui par qui la nature éteinte ressuscita, Illc ego suni pcr qucni natur.i cxtinctu rcvixit. Retrouver la nature cachée sous les conventions des artistes romans, ou mieux la nature que leur ignorance les empêchait de reproduire, telle a été en effet la mission de ce grand affranchissseur. Nicolas de Pise, le thaumaturge qui d'un coup de baguette ressuscita l'anti- LE REALISME fllEZ NICOLAS DE PISE. 281 quitc romaine et par là rendit aux types, aux draperies, à la composition, la noblesse qui leur avait si longtemps fiiit défaut en Italie, Nicolas de Pise devina également, par une intuition de génie, la nature, si longtemps cachée aux yeux de ses prédécesseurs, aux yeux de ces sculpteurs misérables qui avaient nom Gruamons, Biduinus, Bonnanus et « tutti quanti ». Ainsi, cette Renaissance du treizième siècle nous offre le double caractère qui distingue la Renaissance du quinzième siècle, l'étude de l'antique d'une part, celle de la nature de l'autre. Quoique la gravité soit la qualité maîtresse de Nicolas de Pise, et que ce grand artiste s'attache avant tout à mettre de la noblesse dans ses figures, de la pondération dans ses groupes, son œil s'ouvre à tout instant sur les phéno mènes de la vie réelle, et son ciseau interprète avec une rare vivacité jusqu'aux motifs les plus naïfs ou les plus familiers. Prenons le paysage : ce n'est encore qu'un embryon, mais comme on sent bien déjà le désir de donner de la profondeur à la composition, et de marquer les différents plans, au moyen d'arbres et de monticules ! Mêmes progrès dans l'étude de la nature animée. On nous affirme que Nicolas de Pise a emprunté à des modèles classiques les chevaux si fringants qui servent de monture aux rois mages, ces chevaux qui hennissent ou se cabrent, ainsi que le cheval qui s'abat et jette son cavalier à terre dans un des bas- reliefs de la châsse de saint Dominique à Bologne, sculptée en collaboration avec Fra Guglielmo d'Agnello'. Mais j'ai peine à le croire, tant il y a de spontanéité dans ces figures. Les lévriers pleins de feu, les moutons qui broutent, et ce bélier qui d'une de ses jambes de derrière se gratte le front (motif que Nicolas a répété dans la chaire de Sienne) : autant d'emprunts faits à la nature. Admirons encore la fidélité avec laquelle le maître a représenté le bouc qui lève la tête (même compartiment) : Pisanello, à un siècle et demi de là, n'eût pas mieux fait. Vis-à-vis de la figure humaine, Nicolas, gêné par les souvenirs classiques, montre moins d'originalité : les visages ont quelque chose d'impersonnel, le mouvement et les draperies souvent quelque chose de compassé. Cependant, à l'occasion, le chef de l'École de Pise sait inventer des attitudes qui témoignent d'études assidues d'après le modèle vivant. Tel est saint Nicodème qui, dans la Descente de croix du dôme de Lucques, reçoit dans ses bras le cadavre du supplicié : par l'aisance et le naturel de la pose, par l'ampleur des formes, ce morceau est à lui seul toute une révolution dans l'art statuaire. Le cadavre qui s'affiisse montre lui aussi, malgré la lourdeur des extrémités, un réalisme de bon aloi. Et quelle douleur dans le saint Jean dont la bouche est comme tordue par un rictus, dans la Vierge dont le corps est littéralement brisé! I. Cicognara, Storia di-lla Sciilliiia, t. III, p. i.'ii, i8,3. • — Weiziieckcr, dans VA)inuaire ilcs Musées de Berlin; 1886, p. 47. E. .Munlz. — I Ilalie. Les Primitits. -û 282 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Le Massacre des Iinwcenls, X h cathédrale de Sienne, nous révèle la même force d'observation et le même pathétique : cette femme qui regarde, les yeux hagards, le cadavre de son enfont, cette autre qui se tord les cheveux, sont déjà d'un dramaturge consommé. Jean de Pise, le fils de Nicolas, a très certainement assisté son père dans l'exécution de ces has-reliefs. C'est aussi dans la chaire de Sienne que paraît pour la première fois un motif touchant dont les trecen- tistes et les quattrocentistes ont tiré le plus brillant parti : l'aîné des rois mages baisant le pied de l'Entant Jésus'. Jean de Pise est plutôt un dramaturge à outrance qu'un naturaliste : la recherche du mouvement tient lieu chez lui d'observation et de sincérité; son agitation va jusqu'à empêcher sa pensée de se fixer sur les êtres ou les choses. Au point de vue de la forme, l'influence de ce maître inégal, heurté, violent, déclamatoire, ne pouvait qu'être dangereuse dans un moment où l'art italien avait besoin avant tout de se recueillir et d'apprendre. Mais si nous nous atta- chons à l'expression, cet audacieux, cet insensé, ce traître à l'art italien, comme l'a si bien appelé M. Courajod, a été, il n'est point permis d'en douter, le véritable précurseur de Giotto, et ce sera là son plus beau titre de gloire. Les leçons de nos sculpteurs gothiques n'ont pas été étrangères à l'évolution du style de Jean de Pise. Vasari affirme que ce maître utilisa les services d'un certain nombre d'ouvriers allemands'; il ajoute que ceux-ci devinrent si liabiles sous sa direction, que le pape Boniface VIII les appela auprès de lui (le pontife les envoya en dernier lieu à Orvieto). Et de fait nous trouvons dans les comptes de la construction de la cathédrale d'Orvieto, entre 1290 et i3oo, un artiste nommé Alemano et un autre nommé Roland de Bruges. Ce que Nicolas de Pise et ses disciples avaient fait pour la sculpture, ou plus exactement pour le bas-relief, — car c'est là leur procédé ftvori, — Giotto l'entreprit pour la peinture, mais avec infiniment plus d'ampleur, de liberté et de puissance. Sa gloire à lui, c'est d'avoir retrouvé le secret du geste qui donne à la figure son expression, le geste tour à tour fomilier, tendre ou pathétique. Nul parmi les peintres modernes n'a poussé plus loin la science de la mimique, — quelles que soient encore les lacunes du style ; — la tendresse de sainte Anne appuyant sa main sur la joue de saint Joachim, le désespoir de Rachel à qui l'on a arraché ses enfants, la gratitude sans bornes des sœurs de Lazare se prosternant devant celui qui a rappelé leur frère à la vie, ou encore l'élan des bienheureux courant vers la Jérusalem céleste : que de sentiments rendus en traits ineffables! Giotto ne réalisa toutefois que la moitié de sa tâche : pour porter à sa perfec- tion la représentation de la figure humaine, il restait à fiiire à peu près autant 1 . Thode, Fraiii von Assis! , p. 4.'i2. 2, T. I, p. 3i2. Ci'. les Mélanges... piiHiés par l'Ecole française de Rome; 1881, p. I17. LE RKALIS.ME CHEZ GIOTTO. 283 que le fondateur de l'École florentine avait £iit lui-même. Incomparable lors- qu'il s'agissait de donner à un personnage la majesté ou l'éloquence, il se voyait réduit, vis-à-vis des conditions techniques de son art, — physionomie, anatomie, proportions, — à escamoter une bonne partie du programme : d'ordinaire ses têtes paraissent découpées dans des blocs de bois, tant il y a de raideur dans ces visages encore impersonnels, avec leurs màclioires carrées, leurs yeux en amande, leur nez et leurs lèvres rectilignes. Que d'autres lacunes encore! Croirait-on que le secret de représenter l'enfance fut une des dernières conquêtes de l'art! Si chez les sculpteurs de l'Ecole pisane les enfants ont une certaine ampleur et une certaine vivacité, chez Giotto ils se distinguent par leur extrême gaucherie; hgurez-vous des hommes ou des femmes en miniature, avec un air vieillot, sans l'expression, sans les gestes, sans même le costume, qui caracté- risent cet âge fortuné. L'esprit de routine qui éclate notamment dans les types de la Vierge et de l'Enfmt Jésus (par exemple dans le tableau du Musée de Brera) jure avec l'insa- tiable curiosité dont Giotto donna ailleurs tant de preuves : le peintre florentin s'intéressait même aux habitants ou aux productions des contrées les plus éloi- Types de Nubiens. „, . . .... , D'après Giotto. gnees. G est amsi que la suite des rois mages, dans (Santa Croce à Fioience.) la basilique d'Assise, se compose de magnifiques spé- cimens de la race mongole, au nez écrasé, au teint jaune, aux cheveux d'mi noir de jais. Trois chameaux bridés et muselés, d'après toutes les règles de l'art, complètent ce joli petit tableau ethnographique. Mêmes qualités dans les Nubiens de l'église Santa Croce". Pas plus que Nicolas de Pise et ses disciples, Giotto, gêné peut-être par des scrupules religieux, ne semble s'être attaché à l'étude du nu. Cette branche si importante de l'art fut abordée avec une compétence réelle par André de Pise, dans ses bas-reliefs du campanile de Florence. En modelant les Scènes de la Création et du Jugement dernier, les sculpteurs de la façade du dôme d'Orvieto se virent forcés d'accorder une large place au nu. Ils s'en acquittèrent à merveille. Dans la Création d'Adam, le corps du premier homme est d'une ampleur admirable : s'il y a quelque chose de maigre, ce sont plutôt les draperies du Père éternel et des Anges. Eve, s'éveillant au moment où le Créateur lui pose la main sur l'épaule, se distingue par un modelé souple et tacile, mais moins étudié que celui de son futur époux. L'attitude d'Adam debout devant l'Eternel, dans une autre scène, ne mérite pas les mêmes éloges. Mais c'est surtout dans le Jugement dernier que les nus sont traités avec une véritable maestria : ces grands sculpteurs anonymes, qui appartiennent, comme on sait, à l'École de Sienne, ont accusé avec autant de netteté que de force les pectoraux, les vertèbres, les veines gonflées par la douleur; ils ont 284 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. rendu avec une égale énergie l.i mollesse des corps qui s'aftaissent, ou les cris- pations de ceux qui résistent et luttent. Examinons à son tour le costimie. Giotto conserve presque invariablement les formes traditionnelles, mais en leur donnant l'ampleiu' et la noblesse. Dans ses grandes pages d'bistoire, si véritablement classiques, les modes con- temporaines n'apparaissent que de loin en loin, lorsque le sujet l'exige impé- rieusement, comme dans les Saiics de Fhiiloire de saint François, à Assise, ou dans le Jugement dernier, à Padoue. Mais ici encore Giotto représente le cos- tume du treizième siècle avec infiniment de discrétion et de tact, se contentant de caractériser les acteurs par des toques qui n'ont rien de disgracieux, par des manteaux tombant droit jusqu'à la cheville. Une autre fresque, le Mûssacre des Innocents, à Padoue, et la TniJjison de Judas, à l'Académie des Beaux-Arts de Florence, ont pour acteurs des soldats au costume hybride, qui ont emprunté aux légionnaires de l'Empire romain leur cuirasse ornée du lambrequin, et aux miliciens du moyen âge leurs coiflures extravagantes, parmi lesquelles les turbans commencent à taire leiu' apparition. Si nous rapprochons ce trait, quelque insignifiant qu'il paraisse, de la recherche de la couleur locale qui perce dans l'Adoration des Mages du même maître (voy. page 2(83), nous sommes forcé de reconnaître qu'ici encore Giottt» a indiqué, sinon ouvert, une voie nouvelle. Avant lui, jusqu'au treizième siècle, on avait donné aux acteurs de l'histoire sainte un costume idéal, offrant de nombreuses analogies avec le vêtement des Grecs et des Romains : une toge, une tunique, ou im manteau couvrant le corps de haut en bas, des sandales pour chatissure, la tête restant d'ordinaire nue. A partir de Giotto, la tentation d'introduire les modes contemporaines dans les scènes du passé s'affirma de jour en jour. On s'en prit principalement aux personnages qui se détachaient plus ou moins nette- ment sur le fonds chrétien proprement dit : les rois mages, puis les bourreaux de la Passion, sur lesquels plus d'un artiste supérieur, quittant les hauteurs sereines de la grande peinture d'histoire, se plut à exercer sa verve. Ensuite vint le tour des Prophètes, que l'on représenta sous les traits des Juifs du moyen âge. Dans les fresques d'Altichieri et d'Avanzo, à Padoue, ce ne sont que cheveux nattés à la chinoise, casques à plumes, etc. Bref le goût pour ces sortes de mascarades alla croissant depuis le temps de Giotto jusque vers la fin du quin- zième siècle, où le goût supérieur d'un Mantegna et d'un Raphaël parvint enfin à corriger les excès. Il en tut de même de la représentation des difibrmités ou mutilations. Ici encore le réalisme suivit une progression efiVayante. La laideiu', sous toutes ses tormes, ne tarda pas à fliire irruption dans le domaine sacré de l'art. Autant les sculp- teurs des sarcophages destinés aux premiers chrétiens, autant les mosaïstes char- gés de décorer les basiliques, avaient montré de discrétion, en évoquant par exemple les infirmes guéris par le Christ, autant leiu's successeurs des treizième et quatorzième siècles mirent d'ardem' à rendre ces images aussi palpables et LES ANIMALIERS DU MOYEN AGE. 285 Lévrier couché. Bas-relief de Fra Guglielmo. (Pistoia.) saisissantes que possible. L'auteur du Triomphe de la Mort, au Campo Santo de Pise, a épuisé sa vene dans la peinture de culs-de-jatte rampant sur le sol, d'es- tropiés levant en l'air leurs moignons horribles. Le pur et sévère André de Pise lui-même, dans un des bas-reliefs de la porte du Baptistère de Florence, nous montre le Paralytique s'approchant du Christ en se traînant à terre, une main appuyée sur un de ces petits escabeaux qui devinrent surtout fréquents chez ses successeurs. Voilà des traits à effrayer jusqu'aux réalistes de nos jours. Les enseignements de saint François' avaient dès le début du treizième siècle réconcilié l'homme avec les êtres privés de raison. Dans son panthéisme plein d'une tendresse infinie, le grand mystique d'Assise n'avait-il pas appelé les animaux, les plantes, les étoiles, ses frères et ses sœurs, n'avait-il pas prêché aux oiseaux des champs? Ces exemples ne turent point perdus pour les artistes. Aux monstres malfoisants que les sculpteurs romans avaient prodigués sur la façade des églises, comme sous le poids d'un cauchemar afîreux (on les trouve encore en pleine Assise, sur la façade de la basilique), succédèrent les figures les plus svmpathiques et les plus riantes, des lévriers qui bondissent, des agneaux qui broutent, des oiseaux qui chantent. Jean de Pise, l'artiste agité par excellence, ne trouva pas le loisir d'arrêter son regard sur le règne animal; tout chez lui est heurté et sans forme réflé- chie. En revanche Fra Guglielmo d'Agnello, le plus éminent, à mon avis, des disciples de Nicolas de Pise, sait représenter à la perfection, avec autant de précision que de vivacité, dans la chaire de San Gio- vanni Fuor Civitas, à Pistoia, le bœut et l'âne qui regardent la crèche, les trois brebis qui broutent, le lévrier couché, spectacteur intelligent de V Ado- ration des rois mages. Giotto ne se fit pas Éiute d'ouvrir ses fresques aux représentants du règne animal, depuis les quadrupèdes jusqu'aux oiseaux qui écoutent la prédication de saint François d'Assise. Les brebis toutefois, que l'ancien pâtre aurait du si bien connaître, ces brebis dont un spécimen dessiné sur une ardoise attira l'attention de Cimabué, sont fort mal dessinées. En revanche, la levrette qui saute vers Levrette s'élançanl vers saint Joachim. Fresque de Giotto. (Padoue.) I . L'histoire de l'influence exercée sur l'art par saint François a donné lieu dans les dernières années à un volume excellent dû à M. H. Thode : Frau^ von Assisi und die Anjângc dcr Kiiiist der Renaissance in Italien. Berlin, Grote, l885. Consulter également le Saint François d'Assise publié par les RR. PP. Franciscains à la librairie Pion, en i885. 286 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. saint Joachim est excellente de mouvement. A Assise, les fresques d'un élève de Giotto, Puccio Capanna, nous montrent, dans le Christ à la colonne, un singe se promenant à quatre pattes sur la toiture d'un édifice, et, dans la Cène, un chien qui lèche un plat, tandis qu'à côté de lui un chat fait son ronron, motifs tellement naïfs, disons irrévérencieux, que les réalistes du quinzième siècle eux-mêmes ont hésité à les introduire dans des sujets aussi graves, sauf peut- être Cosimo Roselli dans la Cène de la chapelle Sixtine. La plus tentante à la fois et la plus ardue de ces conquêtes était celle du che- val : aucune machine, on le sait, n'est plus difficile à construire et à mettre en mouvement que ce noble et ardent quadru- pède'. Du moins, si les lois de son anatomie et de sa myologie ont été retrouvées au quinzième siècle seulement par Donatello et \'errocchio, les fresques ou les bas-reliefs du moyen âge abondent-ils en traits partiels pris sur le vif. Signalons les chevaux du Triomphe de la Mort, au Campo Santo de Pise; les uns, le cou allongé, flairant les cadavres des rois placés dans les cercueils, les autres hennis- sant de firayeur à ce spectacle inaccoutumé. A tout instant du reste on revient aux modèles antiques. Tels sont : le cheval du fau- connier dans un des bas-reliefs de la fontaine de Pérouse, et le cheval portant un cavalier sans étriers, ni éperons, dans un des bas-reliefs d'André de Pise, au Campanile de Florence. M. Weiza;cker a rapproché ce dernier des représentations de généraux à l'époque de l'Empire romain \ L'âne, mieux partagé, a trouvé chez Giotto déjà un interprète, on n'ose dire un chantre, qui a saisi sur le vif cet utile et obstiné serviteur. Les Précurseurs de la Renaissance, si embarrassés vis-à-vis du cheval, semblent avoir découvert du premier coup les lois de l'anatomie des ruminants. Une longue série de sculptures et de peintures, échelonnées du quatorzième au quin- zième siècle, rendent à la perfection le « pas tranquille et lent » du bœuf, depuis les bas-reliefs d'Andréa Pisano, au Campanile de Florence, jusqu'aux fresques d'Altichieri et d'Avanzo, à Padoue, jusqu'à la châsse de saint Zanobi, par Ghiberti. Il est impossible, pour nous borner à un seul exemple, de représenter ces mou- vements tout d'une pièce avec plus de netteté que ne l'ont fait les peintres Ane allant au pas. Fresque de GioUo. (Padoue.) 1. L'histoire du cheval dans l'art figure a été étudiée par M. Berjeau, tl}e Horscs oj Anti- quity, Middle Ages and Riniaissancc ; Londres, 1864; par le colonel Duhousset {Galette d/s Beaux- Arts, 2' période, t. XXVIII, p. 407, t. XXIX, p. 4(1, 242, 407) et par M. Weizxcker {An- nuaire des Musées de Berlin, t. VII, 1886, liv. I, III et IV). 2. Annuaire des Musées de Berlin, t. VII, p. 48. LE PAYSAGE AU MOYEN AGE. 287 padouans dans les couples de bœufs qui s'évertuent à entraîner le corps de la sainte à laquelle ils sont attelés : ils soufflent, tendent leurs muscles; rien n'y kk. Le lion est, avec le cheval, celui des quadrupèdes qui suscita le plus de diffi- cultés aux artistes du moyen âge et de la Renaissance. L'occasion d'étudier d'après nature ce roi des fauves ne leur manquait cependant pas : la fosse aux lions de Flo- rence en contenait toujours un choix varié. Chez Niccolo Pisano, les lions qui sup- portent les chaires de Pise et de Sienne ont encore la grande tournure de l'anti- quité; chez les peintres (et l'on sait si dans les images de saint Jérôme ils eurent sou- vent l'occasion de représenter son irdèle compagnon !), leur masque affecte invaria- blement l'expression de la physionomie humaine. Ce n'est qu'au prix efforts que même un Raphaël parvint à tourner l'obstacle. liu-ulb labourant. Bas -relief d'Andréa Pisano. (Campanile de Florence.) de longs Pendant le treizième et le quatorzième siècle le paysage se compose princi- palement de rochers dénudés et escarpés, surmontés de loin en loin de quelque arbre ayant pour parure une douzaine ou deux de feuilles. Nulle trace de vallées, de" cours d'eau, de forêts. Ces rochers étaient pro- bablement destinés à simuler des collines : ils permettaient à des artistes étrangers aux notions les plus élémentaires de la perspective de marquer la gradation des plans. C'est encore, somme toute, la don- née conventionnelle propre au style ro- man. Tel nous trouvons le paysage chez Niccolo Pisano, malgré les efforts de ce maître, chez ses élèves, chez Andréa Pisa- no, chez les sculpteurs du dôme d'Orvieto. Giotto, qui poussa si loin la connais- sance de la nature humaine, envisagée soit dans ses caractères ethnographiques, soit dans les gestes par lesquels se tra- duisent les passions , Giotto ignora le paysage , tout comme ses disciples, quelque ardente que fût la curiosité qui avait poussé plusieurs de leurs contem- Cheval au galop. Bas -relief d'Andréa Pisano. (Campanile de Florence.) 288 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. porains, surtout Pétrarque, à escalader les montagnes, à chercher des sites pittoresques. Cennino Cennini, dans son Traite lic la Pciiilure, nous a con- servé, à l'usage des peintres, la recette de ces bizarres passe-partout : « Comment on copie une montagne d'après nature. Si tu veux foire des montagnes d'un bon stvle et qui paraissent naturelles, prends de grandes pierres pleines de brisures et non polies, copie-les d'après nature en foisant venir la lumière et l'ombre dans la direction qui te convient.... Si tu veux orner ces mêmes montagnes de bosquets, d'arbres et d'herbes, passe d'abord le corps de l'arbre au noir pur avec tempera; à fresque ils se font mal (etc.). » Il ajoute toutefois qu'après avoir couvert en noir le corps des arbres, dessiné les branches, mis les feuilles dessus et les fruits ensuite, il faut mettre sur le gazon quelques fleurs et des petits oiseaux. Ce n'est que de loin en loin, chez quelques peintres d'élite, que l'on trouve un sentiment plus vif des beautés de la nature. L'auteur du Triomphe lie la Mort, au Campo Santo de Pise, a placé une partie de ses acteurs sous un bois d'oran- gers; à Florence, l'auteur des fresques de la chapelle des Espagnols, dans l'église Sainte-Marie Nouvelle, a évoqué un jardin plein d'arbres merveilleux et peuplé d'adolescents dont les uns s'amusent à cueillir des fruits, tandis que les autres se promènent sous de frais ombrages. Le même cycle de fresques nous offre une marine qu'il faut rapprocher de celle de Giotto dans la chapelle Peruzzi, à Santa Croce. Ghiherti, qui fut à tant d'égards un novateur, sacrifie d'ordinaire encore .\ la tradition du moyen âge : ses fonds de paysage sont formés de rochers crevassés, non pas ondulés, mais se découpant en silhouettes bizarres, disgracieuses et pleines d'anfractuosités. Du moins, dans les bouquets de ver- dure, qu'il a semés dans les fonds de la seconde porte, révèle-t-il une intel- ligence véritable de la structure des arbres. Si le paysage proprement dit, avec son mélange d'éléments pittoresques, cours d'eau, vallées et collines, végétation sobre ou luxuriante, oflre encore tant de lacunes, les fabriques, multipliées dès lors, donnent au fond de la composition un singulier caractère de réalité'. Dans les fresques d'Assise, Giotto sème sur ses monticules une foule de châteaux plus ou moins fidèlement copiés d'après nature; il essave également d'y peindre le temple de Minerve qui orne aujour- d'hui encore cette ville, et a- donne une imitation libre de la colonne Trajane. Des châteaux, par exemple celui de Torrita, abondent également dans les fresques du palais public de Sienne. L'auteur des fresques de la chapelle des Espagnols foit un pas de plus : il peint la cathédrale de Florence telle que l'avaient projetée les architectes contemporains. Mais .'i tout Instant ces tendances réalistes étaient battues en brèche par le symbolisme invétéré de l'École romane. A Avignon, par exemple, au palais des Papes, l'Italien Matteo di Giovanotto de I . .Sur les vuL-s de villes à l'époque Je l.i Première Renaiss.ince, voy. l'.irticle de M. de Loga d.ins VAinniairv des Musées de Berlin, t. IX, 1888, p. q3 et suiv., 184 et suiv. NOUVEL ESSOR DU REALISME AU XV SIÈCLE. 28t) Vue du Colisée. D'après le livre d'heures du duc de Berrv. \'itLTbc, .m moment de représenter les églises fondées par saint Martial, emploie des modèles de pure fantaisie'. L'importante série des vues de Rome, la cité par excellence aux yeux du moyen âge, consacra les efforts des novateurs*. Cimabue, un des premiers, peignit dans la basilique d'Assise plusieurs des monuments de la Mlle éternelle, en les modifiant plus ou moins. Il compta de nombreux imitateurs. Mais on ne saurait s'imaginer quels efforts il follut pour ouvrir les yeux sur la confor- mation véritable des choses : Fazio degli Uberti encore, dans son Dittamondo, composé entre 1 355 et 1 364, dé- crit le Colisée comme un château rond, couvert d'un dôme en bronze (!). Et c'est ainsi que le monument est représenté dans la miniature dont un enlumineur du qtiinzième siècle a orné l'exemplaire du Ditlaiiioinlo conservé à la Bibliothèque nationale de Paris. Le miniaturiste employé par le duc de Berry (f 141O) ne montre pas plus d'exactitude. En prenant congé de Giotto et de ses émules, nous avons laissé l'art italien plein de sève et de force : nous le retrouvons, cinquante ans plus tard, à la fin du qua- torzième siècle, affaibli, dégénéré, frappé de stérilité. C'est que pour vivre il ne sufSt pas à une Ecole de durer, il faut encore qu'elle se renouvelle. Or l'action des grands novateurs du treizième et du quatorzième siècle, les sculpteurs de Pise, Giotto, Simone Martini, Lorenzetti, avait été tellement puissante, leur supério- rité tellement écrasante, que bientôt, désespérant de s'élever plus haut, on se contenta de les égaler, c'est-à- dire de les copier. Pise, Florence, Sienne, se voyaient épuisées par l'excès même de leur fécondité. Au début dii quinzième siècle, un nouvel effort en avant était donc devenu indispensable : c'est la destinée. Vue du Château Saint-.\nge. T • 1- 1 M. )r ■ I • I II 1. D'après le livre d'heures Les maîtres disparus, les élevés s étaient laisses aller a jj„ j^,,- jg Berry. consulter non plus la nature, mais les modèles que leur avaient légués leurs initiateurs, en d'autres termes, des ouvrages qui étaient déjà par eux-mêmes une interprétation plus ou moins fidèle, un écho plus ou moins affiibli, un reflet plus ou moins pâle; ils en étaient arrivés rapidement à sub- 1. Ga~ti le archéologique, 1H8.S, pi. XLV. • 2. BiBL. : De Rossi, Piaule di Roma anUriori al secolo .VIY. Rome, 1879. — E. Mûntz, les Aiiliquitès Je la ville de Rome aux quator^iime, quiniiêiiie et seizième siècles. Paris, Leroux, l885. — Strzygovvski, Ciinalmc iiiul Rom. Viciuie, Holder, I088. E. -MUntz. — 1. llalic. Les Primitil». 3? 290 . HISTOIKL: de L'ART FENDANT LA RENAISSANCE. stituer des formulcb d'atelier aux observations personnelles, et au bout de deux ou trois générations, eussent-ils fait profession du plus pur réalisme, ils étaient aussi éloignés de la réalité et de la nature que pouvait l'avoir été l'École byzantine elle-même. Ce retour .\ la nature, dont il sut d'ailleurs contrôler les enseignements par la tradition, avait tait la fortune de Giotto. Ce fut une ten- tative analogue qui assura le triomphe de Donatello, de Ghiberti et de Giacomo délia Quercia, de Masolino et de Masaccio; h ce moment, les derniers sectateiu-s de Giotto, ces « Giotteschi » dont le nom est devenu comme une injure, avaient fini, à force de copier leur maitre, par faire de la peinture non moins fausse, non moins froide, non moins vide, que les Byzantins détrônés, quelque cent années auparavant, par l'immortel fondateur de l'Ecole florentine. Donatello et Ghi- berti, tout comme délia Quercia, tout comme Masaccio, s'efforcèrent de concilier le naturalisme avec les enseignements du passé, ;\ cette différence près que, pour eux, le passé s'appelait l'antiquité classique et non plus le moyen âge. Ils cherchaient à ennoblir, donc ils n'étaient pas des réalistes de profession, dans le sens éminemment défavorable que l'on attache aujourd'hui à ce terme. Les auxiliaires du réalisme furent l'anatomie, la physionomie, la perspective linéaire, toutes sciences nées et perfectionnées en Italie, toutes sciences destinées à combler l'abîme qui séparait de la nature les arts d'imitation. Les progrès de l'anatomie sont intimement liés à la résurrection de l'antiquité : les enseignements de celle-ci firent naître le goût des figures nues, à peu près proscrites dans l'art du moyen âge (voy. page 280) ; ils mirent en même temps fin aux scrupules qui avaient si longtemps empêché les médecins ou les artistes de disséquer. Je ne crois pas qu'un artiste italien ait maiiié le scalpel avant Ver- rocchio et Pollajuolo, c'est-à-dire avant le dernier tiers du quinzième siècle. Mais du moins Ghiberti, Donatello, Giacomo délia Quercia, avaient-ils une connaissance assez exacte du corps lunnain poLu' créer, le premier la merveille qui s'appelle Ylsaac (en ^o.i, n'oublions pas cette date), le second le David de bronze, le dernier VAdiiiii et VEir de la façade de San Petronio à Bologne. Chez Donatello, cette connaissance est déjà assez complète pour que l'illustre sculpteur puisse représenter dans des attitudes très libres et très mouvementées, ici le Christ m croix, là des Eiijanls ilansaiil. Il convient d'ajouter que sa science, empirique plutôt que raisonnée, ne lui permettait pas encore de s'attaquer à ces postures compliquées dans lesquelles Michel-Ange aimait à faire éclater sa souveraine connaissance de l'anatomie. Une science congénère, celle des raccourcis, fut perfectionnée et presque créée, Vasari l'affirme, par Masaccio'. Aux études siu' l'anatomie de l'homme font pendant les recherches conscien- cieuses de Donatello et de \'errotchio sur l'anatomie du cheval. I . K Cercô più ilcgli altri iii.iebU'i di lare gl' igiuiJi e gli scorti nclli; figure , m.ii usati avant LES ETUDES ANATO.MIQUES. aoi Constatons, avant Je poursuivre, une difFcrence capitale entre les pratiques des sculpteurs anciens et celles des sculpteurs de la Renaissance. Les premiers avaient appris à connaître la structure du corps humain par le spectacle des exer- cices de la palestre; les seconds durent l'étudier dans les salles de dissection. Résultat : les statues du quinzième et du seizième siècle ont quelque chose de forcé et d'artificiel, comparées aux statues antiques, qui procédaient de l'obser- vation même du corps humain étudié sur le modèle vivant, en pleine santé et en pleine vigueur. Aux études anatomiques se rattache étroitement l'étude du modèle vivant : si les maîtres en firent assez souvent usage pour des ouvrages déterminés, il ne semble pas qu'ils l'aient employé d'une façon régulière pour l'instruction de la jeunesse. Celle-ci fut réduite, pendant tout le quinzième siècle, à copier, soit des peintures contemporaines, par exemple les fresques de Masaccio au Carminé, soit des antiques. Les académies ne firent en thèse générale leur apparition que dans les ateliers de Pollajuolo et de Signorelli. Quant aux modèles drapés, l'emploi en était devenu courant. A un moment donné Piero délia Francesca essaya d'y substituer des maquettes en terre glaise revêtues d'étoffes, et il eut pour imitateur Lorenzo di Credi'; puis vint, vers la fin du siècle, l'invention du mannequin, invention due, d'après ce qu'affirme \'asari, àFra Bartolommeo délia Porta. Cette substitution de modèles en ronde- bosse aux modèles peints ou dessinés ne pouvait manquer de donner plus de relief aux figures et de hâter les progrès de la perspective '. En thèse générale, les quattrocentistes évitaient de représenter des figures nues. En dehors d'Adam et Eve, des « bambini » ou des génies, des Christ en croix ou des Saint Sébastien, il est rare qu'un peintre ou un sculpteur se soit attaqué à ces problèmes aussi propres à décourager qu'à séduire, étant donnée l'insuffisance de l'éducation artistique du temps. Citons, à titre d'exceptions honorables, outre les créations de Ghiberti, de Donatello et de Jacopo délia Quercia, les Bacchanis ou les Dieux marins de Mantegna. Ailleurs les formes sont maigres et étriquées, le torse étroit, incapable d'un effort, les pieds monstrueux comme ceux des singes (par exemple chez Y Adam de Masaccio), les mains osseuses. Botticelli lui-même ne sait pas faire tenir debout sa \'énus sortant de l'onde amère. L'emploi des figures nues ne cessa d'ailleurs, pendant tout le quinzième siècle, de soulever des protestations. Savonarole le condamna formellement et plus d'un tableau de ce genre flamba sur le bûcher des vanités allumé par le fougueux dominicain. Ce fut à cette occasion que Fra Bartolommeo sacrifia ses académies. L'invention ou le perfectionnement du moulage en plâtre, qui avait si puis- samment contribué à répandre les modèles antiques (voy. page 257), rendit des 1. Vasari, t. II, p. 498-499, .564. 2. Elle fut instamment recommandée par Alherti : de h Peinture, trad. Popelin, p. 281 : «Je préférerais vous voir copier une sculpture médiocre, plutôt qu'une belle peinture. » 202 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. services non moins signalés au point de vue du naturalisme. On sait quelle place les masques funéraires tenaient dans les mœurs de la société italienne du quinzième siècle. « Dans chaque maison de Florence, raconte Vasari, on voit au-dessus des cheminées, des portes, des fenêtres et des corniches, un grand nombre de ces portraits qui paraissent vivants (on les faisait d'ordinaire colo- rier). « C'est ainsi entre autres que nous ont été conservés les traits de Bru- nellesco. Un passage de Vespasiano, le libraire florentin qui a écrit les vies si touchantes des Mécènes, des héros ou des saints de son siècle, vient apporter un nouveau témoignage de la vogue de ce procédé. Parlant de la statue du cardinal de Portugal, dans la basilique de San Miniato, près de Florence, le biographe ajoute que la mano fh formata dalla sua propria, et que le visage était très ressemblant dans certaines parties, parce qu'après sa mort il fut moulé. Verrocchio surtout, Vasari l'affirme, s'appliquait à mouler des mains, des pieds, des genoux, des jambes, des bras, des torses, « afin de les copier à l'aise ». La perspective linéaire est une science italienne : elle a été créée de toutes pièces par Brunellesco '. Le premier il posa ce principe, que les objets paraissent plus petits au fur et à mesure qu'ils s'éloignent de notre œil; puis, cette loi éta- blie, il en fit l'application dans un dessin représentant la place du Baptistère de Florence. La voie était ouverte; elle fut poursuivie avec éclat, dans la sculpture en bas-relief, par Ghiberti et Donatello; dans la peinture par Masaccio, à qui Brunellesco prit la peine d'enseigner lui-même la science nouvelle; puis par Paolo Uccello, Piero délia Francesca et Mantegna. Tandis que les uns s'effor- çaient d'établir les règles de la perspective dans des ouvrages théoriques — rap- pelons le Traité de la Peinture d'Alberti, rédigé en I435, et le Traité de Perspec- tive de Piero délia Francesca, — les autres l'appliquaient aux bas-reliefs, aux peintures, aux marqueteries : Ghiberti et Donatello poussèrent l'engouement jusqu'à traiter comme des tableaux, l'un les bas-reliefs de la seconde porte du Batisptère, l'autre la Vie de saint Antoine, au Santo de Padoue. On sait que la perspective troubla le sommeil de Paolo Uccello. Quant à Mantegna, ce fut plus qu'une obsession, presque une monomanie : le désir de montrer l'habileté qu'il avait acquise dans cette science éclate jusque dans ses moindres croquis et leur donne parfois quelque chose de trop compassé. Ce grand artiste créa par surcroît l'art de faire plafonner les figures : il en a laissé un exemple mémo- rable dans ses fresques de Mantouc. Quelques dates pour préciser les étapes de la perspective linéaire : Brunel- lesco, le créateur de cette science, naquit en i,-?7q et mourut en 1446. Masac- cio, qui le premier appliqua la perspective à la peinture, naquit en 1401 et I. « Fu arithmetico, gconietra, ritrovo la prospcttiva. » (Biographie manuscrite citée par M. Janitschek : die Gesellscliaft der Renaissance, p. lo5.) — Perkins, Gliiherti et son École, p. .S(i, .59-63. — H. Brockhaus, de Sculptura von Pomponins Gauricns; p. ,32 et suiv. ; Leipzig, Brock- haus, 1886. — Rappelons qu'il faut bien se garder de confondre les traités d'optique avec les traités de perspective à l'usage des artistes. LA PRRSPF.CTIVE. 20.^ mourut en 1428. La deuxième porte de Ghiberti fut commencée en 1425. La perspective aérienne se développa plus lentement en Italie : il ne serait pas La peispeolixe au xv siècle. Le Christ à la colonne. Fac-similé d'une gravure de .Manleana. impossible, ainsi qu'il sera dit plus loin, que les enseignements flamands en eussent favorisé le développement. La Première Renaissance cherclia également à fixer les proportions de la figure humaine, problème qui avait déjà préoccupé au treizième siècle l'archi- tecte Villard de Honnecourt et qui sollicita plus tard l'attention de Ccnniiio Cennini, d'Alberti, puis de Piero délia Francesca. 294 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Mais plLis que dans toutes les méthodes et dans toutes les règles, plus que dans tous les perfectionnements techniques, le réalisme devait trouver un auxi- liaire dans cette curiosité ardente, cette curiosité inquiète, qui poussait le pen- seur à étudier l'être humain sous toutes ses foces, l'artiste à lutter avec la nature par des reproductions de plus en plus précises. Cette curiosité avait pour pendant une naïveté, une candeur extrême; j'en- tends cette sorte de désintéressement intellectuel qui fait que l'artiste ne se propose pas uniquement la solution, avec les moyens les plus simples et par la voie la plus directe, d'un problème donné, mais qu'il s'arrête quelque peu en chemin, s'oubliant à butiner de droite et de gauche. Plus tard, la volonté et le raisonnement venant .'i dominer, un tableau deviendra comme une partie d'échecs, sans accessoires oiseux, sans tenants ni aboutissants; on serait tenté de dire sans racines; tout devra concourir à une action unique et, pour la rigueur de la déduction, ce problème pittoresque n'aura plus rien à envier à un théorème de géométrie. Ce jour-là, l'abstraction, la terrible abstraction sera sur le point de triompher; adieu alors l'exquise fantaisie des Primitifs! Raphaël possède encore cette naïveté précieuse lorsque, dans la Dispute du Sainl-Sacrement, il nous montre au fond de la fresque un édifice en voie de construction, avec des maçons sur les échafaudages. Les critiques se sont donné beaucoup de mal pour deviner la signification de cet édifice, dans lequel quelques-uns ont cru reconnaître la nouvelle basilique de Saint-Pierre, — comme si toute image, chez ces natures heureuses et pendant cet âge d'or de la pensée, devait nécessairement avoir son symbolisme, sa raison d'être! L'artiste n'a-t-il donc pas le droit, lorsqu'il a rencontré un motif pittoresque, de le fixer par le pinceau! n'a-t-il pas le droit de proclamer toujours et en tout lieu son admi- ration pour l'œuvre de la nature et pour l'œuvre des hommes, non moins que la joie qu'il éprouve de vivre, de sentir et de voir! Il est permis d'accorder aussi quelque chose au plaisir des yeux quand on a pris l'engagement de donner tôt ou tard leur tour aux exigences de l'esprit. .N'ielle it.nlien du xv* siùcle. (Duchesiie. n° ?4-.) mmmmmmmm^m^ Enlaiits musiciens. Frise en terre cuite par Caradosso. (Eglise San Saliro a .Milan. j CHAPITRE IV LK RÉ.\LisMK (suite). — l'iconogkaphie s.\ckèh et les sujets contemporain;, LA CARICATURE. LES ÉLÉMENTS PlTTORESaUES DU aUINZlÈ.UE SIECLE. — lÈTES ET CÉRÉMONIES. MŒURS, MODES, COSTUMES ET E.MBLÈMES. PARAL- LELE DU RÉALISME ITALIEN ET DU REALISME 1-LA.\L\ND. ar.iUclfmeiit ;iu.\ pcrfectioiinenicnts techniques qui pef- inettaient de serrer de plus près la reproduction de riioninie et de la nature, il convient de passer eu revue les éléineius destinés à établir des relations plus intimes entre l'art et la société contemporaine. On comprend que je veux parler, non plus de la solution de problèmes communs à tous les temps et A toutes les nations, — l'étude du corps humain ou du paysage, les lois de l'architecture, etc., — mais de ces mille et mille par- ticularités qui rattachent les artistes à leurs concitoyens, qui fout d'eux les interprètes de leur temps et de leur pays, en un mot qui rendent l'art vivant et pittoresque. A première vue, l'art italien du quinzième siècle parait un art plus ou moins idéaliste, plus ou moins abstrait, puisqu'il s'est consacré principalement à l'il- lustration de scènes appartenant au passé, d'une part le cycle chrétien, de l'autre le cycle grec et romain. Mais ce ne sont là qu'apparences. Les quattro- :9'i IIISTUIKE DK L'ART l'ENDANT LA RENAISSANCE. ccntistc'S n'ont pas peint ou sculpté que des Christs et des Vierges, des dieux ou des héros, comme on aurait pu le croire : sans cesse la société contemporaine a sollicité leur attention. Le catalogue publié ci-dessous dispense à cet égard de tout commentaire. La mise en œuvre d'événements contemporains ou de scènes tirées de l'his- toire nationale tend a gagner du terrain, quoiqu'elle n'occupe pas encore la place à laquelle elle a droit. En commençant par l'Italie septentrionale, poiu' descendre successivement jusqu'au royaume de Naples, nous rencontrons les compositions suivantes : au château de Milan et au château de Pavie, les fresques de l'histoire des Sforza (vo}'. ci-dessus page 184); à la Chartreuse de Pavie, les bas-reliets illustrant la vie de Jean Galéas-Visconti; au château de Malpaga, résidence du CoUeone, les peintures murales de la salle à manger avec des scènes de chasses et de combats'; à Venise, au palais des doges, les fresques de Gentile da Fabriano, de Pisanello et de Jean Bellin, avec les souvenirs des grandes luttes patriotiques du moyen âge. Le château de Mantoue tut orné par Mantegna de fresques représentant la cour de la marquise Barbe de Gonzague et la rencontre de son époux Louis avec son fils le cardinal. A Ferrare, les tresques du palais de Schifanoja retracent les grands exploits cynégétiques du duc Borso d'Esté. A Florence, après la conquête de Pise en 140O, Gherardo Starnina peignit la cité vaincue sur la façade du Bargello. Plus tard Paolo Uccello célébra les victoires de ses compatriotes dans les grands cartons aujour- d'hui exposés aux Othces, au Louvre et à la National Gallery de Londres. Lés médailles de Pollajuolo nous ont conservé le souvenir de la conjuration des Pazzi (gravées page 60), et un tableau, exposé dans un des musées de la même ville, celui du supplice de Savonarole. A Rome, les bas-reliefs des portes de bronze de Saint-Pierre retracent les principaux épisodes du concile tenu à Florence en i-^ciC), et les fresques de l'hôpital du Saint-Esprit les principaux épisodes de la vie du pape régnant, Sixte IV. A Naples, enfin, la lutte du roi Alphonse avec le roi René a été illustrée sur l'arc de triomphe, et la guerre des Barons dans les portes de bronze du Castel Nuovo (gravées pages 1 10- 1 17), ainsi que dans les fresques des Donzello au Poggio Reale. Comme pendant à ces spécimens de l'art officiel, citons les illustrations des fêtes, des jeux, des cérémonies privées, les fresques de la Casa Borromeo, à Milan', avec le Jeu de Caries, le Jeu du Ballon, etc.; les peintures des coffres de mariage, par exemple les Noces Ad'uiiari et Ricasoli, à l'Académie de Florence, ou encore quelques rares bas-reliets tunéraires, tels que celui de \'errocchio, représentant la Mort de la feiiiiiie de Jean Toniahuoni. Au point de vue de l'art, les Mécènes qui n'appartenaient pas à des maisons 1. Aiuuiaiii: des Musées de Berlin, t. VII, p. 41. 2. Cf. l'article de M. de Fabriczy dans la Zcitsclirijt fiir hildeitdc Kiinsl ; 1885, p. lOO, et /a Reiiiusstiiue tiii temps de Cljai les VIII, p. 7072, l62-l63. LES SUJETS PROFANES. 297 régnantes, s'appelassent-ils Médicis, se trouvaient dans un véritable état d'infé- riorité, comparés aux princes souverains. Tandis que ceux-ci avaient toute latitude pour faire retracer dans les fresques ou les tapisseries leurs exploits guerriers, voire leurs exploits cynégétiques, tout au plus les mœurs permet- taient-elles à un banquier millionnaire, fut-il devenu le chef du gouvernement, de faire sculpter son buste, peindre son portrait, ou de doter une église de quelque tableau de sainteté. Pas une page contemporaine, ni en marbre, ni en bronze, ni en peinture, ne nous retrace les hauts faits des Médicis ou de leurs &/, .~>. \ %m ^j. La .Mon de la lemme de Jean Tornabuoni, Bas-reliet en marbre, par N'errocchio. (Musée national de Florence.) émules : fondations d'égUses, retour triomphal de Cosme à Florence, tournois, entreprises de toute sorte. Leurs tombeaux mêmes ne contiennent pas la plus légère allusion à tant de services éclatants : une statue, un bas-relief, une représentation plastique quelconque. Force était aux artistes qui formaient leur entourage de se maintenir dans les régions abstraites de l'art religieux; ils ne pouvaient que subrepticement, par un subterfuge, introduire le portrait de leurs bienfaiteurs dans quelque scène empruntée à l'histoire sainte. Par contre, ces sujets religieux ou mythologiques qui forment, il fout bien le reconnaître, le principal contingent de l'art du quinzième siècle, ne sont le plus souvent que des paraphrases de la vie réelle, et nullement des restitutions archéologiques tentées avec la préoccupation de la couleur locale. C'est au réalisme en eÔet que sont imputables les graves modifications qui se produisirent au quinzième siècle dans l'art religieux et qui finirent par ruiner de fond en comble l'iconographie sacrée. Dans leur horreur de l'abstraction, les quattrocentistes essayèrent de rapprocher le plus possible de l'humanité, voire de la société de leur temps, une foule de personnages que leurs prédéces- E .Mùnlz. — 1. Italie. Les Priniitils. 3iJ 2')h 111ST01R1-: ni-: l'art pendant i,a renaissance. seurs s'étaient fait une loi de placer élans un monde idéal, de revètii' d'une gran- deur auguste, le Christ et sa mère, les saints et les prophètes. Ce ne sont plus des êtres surnaturels, étrangers à nos passions et à nos foiblesses, se détachant sur un fond d'azur ou d'or, et qui se distinguent des simples mortels jusque par l'auréole qui ceint leur tête. La révolution commencée par les trécentistes pour les prophètes (voy. page 27H) se poursuit avec une rigueur systématique : dans les Flandres aussi bien qu'en Italie (le Nord et le Midi, séparés sur la question de l'imitation antique, se donnent la main pour celle du réalisme); chez les Van Eyck et chez Claux Sluter, aussi bien que chez Donatello et chez Niccolô delI'Arca. Partout les représentants de l'histoire sainte revêtent les traits et le costume, si carac- téristique, des Juits du temps. Donatello pousse l'irrévé- rence jusqu'à prendre pour modèle d'un de ses Prophètes la flice glabre et ignoble du Zuccone, espèce de pelé, de galeux, que sa laideur avait rendu célèbre à Florence. 0\\ sait que pour Gozzoli et une foule d'autres la Bible ne tut qu'un prétexte à représenter des tableaux de mœurs contemporaines' et les dernières modes du temps. Puis, de proche en proche, le réalisme s'attaque aux figures des saints, qui finissent par perdre leiu' nimbe, leurs attributs, parfois le type traditionnel (sainte Cathe- rine d'Alexandrie se montre successivement parée des plus riches atours ou vêtue du simple costume d'une ingénue du quinzième siècle, etc.). Ce réalisme à outrance engendre à la longue la recherche de la couleur locale, qui n'est au fond qu'un moyen de rendre les images plus saisissantes par l'accent de la vérité. La Madone et le « Bambino » ont leur tour les derniers de tous. Le quinzième siècle se plaît à les peindre dans un paysage riant, sous les orangers, devant une haie de rosiers, avec des oiseaux qui chantent, des bestioles qui folâtrent autour d'eux sur le gazon, idvlle aussi fraîche que touchante, dont la suprême expres- sion se trouve dans les Saintes Familles de Léonard de \\nc\ et de Raphaël. Chez Ghirlandajo, Botticelli, Crivelli et bien d'autres, Marie, aux cheveux coquettement nattés, a renoncé au costume hiératique, pour revêtir la robe col- lante du quinzième siècle, avec ses broderies, sa traîne. Si quelques peintures, par exemple le Magnificat de Botticelli au Musée des Offices, nous la montrent dans un acte solennel de sa mission, entourée d'anges et apprenant à lire à son fils, le plus souvent elle se borne à diriger les jeux de celui-ci. C'est que la ten- Propliète, rar Niccolo deirAica. (Châsse de Saint-Domi- nique à Bologne.) I. Deux des fresques des Sanseverino, a Urbin, la Visitation et la Naissance de saint Jean-Bap- tiste, nous montrent un chien léchant la figure d'un petit garçon et un autre chien qui se lèche lui-niènie. La Ci:ne de C. Rosselli , à la chapelle Sixtine, contient des motifs tout aussi iirévérencieux. ft> 'US Le Christ, un apôtre et des personnages en costume du xv" siècle D'après un dessin de Pisanello (Musée du Louvre). Ll' RÉALISME DAN? LES SUJETS RELIGIEUX. 299 dance au réalisme se complique ici de cette recherche de la grâce et de la fraî- cheur, qui est la signature de la Première Renaissance, autant que la recherche de la majesté ou de la grandeur avait été celle du moyen âge. Seuls Donatello, Mantegna et quelques autres maîtres affichent l'austérité et évoquent la mère du Christ sous les traits d'une vieille femme laide. Le seizième siècle, sous l'influence de la Contre-Réforme et du Concile de Trente, aussi bien que par suite d'un sentiment de dignité pro- fessionnelle chez certains artis- tes, réagira contre ces excès de mollesse et de laisser aller; il s'efforcera de reconstituer l'art religieux, mais sans réussir à rétablir le courant populaire in- terrompu par la Première Re- naissance dans le moment cri- tique où s'agitaient les destinées de l'art moderne. Si cette interprétation assidue des mêmes sujets, qui est le trait distinctif de toutes les Écoles véritablement nationales et po- pulaires, encourage la paresse des artistes médiocres et en- gendre la monotonie (le quin zième siècle compte à son actif peut-être huit ou dix mille Ma- dones et autant d'Enflints Jésus, peints, sculptés ou gravés!), elle flivorise d'autre part les progrès du style chez les artistes supérieurs, en les obligeant à porter leur effort sur un point déterminé et en établissant ainsi une sorte de concours. Plus varié, l'art des quattrocentistes eût offert plus d'intérêt au point de vue idéographique; il ne fût pas aussi rapidement parvenu à la per- fection de la forme, à la pureté des contours, à l'harmonie du coloris, à la suavité de l'expression, qui sont encore, somme toute, ses plus beaux titres de gloire. L'auxiliaire le plus puissant des réalistes dans leur tentative de rapporter les scènes du passé au milieu dans lequel ils vivaient eux-mêmes, et par là de leur donner un cachet de sincérité extrême, Rit le portrait, cet art demeuré à l'état embryonnaire pendant le moyen âge et qui déborda tout à coup au quin- zième siècle, sous forme de bustes, de tableaux, de médailles. Il ne suffit plus aux représentants de l'ère nouvelle de multiplier les effigies de leurs contempo- K. lîusle du Zuccoiie, par Donatello. (Campanile de Florence.) ;joo HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. r.iins dans des ouvrages distincts, n'ayant pas d'autre objet que de perpétuer une physionomie déterminée : ils les introduisirent encore dans les compositions historiques (voy. page 3i), sous forme de patriarches ou de héros, d'apôtres ou de martyrs. Le plus audacieux à coup sûr de ces profanateurs fut le frère Filippo Lippi : il osa donner à la Vierge les traits de son amante, la belle l.a Vierpe el TEnfant Jésus. F.ac-siniilé de la gravure de .Manlegna. nonne Lucrezia Buti, qu'il détourna de ses devoirs et enleva de son couvent. Je rattache au portrait la sculpture et la peinture ethnographiques. En mettant l'artiste en présence de types, de costumes, de paysages étrangers, en un mot d\m monde nouveau, elles le torçaicnt à faire un retour sur lui-même et déve- loppaient par une sorte de choc en retour l'esprit critique, l'esprit d'observation. On a vu plus haut (page 283) que Giotto, si inexpérimenté dans le portrait (témoin la fresque représentant Boniface Mil), avait réussi à reproduire avec une rare précision le tvpe des Mongols dans ses rois mages de la basilique d'As- sise, et celui des Nubiens dans son Saint François devant le Sultan, à l'église Santa Croce de Florence. Mais ce fut surtout au siècle suivant que l'on s'attacha 5^^ .■*> . ' '1 ' t^ ,^. , .-^^^-w I ,i ^ 41 ^iij =- -4- j _ ^ i 3o2 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. ;\ la poursuite de cette autre tonne de la couleur locale. Les Vénitiens y pas- sèrent maîtres. Au début du quinzième siècle, longtemps avant les visions éblouissantes que nous ont laissées du monde oriental Gentile Bellini et Car- paccio, les sculpteurs de chapiteaux du palais des Doges s'étaient évertués à caractériser les différentes nations : Latins, Tartares, Turcs, Hongrois, Grecs, Goths, Eg\'ptiens et Persans'. Dans ses fresques d'Arezzo, Piero délia Francesca mit tout son amour-propre à pourtraire les Mongols ou les Arméniens. Dans la porte de bronze de Saint-Pierre de Rome, Filarete s'attaqua non sans succès aux Grecs, Arméniens, Russes et autres chrétiens schismatiques accourus au Concile de Florence. Il est à peine nécessaire, après ce qui vient d'être dit, de nous demander quel était chez les quattrocentistes le rôle de la peinture de genre. A peine cultivés en tant que branche distincte, les tableaux de genre s'introduisaient partout sous les prétextes les plus fallacieux : dans les scènes de l'Ancien Testament, aussi bien que dans celles du Nouveau. Fra Angelico, en peignant, dans la cha- pelle de Nicolas V, les épisodes si naïfs ou si touchants de la vie des mendiants qui sollicitent la ciiarité de saint Laurent, a-t-il fliit autre chose qu'un tableau de genre! Jusque dans les bas-reliefs dont Nanni di Banco, Donatello, Civitale et iiitti quanti ornèrent, ici les niches d'Or San Michèle (Saint Hloi ferrant un cheval), là l'autel de Saint-Antoine de Padoue, ou encore le retable de Saint Régulus, au dôme de Lucques, partout éclate le besoin de donner aux grandes compositions historiques le caractère de simples épisodes, et ces épi- sodes, peintres, sculpteurs, graveurs, orfèvres, s'efforcèrent de les rendre aussi pittoresques ou aussi piquants qu'il était en leur pouvoir. Le paysage ne fut pas cultivé, en tant que genre distinct, à l'époque dont nous nous occupons. Mais les fonds des sculptures ou peintures florentines, om- briennes et vénitiennes ont parfois toute l'importance de paysages proprement dits. Je ne puis d'ailleurs sur ce point que renvoyer le lecteur à une autre section du présent chapitre dans laquelle j'ai essayé de retracer l'histoire des débuts du paysage italien (page 287). La peinture de nature morte, spécialité pour laquelle plus d'un de nos lecteurs n'éprouve sans doute qu'une f;tible sympathie, passe pour avoir été inaugurée par le Vénitien Jacopo de' Barbarj. On cite comme la plus ancienne production de ce genre la Perdrix et les deux Gantelets du musée d'Augsbourg (i5o4). Est-il nécessaire d'ajouter qu'ici encore, comme pour le pa\-sage, les peintres excellaient à rendre, soit les jeux de lumière se réfléchissant sur une armure polie, sur un globe de cristal, sur une pièce d'orfèvrerie, soit le velouté des étoffes, ou encore le chatoiement des pierres précieuses. Piero délia I-rancesca, Mantegna, Antonello de Messine et une foule de leurs contemporains étaient passés maîtres dans ces trompe-l'œil, dans ces toui's de force. I. Annales archivlogiques Je Didron, t. XVII, p. ,iû5. /^-♦*i. Janissaire. Fac-similé d'un dessin de Gentil Bellin (Londres, British Miseum). \ :b. j _^^««,..,.«-^. Femme turque. Fac-similé d'ix dessin de Gentil Bellin (Londres. British Mcseijm). LA l'KlNTl KK Dl-: C'.ENRi:. LA NATURE MORTE. 3o3 Malgré la répugnance innée des Italiens pour la trivialité et le grotesque, qui tiennent une si large place dans l'art français, allemand et flamand contempo- rain, la caricature ne laisse pas de s'honorer chez eux, au quinzième siècle, du concours d'artistes illustres à juste titre. Je me hâte d'ajouter qu'il ne s'agit pas de ces productions frivoles ou lascives destinées uniquement à provoquer le rire ou à flatter de mauvaises passions, mais bien de grandes pages monu- mentales ayant pour mission de flétrir des coupables, et où l'artiste se faisait en quelque sorte l'auxiliaire du bourreau. On avait pris l'habitude, en Italie, de La Préseiitalion de la Iclc de saiiil Jean-BapUsle à llcrL>de. Bas-ieliel de Civiuile. (Dôme de Lucques.) pourtralre au vif, sur la façade des édifices publics, les grands criminels, sur- tout les traîtres, et les maîtres les plus graves ne dédaignaient pas de se charger de cette tâche peu enviable. Le 17 août 141 2, le pape Jean XXIII fit peindre sur tous les ponts et toutes les portes de Rome Sforza de Cotignola suspendu à une potence par la jambe droite, en tant que traître vis-à-vis de l'Eglise; dans la main droite du patient on voyait une pioche (probablement une allusion à son ancienne condition de paysan), dans la gauche un rouleau de parchemin avec cette inscription : Jo sono Sforza, villano délia Cotignola, traditore, Che dodeci tradimenti ho fatti alla Chiesa contre lo niio onorc. Promissioni, capitoli, patti ho io rotti. Ces peintures ne furent effacées que le 12 juin 141.3'. En 1462, un autre pape. Pie II, fit exécuter par l'habile sculpteur Paolo Romano, pour les livrer aux flammes, deux mannequins représentant son ennemi Sigismond Malatesta. 1. Diaiiuiii d'.\ntonio di Pictro, chez Muratori : Sciiploia, t. XXIV, p. io3l-lu)2, lu36. 0U4 HISTOIRE DE L'ART PEXDAN' A RENAISSANCE. ».V A Florence, en 1404, les Médicis livrèrent l\ h risée publique leurs ennemis vaincus, les Albizzi, et chargèrent Andréa dcl Castagne, qui en garda le sur- nom d' <' Andréa degli Inipiccati >> (André des Pendus), de les pourtraire sur les monuments publics. A Florence également, vers 1425, les créanciers de Rinuccio Far- nese avaient orné certains murs du portrait de IcLir débiteur, avec quelque inscription injurieuse. Il flillut que les Siennois inter- vinssent pour le liiire effacer. Un autre personnage, Rodolphe de Camerino, fut l'objet d'une vengeance analogue égale- ment de la part des Florentins'. En \4~^, nouvelles exécutions politiques : Botticelli reçut l'ordre de peindre les complices de la conspiration des Pazzi, travail pour lequel il toucha quarante florins larges'. Léonard de \'inci ne dédaigna pas d'accepter une part de collaboration dans ce travail. Le conspirateur qui lui échut en partage était un certain Baroncelli, qui s'était réfugié .1 Constantinople et qui, après son extra- dition, fut pendu à Florence (une esquisse du cadavre, prise sur nature, orne le cabinet de M. Bonnat). On avait compris dans le nombre l'archevêque Salviati, ce qui exas- péra tout particulièrement le pape Sixte IV : aussi en 147g le souverain pontife réclama- t-il des Florentins la destruction de cette jieinture si outrageante pour les ministres de la religion''. A quelque quinze ans de là les Médicis se virent appliquer la peine du talion : en 1494, après leur expulsion, leurs portraits remplacèrent à leur tour ceux de leurs ennemis sur la taçade des monuments publics. Ainsi va le monde. Cet usage était tellement répandu, que nous le trouvons jusque dans la petite ville de Città di Castello; il y est question, en 1474, d'une tour sur laquelle on ^«^- Efligie d'un conspirateur. Fac-bimilé d'un dessin de Léonard de Vinci (Collection de M. Léon Bonnat.) 1. Voy. les preuves dans les Précurseurs Je la Reiiaissiiuee, p. I.il-l32. 2. Archivio storico italiano, 1862, t. VI, p. 5. 3. Gaye, Carlcggio, t. I, p. 074. ■ — A Rome ménie, Sixte IV' lit paj'er cher j un de ses sujets une plaisanterie de mauvais goût : Un peintre s'étant permis de représenter sur un pano- rama de la ville de Cavi, alors assiégée par l'armée du pape, un Franciscain qui faisait la cour à une femme, le fougueux pontife lui fit donner dix coups de corde et le bannit de sa capitale. (Les Arh i'i la cour des Pupcs, t. III, p. 2^).) LA CARICATURE. 3n.S avait foit peindre les rebelles'. Je laisse à penser au lecteur si ces portraits, plus ou moins ressemblants, étaient accompagnés d'attributs comiques ou d'inscrip- tions injurieuses. Les prédicateurs ne dédaignaient pas d'invoquer le secours des peintres pour frapper leurs adversaires. Saint Bernardin de Sienne et Robert de Lecce brûlèrent, sur les places publiques de Bologne, de Ferrare et de Milan, le por- trait de Beccadelli (Antonio Panormitano), peint sur papier, à côté de son infâme livre F Hermaphrodite. En dehors de ces compositions dictées par la vindicte publique, on chercherait en vain dans l'art Je la Première Renaissance une veine co- mique ou grotesque quelque peu caractérisée, du genre de celle qui se développait si librement chez les artistes franco -flamands. De telles tendances eussent été en contradic- tion flagrante avec la poursuite de la beauté et de la noblesse, qui n'avait cessé, à travers bien des fluctuations, de servir de base à l'art italien, de- puis Nicolas de Pise et Giotto jus- qu'à Raphaël; elles eussent juré avec les hautes doctrines spiritualistes propagées par les néo-platoniciens. Tout au plus peut -on signaler de loin en loin une note plus fortement réaliste ou quelque trait d'esprit. Nous en aurons bien vite épuisé la liste : Au palais ducal de \'enise, Pisanello peignit parmi les compagnons de Frédéric Barberousse un prêtre allemand avec les doigts enfoncés dans la bouche, motit d'hilarité pour les gamins qui l'entouraient. Chez Paolo Uccello, ce qui peut paraître comique n'est au fond que lourdeur d'esprit, manque d'imagination : chargé de peindre, pour la loge des Peruzzi à Florence, les Quatre Eléments, il représenta la terre par une taupe, l'eau par un poisson, le feu par une sala- mandre, l'air par un caméléon, auquel, trompé par la similitude des noms, il donna la forme d'un chameau. Benozzo Gozzoli n'avait pas davantage la veine comique; il l'a bien prouvé dans son tableau du Louvre, avec Averroès étendu sous les pieds de saint Thomas d'Aquin en guise d'escabeau : au lieu de s')' montrer sous des traits ridicules, le grand philosophe arabe y paraît sérieux et Deux Gusux. Fac-similé d'une gravure attribuée à Mantegna. 1 . \'ischer, Liicu Sigiuvelli, p. 33^. 2. Voigt, Die Wiederbehliung, t. I, p. 48-I. E. Miir.l?.. — I. Ualie. Les Primillfs. 3o6 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. digne, malgré hi position gênante qu'il occupe. Notons toutefois, à l'actif de cet aimable narrateur, le joli motif de la Honteuse de Pise (/(> francs de notre monnaie '. Les édits somptuaires avaient beau frapper des peines les plus sévères : les grands donnant l'exemple du taste, c'était une bataille à recommencer tous les jours et où l'usage triompha presque constamment de la loi. La seule réforme efficace fut celle que provoqua Savonarole à Florence : elle dura juste autant que le prophète, c'est-à-dire quelque six ou huit ans. Mais la marque distinctive de la Renaissance, c'est aussi de pouvoir établir le costume le plus élégant avec les étoffes les plus communes : le st}le ici prime le reste; la matière première, la main-d'œuvre, simples accessoires que tout cela. Le progrès ne frappe pas moins si l'on compare les modes italiennes aux modes françaises contemporaines : aux souliers à la poiilainc, aux patins, aux chaperons, aux hennins, aux o/iiinpes, aux rolvs à la ^~l('nès Sorel, laissant à décou- vert les épaules et les seins jusqu'au milieu de la poitrine, au costume de folie, du règne de Charles VI, en un mot aux mille inventions de l'oisiveté ou du dévergondage*, les Italiens substituent un costume tour à tour somptueux, élé- gant ou coquet, mais jamais grotesque ni indécent. L'enfance, l'adolescence, l'âge mûr, la vieillesse, autant de catégories distin- guées par leur costume, habitude si éminemment pittoresque et bien préférable à celle du dix-septième et du dix-huitième siècle, où les jeunes garçons et les jeunes filles étaient d'ordinaire vêtus comme les grandes personnes, dont ils reproduisaient le costume en miniature. Les diverses classes de la société ne tranchaient pas moins les unes sur les autres. Aussi l'art du quinzième siècle put-il tour à tour représenter, avec une science consommée, rien qu'en pui- sant dans les rangs, si bien enrégimentés, de la société contemporaine, la ma- gnificence du prince, la gravité du magistrat, les ardeurs belliqueuses de la jeunesse, la fierté ou l'élégance un peu apprêtée de la grande dame, la sévérité des matrones, la grâce naïve des jeunes bourgeoises ou des filles du peuple. Il restait dans les mœurs je ne sais quelles velléités chevaleresques, qui ne laissaient pas de donner une tournure martiale et un air décidé même aux plus pacifiques. Les exercices militaires étaient encore en grand honneur : Pierre de Médicis le goutteux se crut obligé, malgré ses infirmités, de tenir tout un arsenal d'armures de joute. Ses fils Laurent et Julien remportèrent des succès brillants — quoique peut-être dus à la complaisance de leurs adversaires — dans les célèbres joutes de 14O0 et de I4{)(), dont l'une a été immortalisée par Poli- tien dans son poème de la Giostra. Il n'est donc pas surprenant que les peintres, en se bornant à copier les modèles qu'ils avaient sous les yeux, aient pu nous 1. Archives de Milan. — Sur les raffinements de la toilette, la parfumerie, etc., voy. Burckhardt. la Civitisatioii, t. H. p. 112 et suiv. 2. Vov. t^ Histoire du Costiiiiic en France de Jules Quicherat. ■ i r,. . r passer les bras: autour du cou, une triple cliame dor; la 1) après une fresque a ' ' ' » de Mantegna. tête nue, avec de longs cheveux ondulés; à la main une palme et une épée dont la pointe repose sur le sol. Suppo- sons qu'au lieu de vivre au quinzième siècle et de pouvoir introduire dans ce tableau de sainteté les costumes de son temps, Borgognone eût vécu au dix- neuvième siècle et eût voulu procéder de même; quelle caricature n'aurait-il pas mise au jour! Puis nous avons le costume chaste, sans prétention et cependant plein d'élé- gance, du jeune clerc dans les gravures du Songe de PoJyphiJe (1490) : calotte recouvrant des cheveux épais, légèrement ondulés; manteau long et étroit, boutonné sous le menton et ne laissant apercevoir des vêtements de dessous que les manches de la tunique. Les souverains affectaient tour à tour le plus grand luxe ou la plus grande simplicité. Le roi Alphonse de Naples portait d'ordinaire un vêtement noir, avec une chaîne d'or au cou, ou avec un « fermaglio « sur le chapeau : il était rare qu'il fit usage de brocarts ou d'autres étoft'es de soie''. Nous rencontrons le même dédain pour les raffinements de la toilette chez le duc Frédéric d'Urbin, 1. Voy. la gravure de la page 1.S7. 2. \'oy. le fragnietn de fresque de \'incenzo Foppa gravé dans hi Rciuiissance an li'inj's cl,- Charles J'III. p. 2(11 . (Collection de sir Richard Wallace.) 2. Vespasiano, Vil,- ili iioiiiini ilhisiri. édit. Bartoli. p. f]i. LE rOSTlMP. AU XV SIFXLE : LES ITALIENS. resté fidèle, comme Alphonse, aux habitudes des camps; chez les Médicis, chez lesquels cette simplicité était de la prudence'. Les papes, au contraire, se distinguèrent tous par la richesse de leur costume, V compris Nicolas V, qui aimait, au témoi- gnage de son successeur Pie II, « vestes ornatas » . Il en était de même des Sforza. Le duc Galéas- Marie, soucieux de sa tenue jusqu'à l'excès, se montrait vêtu tantôt d'un manteau de da- mas cramoisi tombant jusqu'aux pieds, tantôt d'une « veste » de soie cramoisie, doublée de zibeline et ceinte d'un cordon de soie brune, avec une toque éga- lement brune et des chausses mi-parties, une moitié brune, l'autre blanche, conformément à son habitude; des bro- dequins blancs (« due bottine ») complétaient son costume. Le frère de Galéas- Marie, Lu- dovic le More, mon- trait ici encore le goût exquis qui le distinguait en tout : une miniature de la collection du marquis d'Adda, à Milan, le repré- sente vêtu d'une culotte collante et d'un mantelet descendant jusqu'aux genoux, à la façon de nos pardessus modernes, une toque noire sur ses longs cheveux bouffants, semblables à une perruque. 1 . L.i garde-robe de Pierre de Médicis et de sa femme Lucrèce Tornabuoni était ricliement montée, mais il est permis de croire que c'était pour les grandes occasions, mariages, visites princiéres. etc. Parmi les vêtements de Pierre je remarque les pièces suivantes : « cioppa (jupe), mantellina (mantelet), giornca (journade), guebarello (sorte de jupon), coppa (cape); parmi ceux de sa temme figurent, en outre, la « giornea », la « cioppa », la « cotta » (cotte). Les four- rures se composent de martre, de zibeline et de vair. Voy. les Collections des Médicis au XV siècle; Paris. Rouani. p. 2^. Le « robone » est, d'après le Dictionnaire de la Crusca, le vêtement Coiffure italienne du xv siècle. Pierre de Médicis le jeune. D'après une miniature de Gherardo. (Bibliothèque nationale de Naples. 3 1.1 iiiSToiRi-: ni; i.art i-knoant la rf.xaissance. (■r>ilTure ilalienne du xv siùcle. r)'après Bennzzo Cidzzoli. Lorsque Ccsar Borgia fit son entrée à Chinon en l-|Oq, le cortège se com- posait de I 2 chariots pleins de malles (« forze- retti ))) avec des couvertures de drap rouge et jaune, de 40 mulets avec des housses rouges et jaunes, de i.-l mulets avec des couvertures de velours cramoisi et jaune, de 8 mulets avec des couvertures de velours violacé et jaune, de 1 2 genêts à brides d'argent avec des bouffettes d'or à l'espagnole et des housses de velours cramoisi et jaune, de 12 chevaux couverts de velours et de brocart, et parmi eux un clieval harnaché à l'allemande, avec des sonnettes d'argent et une selle de brocart, de 20 pages sur des clievaux couverts de velours cramoisi, les pages portant des sayons rayés de brocart et de velours, et coiffés de bérets. Suivaient 60 écuyers avec des colliers d'or et des sayons de velours noir. Ensuite venaient 8 trompettes vêtus de velours, qui précédaient César Borgia. Celui-ci, accompagné de 18 esta- fiers à pied, vêtus de manteaux de velours, portait une veste à la française, de velours noir à gauche, avec 12 bandes d'or, sur chaciuie desquelles se trouvait un grand rubis balais; sa poitrine était ornée d'un miroir de diamants d'une grande valeur; ses manches bordées de grosses perles. Le côté droit de sa veste se composait de brocart avec une manche descen- dant jusqu'au coude; le bas du vêtement était ourlé de grosses perles. Sur sa tête, un béret de velours noir, avec une perle sur le devant, longue et grosse comme un gland, et avec une garniture de grosses perles montant sur le béret. Les hottes étaient en velours; au-dessus du genou, elles étaient couvertes de perles et de broderies d'or; des tresses d'or servaient à les nouer'. Les coiffures varient à l'infini : le quinzième siècle a passé en revue toutes les formes imaginables, depuis la calotte, la C'ûitïure italienne du xv* siècle. D'après une plaquette en bronze. porté par les chevaliers, les docteurs et atitrcs personnages ; 1' « auccho », « lucco » ou « uccho », celui qui caractérisait les citoyens florentins, quelque chose comme la toge des magistrats. I. (Ferrato) Enliala ih'l Vahiitino iicJ 141)1) à Ciiioiii\ in fort,' d'I C;/.(//iï»/.w/w(i. Venis A. Clementi. l!W. LE COSTL-Ml:. AL X\ ' SI1::(_ LL : LLS ITALILNS. J19 Coilïuie italienne du xv« siècle. D'après une médaille de Pisanellu. tdiuôt godi'onné, toque, le bonnet carré de docteur, le turban, jusqu'au feutre à larges bords qLie porte saint Georges dans le tableau de Pisanello, à la National Gallery de Londres. La fantaisie seule, non la mode, semble avoir dicté ces tornies, dont il serait véritablement difficile d'épuiser la liste, car en dehors de la cape du moyen âge, du tricorne du dix- huitième siècle, du chapeau à haute forme, remis à la mode par notre siècle (on trouve déjà des exemples de cette horrible invention au seizième siècle, dans un dessin ou une gravure de Durer), la Première Renais- sance a essayé de tout, s'est enthousiasmée et s'est lassée de tout. A travers ces variantes innombrables, qui sortent d'ailleurs rarement des limites du bon goiit, on démêle cependant quelques types caractéris- tiques : la TOQUE, plus ou moins mo- difiée (le sommet en est tantôt apla- ti, comme dans la médaille de Piccinino, tantôt tronqué, comme le serait un cône; le milieu, tantôt renflé, tantôt creusé, comme une casquette sans visière; le bas tour à tour nu ou garni d'un voile noué par der- rière et retombant sur le dos, comme chez un des per- sonnages de Mantegna, aux « Eremitani » de Padoue ; tantôt encore elle forme un triple étage comme une pièce montée), la toque, dis-je, sert de base à la coif- fure chez tous ceux qui n'ont pas à cœur de se singu- lariser; le BÉRKT DUCAL, « il berrcttonc », n'en est qu'une variante. Signalons à côté d'elle la c.\lotte (tantôt simple, tantôt relevée par derrière), dont pro- cède le « camauro » ou bonnet papal, que porte Sixte IV dans la fresque de Melozzo ; puis les chapeaux de feutre ou de bièvre, sans bords, mais aux tonnes extra- ordinairement capricieuses, relevés par devant ou par derrière ou sur les côtés, et LES CHAPEAUX A BORDS, parfois ornés de plumes comme ceux des bersagliers modernes. Quant au turban et autres couvre-chefs qui en dérivent, après avoir été à la mode au début du quinzième siècle (peintures de Masolino, de Pisanello, etc.), ils finissent par tomber en désuétude, le goût s'épurant de Coiffure italienne du xv siècle. D'après une médaille de Pisanello. CoilTure italienne du XV' siècle. D'après une médaille de Pisanello. IIISTOIKI-: 1)1-: l.ARI" l'KNDANT I.A RliNAlSSANCE. CoilTure italienne du XV" siècle. D'après une médaille. t'oilïure italienne du XV' siècle. D'après une médaille. plus en plus. Cependant on en rencontre encore un exemple dans le portrait de Balthazar Castiglione, cette merveille du pinceau de Raphaël. Pour l'arrangement des cheveux, liberté illimitée. Lionel d'Esté porte les siens crépus et coupés court; Alphonse d'Aragon, roi de Naples, longs, coupés droit sur le front, mais les oreilles dégagées; c'est aussi avec une cheve- lure longue et ondulée, parfois bouclée (coupe dite des Enfants if Edouard , remise à la mode par Delaroche), que se montrent d'ordinaire les jeunes garçons. Chez Platina, le bibliothécaire de Sixte IV, les cheveux sont divi- sés sur le côté par une raie; chez les neveux du même pape, ils retombent pèle-mèle sur le front, dans le genre des coiBures à la chien (je demande pardon au lecteur d'emplo}er cet horrible néologisme), leur donnant un air particulièrement niais. Le même S3'stème de coiffure — les cheveux couvrant les oreilles et tombant jusqu'aux yeux — , avec cette différence que les extrémités sont égalisées avec soin, reparaît chez un jeune homme qui a évidem- ment voulu poser pour un fashionable accompli , mais qui n'a réussi qu'à nous laisser l'image d'une bêtise prétentieuse (bas -relief en marbre du Musée de South- Kensington). La barbe, la moustache et les favoris étaient, par con- tre, absolument proscrits par la mode : porter la barbe eût été chercher à se singulari- ser au quinzième siècle tout comme au dix-huitième, où le peintre Liotard se fit une réputation et mérita le titre de « peintre turc » pour avoir laissé pousser la sienne. Dans le recueil de Vasari on ne trouve, pour tout le quinzième siècle, que huit artistes portant la barbe : ce sont Dona- tello, Michelozzo, Nanni di Banco, Antonio Rossellino, Paolo Romano, puis Paolo Uccello, Cosimo Rosselli et Carpaccio, c'est-à-dire, sur ce total de luiit, cinq sculpteurs, gent qui a d'ordinaire l'humeur fort indépendante. Seuls les Orientaux étaient en possession de se montrer avec cet appendice : aussi Coiffure italienne du XV' siècle. D'après une médaille Coiffure italienne du XV" siècle. D'après une médaille. LE COSTUML-: AU X\' SlÉCLIi : LKS ITALIENNES. François Philelphe, pour être revenu de Constantinople avec une barbiclie, se vit-il traiter de « Gr^uculus », de « Barbula », et le marquis Louis II de Gonzague reçut-il de sa propre mère, pour une fantaisie analogue, le surnom de « Turco'». Bessarion paya plus cher encore son attachement pour un usage qu'il tenait de ses ancêtres : le conclave réuni à la mort de Nicolas V était sur le point de l'élire, lorsque le cardinal français Alain de Taillebourg s'écria : « Quoi! je voterais pour un Grec qui n'a pas encore eu le temps de couper sa barbe"!.» Ses collègues se rangèrent à son avis et une question de mode coûta le trône ponti- fical à Bessarion. On sait que le premier pape qui rétablit dans ses droits la barbe fut Jules n : il fallait une volonté aussi énergique que la sienne pour opérer cette révolution. Si" dans beaucoup de tableaux du quinzième siècle la barbe que portent les patriarches, les apôtres et les saints parait postiche, c'est que les mo- dèles vivants faisaient défaut. La chaussure, tour à tour arrondie par le bout ou légè- rement effilée , reproduisait exactement les formes du pied, aussi éloignée des sou- liers à la poulaine, avec leurs pointes d'une longueur démesurée, que des souliers épatés, crevés ou déchi- quetés du règne de François I". Souvent c'étaient de véritables pantoufles en drap, sans talons, cousues aux chausses, dont elles formaient partie inté- grante; d'autres fois le soulier était retenu par un nœud placé au-dessus du cou-de-pied; on rencontre aussi des bottes molles à revers (Adoration des Mages, de Gcntile da Fabriano, etc.). Si aujourd'hui, où une mode unique régit la toilette des iemmes d'iui bout à l'autre de l'univers civilisé, l'inépuisable fécondité du génie féminin décourage 1. Voigt, dit' IVicderbclt'buiig des Klassischen Altcrthums ; 2' édition. — Hofmann, Barbara von Hohfn:^oUerii, p. g. 2. -Encas Sylvius Piccolomini. Opcra; cdit. de Bàli?. i5m_(. p. 4.'!, K. .Miintz. — I. Italie. Les Primitifs. 41 Un Elégant italien au xv" siècle. 'Bas-relief du Musée de Soutli-Kensinglon.) lusToiRi-: i)i: i.Ain' pendant la renaissance. à tout instant l'iJcrivain dont la plume essaye de retracer ces inventions sans nombre, combien une telle tâche n'est-elle pas plus ardue lorsqu'il s'agit du quinzième siècle, avec ses modes variant de pays à pays, de province à province, parfois de ville à ville! Désespérant d'analyser ces mille arrangements et orne- ments si ondovants de leur nature, et que la fantaisie de ces grandes artistes de la Renaissance s'est encore plu à compliquer, je me bornerai à signaler, en quel- ques traits sommaires, du moins les phases essentielles de la mode au quinzième siècle, en tant qu'elle se rattache au développement des arts du dessin. Au siècle précédent, en dehors des exceptions. que nous avons indiquées, la taille était fort courte, à peine indiquée parle corsage; un bandeau hxé sous le menton donnait quelque chose de l'n atelier de chaussures en Ilalie au xv siècle. Kac-similè d'une iïravuie du Novclliiio de Masuccio. monacal et de rigide au visage, par exemple chez Giotto. Au quinzième siècle, les robes deviennent plus amples et moins raides ; la taille se dessine plus nor- malement (les longues basquines dans le genre des spencers sont stir- tout usitées en France), la gorge se découvre légèrement. (Parlant dti bal donné à Florence, en 1432, en riionneur des ambassadeurs impé- riaux, Vespasiano dit que les vête- ments n'étaient pas décolletés, « is- collate », comme ils le furent plus tard, mais collants : « accollate' »). Tantôt la robe est froncée dans le haut de manière à s'ouvrir dans le bas en éventail. Tantôt, chez les Florentines de Ghirlandajo, on voit des robes à ramages, sans col, longues et raides, tombant droit à terre, sans dessiner la taille. Les manches sont tour .'i tour amples (manches à la juive), ou plates, fermées sur le poignet; souvent elles ont une autre couleur que le corsage. Comme ornements, des broderies, des plumes, des fourrures. Lorsque Lléonore d'Aragon fit son entrée à Rome en 1470, à cheval entre deux cardinaux, elle était vêtue de velours noir, avec une « baviera » et un chapeau (« capelletto ») également noirs; ce dernier orné, sur le devant, de perles et de pierres précieuses sans nombre, siu' le derrière de plumes blanches". Au début du siècle suivant, Lucrèce Borgla, en quittant Rome pour se rendre à Ferrare (i5i ou « sbernia » était une sorte de manteau ; la « gor- ghera » ou « gorgiera », une collerette de toile: l.i « balzana «, la garniture placée à l'extré- mité des vêtements. LE COSTlMi: AU XV SIKCI.i: ; LES LPALILNNF'.S. 32.1 de cramoisi découpé, avec une garniture de brocart d'or doublée d'hermine'. De même que les hommes, les femmes jouissaient d'une liberté sans limites pour l'arrangement de leur chevelure : bandeaux, boucles, tresses tombant droit, cheveux ramenés sur le sommet de la tète, ou flottants, ou noués sur l'occiput en forme de couronne, ou épars sur les tempes, tresses jetées par-dessus l'épaule, comme chez la Belle Simonetta du Musée de Berlin, avec sa figure de louve : la mode autorisait toutes les licences, et généralement, pendant cet âge heureux, le goût n'eut pas à souffrir de l'excès de liberté. Une des inno- vations les moins heureuses consista à relever les cheveux jusqu'à la racine, parfois même à en raser une partie, de manière à découvrir le front le plus possible'. Telles s'of- frent à nous Isotta de Rimini, dans les médailles de Matteo de' Pasti (voy. page 324), la du- chesse d'Urbin, Battista Sforza, dans le portrait de Piero délia Francesca (p. 1.12), ainsi que la dame anonyme dont le buste, sculpté par Verrocchio, appartient à M. Dreyfus''. Connne couvre-chef nous trou- vons simultanément le voile (mé- daille d'Isotta de Rimini) ou la résille (portrait de Blanche-Marie Sforza, par Léonard de ^'inci, .'1 - l'Ambrosienne de Milan). Les plumes jouaient également un rôle dans la coiffure : Catherine Strozzi reçut lors de ses fiançailles avec Marc Parenti une couronne composée de huit cents yeux de plumes de paon. A Mantoue (fres- ques de Mantegna) et à Ferrare (fresques du palais de Schifanoja) on trouve des bonnets plats descendant en pointe sur les oreilles, avec une échancrure qui laisse à découvert une partie des cheveux. Piero délia Francesca, dans un por- trait de la collection Poldi-Pezzoli, à Milan (gravé page 16), nous montre un arrangement assez répandu de son temps, des cordons de perles séparant les Dame italienne du xv siècle (» Damisella Triviilcia »'. D'après une gravure du de clji-is Mulicril'ti.s de Ph. Beiffoniensis. 1. Gregorovius, Liicrexia Borgia, p. 21. S. — La description du trousseau de Catherine Strozzi (voy. ci-dessus, p. 16-18) a été donnée dans la Cultur de Burckliardt, t. Il, p. 97. 2. Voy. l'article de M. Gustave Gruyer dans Ja Rez'iie des Deux-Momies, août i883, p. 62.3, .3. Les Italiennes de la Renaissance se fardaient outrageusement. Dès le quatorzième siècle Sacchetti faisait dire à Taddeo Gaddi que « les Florentines étaient les meilleurs peintres, sculp- teurs et correcteurs qu'on eijt jamais vus. parce qu'elles restituaient les lacunes de la nature. » (Nouvelle i36.) Cennino Cennini, dans son Trailé de Peinture, consacre un chapitre spécial à l'art de « réparer des ans l'irréparable outrage ». (Voy. Belgrano. délia Vila prirata dei Geiio- vesi, p. 274-276.) IllS'IOlKi: Di: L'ART l'IlND.W A i2. 1)K\1SKS, K.M[5IJ-:.MES ET ARMOIRIES. de Ruine et de Sienne, lis florentin, aigle de la famille d'Esté, dragon des \'is- conti, éléphant des Maktesta, boules des Médicis, croissant des Piccolomini, chêne des délia Rovere, taureau des Borgia, — mais chaque membre de ces flrmilles a ses emblèmes, ses devises à lui, Cosme de Médicis la bague aux trois plumes, Laurent le agninque, le laurier W^'--- - •>- - rit. z^*-" •-■•-. '"^:j. ^-^^-^'-y toujours vert et le mot Semper, Borso d'Esté la licorne, Ludovic le More le mûrier, Fré- déric de Montefeltro la belette, la cloche, les clefs de l'Église, François Sforza la pomme de pin qui s'entr'ouvre, avec la devise allemande Mit Zi'it (avec le temps). Si l'on descend d'un degré , même abon- dance àUmprese, — c'est le terme consa- cré. — A Florence, chaque quartier a son gonfirlon orné d'un signe de ralliement distinct : dragon, co- quilles, clefs, lion d'or. Bien plus, cha- que flimille, chaque ci- toyen, jusqu'au moin- dre artisan, a ses armoiries et son cachet. Les dames font broder sur le col ou les manches d'ingénieuses ou touchantes devises, comme à Ferrare : Loiamiiciil viioil finir ma vie, ou encore Nul bien sans peine \ Ce sont là autant de conquêtes pour l'art. Les inventions héraldiques du moyen âge ont perdu leur raideur, sans perdre leur caractère; l'écusson, la « targe », généralement de forme octogonale, brille à l'angle des palais ou sur la foçade des églises, motif souverainement élégant et qui a paru digne à M. Nénot, l'habile architecte de la nouvelle Sorbonne, de former la base de la décoration de son monument. Dame italienne du xV siècle. D'après un bas-relief de Mino de Fiesole. (Musée national de Florence.) 1. Venturj. I Pi Inuvdi dcl Riiiasciiiiciilo a Fcrrara, p. ?t-. :-,2(> HISTOIRE D1-: LAR'I' PIADANT LA RENAISSANCE. Mais la targe compte à peine, si l'on considère le parti qu'ont tiré les maîtres du quinzième siècle des armoiries particulières : les racines de garance des Ruccellaï, sculptées par ordre de L. B. Alberti sur la façade de Sainte-Marie Nouvelle, les éléphants des Malatesta couvrant de la base au sommet le temple de Rimini', les rosaces des Riario marquant les clefs de voûte du palais de la Chancellerie, les emblèmes du duc Frédéric cou- rant sur la frise du palais d'Urbin, pour ne point parler des frontispices manuscrits dont les devises des Médicis, des princes d'Aragon ou de Matthias Corvin forment la trame vitale, des bordures de tapisseries, avec les armoiries des Trivulce, etc. Mettre à la lois dans ces ouvrages une note intime et y prodiguer des ornements du goiit le plus exquis, n'était-ce pas faire deux coups d'une pierre? Devise italienne du xv Mécle. D'après un pavement en taïence (Dôme de Parme.) L'art du quattrocento, si bien secondé par les mreurs et par les modes contemporaines, tut en re- vanche absolument privé de cette source d'inspiration qui s'appelle la littérature. Ja- mais poètes ne trahirent plus cruellement les espérances des artistes de leur temps, ne laissèrent ceux-ci plus complètement livrés ,i eux- mêmes. Leurs élucubrations pseudo- classiques , écrites dans une langue morte, et consacrées non à la peinture d'une époque si vivante, mais à la glorification des Romains d'autrefois, étaient incapables de développer quelque idée généreuse : on ne pouvait attendre davantage des épopées avant pour héros quelque prince du quinzième siècle, la Sjor-itidc, la Roisèidc; la plus plate adulation les avait seule dictées. I. La statue de lion (« il niarzocco ») placée sur une colonne dans chacune des villes soumises ;i Florence se rattache à l'art héraldique. Florence entretenait dès le treizième siècle, avec un soin jaloux, une fosse aux lions — les Italiens disent un « Serraglio », un Sérail. Les souve- rains, le Pape, le seigneur de Sassari, le bey de Tunis, lui faisaient leur cour en lui offrant de ces fiers carnassiers ; elle faisait cadeau, à son tour, de ceux qui naissaient dans la fosse, .1 des souverains ou à des États alliés : en ijQO au seigneur de Padoue, en 1438 au roi d'.-Vragon, en 1436 au marquis de Bade, en 1463 au roi d'Angleterre, en 1469 et en 1471 au roi de Armoiries de Sifrismond Malalesia. Bas-reliel du temple de Rimini. ki;ai.is.mI': italikn i;t li-: io6 et i.^OO, exécuta pour la cathédrale de Florence un grand nombre de statues et de bas-reliefs, dans lesquels les réminiscences classiques s'allient à tous les excès du réalisme. Les enseignements de Pietro, il n'est point permis d'en douter, n'ont pas été étrangers à l'évolution du génie de Donatello et de Ghiberti; aussi ce dernier, dans ses Commentaires , n'a-t-il pas hésité à rendre une justice éclatante à un mystérieux hôte venu du Nord, artiste dont il ne prononce pas le nom, 1. Plusieurs de ces témoignages sont analysés dans les additions de MM. Pinchart et Ruelens aux Peintres flamands de MM. Crowe et Cavalcaselle. L'éloge de l'art allemand a été fait, pour des points d'ailleurs spéciaux, par jEneas Sylvius (voy. les Arts à h cour des Papes, t. I, p. 221- 222). Au sujet de l'influence exercée sur la peinture italienne du quinzième siècle par l'art flamand, consulter : Fiorelli, Kkine Schriften, t. I, p. 18g et suiv. ; Runiohr, Italienische For- schiingen, t. II, p. 262-264; Scliulz, Denhnàler dcr Kinist in Unter Italien, t. III, p. 181-182; le Cicérone de Burckhardt, 5° édit., t. II, p. 655 et suiv. Sur l'imitation en Italie des procédés de peinture flamande, voy. Eastlake, Materials for the history of OU painting, t. II, p. 7,1 et suiv. — Seul M. Lermolieff nie cette influence : die Werke italienischer Meister, p. 125. 2. On trouvera la liste des artistes français, flamands et allemands fixés en Italie pendant le quinzième siècle dans la Renaissance au temps de Charles VIII (p. 4^)7-472), et d;ins un article du journal /'/ïr/ (l5 octobre i8B.5, p. i56-ir>o'). IXFlAîENCE m:S l'I.A.MANDS SIR Li:S ITALIKNS. So.l mais qui pourrait bien être identique, malgré de certaines contradictions, à Pietro di Giovanni. Bientôt cependant la sculpture italienne prit un si brillant La Viergre et rEnfant Jésus. Tableau de Johannes de Alemania et d'Antonius de .Murano. (Académie des Beaux-.\rts de Venise.) essor, qu'elle n'eut plus rien, absolument rien, à apprendre des étrangers '. Il en fut autrement de la peinture. On n'a pas assez tenu compte, à mon I. M. Lùbke. dans sa Geschichte der Plastik, 2° édit. (1871), t. II, p. .S28-.529, a déjà entrevu ces rapports. Je les ai à mon tour exposés, avec des arguments nouveaux, dans la Rc-vin- d-s Deux Mondes : i" avril 1886. Une thèse analogue, mais beaucoup plus radicale, a été hrillani- ment développée par M. Courajod dans la Gnietli' des Bcaiix-Arls du i" janvier 1888. 334 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. avis, des infiltrations flamandes dans l'histoire du développement des différentes écoles de la Péninsule. Ce n'est point un effet du hasard, assurément, si le por- trait du pape Eugène IV, dû au pinceau de Jean Fouquet, suscita une si vive admiration ; si Johannes de Alemania présida aux débuts de l'hcole de Murano, berceau de l'École vénitienne; si Gentile da Fabriano, fra Angelico et l'École de Cologne ont sacrifié simultanément au plus suave mysticisme; si Roger Van Jer Wevden, lors du jubilé de i4?o, parcourut l'Italie en triomphateur; si le roi Ferdinand de Naples envoya un de ses sujets étudier à Bruges; si le Saiiil- Michel de Simon Papa, au musée de Naples, pourrait passer, au témoignage de M. A.-J. Wauters', pour l'œuvre d'un élève de Roger ou de Memling. Les idées et les principes voyageaient alors plus vite qu'on ne le croit : au siècle précé- dent, riîcole florentine, par l'impulsion de Giotto, avait fondé des colonies jus- qu'au fond de la Bohème, jusqu'en Angleterre; au quinzième siècle, l'Europe septentrionale prit sa revanche avec les peintres flamands. Si, considérée dans son ensemble, la peinture d'histoire italienne suit sa voie distincte, le portrait, par contre, procède sur»bien des points de prototypes fla- mands. Ce sont les peintres de l'École de Bruges qui ont mis à la mode ces por- traits à mi-corps, où l'original est représenté de fiice ou de trois quarts, posant tranquillement devant le « pourtraiteur ». Que nous voilà loin des pratiques du moyen âge, qui, sauf pour les souverains, n'admettait d'autres effigies que celles qui étaient destinées à orner des tombeaux! Désormais tout bourgeois enrichi a la prétention de transmettre ses traits à la postérité. Une de ces rencontres, pour ne pas dire une de ces imitations les plus frap- pantes, est celle entre le Portrait ifini sénateur vénitien, par Solario, à la National Gallery de Londres (n° 92.1), et le fameux Homme à l'œillet de Jean Van Eyck, au Musée de Berlin. L'attitude est presque identique; il en est de même du mou- vement des mains (dans les deux tableaux, le personnage tient un œillet); le modelé du visage procède des mêmes principes, avec cette différence qu'il est plus ferme dans l'œuvre flamande, plus souple dans l'œuvre italienne. On peut opposer à ces portraits ceux qui dérivent, si je ne m'abuse, des médailles, et où les personnages sont représentés de profil. Tels sont les portraits de Pisanello, qui a excellé à la fois dans l'art du médailleur, retrouvé par lui, et dans la pein- ture, ceux de Piero délia Francesca, de Botticelli, de Pollajuolo, de Ghirlandajo et de tant d'autres quattrocentistes. Les améliorations réalisées par les Van Evck dans la technique de la peinture avaient eu pour résultat de donner au coloris plus de souplesse et plus de cha- leur. Rien ne se saurait imaginer de plus intense, de plus profond, de plus lumineux, que certains de leurs tons favoris, notamment le rouge, le bleu et le vert. C'est un régal pour les yeux. Les tableaux de Piero della Francesca sont 1. La Pcinlmc flamanât\ p. 114 (BiHiolhèqiie (te V Enseignement des Beanx-Arls, Ae J. Comte). INFLUENCE DES FLAMANDS SLR LES FFALIENS. aussi légers, aussi transparents; ils ne sont pas aussi nourris, aussi chauds, aussi éclatants dans les tons sombres. Avec une vue très nette des avanr.ig.s de la peinture flamande, les Italiens se Porirail d'un Sénateur ve-nitien. par Solario. (National Gallerv de Londres.l sont, avant tout, eflbrcés de lui dérober le secret de sa supériorité picturale pro- prement dite, l'art d'envelopper les objets, de les noyer dans une lumière tour à tour discrète et éclatante, de donner de la profondeur aux compositions au moyen de dégradations de tons, en un mot l'art de produire sur une surface 3.^6 II1ST0IR1-: l)i: L'ART PICNDANT LA KENAISSANCE. plane l'illusion de la réalité. Peu à peu ces tours de force l'emportent sur l'inter- prétation normale et loyale du sujet : je pourrais citer tel tableau vénitien, par exemple le Saint Jérôme attribué à Jean Bellin (Galerie Nationale de Londres), où la reproduction des objets inanimés et la recherche du clair-obscur forment le premier des soucis de l'artiste; où les personnages ne sont plus que l'acces- soire, absolument comme dans quelque intérieur hollandais du dix-septième siècle, chez Van der Meer ou Piètre de Hook. La peinture de nature morte ne tarde pus à prendre naissance et, circonstance digne de remarque, c'est un Vénitien précisément, Jacopo de' Barhari, qui nous en a laissé le plus ancien spécimen , la perdrix accrochée à un clou en compagnie de gantelets de fer, au Musée d'Augsbourg (voy. page 3o2). Il n'aurait pas été permis de passer sous silence ces emprunts; mais il importe également de n'en pas exagérer la portée. Si les Italiens de la Pre- mière Renaissance ont profité des leçons des Flamands, il n'en est pas moins certain que, même sans elles, obéissant à une loi historique, ils auraient porté l'interprétation de la réalité à sa suprême perfection. Par l'affranchis- sement absolu de toute tradition et de toute convention, certains chefs-d'œuvre de Donatello — buste dit de Niccolo da Uzzano, au Musée national de Florence, buste de Saint-Laurent, à la sacristie de l'église du même nom — , ou encore les gardiens du tombeau, dans la Résurrection du Christ, de Piero délia Fran- cesca, à Borgo San Sepolcro, ou enfin le portrait du portier des Carmes autrefois attribué à Masaccio, mais qui est plus vraisemblablement de Filippino Lippi, paraissent des ouvrages de notre siècle, non du quinzième, tout comme les étourdissants portraits de Jean Van Eyck, YArnoIfini, de la Galerie Natio- nale de Londres, VHoiiniie à I\ril!cl, du Musée de Berlin. Nulle réminiscence des modes contemporaines, nul vestige d'archaïsme : les auteurs ont fait abstraction de leurs habitudes, de leurs tendances, on serait tenté d'ajouter de leur personnalité, pour rendre la physionomie humaine avec l'implacable rigueur et la souplesse illimitée de l'appareil photographique. Le réalisme italien a donc également eu ses énergumènes. Plus d\ui niaitre, parmi les plus grands, a substitué des expériences de laboratoire et même d'amphithéâtre, non seulement à l'inspiration poétique, mais encore à l'inter- prétation normale du sujet. De fort bonne heure (et je ne songe pas à m'en plaindre), la peinture ethnographique avait tenté quelques artistes supérieurs. Giotto, on l'a \u, avait représenté -.wi^c une précision extraordinaire des Mon- gols et des Nubiens; Piero délia Francesca peignit des Tartares, aux pom- mettes saillantes, et des Arméniens; Mantegna, des Moresques, de même que les Van Eyck avaient donné place, dans YJdoratioii de l'Agueau mystique, à un Arabe lippu, et que leurs successeurs peuplèrent leurs tableaux de ces Turcs plus redoutés que jamais depuis la prise de Constantinople. Ce qui est plus grave, c'est le parti pris de laideur dans la représentation des personnages sacrés, et, .'i cet égard, les Christs, voire les Madones de Donatello ou de TÈTE DE Vieillard. Fac-similé d'un dessin de Lorenzo di Credl (Misée du Louvre.) iM'i.ri;N( i: ni:s i'i.amwds sri< i.i:s i'i\i.ii;\s. Mantegna, ne le ccdent souvent pas à ceux de leurs contrères flamands. Mais ce ne sont là que des accidents. Chez l'immense majorité des artistes italiens, une sorte de distinction native s'oppose à la représentation de tout ce qui est vulgaire oli laid; les leçons de l'antiquité et la vue assidue de types qui n'ont pas cessé d'être les plus parfaits de l'univers, font le reste; peu à peu, chaque école élabore et perfectionne son canon de la figure Inunaine. Le culte de la forme harmonieuse est si puissant, qu'il perce même chez ceux des Italiens qui passent pour les sectateurs les plus ardents des Fla- mands. J'ai sous les yeux la photographie de deux Christs hc- iiissniit, si semblables par leur phvsionomie et leur attitude, qu'on les croirait, à pre- mière vue, copiés l'un de l'autre. Seulement, l'un est dû au pinceau d'un Italien, Antonello de Messine, l'autre à celui d'un Flamand, probablement Quen- tin Metsys. Dans l'œu- vre flamande, l'artiste a eu pour principale, pour unique préoccu- pation, de copier son modèle aussi exactement que possible; les moindres saillies et les plus légers plis de cette foce osseuse sont rendus avec une vérité implacable. L'Italien, au contraire, a cherché à simplifier; son modelé est moins serré et plus large ; la bouche exhale comme une plainte harmonieuse, tandis que celle du Christ flamand est muette; l'ensemble, enfin, a cette grande tournure qui nous révèle un artiste doublé d'un poète. Nous touchons au doigt la différence entre le réalisme des Flandres et celui de l'Italie. Le paysage italien ne s'est pas moins ressenti de l'influence septentrionale, quoique, de prime abord, les créateurs du genre paraissent avoir travaillé à l'insu les uns des autres. Dés 142.^, le vif et tendre Gentile da Fabriano, cet Ombrien qui osa venir défier les Florentins jusque dans leur propre cité, réussit .'i rendre avec un égal amour et une égale habileté, dans sa célèbre Adoration K. .MùnU. — 1. Italie. Les Primilif-;. 43 ^Mftv^mv>iiinr*«iv Le Réalisme italien au xv" siccle. I,e Portier des Carmes. D'après une fresque attribuée à Masaccio. (.Musée des Offices.) xv, IIISTOIRI-, Di; I.AKT 1'I':M\\NT I.A lU^NAlSSAXCE. (les Mages, conservée A l'Académie de Florence, et la fraîcheur des fleurs qui émaillent le gazon du premier plan et le mouvement des terrains du fond, ces belles montagnes boisées sur les flancs desquelles chemine la brillante escorte des trois rois. Le chef-d'œuvre des frères ^'an Evck, VA clorai ion de F Ai^ueaii iii\sliijiH\ était alors à peine commencé, mais les modèles flamands avaient pu pénétrer en Italie par une foule de canaux, notamment par les mi- niatures, et nous savons que telle de ces miniatures, par exemple la Fenaison ou les Semailles de l'ad- mirable livre d'heures du duc de Berry, naguère conservé dans la bibliothèque de Chantilly, n'avait . rien à envier au tableau le plus parfait. Pisanello, dont le nom a été prononcé tout à l'heure, a très certainement aussi cherché ses inspirations de ce côté -ci des monts, soit dans ses esquisses dessinées pour des médailles, soit dans ses tableaux. Ses paysages si nourris et si mouvementés for- ment l'opposition la plus complète avec les pa3-sages arides, rocail- leux, sans verdure et sans lu- mière, des peintres italiens du quatorzième siècle. Si les paysages du Pérugin sont conçus et dispo- sés par grandes masses, en re- \anchc un autre peintre ombrien, Pinturicchio, se plaît à détailler les siens avec toute la minutie d'un Flamand. Léonard de Vinci lui-même s'est parfois essayé dans ces analyses à outrance : son carton du Péehé originel, que ^'asari a encore vu, égalait, pour la surabondance et le rendu des détails, les tableaux flamands les plus poussés; on y voyait une prairie dont les moindres touffes d'herbe étaient reproduites avec une minutie, un amour inépuisables, un figuier, un palmier dans lesquels le botaniste le plus méticuleux n'aurait pas trouvé à reprendre la plus légère erreur. Est-il possible, ajoute Vasari, qu'un homme ait eu tant de patience ! l.c C'Iui»! , par Quentin .Metsys. (Londres, Xalional Gallery.) Quels sont les secrets, pour employer une expression chère au quinzième siècle, aux yeux duquel il n'y avait pas de supériorité sans un certain mystère. i.LS i;ni:k(.l.mi::m:s dl rl:alis-Mi:. ooy qLiclles .sont, dis-jc, les Jccoii vertes qui ont valu aux Fhmiands leur réput.itinn européenne? Ce sont av.mt tout les perfectionnements techniques, pertection- nements fixvorisés par l'invention de la peinture à l'huile, mais que l'on pour- rait, à la rigueur, concevoir sans elle. Et quel a été le premier résultat de ces perfectionnements? De leur permettre de reproduire plus fidèlement la réalité; en d'autres termes, c'est par leur réalisme qu'ils ont imposé leur domination à l'Europe. Examinez les jugements que les auteurs italiens de la Renaissance ont portés sur les tableaux flamands primitifs : ce qui les a invaria- e^^^^^âiia^ blement frappés, c'est l'iiabileté avec laquelle ont été rendus les jeux de lumière les plus com- pliqués, la ressemblance d'un portrait, ces plaies qui parais- sent réelles, ce paysage dont on peut compter toutes les toutîes d'herbe, et ces touffes d'herbe sur lesquelles on peut compter toutes les gouttes de rosée. De pareils trompe-l'œil, ayons le courage de prononcer ce mot, excitèrent infiniment plus d'ad- miration que l'harmonie du co- loris, la force de l'invention, la noblesse de la composition, qua- lités qui chez les réalistes de ' tous temps et de tous pavs ont toujours passé pour secondaires. La qualification de réaliste revient tout d'abord, parmi les Italiens, à Paolo Uccello, artiste heurté, bizarre, parfois extravagant, dont le nom est resté attaché et à tant de progrès tech- niques du premier ordre et .\ tant d'erreurs. Parmi les fresques de Paolo, la plus célèbre, le Déluge, peinte dans le cloître de Sainte-Marie-Nouvelle, nous fixit toucher au doigt les qualités et les défauts du maître. A côté de la figure de Noé, superbement drapée, on rencontre des détails absolument ridicules. Les victimes expérimentent toutes sortes d'appareils de sauvetage plus ou moins saugrenus. L'une a placé autour de son cou ime bouée; l'autre s'est réfugiée dans une cuve; une troisième, sur le point de dis- paraître, s'accroche aux pieds de Noé, debout sur la terre ferme. — Girodet- Trioson n'a pas mieux trouvé dans son Déluge de la salle des Sept Cheminées au Louvre. — Plus loin, apparaissent des no\és étendus sur le dos connue s'ils faisaient la planche, un corbeau dévorant un cadavre, etc., bret, des motils qui C lu i>l, pal .Vnlonello Je .Messine lavcc la tiate : 146.^). (Londres. National Galleiy.) o4'j iiisroïKi: Di: lart 1'i:mja.\ i' la ki.naissanci:;. seraient horribles s'ils n'ét.iicnt le plus souvent grotesques. Ajoutons qu'alors même que les tigiu'es d'Uccello ont quelque chose de grandiose, elles le doivent à l'impassibilité, au manque absolu d'expression et à une sorte d'hébétement. Uecello était, pour nous servir d'un néologisme qui a fini par conquérir son droit de cité, un « animalier » hors ligne. Vasari cite de nombreuses compo- sitions dans lesquelles il fit éclater sa connaissance approfondie des quadrupèdes et des bipèdes, et jusque des reptiles; par exemple, chez les Médicis, des Lions se battant entre eux et un Lion luttant avec un serpent. Ainsi, de toutes parts, à Florence aussi bien qu'à l^ruges, on constate les plus grands efforts pour rapprocher l'art de la nature, par l'étude du corps humain tout comme par l'étude de l'anatomie des ani- maux, par l'observa- tion de leurs nitX'urs et, enfin, par l'obser- vation des phénomè- nes atmosphériques les plus divers. Hn résumé, le réa- lisme de Paolo Uccello est le réalisme scien- tifique et sec par ex- cellence, sans le goût qui distingue les autres Florentins et les em- pêche de tomber dans le ridicule, sans naïveté gracieuse ni généreuses ardeurs. L'influence du vieux perspectiviste eût été désastreuse s'il s'était trouvé des élèves assez insensés pour suivre sa manière : mises à contribution avec ime sage réserve, ses découvertes techniques ont fait faire à la peinture italienne des progrès décisifs. A côté d'Uccello, le principal champion du réalisme florentin fut Andréa dcl Castagne, tempérament brutal, qui ne reculait devant aucune difibrmité, devant aucune exagération poiu- donner ;\ ses figures plus de caractère, et qui était porté vers la laideur comme d'autres le sont vers la beauté. Coloriste assez fliible d'ailleurs, mais dessinatem- dont la hardiesse et l'étrangeté vont parfois jusqu'à la grandeur, Andréa réussissait surtout, comme l'a dit excellemment M. Georges Latenestre, « les précurseurs faméliques et les ermites émaciés '). Le portrait est che;^ lui, comme chez les Flamands, la base même de l'art. Il en tait de toutes les sortes : en buste, ,'i pied, .'i cheval, et niéiiie des portraits de suppliciés. C'est lui en ellet qui, en i _(.\^, lors du retoiu' des Médicis, fut chargé de pein- l.c Sentiment du Paysage au xv siècle, l-'ao-bimilé d'une ijiavure du Songe de PolypInU LES ENERGUMENES DUREvVLISjMI-: ■Ml tire SLU' le palais tki Podestat les vaincus immolés à la vengeance des vainqueurs. Il s'acquitta de cette tache avec mie telle verve, qu'il en reçut le surnom « d'Andréa degli Impiccati », André, le peintre des pendus. On sera particu- lièrement plus sévère pour le portrait équestre de Nicolas de Tolentino, peint .'i l'intérieur de la cathédrale de Florence, en regard du portrait de Giovanni Acuto, du au pinceau de Paolo Uccello. Telle est la vulgarité du héros et de sa monture, que l'on est tenté de découvrir de la distinction dans l'œuvre rivale d' Uccello. On est heureux, après avoir étudié l'œuvre si rude et si heiu'té de réalistes de la trempe de Paolo Uccello et d'Andréa del Castagno, d'avoir .'i faire Le Diîliise. Fresque de Paolo L^ccello. (Cloître de Sainle-.Marie-NnuvLlIe à Florence. i - connaissance avec des réalistes, disons mieux, des naturalistes d'une tournure d'esprit aussi distinguée que Pisanello et Piero délia Francesca. Eux au.ssi s'at- tachent uniquement à l'étude de la nature, où le beau et le laid se rencontrent indifféremment, mais ils n'en proscrivent du inoins pas .systématiquement tout ce qui peut charmer le regard ou élever la pensée. C'est que le naturalisme de Pisanello a quelque chose de libre, de prime- sautier, de vif, de pénétrant; la légèreté l'attire plus que l'ampleur; il recherche les formes à la fois gracieuses et vigoureuses, et sans avoir élaboré telle et telle formule, sans s'être proposé tel ou tel idéal, il donne à ses physio- nomies un air distingué et spirituel qui tient lieu de beauté. Dans ses esquisses à la plume ou à la mine d'argent, Pisanello est le prédécesseur de nos grands dessinateurs du siècle dernier, de même que, dans ses médailles, il a ouvert la voie .'i nos grands médailleurs du règne de Louis XIII et du règne de Louis XI\", les Dupré et les Warin. Comme Paolo Uccello, Pisanello e.xcellait dans la représentation des animaux. Fazio parle de son habileté à peindre les chevaux. Nous en voyons en effet un certain nombre, esquissés avec une sûreté rare, siu' ses médailles : ce sont des chevaux de labour toutefois plutôt que des coursiers épiques dans le genre de 042 HISTOIRE UK LART PENDANT LA RENAISSANCE. ceux d'Ucccllo. De nombreux autres quadrupèdes ou bipèdes paraissent soit dans ses dessins du Louvre, longtemps attribués à Léonard de Mnci, et dignes de ce maître, sangliers, mulets, chiens, etc., soit sur ses médailles. Celles-ci nous montrent des aigles dépeçant un faon, et un chien poursuivant un san- glier, figures qui, par la sobriété et la hardiesse du modelé, peuvent se com- parer aux plus belles œuvres de l'antiquité. La nécessité de résumer en quelques traits, sur ses médailles si simples et si nettes, les caractères essentiels soit des hommes, soit des animaux, a effectivement donné aux productions de Pisanello une concision extraordinaire. Jamais l'esprit de synthèse n'a été poussé plus loin, sans que le style ait cessé d'être éminemment plastique. Honneur au fondateur de la dynastie des animaliers! Chez Pisanello, le dessinateur et le médail- leur éclipsent le peintre. Un artiste toscan, que l'on est constamment tenté de rapprocher de lui, grâce à la sincérité et à la distinction de son style, Piero délia Francesca, excelle au contraire avant tout dans la peinture. Le plus original peut-être des ouvrages du maître est cette Rcsiirnrtioii du Christ, peinte à fresque dans l'hôtel de ville de Borgo San Sepolcro. On ne saurait imaginer une donnée plus réa- liste du sujet. Les gardiens sont tout entiers au sommeil; l'un appuie sur ses genoux sa figure couverte de ses mains; un autre a rejeté sa tète en arrière pour la poser sur le bord du sarcophage; le troisième semble dormir debout. Cependant le supplicié, une partie du corps nue, l'autre recouverte de draperies d'un jet admirable, sort lentement du tombeau, apparition grandiose, d'une originalité et d'une éloquence saisissantes. L'artiste, sans sortir des limites de la réalité, et proscrivant tout ce qui pourrait avoir un caractère légendaire ou surnaturel, a créé un contraste profondément dramatique. Les types, qui semblent annt)n- cer Velasque/, ne sont pas moins originaux que la conception même de la scène. Quant ,'i la science des raccourcis, ce complément obligé de la perspec- tive, elle est prodigieuse ; les attitudes sont aussi aisées que savantes. Après les deux générations, personnifiées, la première par Paolo L'ccello et Andréa del Castagiîo* la seconde par Pisanello et Piero délia L'rancesca, le réa- lisme italien perd de jour eu jour du terrain. Sans doute, plus d'im quattrocen- tiste donnera aux acteurs de l'histoire sainte ou de l'histoire classique les traits et le costume de ses concitoyens, ou introduira dans des compositions sacrées des détails plus ou moins naïfs; on continuera surtout .'i cultiver le portrait, cette pierre de touche de la vitalité d'une école. Mais, abstraction faite peut-être du violent et brutal Antonio Pollajuolo, aux yeux duquel la peinture réside sur- Chien coilianl un ban^Iici. Médaille de Pisanello. Etude de tète. Fac-similé d'un dessin de Pollajuolo (Florence, musée des Offices). M4 lllSTolKi; Di; l.-AKT l'IlNiVWI' l.A 1<1:N.\ISSAN( 'i: . tout dans la solution des problèmes d'anatomie, la recherche du style devient fuirtout prépondérante, chez Mantegna (qui peint cependant son prodigieux Christ mort, du Musée de Bréra, cliet-d\vuvre d'anatomie et de perspective, dont on chercherait en vain le pendant chez les anciens), chez les Bellin, aussi La Résurrection du C'hri>t), Fiesque de Piero délia l'rancesca. (Hôtel de ville de Borpo San Sepolcro.) bien que chez Fra FiHppo Lippi, chez Benozzo GozzoH, chez Ghirlandajo, l^otticelli et Filippino. Le mot d'ordre désormais, c'est la nature contrôlée et corrigée par la tradition, c'est-à-dire par l'antique. On peut l'affirmer har- diment : à partir du milieu du quinzième siècle, le réalisme italien a vécu. Mais si par réaHsme on entend la préoccupation de s'inspirer en premier lieu de la nature, saut à l'ennoblir ensuite, tous les maîtres italiens, aussi long- Portrait de Fem.me. Fac-similé d'un dessin de D. Ghirlandajo. 'Bpitish Muséum.) E. .Mimlz. — I. Italie. Les l'iimilirs. 44 04-5 niSToïKi-: 1)1-: lwrt pkndan' • A KKNAISSANCE. temps que l'art it;ilien a conservé de la sève, ont été naturalistes, jusques et y compris Raphaël, qui, au comble de la gloire, au moment de commencer la Saillie Famille de François I''', consultait encore avec anxiété le modèle vivant. Essayons de conclure : nous serons forcés de censtater que les Italiens du quin- zième siècle ont réussi, toutes les fois qu'ils l'ont sérieusement voulu, à rivali- ser avec les Mamands sur le terrain que ceux-ci avaient librement choisi, tandis que les Flamands ont échoué piteusement quand ils ont essayé d'entrer en lutte avec les Italiens. Celle des deux Écoles qui ne sacrifie qu'au réalisme, n'accom- plit pas un seul progrès après la disparition de ses glorieux initiateurs, Claux Skiter, Hubert et Jean \m\ E\'ck; en moins d'un siècle, elle se trouve réduite à l'impuissance. Depuis, c'est à peine si les Primitits flamands ont inspiré, tout près de notre temps, une demi-douzaine de pasticheurs; le grand essor de l'art flamand et de l'art hollandais au dix-septième siècle, avec Rubens, François Hais, Rembrandt, est en efl'et absolument indépendant de la tradition du quinzième siècle. L'autre école, au contraire, celle qui tempère le réalisme par le culte des belles formes, soit que celles-ci lui aient été transmises par Tantiquité, soit qu'elles lui aient été fournies par les modèles indigènes, cette autre, dis-je, qui s'appuie à la fois sur la tradition et sur l'esprit de libre recherche, après avoir rempli le quinzième siècle de ses chels-d'œu^■re, nous réser\e au siècle suivant une floraison encore plus complète, plus brillante, avec Michel-Ange et Ra- phaël, Giorgione et le Titien, le Corrège et Paul \'éronèse; plus près de nous, cette école se renouvellera, sans secousse, par le simple retour à un principe fécond, au dix-septième siècle avec le Poussin, .'i la lin du dix-huitième avec Louis David, au dix-neu\iènie avec Ingres; elle est loin d'avoir dit son dernier mot : l'avenir nous ménage plus d'une surprise, et à elle plus d'un triomphe. Hn un mot, l'antiquité a donné à la Renaissance le culte de la forme, la pureté des lignes, la noblesse de la conception; le naturalisme lui a donné son inspiration exquise, la fraîcheur de ses sentiments, sa vision si libre et si hère. l'ii cliovalier au x\'' siècle. (Pavement en faïence du donic de Parme. 1 l'ii atelier de sculpture au début du xv" siècle. Bas-relier de Nanni di Banco (Oratoire d'Or San Michèle à Florence). CHAPITRE V L tDUCATIOX .\RTISTIQUE AU QUIXZIE.ME SIECLE. L ORFEVRE DE LA REXAISS.\XCE. RÔLE ET COXDITIGX DES ARTISTES. LES CORPOR.\TIONS. LES EXCY- CLOPÉDISTES. LES THÉORICIEXS. l'eSTHÉTIQUE. l'oRGAXISATIOX DU TRAVAIL ET LES IDEES SUR LA PROPRIÉTÉ ARTISTIQUE. ontrcr, après cette vue générale des principes qui ont inspiré l'art italien du quinzième siècle, quelles furent les méthodes d'éducation employées par la Première Renaissance, l'organisation des ateliers d'artistes, enfin la place fiiite aux artistes dans la société de leur temps, tel est l'objet du présent chapitre. Comment les artistes comprirent-ils leur mission? com- ment s'acquittèrent-ils de leur tâche, et comment le public, à son tour, envi- sagea-t-il le rôle de l'œuvre d'art ? Autant de questions qu'il importe de résoudre avant de poursuivre notre exposé. Le moyen âge avait foit à l'art une place si belle, que celui-ci pouvait passer pour l'auxiliaire autant que pour le serviteur de la religion. Des ecclésiastiques sans nombre, réguliers ou séculiers, s'étaient dévoués à ces études destinées à rehausser l'éclat de leur ministère ; des prélats même n'avaient pas dédaigné de prendre en main, qui le compas, qui le pinceau, s'autorisanl de l'exemple 348 mS'I'ÔIKE ni". L-ART PF.NDANT LA RI^NAISSANCE. de saint Luc, de saint Hloi, de saint Bernward de Hildesheim, de Snger et de tant d'autres. L'art du quinzième siècle n'a pas la puissance collective de l'art du moyen âge, avec ses légions de maîtres anonvmes, son unité et sa fixité d'inspiration, son dédain pour les courants de la mode; il n'a même pas une esthétique nette- ment définie, et l'on eût fort étonné les braves contemporains de Masaccio ou du Pérugin en leur parlant de la « destination sociale de l'art », de sa mission moralisatrice, etc. Ce qui s'affirme à cette époque, c'est la liberté individuelle de chaque artiste (la Renaissance n'a pas connu les prescriptions étroites formulées à l'usage des Byzantins dans le Traité de la Peinture du mont Athos, à l'usage des Latins dans le Raticihile de Guillaume Durand), et, comme corollaire de cette indépen- dance, une sorte d'empirisme de tout point opposé aux systèmes rigoureux des grandes écoles nationales de l'antiquité ou du moyen âge. Éclectiques avant tout, mais cependant bien de leur temps, les Primitifs ou Précurseurs, dont nous essayons de définir l'attitude, ont pour principale ambition de charmer, d'éveiller des émotions douces, d'évoquer des images riantes, un idéal de pureté, de candeur ou de distinction : ils y ont réussi, et je défie n'importe quelle école de nous offrir une telle abondance de créations svmpathiques, les plus fiers et généreux adolescents, les vierges les plus gracieuses. Aussi le mot d'organisation a-t-il une désinence furieusement moderne, quand il s'agit du quinzième siècle. A cette époque l'art n'était pas régi, patenté, enseigné du haut des chaires ou formulé dans des manuels, comme il le fut dans la suite, et c'est pour cela qu'il se développa si librement. L'htat, pour me servir de l'heureuse expression de M. Janitschek dans sa délicate et péné- trante étude sur la société italienne de la Renaissance et ses rapports avec l'an ', l'État encourageait l'artiste isolé, non l'art considéré comme une abstraction. Nulle institution officielle d'écoles ou d'académies. Les corporations d'artistes elles-mêmes n'étaient que simplement assimilées à celles des indus- triels ou des commerçants, et la preuve c'est qu'à Florence les peintres firent longtemps partie de la corporation des médecins et apothicaires, à Sienne de celle des marchands. Ou bien c'étaient des confréries religieuses, placées tantôt sous l'invocation de saint Luc, tantôt sous celle des Quatre Saints couronnés, ou encore de saint Joseph, et préoccupées d'entretenir chez leurs membres la dévotion, l'horreur des blasphèmes, l'observation des jours fériés (à Pise, au quatorzième siècle, le chifi're total de ces jours s'élevait à 4H, non compris les dimanches; à Florence pour les « legnajuoli grossi » à ()2; à Sienne, en 1441, à environ 5o; à Milan, en 14')7, à -■î."^), etc. ". 1. Dif Gesiltsrt.kifl ilcr Ri'ikiissiiiiir in Ildticii iiiid ilic Kiiiisl ; .Stuttg.irt, SpuiiKinii, 1870, p. 76 et suiv. 2. Bonaini, Slaliili incdili iMla cillii Je Fisci, dat .Ml iil .XIV seeolo; Florence. 18.^4-18.17, LES CORPORATIONS. 349 Les corporations, si florissantes aux treizième et quatorzième siècles, décli- nent au quinzième, pour céder la place, pendant le siècle suivant, aux aca- démies proprement dites'. A Florence, les ortèvres et les peintres continuèrent de faire partie des sept grands arts, réunis qu'ils étaient, les premiers à VArlc dclla Scia (l'art de la soie), les seconds à VArte ciclli spccuili c iiiedici (l'art des épiciers et médecins). Les Macsiri di iiiiirare et les Macstri di h'i;nauic ou Legnaiiioli (statuts de 1394) formaient au contraire un des quatorze Arti iiiiiiori'. On comptait en outre l'Académie de Saint-Luc, fondée au commencement du quatorzième siècle. Sienne possédait les corporations des peintres (statuts de i3.^5), des orfèvres (statuts de i36i), des Maestri di pietra ou Miiratori (statuts de 1441), des Falegnaïui (charpentiers et menaiisiers; statuts de 1446). A Pérouse, les cor- porations d'artistes étaient groupées comme suit : « ars magistrorum lapidum et lignaminum » (i.-^H?); — « ars pictorum » (loOti); — « ars aurificum » (i.i?i; remontant à 1296, d'après Mariotti), et « ars miniatorum » (1438) '■. A Rome, la confrérie de Saint-Luc s'organisa en 1478, sous les auspices de Sixte IV'. A Parme, nous signalerons la corporation des charpentiers (1424); à Crémone, celle des peintres (14711); ■' P-^doue, celle des peintres également (1441), ainsi qu'à Gênes (1415). A Venise, un règlement de 1412 établit une distinction fort nette entre la corporation des Tcigliapietra ou Scarpellini (tail- leurs de pierre) et celles des Muratori ou Marangoni (maçons et charpentiers"'). Ces statuts sont en général des prescriptions édictées dans l'intérêt de la corporation et des mesures destinées à sauvegarder les intérêts du public, du client; nous dirions aujourd'hui, du consommateur. On y trouve de nom- breuses garanties pour la bonne et loyale exécution des travaux; puis l'inter- diction de prendre à son service un compagnon ou un apprenti sans l'aveu de son ancien patron; celle d'accepter un travail précédemment confié à un confrère sans le consentement de ce dernier. Un autre point siu' lequel tous les statuts sont d'accord, c'est l'institution de banquets confraternels, l'ordre de visiter les confrères malades, d'assister aux obsèques, etc. A Crémone, les statuts détendent d'exécuter des peintures représentant quelque action ou figure déshonnète ou pouvant donner un mauvais exemple : « picturas facientes t. III, p. 879-880. — Morhio, Coilicc Visconlco-Sfoiicsco, p. 383. — Milancsi, Dociinicnti pcr la sloria dAVArte seiicse, t. I, p. ii3. 1 . La bibliographie des principaux statuts a été dressée par M. Manzoni . Bihliognijui di-gli Stiitiiti, oiiliiii e leggi dei miiiiicipii iUdiaiii. Bologne, 1876-187Q. 2. (Gori), La Toscana illiistrata iwUa sua sloria ; t. I, p. 181, Livourne, 17.Ï.5. — En 1436, après l'achèvement de la coupole du dôme, la corporation des maçons de Florence eut l'audace de faire emprisonner Brunellesco pour avoir fait œuvre d'architecte sans avoir été reçu au préalable membre de la corporation. (Dohme et Semper, Bnaiellesco. p. iq.) 3. Marchesi, // Caiiihio di Pfnigia; Prato, i853, p. i86-l8g. 4. Les Arts à lu Cour des Papes, t. III, p. yg-l 1 1 . .S. Sagredo, Sulh cousorlerie délie Arti edifieative in l'eue^iu. \'enise, 18.S7. 35o lllSTDlKi: ni-: L'ART PFAnANT LA Ri:\AlSSA\CE. denionstrationem alicujus inhoncstatis et m;ili excmpli' ». A côté de dispo- sitions très sages et très humaines, on note un tond de mesures vex.itoires contre les étrangers, qui ne peuvent s'établir dans une ville sans se faire agréer à la corporation. (Qui ne se rappelle, à ce sujet, les misérables querelles de l'Académie de Saint-Luc de Paris avec l'Académie royale de Peinture et de Sculpture pendant toute la durée du dix-septième siècle!) Pétaient exclus des charges ceux qui ne savaient ni lire ni écrire (les « inalt.ibeti », comme on dit en Italie), les entants illégitimes, etc. Y a-t-il eu à l'époque de la Renaissance plus d'artistes que pendant les âges suivants ou une técondité plus grande? On éprouve cette illusion quand on envisage la masse prodigieuse d'ouvrages intéressants qui ont pris naissance au quinzième siècle (palais, églises, mausolées, statues, retables se chittrant par centaines) et qui font aujourd'hui encore de l'Italie un musée étourdissant de richesse, quoique les musées des deux mondes se soient formés à son détriment. Mais il suffit d'un examen sommaire pour se convaincre que le nombre des artistes du quinzième ou du seizième siècle n'était pas plus élevé que celui de leurs successeurs du dix-septième, du dix-huitième et surtout du dix-neuvième siècle, et que ces artistes ne produisaient pas plus que ceux de nos jours. Seulement le revirement du goût en faveur des Primitifs nous f;tit trouver dans chacune de leurs œuvres une page intéressante, multipliant ainsi à Pintini nos jouissances, tandis que nous passons pleins d'ennui ou d'indifiérence devant les productions du dix-septième ou du dix-huitième siècle italien, qui n'existent en quelque sorte pas à nos yeux. Rappelons brièvement quelques-uns des éléments de cette statistique : le Squarcione forma 1.17 élèves; le Francia, 210. A Sienne, en i42i'>, la corpora- tion des peintres comptait .^2 membres'; à Rome, en 1480, une cinquantaine de membres^; à Padoue, nous trouvons, pour tout le quinzième siècle, une centaine de peintres'; à Brescia, 54 peintres nés ou iîxés dans la ville"; à Gènes, en 141?, la corporation des peintres se composait de 2\ membres". — Les médailleurs sont au nombre de soixante environ; il est vrai que la plupart cumulaient avec d'autres professions. En rapprochant ces chiffres de la somme des artistes qui prennent part annuellement à nos Salons parisiens, on est tenté de les trouver bien mo- destes. Mais, défalcation faite des amateurs, de jour en jour plus nombreux, qui se parent du titre d'artistes, combien reste-t-il, pour notre époque, de 1. S.Kclii, Koli\ic pittorichc'crcmoncii, p. J.14. Crcmonc, ifî-2. 2. Milanesi, Document i per la storia ddVArte senese, t. I, p. 4.S, 49. 3. Les Arts à la Cour des Papes, t. III, p. 89 et suiv. 4. Moscliini, Délia origine e délie vicende délia Pittiira in Padora, p. 20 et suiv. Padoue, 1826. 5. Fenaroli, Diiionario degli Artisli Inaiiiiiii. Brescia, ll!77. 6. Voy. ci-dessus, p. ly!'. STATISTIOLli DES ARTISTES. maîtres a^'ant jeté des racines dans l'organisation sociale, comme l'avaient fliit ceux du quinzième siècle, se rattachant intimement à la vie d'une cité, aux fonctions religieuses, civiques, formant les rouages essentiels de la machine publique ? Quelque cinquante peintres trouvaient alors simultanément une occupation régulière et utile dans une petite ville de province de trente ou qua- rante mille habitants. Quelle preuve du prix qu'on attachait à l'art, et de sa raison d'être ! Le quinzième siècle n'a pas compté que des artistes de talent : les médiocrités abondaient comme à toutes les époques. Mais le courant général les soutenait, de sorte que l'on trouve de l'intérêt aux productions d'un quattrocentiste même intime, alors que l'on ferait à peine aux tableaux similaires d'un artiste du dix-septième siècle l'honnem- de les accrocher dans quelque hôtel garni, ce dernier refuge des réputations déchues. Je veux, du reste, qu'il soit bien entendu ici dès le principe, et j'en prends l'engagement formel vis-à-vis de mes lecteurs, que jamais je n'admirerai un ouvrage uniquement parce qu'il date du quinzième siècle, si son auteur n'a pas fiit preuve en même temps de quelque qualité transcendante. Il tant avoir le courage de proclamer que nos musées regorgent de productions du quinzième siècle absolument indignes d'intérêt. C'est un point sur lequel je suis forcé de me séparer de bon nombre de mes confrères, tant français qu'étrangers, qui, à mon avis, confondent l'archéologie avec l'histoire de l'art, et qui se croient autorisés à admirer une croûte pour peu qu'elle ait quatre cents ans de date, confondant cette poésie que le temps met sur toutes choses avec la valeur propre, le mérite immanent, de pro- ductions hors ligne. En ce qui touche l'éducation des artistes italiens à l'époque de la Première Renaissance, je puis me borner ici à quelques traits généraux, renvoyant le lecteur, pour de plus amples informations, à deux pubUcations antérieures '. En principe, le jeune homme qui se destine à devenir architecte, peintre, sculpteur (on dirait aujourd'hui à suivre la carrière des arts), doit entrer presque enfant, à dix ans, voire à huit, dans l'atelier d'un maître et y rester le plus longtemps possible; l'enseignement qu'il reçoit est rigoureusement pro- fessionnel et spécial ; les cours publics, analogues à ceux des universités, les écoles des beaux-arts dans le genre de celles du dix-neuvième siècle, les musées même, autant d'institutions inconnues à cette époque tout empirique. Trois étapes bien caractérisées, l'apprentissage, le compagnonnage, la maîtrise, marquent au quinzième siècle le début de la carrière de tout artiste. La durée des deux premières épreuves, surtout de la seconde, était assez variable. Chez le peintre florentin Neri di Bicci (7 14') 1), dont l'atelier était fort fréquenté, les apprentis s'engageaient en général pour une période de deux 1 . Riipbiuil, sa vie, son ceuvre cl son temps. — Lu Rcndissaiicc au temps lie Charles VllI. 352 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. à trois ans. Quelques-uns restaient plus longtemps, six, sept ou huit ans; mais beaucoup aussi se sauvaient clandestinement au bout de peu de mois '. A Padoue, le règlement de la corporation des peintres détendait d'accepter lui apprenti poiu' une durée de moins de trois ans, et il fallait que le contrat d'apprentissage fût passé par-devant notaire'. Si Michel-Ange recevait déjà un salaire chez Ghirlandajo (o florins la première année, 8 la seconde, lo la troisième), c'est qu'il comptait quatorze ans en entrant chez lui et qu'il pouvait passer pour un compagnon au moins autant que pour un apprenti ''. Un des faits les plus caractéristiques de l'histoire des arts à cette époque, notamment à Florence, c'est le passage par l'atelier des orfèvres de la plupart des artistes célèbres, Brunellesco, Donatello, Ghiberti, Ghirlandajo et tant d'autres. C'est que l'orfèvre de la Renaissance, a dit en termes excellents le regretté Charles Perkins, était obligé, comme celui du moyen âge, de connaître la théorie et la pratique de tous les arts, car il lui fallait les pratiquer tour à tour sur une petite échelle, pour fltçonner et poin' orner les châsses, les calices, les candélabres et les divers autres ouvrages taisant partie de l'ortèvrerie d'église et de la vaisselle de table, qu'il était appelé à exécuter. « L'orfèvre travaillait en architecte, quand il fltconaait des niches, des colonnes, des pilastres, des fenêtres ou des frontons ; en sculpteur, quand il modelait des statuettes et des bas- reliefs; en orfèvre, quand il ciselait des figures ou des ornements de petites dimensions; en peintre, quand il disposait des émaux destinés à relever la beauté de la forme par la richesse du coloris; et en graveur, quand il travaillait l'or ou l'argent avec la pointe ou le burin. Se servant des matériaux les plus divers, il se voyait obligé de savoir marteler le fer, couler en bronze, ainsi que nettoyer et polir les ouvrages en métal provenant de l'enclume ou sortant de la fournaise. 11 va sans dire qu'avec des connaissances aussi étendues, l'orfèvre de la Renais- sance était de tous les artistes le plus capable de donner à ses élèves une éducation qui leur permît d'embrasser une branche quelconque de l'art sans crainte d'y paraître insuthsants. On le considérait comme le maître par excel- lence, puisque les meilleurs architectes, sculpteurs et peintres d'alors sont sortis de ses ateliers. Ayant appris pendant leur initiation à manier des matières dont la nature ne comporte pas le travail hâtif, ils en avaient rapporté ces habitudes de patience et de précision dont les résultats se manitestent dans les chefs-d'œuvre qui sont l'orgueil des musées ou des collections privées de nos jours '. )> Le trait le plus saillant .\ coup sûr de l'éducation des quattrocentistes, c'est leur universalité. A aucune autre époque, dans l'histoire des arts, on ne ren- 1 , Vasari, t. II, p. K^-go. 2. Gaye, Carteggio, t. II, p. 4.^. ,3. Vasari, édit. Lcmonnier, t. XII, p. 160. 4. Perkiiis, Ghik-iii d son kok, p. 5, 6. Ci", le Voyageai Italie de M. Tainc, t. II, p. 1."^. LORFEVRE DE LA RENAISSANCE. 353 contre des organisations aussi véritablement encyclopédiques, s'attaquant aux branches les plus diverses et excellant dans toutes, à la fois grartds architectes, grands sculpteurs et grands peintres, parfois encore, pour comble, grands savants ou grands poètes, en un mot des Alberti, des Léonard ou des Michel- Ange. Cette universalité, qui s'aftirme dès le treizième siècle (Nicolas, Jean et André de Pise étaient à la fois sculp- teurs et architectes; Giotto, peintre et architecte; Orcagna, sculpteur, archi- tecte et peintre), tient, si je ne m'abuse, aux leçons de l'antiquité, à cette mé- thode si véritablement scientiiique qui avait l'avantage d'ouvrir l'esprit, de fournir la clef d'une infinité de pro- blèmes, de rendre ses adeptes également propres à tous les travaux intellectuels, grâce à la torce critique qu'elle leur communiquait. En possession de ce se- cret, les Italiens, au lieu de s'attarder au milieu de détails oiseux, allaient droit au but. Ils devinrent, pour un temps, les premiers diplomates, les premiers ingénieurs, les premiers commerçants du monde, de même qu'ils excellaient simultanément dans toutes les branches de la littérature ou de l'art. Une for- mule féconde, jointe à un certain en- traînement, à un certain essor national, il n'en follut pas davantage pour leur assurer l'empire — je parle de l'empire intellectuel — du monde. Peintres, sculpteurs et orfèvres du xv siècle. (Fragment.) C'est parmi les artisans que se recru- Fac-similé d'une estampe de Baccio Baldini. talent de préférence les artistes, et ceux- ci ne rougissaient pas d'une origine si humble. Le père du Sodoma, qui devint bien le plus aristocratique des peintres, était cordonnier; celui d'Andréa del Sarto, tailleur; Raphaël avait également pour proches parents des tailleurs; l'or- fèvre M. A. Bandinello avait pour père un charbonnier ; Fra Bartolommeo délia Porta, un charretier. La classe agricole n'a pas donné aux arts autant de représentants que la classe industrielle; mais quelques-uns des siens ont marqué au premier rang; et de E. .Miinlz. — 1. Ualiu. Les l'runilifs. 45 354 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. fait, pour changer la pelle ou la bêche contre le pinceau, il flillait une vocation énergiquemenf dessinée. Comme Giotto, Andréa del Castagno et Mantegna avaient, dans leur enfance, gardé les brebis; Andréa Sansovino avait commencé, lui aussi, par être pâtre ou bouvier; il en tut de même de Beccatumi, l'habile dessinateur du pavement de la cathédrale de Sienne. De telles vocations ne prouvent-elles pas que la nature elle-même pousse à tout instant dans cette voie et que l'art n'est pas seulement le produit d'une civilisation plus ou moins raffinée ? Beaucoup plus rares à cette époque, dans le camp des artistes, sont les fils de fonctionnaires : c'est que d'ordinaire leurs parents, sacrifiant à un préjugé qui n'a disparu que de nos jours, s'opposaient au choix de ce qu'ils considéraient comme un métier, comme une déchéance. Citons, parmi les maîtres appartenant à cette catégorie, Brunellesco, Léonard de Mnci, Michel-Ange. Quant à la noblesse, si le dépouillement auquel je me suis livré est exact, elle n'est représentée au quinzième siècle que par deux artistes de marque : l'un, c'est Léon-Baptiste Alberti, l'autre le médailleur Baldassare d'Esté, un des nombreux fils naturels du marquis Nicolas de Ferrare. , Les diletlûiiti proprement dits feront leur apparition plus tard, au seizième siècle, lorsque l'art aura fini par devenir l'expression de la ftntaisie individuelle, au lieu de continuer à former un des rouages de la vie sociale ; tel sera Melzi, l'élève de Léonard de \'inci. L'Eglise qui, dès ses origines, avait pris l'art sous sa tutelle , bien qu'elle fût loin, pendant le moyen âge, de s'en être assuré le monopole ', comme on l'a souvent affirmé, l'Église produisit au quinzième siècle un brillant essaim d'ar- tistes, en grande partie des Dominicains : Lorenzo Monaco, Fra Angelico, Dom Clémente d'Arezzo, Fra Bartolommeo délia Gatta et Fra Bartolomnieo délia Porta, Fra Carnevale d'Urbin, Fra Giocondo, l'esthéticien Francesco Colonna et tant d'autres, pour ne point parler du très habile peintre et du très mauvais moine qui avait nom Fra Filippo Lippi '. Il ne fout d'ailleurs pas perdre de vue que, pendant toute cette période, la sculpture et la peinture se consacrent encore principalement au service de la religion. Rien ne saurait montrer plus clairement que l'exemple du clergé italien quel intérêt une ville ou une corporation peut trouver à la culture exclusive d'un art, surtout de ces arts dans lesquels la perfection technique l'emporte sur l'invention ou sur le stvle : pendant tout le quinzième siècle la peinture sur verre fut dans la Péninsule l'apanage des moines, Dominicains, Franciscains ou Bénédictins; nommons Stefoni de Florence, au service de P. Guinigi, seigneur 1. Ce fait a L'té ùtabli, chiffres en ninin, par M. A. Springer : Di' Aiiiju-ihus iiionachis et Jaicis medii levi. Bonn, 1861. 2. Il est il peine nécessaire de rappeler ici l'ouvrage, depuis longtemps classique, du P. Mar- chese : Mctiiorie dci piii insigiii pilloi i , sctdtoi i c iirchiUili doiiuiiicani ; 4" édit. Bologne, 187H- 1879. SITIATION SOCIALE DES ARTISTES. de Lucques (1414); le frère Jacques d'Ulm, fixé à Bologne, le frère Bernardo, Fra Giovanni de Rome, Doin Barone de Pérouse, Fra Cristofino et Fra Ber- nardo de Florence, appelés à Arezzo en 1477, le frère Agostino da Gavi, qui exécuta, en 1490, les fenêtres du palais de Saint-Georges à Gènes', en atten- dant l'apparition du roi des peintres verriers, notre compatriote Fra Guglielmo Marcillat. Au siècle suivant, grâce à la continuité des ettorts, les Dominicains se rendront à leur tour maîtres de la marqueterie en bois, cette branche de la décoration monumentale, si brillante en Italie, si peu connue chez nous. Les noms de Fra Giovanni de ^'érone et de Fra Damiano de Bergame dispensent ici de tout autre éloge. Les « denunzie di béni « de Florence, en d'autres termes, les déclarations destinées à serxh de base à l'impôt sur le capital — car la Renaissance connaissait bel et bien cette forme de contributions, — nous donnent un aperçu du ménage et de la fortune d'un artiste du quinzième siècle et nous permettent de reconstituer les principales péripéties d'existences bien plutôt modestes que brillantes. Ce ne sont pas les suprêmes ambitions et les chutes profondes d'un Benvenuto Cellini : le quinzième siècle ignore cette agitation fébrile, ce besoin d'émotions; les traditions de régularité et d'économie, l'esprit bourgeois, en un mot, v dominent encore; ils impriment à la vie comme à l'œuvre de ces braves artistes-artisans un cachet d'honnêteté et d'harmonie qui ne laisse pas que de charmer. Tel est le caractère distinctif de la biographie de l'orfèvre florentin Simone di Giovanni di Simone Ghini, que je demande à mes lecteurs la per- mission de leur présenter. Né en 1406 ou en 1407, Simon se lit recevoir, en 1420 (ainsi à l'âge de seize. ou dix-sept ans), membre de la corporation des orfèvres de Florence, en même temps que son frère Rinaldo Ghini. S'il put obtenir la maîtrise si jeune, c'est que son père, orfèvre comme lui, l'avait instruit dans son art. Il ne tarda pas à se rendre à Rome pour s'y perfectionner. Nous l'v trouvons établi en 1427, et il semble y avoir résidé jusque vers 1440. Son patrimoine se composait, en 1427, de créances évaluées à 60 florins, de bardes et d'ustensiles d'une valeur de 40 florins, enfin d'une petite pièce de terre alors en friche. C'étaient, on le voit, d'humbles commencements. Nous devrions essayer ici de déterminer le rôle joué à Rome par le jeune orfèvre florentin. Est-ce lui ou son sosie, Simone di Giovanni, qui a exécuté la dalle tombale de Martin V, qui a collaboré avec Filarete aux portes de Saint-Pierre, qui a joui durant trente ans de la faveur des papes? Mais ces recherches nous entraîneraient loin de notre sujet. Qu'il suffise de savoir que les déclarations de biens de Simon Ghini nous le montrent, en 1457, fixé à Florence, habitant, avec son frère Rinaldo, une maison de la valeur de .^:io florins, qui lui avait été I. Belgrano, Di'lla Vita privala dei Geiiovcsi ; 2' Odit., p. .Î2. 356 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. apportée en dot par sa femme; il possédait dans la même ville une autre maison, estimée 140 florins, et sur le territoire de Prato une troisième maison avec quelques champs. D'argent comptant, il n'en est pas question, pas plus que de marchandises; mais nul doute que Simone n'en eût une ample pro- vision, car à travers les doléances inséparables des « denunzie di béni » on devine une prospérité relative. La famille du maître se compose à ce moment de sa femme, plus jeune que lui de dix-sept ans, d'une fille âgée de sept ans et demi, d'un fils âgé de trois ans et demi. Notons, à ce sujet, que rien n'est plus fréquent, chez les artistes de ce temps, que la mention d'enfonts illégitimes. Le père de fimille, comme les patriarches, sans le moindre scrupule et le plus naturellement du monde, les élève chez lui avec leurs frères ou sœurs procréés en légitime mariage. Un autre trait de mteurs curieux, c'est la présence, chez bon nombre d'artistes ou d'artisans, d'esclaves qu'ils achètent et revendent selon leurs convenances. La « schiava » qui appartenait par indivis à Simone et à Rinaldo était une Circassienne de vingt-deux ans, du nom de Catherine; elle avait coûté 42 florins. Plus tard, les deux frères acquirent une Russe, nommée Julienne, âgée de trente-deux ans, au prix de 5(> florins. Je n'insiste pas sur ces habitudes peu dignes d'une société civilisée, d'une société chré- tienne : on sait, grâce aux révélations de M. Bertolotti, qu'à Rome l'esclavage a subsisté jusqu'en plein dix-huitième siècle. La biographie de Simone Ghini est celle de la plupart de ses confrères du quinzième siècle : une carrière laborieuse, la crainte constante de succomber sous les charges de ftmille ou sous les charges publiques, un grand éloigne- ment pour les aventures. Autant leurs successeurs du seizième siècle ont l'Iiumeur curieuse et impétueuse, autant ils montrent de liberté vis-à-vis de leur entourage, autant les artistes de la Première Renaissance aiment à se concentrer et à se recueillir; l'esprit, la verve, la fougue, leur sont inconnus; ils ne cherchent pas à étourdir leurs clients par de hautes conceptions ou des tours de force de l'ordre technique, mais à les charmer par des qualités tout intimes : la pureté du dessin, la délicatesse de l'invention, et je ne sais quelle bonne foi que l'on chercherait vainement dans les œuvres brillantes de Ben- vcnuto et de son école. Dès ses débuts la Renaissance connut toutes les ressources, on serait tenté de dire tous les raffinements, de l'organisation du travail. Elle pratiquait la collaboration sur la plus vaste échelle, et de foit nulle époque n'ignora plus complètement le principe — tout moderne — de la propriété artistique. De même qu'un peintre ou un sculpteur n'hésitait pas à copier l'œ'uvre de son confrère, prenant son bien partout où il le trouvait (Raphaël lui-même ne recula pas devant ces emprunts, nous dirions aujourd'hui ces plagiats), de même aussi un maître en vue n'hésitait pas à s'adjoindre des auxiliaires parfois plus célèbres que lui. Dès les premières années du quinzième siècle, nous voyons L'ORGANISATION DU TRAVAIL. 357 Ghiberti grouper autour de lui, pour l'exécution des portes du Baptistère, des artistes de la valeur de Donatello, de Ciuffitgni, de Paolo Uccello, de Michelozzo Michelozzi', etc. Une trentaine d'aides vinrent ainsi successivement travailler sous ses ordres. A quelques années de lï se forme l'association de Donatello et de Michelozzo, association si féconde, à laquelle nous devons les tombeaux du pape Jean XXIII, du cardinal Brancacci, de Bartolommeo Arrigazzi, la chaire extérieure de la cathédrale de Prato, et qui eut surtout pour effet de discipliner pendant un lustre ou deux le génie impétueux de Donatello. Celui-ci, à son tour, enrôla une phalange de sculpteurs habiles pour l'assister dans les travaux de la statue équestre de Gattamelata. Fra Angelico avait l'habitude d'emmener avec lui de ville en ville, de Florence à Rome et de Rome à Orvieto, quelque six ou huit disciples aussi habiles que dévoués, en tête desquels figurait Benozzo Gozzoli. Mais le principe coopératif fut surtout mis en action par le Pérugin : cet Ombrien si pratique organisa de véritables fabriques de peinture, avec des succursales auxquelles il venait de temps en temps donner le coup d'œil du maître '. Aussi ne peut-on que prendre en pitié les efforts de certains critiques de nos jours qui prétendent démêler dans tel retable complexe, auquel une demi- douzaine peut-être d'aides et d'élèves ont collaboré, la part d'un chacun. Ces prétentions naïves me remémorent la boutade du cardinal de Retz : « Ne doit- on pas admirer après cela l'insolence des historiens vulgaires qui croiraient se faire tort s'ils laissaient un seul événement, dans leurs ouvrages, dont ils ne démêlassent pas tous les ressorts, qu'ils montent et qu'ils relâchent presque toujours sur des cadrans de collège''. » Les idées sur la propriété artistique sont si flottantes encore, que les artistes ne signent leurs ouvrages qu'exceptionnellement et les datent plus rarement encore. Comme signatures d'architectes, on ne peut guère citer que ce dis- tique de la Bibliothèque de Césène, construite par Matteo Nuti (14.^2) : Maltais Nutiiis Fan (ensi) ex tirhe creatus DedaJus aller opiis lantiim deduxit ad uiigtiein. Opiis Donatelli, — opiis Mini, — Jobainiis Dalniatae opus, — Laiirentii Cionis (le Ghilvrtis opus mira arte fahricatiim, telle est la forme de signature qu'afi"ec- tionnent les sculpteurs (la frise du portail de San Giacomo degli Spagnuoli, à Rome, porte concurremment la signature de Mino et de Paolo Romano). Les peintres — surtout les Vénitiens — signent plus souvent, notamment leurs tableaux de chevalet : Pisaiius piiixit, — Joaniics Bel Un us p., — AntoneUus Messaneus mepinxit, — Victoris Carpatio Veneti opus, 14^6. Mantegna, avec le sentiment très précis de sa valeur, ne s'est pas contenté de la formule latine 1. En 1442 encore, Michelozzo, au comble de la célébrité, consentit h tr.availler, en sous- ordre naturellement, aux portes du Baptistère. 2. Sur l'organisation des chantiers d'architecture, voy. plus loin le livre III. .1. Retz, Mémoires, édit. Charpentier, t. III, p. lo3. 358 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Andréas Maniinia C(ivis) P(atavinus) F(ecit), il a tenu à signer en grec son Saint Sebastien du Belvédère de Vienne. Quant aux marques et monogrammes, ils sont .1 peu près ignorés en Italie .\ cette époque, sauf chez les médailleurs, dont quelques-uns ne sont connus que par des marques figurées : le méd.iilleur à la Tenaille, le médailleur à l'Aigle, le médailleur à l'Espérance. Le quinzième siècle, assurément, ne connaissait pas les exigences d'une époque agitée comme la nôtre; très large en matière d'idées sur la propriété artistique, il fermait volontiers les veux sur les imitations, même sur les plagiats, lorsqu'il s'agissait d'ouvrages courants, a3'ant en quelque sorte un caractère utilitaire, tels que les images de dévotion. S'il n'est pas vrai, comme on pourrait être tenté de le croire, que les délia Robbia aient tiré à l'infini d'un même moule des épreuves de leurs bas-reliefs (chacim présente des diversités de détails et torme un ouvrage original), on peut citer néanmoins d'intermi- nables séries de sculptures inspirées du même modèle. Prenons dans V Annon- ciation aux Bergers, sculptée par Antonio Rossellino pour l'église de Monte Oliveto à Naples, la scène si curieuse des anges qui dansent une ronde : elle a été copiée à l'envi par les délia Robbia, dans des bas-reliefs restés en Italie, ou entrés dans les musées de South Kensington à Londres et de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg'. La ronde d'anges de Rossellino était devenue, dit à ce sujet M. Molinier, un véritable cliché. Il arrivait que les artistes et le public s'engouaient, non plus seulement d'une idée, mais d'un type, d'un geste, d'une attitude : on la copiait alors sans scrupules. C'est ce qui arriva pour les anges de Verrocchio, au monument de Forteguerra (dôme de Pistoia) : ils furent répétés presque textuellement dans un « ciborio » de l'église Santa Maria di Monteluce près de Pérouse; puis par les délia Robbia (églises de Lamporecchio, de San Casciano, etc.), jusque dans leur Nativité, de l'an i52i, au Musée national de Florence. Mais vis-à-vis d'artistes supérieurs on affichait d'autres prétentions, et j'ajou- terai que Michel-Ange, par sa susceptibilité maladive et son humeur ombra- geuse, réveilla sur ce point la conscience publique. Un des premiers il se révolta contre la production véritablement industrielle du Pérugin; plus tard il reprocha à Raphaël ses emprunts peu déguisés. Bref, au fur et à mesure que la production de l'œuvre d'art cessa d'être populaire et spontanée pour devenir raisonnée, savante, on serait tenté de dire artilicielle, on demanda davantage à l'artiste d'affirmer sa supériorité par la nouveauté de l'invention. Quel que tùt leur enthousiasme pour les productions de l'art, les Mécènes du quinzième siècle n'eurent jamais l'idée de placer l'artiste sur la même ligne que l'humaniste. Le fiiit seul que le premier exerçait un métier manuel suffisait pour le frire déchoir dans leur estime. On pourrait rapporter des centaines de traits étabHssant que l'artiste .'i cette époque était souvent rétribué d\\nc fiçon I. Civ.ilkiLci et Moliniur. As Dclla Robbia, p. Ux). Cf. l.i Clnoniquc 24l), M. Milanesi, dans son édition de Vasari, t. II, p. 4^8, Des extraits plus ou moins étendus du Traité ont paru dans le Carleggio de Gaye (t. I ), dans les Mémoires de la Société nationale des Antiquaires de France (1879, p. 8(:-87, 142- 14.1), dans les Arts à ta cour des Papes (t. I, p. 90, t. II, p. 291-298). 364 HISTOIRE DE E'ART PENDANT LA RENAISSANCE. sur 1.1 perspective et sur les couleurs, sur les artistes passés et présents, sur l'astrologie et sur la morale. Le trait dominant de son ouvrage, c'est l'hostilité pour le style gothique, qu'il condamne formellement. Comme contre-partie nous constatons une admiration sans bornes pour l'art des anciens. Fila- rete ne se borne pas à entrer dans les détails les plus minutieux sur les qualités des matériaux, la manière de les assembler, la configuration des édi- fices, etc., etc., il s'eftbrce encore de déduire de chaque membre d'architecture une sorte de moralité plus ou moins naïve, pour ne pas dire niaise : c'est ainsi qu'il place dans sa ville idéale le palais du Capitaine à côté de la place aux Herbes, afin d'inspirer une terreur salutaire, « per dare terrore aile persone ». Parfois il s'essaye dans des problèmes d'esthétique transcendante : à ses yeux les proportions des édifices découlent de la configuration du corps humain. S'occupaiit de fliire décorer cette cité qui n'a jamais existé que sur le papier, il indique aux peintres les sujets qu'ils auront à traiter : des scènes tirées des Métamorphoses, puis les Six âges du monde (représentés par Adam, Noé, Abraham, Daniel (David?) et Salomon, Cambvse, Jésus-Christ). Chemin tai- sant, il nous communique une foule de notices sur les artistes de son temps, bien différent en cela d'Alberti et de François Colonna, qui évitent de pro- noncer le nom d'un contemporain, perdus comme ils le sont dans la contem- plation du passé. Ajoutons que si le Traité de Filarete a acquis une certaine réputation, il le doit précisément à ces informations biographiques : il a eu la bonne fortune, en effet, d'être mis à contribution par l'écrivain en qui se résument la critique artistique et l'esthétique de la Renaissance parvenue à son plein développement, et qui a en OLitre créé l'histoire de l'art : le lecteur a nommé Georges Vasari, l'immortel auteur des J'ite. L'Hypnerotoiiiachia Polipbili', ou Songe de Polyphilc'-, le plus célèbre des livres d'art du quinzième siècle, forme un contraste complet avec l'élucubration si 1. Titre forgé à l'aide de mots grecs et qui signifie « Combat d'amour en songe )>. 2. Le Songe ik Pciyphiic, d'abord rédigé en latin, puis traduit en italien par l'auteur même, a été publié pour la première fois à Venise en 1499, chez Aide, puis de nouveau en 1.S4.5. Une traduction française a paru à Paris en 1.546 d'abord, puis en l55l, 1.504, '56l ; on en compte en outre une édition retouchée par Béroalde de Verville (Paris, 1600; 1657); une traduction libre due a I. G. le Grand (Paris. 1804; Parme, l8il); enfin une traduction complète a été entreprise par M. Claudius Popelin (Paris, Lisicux, 188.1). L'ouvrage a été également traduit en anglais (Londres, 1592). Les meilleurs commentaires modernes sur cette élucubration bizarre sont ceux de Fiorelli {Ktcinc Schiifleii, t. I, p. 1.53 -189 ; Gcettingue, i8o3), de M. SAnx\, Rieoido di Fra Francesco Colonna (Venise, 1837 : Discorsi letti iiella I. R. Accademia di Belle- Artt), du P. Marchese (A/iwor/i; dei piit iiisigiii ...domcniain!); de M. l\g {Uchcr den Kunst-hislon'cheii Werlb der Hypnèiolomacliia Poliphili (Vienne, Braumùller, 1872); de M. Fillon {Quelques mots sur le Songe de Poliphile. Paris, duantin, 1879, extr. de la Guietle des Beaux-Arts^; de M. Claudius Popelin, en tête de sa traduction ; enfin de M. Charles Ephrussi {Etude sur le Songe de Poli- phile. Paris, Techener, 1888). On connaît la jolie nouvelle de Charles Nodier : Frauciscus Colunma. Nous étudierons ailleurs les merveilleuses gravures sur bois auxquelles le Songe de Polyphile a dû une partie de sa réputation. LE >. Par un artifice ingénieux l'auteur cacha son nom et celui de sa bien- aimée — ne serait-ce pas sa muse? — dans les initiales des chapitres qui com- posent son livre : en les réunissant on obtient cette phrase : Poli.im fr.\ter Franciscvs Colvmxa peram.wit, — le frère Francesco Colonna aima Polia. On trouverait difficilement chez Colonna une théorie logiquement déduite et formulée avec netteté. Cette époque répugnait aux abstractions ; le charme infini des Primitifs vient précisément de ce qu'ils flottent perpétuellement entre les thèses les plus diverses, ignorant eux-mêmes tout ce qui ressemblait à un système. L'importance du Songe réside d'abord dans la part faite à l'esthétique proprement dite, science à peine entrevue par les prédécesseurs de Colonna, puis dans les efforts de l'auteur pour créer le vocabulaire de la critique d'art (c'est la première fois, ainsi que M. Ilg l'a fait observer avec raison, qu'un Gravure tirée Jii .So«i,'i; de Polyfhik. (Venise, i^iji).) 366 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. auteur s'applique à décrire dans une langue souple et colorée jusqu'aux moin- dres détails des monuments d'art); enfin et surtout dans ses tentatives pour remettre en honneur les chefs-d'œuvre de l'antiquité, la sainte Antiquité (ce sont SCS expressions), dans cette vision éblouissante du monde romain, avec la magnificence de ses édifices, le luxe de sa polychromie, la variété des repré- sentations plastiques, ce régal de tous les instants pour les yeux et pour l'esprit. Assez d'autres à cette époque ont compilé Vitruve et Pline : ce qui foit l'originalité et, nous pouvons l'ajouter hardiment, le charme du So)ii;c de Pol\- pliilc, c'est la fraîcheur d'impressions qui y règne d'un bout à l'autre, l'expres- sion de l'amour pour Polia, — amour fictif ou réel, peu importe ici, — la poésie des ruines envahies par la végétation exubérante que le frère Colonna sait si bien décrire, grâce aux leçons de son maître Ermolao Barbaro, le savant évêque de Trévisc', enfin l'évocation du monde sans bornes de l'ornemen- tation antique, dont nul autre ouvrage n'offre un tableau aussi riche, aussi vivant. On pense aux amoncellements d'ornements chers aux sculpteurs de la haute Italie, à ces pilastres de la « Madonna dei Miracoli « de Brescia, où l'artiste, à force de vouloir tout dire, sacrifie la moitié de ses effets. A travers ces descriptions prolixes et ces digressions sans fin, une idée, un principe d'esthétique, se dégage plus nettement que tous les autres : je veux parler de la recherche de I'eurythmik, de la symétrie, de I'har.vionie, de cet équilibre, de cette pondération, qui viennent en tète des conquêtes réalisées par la Renaissance. Fra Francesco, un des premiers, met en lumière les ana- logies de l'architecture et de la musique". Je m'empresse d'ajouter qu'il corrige par la richesse de l'ornementation la sécheresse que la recherche exclusive de la pureté des lignes menaçait d'introduire dans l'architecture. Pour lui, des statues et des bas-reliefs à profusion, des incrustations précieuses (il préconise tous les raffinements de la polychromie et s'étend longuement sur les avantages de la peinture en mosaïque), des cariatides, des trophées, des obélisques, dont l'un a pour base le dos d'un éléphant, des colonnes rostrales, bref toutes les inventions du génie grec et du génie romain, viennent étendre leur broderie éblouissante sur la trame primordiale ou, pour parler comme lui la langue de la musique, tormer autour du thème des variations sans fin. A l'exemple des anciens, Colonna voit partout des intentions symboliques : les cannelures des colonnes sont destinées, d'après lui, à indiquer les temples des déesses, les stries imitant le vêtement plissé des femmes. Quant aux chapi- teaux placés au sommet des colonnes, avec leurs volutes saillantes, « ils figurent 1. Vov. ci-dessus p. i-3. 2. « C'est pourquoi j'ai parlé en maint endroit de l'objectif de l'architecie, de son but principal, qui est l'établissement de l'éditicc d'une façon harmonique. L'architecte, en etiet, le peut résoudre en menues divisions, ni plus ni moins que ne fait le musicien lorsque, ayant trouvé l'intonation, il mesure le temps sur une longue et le proportionne alors en divisions chromatiques qu'il reporte sur la note solide. » (Traduction Popelin. t. I, p. 67-68.) LE « TRAITÉ » DE PIERO DELLA FRANCESCA. 067 la coiffure contournée et l'accoutrement féminins ». Ailleurs, ce théoricien fantaisiste essaye d'appliquer à l'architecture je ne sais quel système d'anthropo- morpiiisme : « Les autres colonnes, dit-il, étaient corinthiennes, d'une élégance inconnue, d'une grosseur et d'un poli modérés, ainsi que le requérait la symé- trie, que l'exigeait l'ornementation, en rapport exact avec la ressemblance humaine. Car, puisque l'homme ayant à soutenir un pesant flirdeau doit avoir de larges pieds sous de robustes jambes, il faut, dans une construction bien réglée, attribuer les colonnes primitives au soutènement et les colonnes corin- thiennes et ioniques aux parties les plus grêles, à la parure de l'édifice. Ainsi donc, toutes les parties, selon que le réclamait l'harmonie de la construction, conservaient une élégance normale '. » On a contesté l'influence du Songe Je PolxphUe sur le développement de la Première Renaissance : il est certain que, publié en 1499 seulement, il a paru au moment où celle-ci avait déjà dit son dernier mot et que son action s'est prin- cipalement exercée sur les contrées en retard, notamment sur la France, où il a joué un rôle prépondérant. Mais ce que nous nous proposions de rechercher ici, ce n'était pas tant la propagande faite par ce livre bizarre, que la manière dont son auteur a formulé les idées du temps, ce mélange d'imagination et d'érudition, ce rapprochement incessant de l'art et de la nature, les observations sur la botanique qui alternent avec la discussion des règles de Vitruve, cet enthousiasme sans bornes pour l'antiquité. A telles enseignes on n'eût pu souhaiter un interprète plus savant ni plus ému que le frère François Colonna. Le Traité de Perspective de Piero délia Francesca (dédié au duc Guidobaldo d'Urbin, monté sur le trône en 14H2) est l'ouvrage d'un mathématicien plutôt que d'un artiste. Une copie ancienne, conser\'ée à la Bibliothèque nationale de Paris -, offre surtout de l'intérêt pour les dessins qui l'accompagnent et qui reproduisent très certainement des originaux de Piero. Certaines têtes se dis- tinguent par les formes osseuses, le modelé serré, propres au peintre de Borgo San Sepolcro. Signalons également les bases des colonnes des folios 46, 4H, 4g v", les chapiteaux des folios 5o, 53, 56, et une vue de palais. Le passage le plus curieux du Traité, au point de vue qui nous occupe, est celui où l'auteur proclame la supériorité des peintres anciens, Aristomène de Thasos, Polyclès l'Adramitain, Apelle. « Si de nos jours, ajoute-t-il, certains prétendus artistes s'attachaient à cette manière de peindre, au lieu de rechercher les applaudissements des ignorants, ils parviendraient à cette célébrité que les siècles ne peuvent obscurcir, et qui reçoit chaque jour un nouvel éclat du suffrage des hommes compétents. » Cet extrait nous montre que Piero délia Francesca, malgré son naturalisme, s'inclinait devant la tradition classique : à ses yeux, comme à ceux de ses con- 1. Traduction Popclin, t. I, p. 71. 81-82. 2. Oiiouiqitc des Arts, l'fr'q, p. 424-426. — Cl'. Schniarsow, MeIo:(^o du Forli, p. 347. 368 IIISTOIR1-: \)K L'ART l'ICNDAXT LA RLNAISSANCE. temporains, il n'y a rien au-dessus d'Apelle, engouement d'autant plus focile à comprendre que le quinzième siècle admirait la peinture grecque de confiance, sans en avoir jamais vu le moindre spécimen. Comparé à Alberti, à Filarete, à Piero dcUa Francesca, à Francesco Colonna, Ghiherti représente l'histoire de l'art. Le premier, à l'aube de la Renaissance, il essaya de se rendre compte de l'essor des arts dans l'antiquité, de leur abaissement après l'invasion des Barbares, de leur rénovation au treizième siècle, avec Nicolas de Pise, avec Giotto, avec nos statuaires français. Pour l'antiquité, Ghiberti s'est borné à compiler Pline d'une part, Vitruve de l'autre. Je me hâte d'ajouter que l'érudition du sculpteur florentin n'est pas des plus profondes, bien qu'il aftecte de dédaigner l'ère commune, et ne compte que par olympiades. N'a-t-il pas l'audace d'affirmer — pour ne citer qu'un exemple — qu'après la ruine du paganisme, les chrétiens édictèrent des peines sévères contre l'auteur de toute statue ou fresque ! Les temples — il le déclare formellement — restèrent nus pendant six siècles. Enfin les Grecs (les Byzan- tins), dit-il, reprirent faiblement l'art de la peinture; « mais autant les anciens étaient habiles, autant les Grecs se montrèrent grossiers et maladroits ». Ghiberti s'aventure sur un terrain moins dangereux quand il raconte les péripéties de la grande révolution à laquelle Giotto a donné son nom, et qu'il dépeint les eflbrts de ses successeurs, André de Pise, le Giottino, Taddeo Gaddi, Simone di Martine, Ambrogio Lorenzetti. Il énunière leurs œuvres, et signale les progrès réalisés par chacun d'eux', avec des observations parfois assez piquantes. I. Les Coiiiiiwntaires de Ghiberti, conservés en manuscrit à ki Bibliotliéque nationale de Flo- rence (copie du xv° siècle), ont été publiés dans le texte original par les éditeurs du Vasari- Lemonnier (t. I) et par M. Frey; ils ont été traduits en français par Charles Perkins dans sa monographie du maître. La Bibliothèque de Florence contient en outre un Traité d'Architecture, avec force dessins à l'appui, dont bon nombre d'auteurs font également honneur à Ghiberti. Une copie (moderne) de ce second ouvrage se trouve à la Bibliothèque de l'KIcolc des Beaux- Arts de Paris. On a lu ci-dessus (p. iôy) la description de la statue d'HeriiiapIjroclile trouvée à Rome en présence de Ghiberti. ^Tr^ Tête de moine. (Fragmenl d'une fresque de B. Gozzoli.) L.v Porte de Crémone. (Musée uu Louvre) E. .Mûnlz. — I. Italie. Les l'iiniilifs. Fragment dune corniche de Tulllo Lomhardo. (Kttlise Sainte-Marie ties .Miracles à Venise.) CHAPITRE I LH STVLH GOTHIQUE ET LE STYLE DE LA PREMIERE RENAISSANCE. L ARCHITIXTE DU aUINZlÈME SIÈCLE. ORGANISATION DES CHANTIERS. LA CONSTRUCTION ET SES DIFFÉRENTS ÉLÉMENTS,. LA VOUTE, LA COLONNE, l'eNTABLEMENT, LES PORTES F.T LES FENETRES. LA POLVCHRO.MIE. l'oR\|;.\1E\TATION. clui des arts qui, pour rùpoquc Llont nous nous occupons, semble montrer le moins d'originalité et de puissance, c'est celui qui d'ordinaire donne le ton aux autres, l'archi- tecture. La conviction, la cohésion, le sérieux, l'ampleur, parfois même la liberté qui caractérisent les styles anté- rieurs, lui font trop souvent défuit. Mais ces églises et ces palais, ces hospices, ces fontaines ou ces villas, sont si pleins de distinction et de charme, que l'on éprouve à peine le courage de formuler, je ne dirai pas une critique, mais un desideratum. On oublie, devant tant de fraîcheur, de pureté et d'Iiarmonie, la multiplicité des emprunts faits à l'architecture romaine souvent si corrompue, l'exubérance de l'ornemen- tation destinée à masquer, comme le ferait un placage, la pauvreté de la struc- ture, la maigreur de certains profils. Les quattrocentistes excellent à éveiller, avec des mo3-ens d'une extrême simplicité, des idées sereines et délicates, sinon grandioses : la pensée fliçonnant la matière brute, l'assouplissant et traduisant une impression avec des blocs de pierre, comme le musicien le ferait avec des notes, et cela sans cesser d'observer une réserve et une discrétion parfaites, cet art a rarement été porté aussi loin. Connue si le choix d'un style nouveau 372 HI^^TOIRE DF. L'ART PPADANT LA RENAISSANCE. avait suffi pour rajeunir la société italienne, l'architecture du quinzième siècle se présente à nous avec tous les caractères de l'adolescence, tour à tour timide, naïve, chaste et fière'. Le trait distinctif du quinzième siècle est la lutte entre le style pittoresque et le style classique, les novateurs s'efforçant de plus en plus de traiter l'architec- ture comme un art abstrait, susceptible d'être développé à l'instar d'un problème de géométrie ^ Au fur et à mesure que l'on avance, le rôle de la fantaisie se réduit, tandis que celui de la logique grandit en raison inverse. Une volonté 1 . BiBLiOGR.^PHiE. Les ùtuJcs sur l'histoire de l'architecture italienne pendant le quinzième siècle, études si florissantes autrefois dans notre pays (il suffit de rappeler les grands ouvrages de d'Agincourt, de Gauthier (Les plus beaux Edifices Je la ville de Gènes), de Famin et Grandjean de Montigy {Archilectiire roscane), de Letarouilly (Édifices de Rome moderne), y sont singuliè- rement négligées depuis quelque temps : c'est à l'architecture italienne du moyen âge que profitent les recherches de nos savants, de M. de Dartein, de M. Rohault de Fleury et de leurs émules. U Histoire générale de V Archilechtre ; Renaissance (Paris, i88S), de Daniel Ramée, est écrite par un homme compétent, mais dans un français impossible; elle abonde en contradic- tions et en erreurs historiques des plus grossières. C'est à deux savants suisses que l'histoire de l'architecture du quattrocento a du ses plus sensibles progrès et sa dernière évolution : Jacques Burckhardt nous a donné la Geschichte der Renaissance in Italien (2' édit. Stuttgard, Ebner et Seubert; 1878; formait à l'origine le tome IV de l'Histoire de l'Architecture de Kugler), ouvrage admirable comme érudition et comme critique, quoique la méthode analytique chère à l'auteur y soit poussée à ses dernières limites, et que ce chercheur de génie y ait laissé aux autres le soin de mettre en oeuvre les trésors qu'il a réunis; puis le Cicercne, dont la cinquième édition a paru en 1884. On doit, d'autre part, au compatriote de Burckhardt, le baron H. de GeymùUer, correspondant de ]'Institut de France, outre la revision de l'édition ci-dessus indiquée du Cicérone, les impor- tantes publications sur les Projets primitifs pour la basilique Saint-Pierre de Rome (Paris, Baudry, 1S75-1880, I vol. de texte et un atlas), sur Raphaël architecte (Raffaello San^io studiato coine archilelto. Milan, Hœpli, i88.3) et sur la Renaissance en Toscane (die Architectur der Renais- sance in Toscana), dont la première livraison a paru en 188.Î, à Munich, chez Bruckmann. L'ouvrage du regretté Redtenbacher, die Arcliitehlur der italiânischen Renaissance ; Entwich- lungsgeschichte itnd Formenlehre derselben (Francfort S. M. 1886, x\'[-.^86 p.), est avant tout un recueil de notes que nous aurons plus d'une fois l'occasion de mettre à profit: malheureusement les erreurs de détail s'y comptent par centaines, surtout pour les dates. Parmi les travaux italiens embrassant l'ensemble de l'histoire de l'architecture, je citerai la Sloria deir Architettura in Italia dal secolo H' al y M II, par le marquis Ricci, .i vol. Modène, 18.Ï7-1860, compilation assez faible, et l'intéressant manuel de M. Alfred Melani : Architettura italiana, 2 vol. in-12. Milan, Hœpli (2° édit. 1887). Comme recueils de photogravures, il fixut mentionner : Schûtz , die Renaissance in Italien (Paris, André, Daly et C", 1886, 4 vol. in-fol.), sorte d'atlas destiné à compléter le Cicérone de Burckhardt ; — Nicolai, das Ornament der italienischen Kunst des .VI' fahrhundcrts : Dresde, 1882, in-folio. De nombreux relevés de monuments du quinzième siècle se trouvent dans nos grands recueils d'architecture : la Revue d'Architecture de C. Daly, le Moniteur des Architectes, V Encyclopédie d'Architecture, puis dans VAUgemcine Bau^eitung, fondée par Foerster (Vienne, 1848 et suiv.), et dans la Zeitschrift fur Bauwesen d'Erbkam (Berlin, i8.ti et suiv.). 2. On se rappelle la fameuse invective de Ruskin ; « L'architecture de la Renaissance est l'Ecole qui a conduit les facultés inventives et constructives de l'homme (des splendeurs) du Grand Canal (de Venise) aux rues telles que Gower Street; des flèches de marbre et de l'arcade en lancette, et du feuillage entrelacé et de l'harmonie éclatante et fondue de l'or et de l'azur, au trou carré (the square cavity) percé dans le mur de briques ». (TI}e stones of Venice, t. III, p. 2.) L-ESTIIKTIQUR NOUVELLE. inflexible s'opiniâtre à resserrer le cercle d'action, à concentrer toutes les forces sur le point le plus limité, à résoudre, avec les moyens les plus élémentaires, la tâche la plus ardue. Croirait-on, pour ne citer qu'un exemple, que parmi les ressources dédaignées par les Primitifs, se trouve l'emploi d'ailes destinées à encadrer et à accentuer le corps principal du bâtiment ! Les façades des églises aussi bien que des palais dessinent invariablement une ligne droite à peine modifiée par les saillies imperceptibles de quelques pilastres. Aussi, lorsque ces puristes, dont les chefs de file sont Brunellesco et Alberti, auront réussi, à l'aide de surfices à peu près planes, relevées par un petit nombre de moulures et privées du secours de la couleur, à obtenir l'harmonie en même temps que la vie et le mouvement, ils auront réalisé leur idéal. Ce système de simplification devait avoir et eut réellement pour corollaire l'abandon, du moins momentané, des pénétrations si hardies qui avaient fait la gloire du style gothique. Ce n'est pas, comme l'on a essayé de le démontrer, que les quattrocentistes ne fussent pas fmiiliarisés avec tous les problèmes de la statique. Les tentatives de leurs prédécesseurs pour s'assimiler le style gothique avaient constitué à cet égard, Burckhardt l'a établi, un enseignement précieux. Tandis que, sous prétexte, pour ainsi dire, de taire des ogives, les trecentistes avaient appris à se rendre maîtres des problèmes les plus ardus, ils développaient à leur insu le sentiment spécifiquement italien de l'espace, des lignes, des pro- portions, et préparaient ainsi les voies aux grands novateurs du quinzième siècle. Autant le moyen âge avait péché par l'exagération du mouvement, par la hardiesse de ses constructions qui se développent dans les airs, sur le vide, et qui semblent du métal, non de la pierre, autant il avait prodigué des ornements qui sollicitent partout l'attention, autant la Première Renaissance sacrifia aux qualités opposées : s'appliquant à simplifier autant que l'ère précédente s'était plu à compliquer, supprimant et contreforts et arcs-boutants, et clochetons et pinacles. A force de subordonner l'idée à la forme, la liberté et la tantaisie à la règle, à force de rechercher la régularité, la correction et la pureté, la symé- trie enfin, la divine Symétrie', il lui arriva plus d'une fois d'enfanter des œuvres froides et sans accent. D'autre part, malgré ses efforts, elle laissa sub- sister bien des lourdeurs, je veux dire des formes qui ne sont pas entièrement digérées, des transitions qui ne sont pas ménagées avec assez d'art. Il était réservé à la Renaissance du seizième siècle de triompher de ces obstacles et de faire de l'architecture à la fois pure, ample et palpitante de vie. On pourrait discuter à perte de vue sur les avantages du style gothique et du style romain. C'est qu'ils sont chacun l'expression d'un climat difiérent, et 1 . C'est là le grand mot qui revient sans cesse sous la plume de Fra Francesco Colonna, dans le Songe de Polyphile, de Pie II, dans sa description du palais qu'il fit construire à Pienza, de Léon-Baptiste Alberti, qui lui opposa toutefois la loi des contrastes, « varietà e parilità délie cose ». Vespasiano, en décrivant les fondations du duc Frédéric d'LTrbin, se sert des ternies d' « ordine grande ». ^4 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. s plus encore de races différentes; l'un, aigu, pointu, pénétrant, tout en hauteur et sacrifiant sans cesse au pittoresque, représente les peuples du Nord avec leur curiosité fébrile et leurs élans vers le ciel; l'autre, tout en largeur et attaché à la régularité, à la correction, symbolise le calme, la confiance, la sérénité, et représente la tradition des Hellènes, des htrusques, des Romains et de leurs héritiers les Florentins '. Pour expliquer l'attitude des champions de la nouvelle école vis-à-vis de riicole gothique, il tant d'abord jeter un coup d'œil sur les vicissitudes de ce stvle dans la Péninsule. On peut dire qu'en l'adoptant les Italiens avaient fait plutôt un mariage de raison qu'un mariage d'inclination. A tout instant, l'instinct national s'était réveillé, révolté. Pour se faire accepter, le style gothique avait dû se résoudre aux plus cruelles mutilations" : les contreforts sont le plus souvent à peine indiqués ; quant aux arcs-boutants, on ne les rencontre que de loin en loin. De même les Italiens, avec ce besoin de netteté qui leur est propre, évitent de prodiguer les constructions accessoires , si propres à donner plus de profondeur et de mystère à la construction principale. Dans la cathédrale de Florence, l'architecte a supprimé complètement les chapelles latérales; de la nef centrale le regard se trouve brusquement arrêté par le mur extérieur. Il serait d'ailleurs injuste de prêter à la Renaissance du quinzième siècle une intolérance que cet âge heureux n'a jamais connue. Brunellesco, Léon-Baptiste Alberti et leur école se contentent d'imiter l'antique, sans songer .'i attaquer leurs prédécesseurs du moyen âge. On trouverait difficilement, je crois, dans le volumineux De rc (cdificaloria d'Alberti, le moindre sarcasme à l'adresse des architectes gothiques. Ludovic le More fait venir des maîtres d'œuvre de Stras- bourg. En 1490 encore Francesco dl Giorgio soutient, à Milan, que les orne- ments nouveaux du Dôme doivent concorder avec l'ancienne architecture. Seul Filaretc, moins conciliant, parce qu'il est plus léger, prend à partie le style gothique. Ce n'est qu'au siècle suivant que l'on en trouve une condam- 1. A hi prtJilcction pour les lignes horizont.iles se joint un certain goût pour les surfaces rondes ou semi-circulaires, d'ordinaire mal digérées et encore plus mal reliées — le raccord se fait souvent par une sorte d'antéfixe — aux monuments qu'elles ont pour mission de décorer. Nous rencontrons ces motifs disgracieux, ou leurs succédanés, les volutes, les coquilles, etc., à Florence, sur la façade de Sainte-Marie Nouvelle, à Pavie, sur un modèle de cathédrale attribué à Cristoforo Roccbi (i486), puis sur la plupart des églises vénitiennes. Ils tendent également à s'introduire dans l'architecture funéraire (le tombeau du pape Eugène IV. gravé p. 85), ou dans le mobilier religieux (le tabenuicle du Saint-Sacrement de Donatello, à Saint- Pierre de Rome). 2. « Le gothique en Italie n'a nullement la même physionomie que chez nous. Point de pierres verdies, de sculptures moussues, de manteaux de lierre tombant des vieux balcons brisés; nulle trace de cette rouille du temps, inséparable pour nous d'un monument du moyen âge ; c'est un gothique qui, malgré sa date, semble tout neuf; un gothique blanc et rose, plus joli que sérieux, un peu troubadour, pour tout dire, et rappelant les pendules féodales de la Restauration. Le château des ducs de Ferrare, tout en briques ou en pierres rougies par le soleil, a une teinte vermeille de jeunesse qui lui ôte de son effet imposant. Il ressemble trop à un décor de mélodrame. » (Théophile Gautier, Voyage en Italie; édit. de 1884, p. 3l6, .317.) LES N()\.\l"i:URS ET LE STYLE CiOTlUQUE. nation en rci^Ie , dans le fanicLix rapport Je Raphaël, ainsi que dans les ouvrages de Vasari, de ^'archi, de Serlio, etc. Et encore certaines municipa- lités ou fabriques continuent-elles à en prendre la défense, témoin la fabrique de San Petronio de Bologne, qui s'autorise, poLir ce faire, de l'autorité de Palladio'. Il était utile, je crois, de mettre en lumière cette haute leçon de tolérance donnée par les quattrocentistes. Il y a d'ailleurs aussi loin des silhouettes vigoureuses, originales et imprévues du style gothique aux formes épurées et rigoureusement architectoniques dii quinzième siècle, que de celles-ci à l'ampleur de lignes et à l'exubérance de Cuuronntmcnl d'un labernaclc de Donalcllo. (Sacrislii; de Sainl-Picrre de K'.iine.) formes propres au siècle suivant : comparé aii style qui l'a suivi, cekii du quin- zième siècle produit l'impression d'un pilastre opposé à une colonne, d'un bas- relief timide opposé à une sculpture en ronde-bosse qui déborderait de vie et de force. La recherche de l'ordre et de la- symétrie, qui n'est au tond que l'application à l'architecture des méthodes scientifiques, retrouvées dans l'héritage de l'anti- quité, on la constate dans l'arrangement des demeures les plus modestes, tout connue dans les grands travaux d'édilité. Dès la fin du treizième siècle, en i 299, on avait institué à Florence l'Office des rues, places et ponts. Le principe de l'alignement s'affirma vers le milieu du quinzième siècle, sous les auspices de Nicolas y et de Sixte I\', inhitigables dans leur ardeur à ouvrir à travers le dédale de la Ville Éternelle des voies de communication nouvelles, à rectifier les anciennes, à créer des quartiers modèles avec des places spacieuses, entou- rées de portiques et ornées de plantations, de fontaines, de cours d'eau, d'après toutes les données de la raison pure. Ici encore les maîtres de la voirie, les Magistri viantin, eurent pour mission spéciale de s'occuper de la correction des rues et de leur embellissement. Mêmes préoccupations à Sienne, où l'on trouve les Uffi:^iali delT oniato (1469), à Ferrare, à Milan-. 1. Springcr, BihLr ans dcr iieiieieii Kiiiistgcscliichtc, t. I, p. .17 e-t suiv. 2. Gayc, Cicérone, t. I, p. 218, 242. — Bureliliardl, Geschichle, p. 7, 212, 21o. — Les Ails à Li Cour des Ptipes, p.it.biiii. 376 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. En parcourant, dans le Traite ifAirbiltrliire de Filarete, la description de la ville idéale rêvée par le loquace architecte-théoricien, j'ai longtemps été tenté de traiter l'auteur de visionnaire, de bâtisseur de châteaux en Espagne. L'amour de la vérité m'oblige à déclarer que l'examen des plans du pape Nicolas V, tels qu'ils nous ont été conservés par son biographe Gianozzo Manetti ', est de nature à réhabiliter Filarete : ses projets n'ont rien d'invraisemblable comparés à ceux que la mort seule empêcha le pape de mettre à exécution. Nicolas V, comme Filarete, avait décidé de grouper les artisans et les marchands par quar- tiers, selon leur spécialité, d'établir partout des portiques, pour protéger contre la pluie et le soleil, etc., etc. Prise dans son ensemble, la Renaissance du quinzième siècle a surtout conti- nué les monuments commencés par le moyen âge (cathédrales de Florence, de Bologne, de Milan, Chartreuse de Pavie, etc.), puis greffe des constructions ou des ornements nouveaux sur un fonds ancien (cathédrale de Turin, églises Sainte-Marie des Grâces à Milan et Saint-François à Rimini, Sainte-Marie Nou- velle à Florence, palais du Vatican, palais ducal de Venise, Château neuf de Naples, palais de Pavie et de Vigevano, etc.). On dirait que ces générations si essentiellement élégantes n'avaient pas assez de vigueur pour concevoir et pour mener à fin quelque entreprise grandiose. Cependant il ne manque pas d'édifices religieux ou civils importants, qui ont été à la fois commencés et achevés au quinzième siècle. Rappelons seulement les églises de Sain.t-Laurent, du Saint-Esprit et de Saint-François à Florence, le couvent de Saint-Marc dans la même ville, la « Madonna délie Carceri » à Prato, la « Madonna del Calcinajo » à Cortone, la cathédrale de Pienza, l'église Saint-Augustin à Rome, le petit temple de Vicovaro, l'église Saint-André à Mantoue, les nombreuses églises de Venise, de Milan et des environs. Dans le domaine de l'architecture civile, si peu d'hôtels de ville ou de palais du gouvernement voient le jour — le patriotisme du treizième et du quatorzième siècle n'avait à cet égard rien laissé à faire après lui, — nous pouvons par contre enregistrer une série de magnifiques habitations élevées tout entières pendant cette période : le colossal château de Milan, le grand hôpital et le lazaret de la même ville, des palais de toute sorte à \'enise, à Ferrare, à Bologne, à Urbin, à Sienne, à Pienza, les palais des Médicis, des Ruccellai, des Pazzi et des Pitti à Florence, les villas des environs, le palais de Saint-Marc à Rome, le palais de Poggio Reale près de Naples, poiu' ne point parler des constructions de moindre importance, les portes monumentales, telles que la porte de Saint-Pierre à Pérouse ou la porte de Capoue à Naples, l'hôpi- tal du Saint-Esprit à Rome, la loge des Nobles et la loge du Pape à Sienne, la fontaine monumentale de la môme ville, la bibliothèque de Césène, etc., etc. C'est dire qu'il est possible d'étudier l'architecture de la Première Renaissance, I. J'ai reproduit ce Jocuincnt daiib les Arts à la Cour Ji's Papes, t. I, p. 042. L'ARCHITECTH DK LA I'RE-M11:RE RENAISSANCE. non seulement dans des œuvres fragmentaires, mais encore dans une série de monuments coulés d'un jet, ou du moins exécutés dans un délai assez court pour qu'une inspiration unique règne d'un bout à l'autre. Quant aux édifices construits pendant le quinzième siècle dans le style du moyen âge, il est à peine nécessaire de déclarer que je ne m'en occuperai pas ici, si ce n'est incidemment : quoique contemporains de la série d'églises ou de palais que nous étudions, ils ont leur place marquée dans l'histoire du st3'le gothique, non dans celle du style de la Renaissance. Avant d'analyser les édifices eux-mêmes, recherchons comment ceux-ci pre- naient naissance, quel rôle jouait I'.^rchitecte, dans quelles conditions s'exé- cutaient ses projets, en un mot comment s'organisaient alors les travaux se ratta- chant à l'art de bâtir. Au quinzième siècle comme aujourd'hui, l'architecte' qui dressait les plans en surveillait d'ordinaire aussi l'exécution. Il arrivait toutefois que l'architecte et le directeur des travaux fussent deux personnages distincts; de même que le directeur des travaux ditîérait de l'entrepreneur proprement dit, 1' « appal- tatore ». Faute de tenir compte de cette diflérence, on a souvent confondu de simples industriels avec des artistes. Nous voyons d'ailleurs, notamment à la cour de Rome, des artistes d'un grand mérite, tels que Giuliano da San Gallo, Giacomo da Pietrasanta et Giovannino de' Dolci, jouer tour à tour le rôle d'architectes et d'entrepreneurs. A tout instant, des maîtres que l'on serait tenté de qualifier d'architectes consultants, presque d'architectes en chambre, des « faiseurs de devis » ou « deviseurs », comme on disait autrefois chez nous, envoyaient au loin, sifr commande, des projets destinés à des emplacements ou â des édifices qu'ils n'avaient jamais vus : de ce nombre étaient Brunellesco, Alberti, Francesco di Giorgio Martini, Giuliano da San Gallo. On les récompensait souvent par un cadeau en nature, une chaîne d'or, un vêtement, parfois aussi, comme Alberti, par la collation d'un bénéfice ou d'un privilège. De là vient que leurs noms figurent si rarement dans les comptes des bâtiments. Puis nous avons les architectes-amateurs, les papes Nicolas V et Pie II, le duc d'Urbin, Lau- rent le Magnifique, véritables collaborateurs des Alberti, des Rossellino, des Luciano da Laurana, des Benedetto da Majano. Le premier venu d'ailleurs, à cette époque, se croyait de force à disserter sur l'architecture. Brunellesco, lors de la construction de la coupole, eut à compter avec les objections intermi- I. Les architectes sont désignés tour à tour sous ie titre de « arcliitectus, architector, magister operis, caputmagister, magister Litomorum, ingegnierus, ajdificator, praesidens fabricœ «, parfois de « murator »; à Venise, l'architecte en chef s'appelait « il Proto ». Sou- vent aussi, selon que les architectes cumulaient cet emploi avec celui de sculpteurs ou de char- pentiers, on les appelait tout simplement « magister a lignamine » (en italien « fakgname »), « magister a lapidibus )i (en italien « tagliapietra, scarpellino »), etc. E. -MiinU. — I. Italie. Les l-'nmilifb. 4i3 .V« HISTOIRE DH L'ART l'EMJANT LA RENAISSANCH. nables d'iin certain Giovanni di Gherardo, à la fois humaniste et vice-proviseur des travaux du dôme; Alberti, lors de la construction du clnvtu- de l'Annon- ciation, avec celles d'un certain Giovanni Aldobrandini. Pendant cet âge d'or des encyclopédistes, il était presque sans exemple qu'un artiste se vouât à l'étude de l'architecture seule : en dehors des architectes s'oc- cupant d'orfèvrerie ou de peinture, tels que Brunellesco, Alberti, Francesco di Giorgio Martini ou Bramante, nous rencontrons les architectes-sculpteurs, Michelo^zo, Antonio Federighi, Luca Fancelli, Benedetto et Giuliano da Majano, cnlin et surtout les architectes travaillant le bois, c'est-à-dire exécu- tant des ouvrages en cliarpenterie ou en marqueterie. Cette classe, si impor- tante, se recrutait de préférence en Toscane : elle compte dans ses rangs des maîtres tels que les deux San Gallo, le Francione, Baccio Pontelli, Giovan- nino de' Dolci, le Cronaca et bien d'autres. N'est-ce pas im signe des temps que de voir le même artiste exceller à la lois dans les problèmes les plus com- pliqués de l'art de la charpente et dans le travail si minutieux de la marque- terie? Le rôle des charpentiers diminue d'ailleurs en raison même de la sim- plification des tormes : des murs verticaux, des couvertm'es horizontales ne saïu-aient exiger autant d'efforts que les toitLU'es si compliquées des cathédrales gothiques. Comme grands problèmes de construction, on ne trouve plus guère en effet que l'édification des coupoles de Sainte-Marie des Fleurs et de Saint- Pierre de Rome. Ce siècle, connue toutes les époques où l'énergie et l'initiative faiblissent, était terriblement tormaliste et paperassier; rarement municipalités ou fabriques rirent autant d'efforts pour couvrir leiu' responsabilité en se retranchant der- rière l'autorité de commissions consultatives. Ce n'étaient que délibérations, discussions, rapports, contre-rappt)rts, concotirs et expertises'. Ce fléau sévis- sait particulièrement à Florence, à Orvieto et à Milan. Atissi les travaux étaient-ils interrompus à tout instant et, le goût venant à changer avant qii'mie décision eût été prise, bon nombre de mommients religieux restaient-ils sans façade, sans toiture ou sans abside. Il fallut toute l'opiniâtreté et toute l'astuce d'un BrLUiellesco pour triompher de tels obstacles. Les princes ou les simples particuliers s'affranchissaient natLU'ellement de cette tutelle, irritante quand elle n'était pas stérile ou dangereuse. Dès lors, les dessins soumis aux autorités ou aux aniateiu's comprenaient d'ordinaire le plan, la coupe et l'élévation. Si cetix de Brunellesco, de Mi- chelozzi, d'Alberti et de Bernard Rossellino brillent par leur absence dans la collection des Ofhces, la plus riche qui soit au monde', on possède par contre des recueils entiers de dessins de Giuliano da San Gallo, de Francesco di 1. Voy. la Roiaissaiice an leiiips de Charles VJII, p. i3fi-i.i(j. 2. M. Ncrino Ferri, conscrvate'ur do ce dé-pôt, en .i publié un c.it.ilogue très bien l.iit : Indice «cografico-aiialilicû dci disegni di Aicliilelinia civile c iiiiliiaic esiileiili alla R. Galleiiu degli UJi:{i in Fiienzc. Uonie', lofiô. LES niANTIRRS nP. I.A RF-XAISSANCr:. 370 Giorgio Martini, de Fr.i Giocondo, pour ne point parler des dessins insérés dans les recueils de Gliiberti et de Filarete. A l'appui de ces dessins, l'usage invariable, au quinzième comme au sei- zième siècle, est de produire, pour toutes les constructions publiques de quelque importance, un modiiLE e\ bois, travail minutieux et long, mais qui avait l'avantage de taire saisir au vif, infiniment mieux que le plan, la coupe ou l'élévation, les qualités et les défauts du projet. On sait que beaucoup de ces modèles existent encore, à Saint-Pierre de Rome, à Pavie, à Bologne'. Une fois le projet adopté, il s'agissait d'organiser le ch,\ntif.r. Le gros œuvre était généralement exécuté à forfiiit par des entrepreneurs, auxquels on payait une somme déterminée, tant par brasse de fondations, de murs, de voûtes". Quant aux autres travaux, on les confiait à des ouvriers pavés, soit h la tâche, soit à la journée. Une nuée d'inspecteurs, de contremaîtres, de comptables et de vérificateurs stimulaient le zèle des ouvriers, promenaient partout le compas, l'équerre et la brasse, épluchaient les mémoires. On trouve parmi ces inspec- teurs des artistes de mérite, entre autres, à la cour de Rome, les Andréa San- sovino, les Raniero de Pise, les Atalante, etc. Voici comment Filarete entendait l'organisation de son chantier idéal, ce chantier qui devait achever en dix jours les murailles d'une cité immense. Chaque brasse exigeait le concours de 4 maîtres et de 2u ouvriers, soit, pour M stades de .175 brasses chacun, i.^oo maîtres, 84000 ouvriers, plus (^)oon gâcheurs de mortier, et enfin 1200 surveillants, soit au total 111.1200 personnes. Comme salaire, il donnait aux maîtres 12 sous de Milan, aux ouvriers 5 sous. Pour mettre le comble à cette élucubration baroque, Filarete, qui aura entendu parler de la légende d'Amphion, faisait travailler son armée aux sons d'un orchestre. L'histoire de la consuHiction du palais Strozzi, à Florence, nous fournit une statistique plus rapprochée de la réalité : Philippe Strozzi, en mourant, ordonna que 5o ouvriers travailleraient en permanence à son palais, sous la haute direction de son ami Laurent le Magnifique. A la cour des papes, même sous des bâtisseurs tels que Nicolas \' et Paul II, le chiflVe des ouvriers ne dépassa jamais quelques centaines. Après tant de formalités, l'architecte pouvait espérer toucher au but et faire donner enfin le premier coup de pioche. Il restait toutefois à procéder à une cérémonie préliminaire, qui avait une véritable importance aux yeux des bâtisseurs du quinzième siècle : la pose de la première pierre. C'est qu'on n'édifiait pas alors à la légère, par caprice ou par spéculation. A une époque 1. Burckhardt, GeschichU, p. 93. Cf. Aimali délia Fahhrica del duoiiio di Miltiiio, t. II, p. 12 (1 ^14). — Alherti recommande instamment cet usage : Trailé d'Archilectiire, liv. II, ch. i. 2. Vespasiano. rapporte un trait de générosité touchant de Cosme de Mcdicis envers un entrepreneur qui s'était trompé dans ses calculs et risquait de perdre sa fortune dans les travaux de la villa de Careggi {Vite, p. 2.17). — Les fraudes n'étaient pas rares : à. Rome, lors de la reconstruction du Pùiis Oiiiiiti, l'entrepreneur NiccoKS de Narni remplaça le mortier par de la boue. Dont procès-verbal fut dressé aussitôt {Les Ails à lu Cour des Pnpes. t. I. p. 2(il). 3Ro HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. où 1:1 vie de famille était si fortement organisée, la construction du moindre casin passait pour un acte grave, puisque en faisant choix de tel emplacement, en adoptant tel ou tel plan, le bâtisseur engageait ses descendants pour une longue suite de générations. Aussi s'entourait-on de toutes les garanties, de toutes les précautions, disons mieux, de tous les rites imaginables, pour con- jurer le sort et appeler sur l'œuvre nouvelle les bénédictions du ciel '. A Florence, Philippe Strozzi, avant d'accomplir cette grave opération, avant de poser la première pierre du palais auquel il a dû l'immortalité, iît tirer l'horoscope par Marsile Ficin, par l'évèque Pagagnotti et d'autres : les inductions fournies par la conjonction des astres furent favorables, ainsi que Philippe prit soin de le marquer dans une note qui nous est parvenue. Il donna en même temps l'ordre de célébrer des messes dans quatre des prin- cipales églises de Florence. Enfin il eut soin de placer dans les fondations des médailles commémoratives, conformément à un usage devenu général, usage renouvelé de l'antiquité, mais qui ne laissa pas d'exposer le pape Paul II aux objurgations ou aux sarcasmes du cardinal Ammanati et de l'historien Platina". Conmre matériaux de construction, la Renaissance italienne employa tour à tour, selon les régions, en Toscane, la pierre bleutée (« pietra serena »), la pierre jaunâtre (« pietra forte »), le vert de Prato et b marbre, parfois aussi, surtout dans les villes de montagne, la brique; à Rome et dans les environs, le travertin, le tuf et le péperin, associés parfois, eux aussi, à la brique et au marbre; puis, dans le reste de l'Italie, la brique, le marbre (sur- tout à Venise), le granit. Ces matériaux, on les demandait simultanément aux carrières (telles que Tivoli, Fiesole, Carrare) et aux ruines antiques. Rome surtout, jusqu'en plein seizième siècle, ne cessa de mettre à contribution ces mines inépuisables en marbres ou en travertins, qui s'appelaient le Colisée, les Thermes, les Cirques. Le palais de Saint-Marc fut bâti presque en entier avec ces dépouilles opimes. Les Vénitiens, dans leur passion pour les marbres précieux, continuaient, comme au moyen âge, d'exploiter les monuments antiques des iles de l'Archipel'"'. Le bois n'intervient que pour les solives, les plafonds ou les toitures; jamais pour les ftçades ou autres parties verticales. Il est même rare que l'on en fasse usage pour parqueter ou pour lambrisser. Dans les églises seules, vis-à-vis des combles, il reconquiert toute son impor- 1. « lo non pciiso che le opcrc c le spesc dcgli edificii si dcbbino comincLirc n mso. » (Alberti, liv. II, ch. i.) 2. Les Piccurseurs de lu Renaissance, p. 242-24."!. — Les Arts à la Cour des Papes, t. II, p. S. — Dans son Traité d'Architecture. Filarcte n'a garde d'oublier de fiiirc tirer l'horoscope avant de poser la première pierre. 3. Burckhardt, Geschichte, p. 6.1. I/APPAREIL. r,Ri tance, que ces édifices aient un plafond A caissons, comme San Lorenzo de Flo- rence, ou un faîtage découvert, comme San Francesco al Monte, près de la même ville. Pendant cette époque de transition, le nombre des églises dont la nef principale est couverte en bois à la façon des basiliques chrétiennes pri- mitives, l'emporte peut-être sur celui des églises voûtées en pierre, à la fliçon des cathédrales gothiques ou romanes. Le Mont Amiata fournissait des sapins particulièrement recherchés pour les travaux de charpente (vov. page i)5). Pour la toiture on se servait fréquemment de tuiles en plomb, plus ou moins richement ornées : celles du palais Saint-Marc à Rome portaient en creux les armoiries du fonda- teur, le cardinal Barbo, et des portraits de contemporains célèbres, par exemple le roi Alphonse de Naples, d'après la médaille de Pisanello '. Examinons la mise en œuvre de ces pierres et de ces marbres, qui auraient suffi à eux seuls à ftire des églises et des palais de l'Italie les constructions les plus riches de l'univers. Si nous nous attachons d'abord à ce que l'on appelle en termes du métier 1' appareil, nous sommes frappés de la prédominance, dans l'architecture civile, de ces bossages bruts, qui ont l'air de blocs imparfaitement dégrossis, et qui ont reçu pour ce motif le nom d'opiis rusticiini ou de rustique '. Cet appareil n'avait jamais été abandonné en Italie, surtout en Toscane, comme le prouvent le Palais Vieux de Florence, le Bargello ou Palais du Podestat, et toute la série des palais municipaux congé- nères, entre autres celui de Città di Castello. Alors qu'ailleurs on s'efforçait d'obtenir les surftces les plus régulières et les plus lisses, les joints les plus unis, ces fiers descendants des vieux Étrusques essayaient de remettre en hon- neur l'àpre grandeur des murs de Fiesole ou de Cortone. Les archéologues et les architectes du quinzième siècle, à leur tour, en reprenant l'étude des monu- ments antiques, tombèrent dans une erreur qui favorisa singulièrement le suc- Modèle de bossages rustiques. (Fenêtre du palais Pitti à Florence.) 1 . Stevenson, Note sur tes tuiles âe ploitil> île lu tmsitique de Saint-Marc ornées des armoiries de Paul II et de médaillons de la Rivaissaiiec. (Extr. des Aféhws;es publiés par l'École franeai se de Rome.) Rome, i8flB. 2. Voy. sur l'emploi de cet appareil les judicieuses observations de Redtenlxiclier (die .4i- rhilelinr, p. ."îriP, et suiv.). 382 iiiSTOiRi: nr: i.'art pendant la urnaissance. ces du rustique : ils s'imaginèrent que dans la Porta Maggiore à Rome, dans les amphithéâtres de Vérone et de Pola, l'emploi de pierres incomplètement taillées était voulu et raisonné, alors qu'il procédait en quelque sorte du hasard seul, ces édifices, comme on sait, n'axant pas été achevés'. Quoi qu'il en soit, ce retour à la tradition ou cette innovation, comme on voudra l'appeler, a fourni à l'architecture moderne un élément de contraste des plus précieux. A Florence même, le rustique fliit l'ornement des palais élevés par Brunellesco , Michelozzo Benedetto da Majano et une foule d'autres maîtres : les palais des Pazzi, des Pitti, des Médicis, des Strozzi, etc. En dehors de la Toscane, nous le retrouvons à Naples, au palais Colobrano (146^); à l^ologne, au rez-de-chaussée du Palais du Podestat (i4f)5), avec des dessins imitant les roses; à \'enise, sur la façade de l'église Saint-Michel (1470), et au rez-de-chaussée du palais Corner-Spinelli. Puis on se plait à varier et à raffiner le rustique, en taillant chaque pierre à ftcettes comme un brillant. Ces bossages en pointe de diamant apparaissent vers la fin du siècle, au rez-de-chaussée du palais Bevilacqua à Bologne, et surtout au célèbre palais des Diamants à Ferrare, qui tut commencé en i4<).->. En dehors de ces systèmes plus ou moins prétentieux, les architectes du quinzième siècle s'en tinrent à l'appareil régulier, soit en pierres de taille, soit en briques. Ils n'ont pas songé, que je sache, à taire usage de Vopiis spi- caluiii, de Vopus niinihiliiiii, ou des autres combinaisons imaginées par les archi- tectes romains. Je n'écris pas un traité de construction : c'est pourquoi le lecteur m'ap- prouvera d'éviter les détails trop techniques sur les différents svstèmes d'arcs, de voûtes, de pendentifs, de tambours, de pénétrations de toute sorte, sub- stitués par les quattrocentistes à ceux qui reposaient sur l'emploi de l'ogive. Il me suffira de dire que le trait distinctif de l'architecture nouvelle, c'est l'emploi du plein cintre, des voûtes en berceau, des voûtes d'arête et des coupoles. Dans un rapport célèbre, Raphaël, qui fut un architecte éminent en même temps qu'un grand peintre, a mis en lumière, avec la clarté qui distingue toutes ses productions, peintes ou écrites, les avantages de ce système comparé à l'arc en tiers-point ou arc en ogive. Laissons-lui la parole pour un instant : « L'ar- chitecture gothique a eu quelque raison d'être; elle constitue une imitation des arbres non taillés, dont les branches, lorsqu'on les baisse et les attache ensemble, forment des arcs en tiers-point (« terzi acuti »). Et, quoique cette origine ne soit pas absolument condamnable, cependant elle prête beaucoup à la critique. En eflet, les huttes décrites par ^'itruve, dans sa dissertation sur les origines de l'ordre dorique, avec leurs poutres liées les unes aux autres, I. Burckliardt, Geschichte, p. .^4. LES nKl)U|-:s. leurs poteaux eu guise de colonnes, leurs frontons et leurs couvertures, offrent bien plus de résistance que les arcs en tiers-point, qui ont deux centres. Les mathématiques ne nous enseignent-elles pas qu'un demi-cercle, dont chaque point se rapporte à un centre commun, peut supporter un poids bien plus grand ? Outre sa foiblesse, l'arc en tiers-point n'a pas cette grâce que l'œil trouve dans le cercle parfliit et qui lui plait tant; aussi la nature ne cher- che-t-elle pas, pour ainsi dire, d'autres formes. » Après la substitu- tion du plein cintre à l'arc brisé, la plus importante des in- novations dues à la Renaissance est la substitution des co- lonnes — d'ordi- naire monolithes — aux piliers ou atix taisceaux du st\ie gothique. Comme chacun des tvpes de Ces colonnes se rat- tachait à un ordre d'architecture déter- miné, dorique, ioni- que, corinthien, etc., les architectes du Modèle de colonne hisloriiie. ■,1'orle de Crémone, au .Musée du Louvre.) qumzienie siècle, par cela seul qu'ils adoptaient les colonnes, se virent obligés de modifier les jn'o- portions des différentes parties de leurs édifices, conformément aux règles posées par les anciens. On devine du coup la portée de cette révolution. Brunellesco déj.i savait distinguer les différents ordres de colonnes. Il emplovait tour à tour des colonnes .'i chapiteaux dérivés du composite (second cloître de Santa Croce, palais des Pazzi), des chapiteaux corinthiens (cha- pelle des Pazzi, Hospice des Enfants trouvés, San Lorenzo et San Spirito). Le style ionique, moins fréquent, se montre dans les cloîtres de San Lorenzo et de la Badia de Fiesole, ainsi que dans les balustrades du palais Pitti et du dôme de Florence. Michelozzo appliqua l'ordre composite dans la cour du palais des Médicis et l'ordre ionien au troisième étage du même palais. Alberti enfin se plut à superposer, au palais Ruccellai, les ordres dorique. 384 IIISTOIKI-; DK L'AK'I' I'1:M).\NT l.A KIAAISSANCE. Chapiluau hislorié aux armes des Monlel'ellro (Palais d'L'rbin.) ionique et corinthien. Il remit en outre en honneur les colonnes engagées, dans sa taçade de Saint-François de Rimini. Le premier enfin, dans IV-ssai intitulé / cinqiic Ordini aichitctloiiici, Al- hcrti passa en revue les ordres toscan, dorique, ionique, corinthien, latin, et fit Wïv~^v^( \t/ Wy^^^^^^^yvil connaître successivement les dimensions de la colonne, de la hase, du chapiteau, de l'architrave, de la frise, de la cor- niche, du stylobate. Mais ce résumé , d'une extrême sécheresse, ne contient que des indications de mesures, sans aucune considération d'esthétique. Dans les constructions florentines, le fût des colonnes est d'ordinaire lisse, légèrement renflé vers le milieu, d'après les meilleurs modèles romains; les fûts cannelés forment encore l'exception. Les fûts historiés abondent , par contre , dans l'Italie du Nord : portes de la cathédrale de Côme, porte de Crémone au Musée du Louvre, « Madonna dci Miracoli » à Brescia, « Scuola di San Marco » à Venise, etc. Quant aux colonnes torses, aux colonnes nouées et autres inventions du moyen âge, elles ont dis- paru pour longtemps. Les colonnes engagées se mon- trent, je viens de le dire, sur la façade du temple des Malatesta ou église Saint-François, à Rimini. On en fait couramment usage dès le milieu du siècle dans la cour du palais de Saint-Marc à Rome. Les colonnes accouplées tardent davantage à rentrer dans leurs droits. Elles font leur apparition dans les tribunes placées à la base du tambour de la cathédrale de Florence. Il est inutile d'ajouter que chaque colonne reçLit invariablement sa plinthe : ce n'est que dans notre siècle, en effet, que l'on a de nouveau posé les colonnes directement sur le sol, comme l'avait fait le stxle dorique. Aussi longue que variée est la série des cH.\i>rrHAUX historiés. D'ordinaire on prend pour thème les armoiries du bâtisseur, qui met ainsi sa grifte sur chaque partie de l'édifice et mêle une note personnelle, une note intime, aux combi- naisons plus ou moins abstraites poursuivies par son architecte. A Florence, Chapiteau orné de dauphins. ( Palais des Pazzi à Florence. ) LES CHAPITEAUX. 385 au palais des Pazzi, nous trouvons le dauphin et la flamme, emblèmes de cette tamille; au palais d'Urbin, les diflcrcntes pièces composant l'ccu des Monte- ■>-?ïîfe*«v^*i^=V Fûilique Je la chapelle des l'azzi à Florence. feltro; au château de Milan, le dragon des Visconti et des Storza. Des cha- piteaux particulièrement intéressants comme iconographie sont ceux de l'église San Giobbe à Venise (bucranes par les yeux desquels sort un serpent), du E. .\lunlz. — I. Ualie. Les Prirnilils. 49 386 IllSTOlRH Dli L'ART l'KNDANT LA RLNAlSSANt'E. dôme de Città di Castello (commencé en 1482), avec des dauphins, des vases, des taureaux, des oiseaux, des mascarons'. Quoique l'emploi des colonnes forme un des caractères distinctits de la Renaissance comparée au moven âge, les piliers continuèrent à entrer dans la construction d'un certain nombre d'églises, soit associés aux colonnes, soit isolés (église San Francesco al Monte, près de Florence, cloître de Monte Oliveto Maggiore, etc.), 'surtout dans la haute Italie. Les fresques représentant des fonds d'ar- chitecture ont parfois le mérite de nous montrer, mieux que les édifices exécutés, ce qu'eussent voulu les architectes contempo- rains, si la pénurie des ressources dont ils disposaient n'avait pas entravé leur essor : dans plusieurs de ces constructions idéales, vrais châteaux en Espagne, on a poussé le luxe jusqu'à incruster dans les pihers des marbres précieux : tels sont les piliers peints par Pinturicchio dans la Mort de saint Bcr- ihinliit, à l'Aracœli de Rome. A Rome, on affectionne les piliers octo- gonaux du moyen âge, assez disgracieux de leur nature : églises SS. Nérée et Achillée (piliers refiits au quinzième siècle), portiques de Saint-Pierre es Liens et des Saints-Apo- tres, petit palais de Saint-Marc; ces piliers ont été également emplovés à Florence dans le palais Giugni-Canigiani, et par Michelozzo dans la cour du Palais A'ieux. Le quinzième siècle a pris à tâche d'épuiser tous les types imaginables de pilastres : si les Toscans aHectioiment les pilastres unis et les pilastres cannelés, avec les cannelures, soit à cote, soit à arête vive, les arciiitectes de l'Italie supérieure emploient tour à tour les pilastres à torsades (palais Fava à Bologne) ou les pilastres historiés, avec des ornements tantôt sculptés dans la pierre, tantôt moulés en terre cuite et rapportés (palais Roverella à Ferrare, cathédrale de Côme, etc.). Colonneb à enlahlement et à arc. (Eglise Saint- Laurent à Florence.) I, Vasari raconte que Michtioz/.o ne liédaignait pas du sculpter de sa main des chapiteaux (édit. Miianesi, t. IL p. 4.^7). Le chapiteau de bron/e placé sous la chaire eMcrieure de la Cathédrale de Prato est également son œuvre. (Guasti, // Pcigaiiio di Doiialelto ivl iluoiiio di Fiiilo, p. 20.) LES PILASTRES. 38- Les pilastres accouplés font leur apparition sur le portique de la chapelle des Pazzi, sur le mausolée du cardinal Brancacci à Naples, et sur la chaire de Prato, ces deux derniers ouvrages sculptés par Donatello et Michelozzo. Au-dessus des colonnes on place tour à tour un entablement horizontal ou des arcs (malgré l'opinion contraire d'Alberti, qui soutient que les arcs ne conviennent qu'aux piliers). Ces arcs reposent parfois directement sur le cha- piteau des colonnes; plus souvent on interpose entre la retombée de l'arc et le chapiteau un fragment d'architrave, de frise et de corniche, comme qui dirait un coussin, destiné à amortir le poids. Cet arrangement, qui a quelque chose de prétentieux, quoiqu'il s'appuie sur l'autorité de \'itruve, a été adopté par Brunellesco dans ses deux principales constructions reli- gieuses, San Lorenzo et San Spirito : il a passé de là dans d'innombrables monuments modernes, car le propre de ce novateur ou plutôt de ce restaurateur de génie a été d'im- poser jusqu'à ses erreurs aux architectes à venir, et cela grâce à l'énergie de sa conviction. Aussi la moindre de ses ' / innovations a-t-cUe une importance capitale, parce que c'est ^fc sur elles que l'art a vécu pendant près d'un siècle, et sou- ^ vent même jusqu'à nos jours. Brunellesco a été mieux inspiré en coupant un entable- Médaillon dans un écoinçon. ment par un arc, de telle mçon que, sur un ensemble de six (Palais des Pazzi.) colonnes, trois de chaque côté portent la masse horizontale de l'architrave, de la frise et de la corniche, mais que l'intervalle entre la troi- sième et la quatrième soit occupé par un arc imposant, correspondant à la porte principale. 11 a imaginé ce contraste si ingénieux dans le portique de la chapelle des Pazzi. Une autre innovation féconde de Brunellesco, et qui produisit l'effet d'une traînée de poudre, ce fut le choix de médaillons pour orner les écoinçons des arcs, soit sur les taçades, comme celle de l'Hospice des Enfants trouvés, soit surtout dans les cours, par exemple au palais des Pazzi et dans le second cloître de Santa Croce. (A S. Lorenzo, cette addition était superflue, les archivoltes étant déjà très richement ornées.) Au début, on ne fît usage, sauf au palais des Pazzi, que de simples bas-reliefs, bustes ou figures entières, incrustés dans un cercle, conformément à la loi que s'était imposée la Première Renaissance, d'éviter partout les saillies ou les creux excessifs. Dans la suite, on creusa ces niches de manière à pouvoir y installer commodément un buste en ronde bosse; plus tard encore, on plaça ces bustes sur des piédouches. C'était une suprême concession, et cependant, vers la fin du siècle, elle paraissait déjà bien insuffisante aux novateurs : dans un des cloîtres de la Chartreuse de Pavie, un de ces enfants terribles qui s'appelaient les Omodeo, les Rodari, les Dolce- buono, plaça des bustes, non plus dans une cavité, mais en saillie sur un fond circulaire plat, de manière à les foire déborder sur le nu du mur. 388 HISTOIRE DE L-ART PENDANT LA RENAISSANCE. On peut affirmer hardiment que les escaliers ou les rampes disposés à l'extérieur des édifices sont un élément de décoration absolument sacrifié par la Renaissance du quinzième siècle. Elle ne les admet, à l'exception peut- être d'Alherti dans l'église Saint- Sébastien à Mantoue, ni sur la façade, comme devait le faire avec tant de succès le siècle suivant (toujours ce souci de la surflice plane!), ni comme construction indé- pendante, sauf dans l'élé- gant escalier en spirale du palais Minelli à Venise. La règle, c'est l'escalier à rampe droite, sans balus- trade, pratiqué dans l'in- térieur des palais et mon- tant du « cortile » aux étages supérieurs. Le pre- mier exemple d'un escalier monumental, se détachant nettement à l'extérieur, est la fameuse Saila dci Gigaiiti, au palais des do- ges à Venise (commencée en 1485). Les quattrocentistes se sont par là volontairement privés d'un auxiliaire au- quel nos maîtres français du seizième siècle ont dû quelques-uns de leurs plus éclatants triomphes : telles les fameuses cages Escalier du palais Minelli à Venise. d'escalier de nos châteaux de Blois et de Chambord. La sculpture décorative, que les Florentins sacrifièrent plus ou moins sur les façades de leurs églises et de leurs palais, ne se donne carrière que sur les chambranles des portes : sobre et élégante chez Brunellesco, Michelozzo, Alberti, Rossellino; exubérante chez les maîtres de l'Ombrie, des Marches, de l'Emilie, de la Vénétie et de la Lombardie. Ici quelques arabesques se dévelop- pant avec un goût exquis, parfois aussi de simples pilastres supportant une frise sur laquelle des Piitli' soutiennent un écusson; là une accumulation de 1. Les Italiens, comme on sait, désignent par le nom Je f Putto » (enfant) les petits LES PORTES. 389 figures en bas-relict, voire en ronJe bosse, et comme une gageure dont l'.ir Porte « délia Mandorla ■ à la cathédrale de Florence liste se tire le plus souvent à son Iionneur. On écrirait l'histoire de l'orne- génies nus, qui jouent un si grand rolc dans l'art\lc la Renaissance aussi bien que dans celui de l'antiquité. Içp HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. mentfltion et en partie de la sculpture italienne du quinzième siècle, rien qu'en passant en revue les principaux de ces modèles. Bornons-nous à quelques exemples. A la catiiédrale de Florence, les figurines de Pietro di Giovanni Tedesco, de Niccolo d'Arezzo et de Nanni di Banco ont rendu célèbres deux des portes latérales, tandis qu'à Santa Maria Novella Alberti n'a fait usage que d'ornements arcliitectoniques, et notamment d'une superbe voussure h caissons. A Urbin, un beau bas-relief de Luca délia Robbia surmonte la porte de l'église San Domenico. Les cliambranles des portes du palais ducal, dans la même ville, se recommandent par leur richesse et leur élégance. A Fano, la porte de l'église Saint -Michel, attribuée à Matteo Nuti, nous offre, arrangés avec un goût parfait, les motifs les plus gracieux de la Première llenaissance : vases de fleurs, arabesques, rinceaux, sirènes, médaillons, etc. Plus on avance vers le nord, plus la décoration des portes gagne en richesse, soit dans les églises, soit dans les palais. Celles de la cathédrale de Côme sont de véritables albums dans lesquels l'artiste a entassé un peu au hasard les motits que lui ont tournis les ouvrages des anciens et ceux qu'il a rencontrés dans la nature. La porte du palais Stanga, autrefois à Crémone, aujourd'hui au Musée du Louvre, contient, elle aussi, tout un monde d'images, les unes amusantes, les autres destinées à flatter l'œil par l'élégance de leurs formes. II n'est pas jusqu'.i la ville de Gènes, si lente à s'associer à l'élan de ses émules (voy. page io">)' l"-'' '^'-^ s'enorgueillisse d'un certain nombre de portes monumentales, telles que celle de la Piazza San Matteo ' ? Pour offrir un aspect moins monumental, les portes qui, à l'intérieur des églises ou des palais, ouvraient sur les chapelles ou les salles principales, se distinguaient souvent par tout autant de richesse. Des chambranles historiés, en marbre ou en terre cuite, des vantaux en bronze ou en marqueterie, font l'ornement, à Florence, d'une foule de sacristies (Santa Maria del Fiore, San Lorenzo, Santa Croce, etc.) et du palais Vieux, à Urbin, du palais ducal, à Pavie, de la Chartreuse, etc. Un modèle de style lombard particulièrement remarquable par sa richesse et son mauvais goût, c'est la porte de l'ancien P(ï/fl.^~o ou Banco dci Medici à Milan, édifiée, s'il faut en croire les historiens d'art, sur les dessins de Michelozzo (exposée aujourd'hui au Musée archéologique de Brera). Deux pilastres can- nelés encadrent le monument; un peu en retraite se dressent deux montants, avec mi double étage de figures, d'un arrangement fort malencontreux. La frise a pour ornement deux « putti » qui tiennent l'écu des Sforza, et deux lévriers assis, vers lesquels s'étend une main, emblème de François Sforza; dans les deux écoinçons de l'arcade, un médaillon d'htimme et un autre de teninie. Par la multiplicité des ornements, ainsi que par la brutalité de l'exécution, cet ouvrage ne se ressent que trop du goût lombard, et nous sommes per- I. l'iibliccs p.ir Scliùtj, dit- RciiaissaiiCi' iii lUilicii. LES PORTKS. jgi suadc, pour notre part, que si tant est que Michelozzo en ait lourni le dessin, Porle du palais des Médicis a Milan, attribuée a .Michelozzo. (.Musée de Brera son projet a été singulièrement maltraité par ses interprètes de la haute Italie. Quant aux vantaux des portes, tels que ceux du Baptistère de Florence, de la sacristie de Saint-Laurent et de la sacristie de la cathédrale dans la même jg2 HISTOIRE DE LART PENDANT EA RENAISSANCE. ville, de Saint-Pierre de Rome, ils appartiennent au domaine de la sculpture et feront l'objet de notices spéciales dans la biographie de leurs auteurs, Ghiberti, Donatello, Luca délia Robbia, Filarete. L'architecture italienne, telle qu'elle s'est manifestée dans les créations des coryphées florentins de la première période, et surtout chez le précurseur de génie qui s'appelle Brunellesco, a pour note dominante un invincible besoin de simplicité et de clarté, développé peut-être par l'étude des mathématiques. C'en est fait désormais, sauf chez les représentants du style de transition, des formes si variées, si riches, parfois si capri- cieuses, chères au moyen âge : considérez l'ensemble de l'édifice aussi bien que ses moindres détails, partout s'affirmera le triom- phe, soit de la ligne droite, soit du plein cintre, comme si, par quelque intuition plus normale des lois de la statique, on avait voulu ramener l'art de bâtir à ne plus former qu'une branche de la géométrie. Une preuve entre cent : la fenêtre gothique avec ses me- neaux dessinant des trèfles, des rosaces, des flammes ondulantes, etc., etc., avait divisé la lumière en une infinité de motifs plus ou moins pittoresques : la fenêtre de la Renais- sance sera invariablement rectangulaire ou cintrée, sans fioritures ni dentelures d'aucune sorte; tout au plus, dans les palais de Brunellesco et de ses imitateurs, une colonnette partagera-t-elle le cintre principal en deux cintres plus petits. Adieu désormais tout ce qui s'ap- pelait pénombre, antaisie, mystère. Le type préconisé par Brunellesco pour l'architecture religieuse, c'est la fenêtre cintrée. Le fondateur de l'Ecole florentine en a fait usage à S. Lo- renzo, à S. Spirito, à la chapelle des Pazzi. Ces tenêtres, dont l'élégance est contestable, s'oflrent également à nous dans une foule d'églises de l'Italie supé- rieure : églises de la « Madonna di Galliera » et de S. Spirito à Bologne, de S. Zaccaria et de « Santa Maria dei Miracoli » à Venise, etc. Un type que l'on rencontre assez rarement dans les églises (« Confraternità di S. Rocco » à Venise, etc.), mais qui caractérise les palais florentins de la première période, c'est la fenêtre cintrée et bilobée ou géminée '. Ici il serait injuste de dire que la Renaissance a copié l'antiquité : elle s'est bornée, s'au- torisant de l'exemple de Brunellesco, à reproduire un des types favoris du moyen âge. Nous trouvons la fenêtre bilobée plus ou moins modifiée, à Flo- I . Au pal.iis des Médicis, le nicd.iiUon place au-dessus de la colonnette, à la naissance des deux arcs, est orné d'une rosace sculptée en bas-relief; au palais Strozzi, de rois croissants. Fenêtre bilobée a encadrument rectangulaire. (Palais Vitelleschi à Corneto.) LES FENETRES. oq.i rence, dans les palais des Pazzi (aujourd'hui palais Quaratesi); dans ceux des Médicis, des Ruccellai, des Strozzi; à Sienne, dans ceux des Piccolomini et des Spannocclii; à Pienza, également dans le palais des Piccolomini; à Bo- logne, dans le palais Fava; à Urbin, dans certaines parties du palais ducal; à Venise, dans les palais \'cndraniin-Calergi, Corner-Spinelli, etc.; à Milan, à « rOspedale Maggiore », avec cette seule différence qu'ici l'ogive remplace le plein cintre. Avec la fenêtre cintrée dans le haut alterne la fenêtre à encadrement rec- tangulaire qu'une colonnette subdivise en deux arcs. Ce motif, d'une parfaite élégance, se voit à Rome sur une maison de la Piazza Capranica, à Corneto au palais Vitelleschi, à ^'enise dans bon nom- bre d'édifices civils, à \'érone au palais de la Ragione, à Milan et ailleurs dans une foule de construc- tions publiques ou privées. Comparées aux fenêtres cintrées, les fenêtres rectan- gulaires, surmontées d'ordi- naire d'une corniche de peu de saillie, forment l'excep- tion. Xon moins rares sont les .\tEKE.\ux, si chers à nos architectes français des quin- zième et seizième siècles. Des fenêtres rectangulaires, cou- pées en quatre par des meneaux en croix', la partie inférieure de la fenêtre étant d'ordinaire plus haute que la partie supérieure, distinguent le palais de Saint-Marc ou de Venise à Rome, l'évêché de Pienza (où elles sont surmon- tées d'arcs de décharge), le cloître de Monte Oliveto Maggiore, le palais com- munal de Jesi, etc. Luciano da Laurana, l'habile architecte du palais d'Urbin, créa un modèle plus élégant et plus riche de fenêtre rectangulaire, avec des pilastres ornés de torsades et de médaillons. Le modèle de fenêtre le plus magnifique que jamais art ait créé, celui de la foçade de la Chartreuse de Pavie, appartient déjà à une période plus avancée de la Renaissance : nous l'étudierons dans notre second volume. Des tenêtres rectangulaires de petites dimensions, avec ou sans moulures, mais d'ordinaire grillées, trouvent leur emploi dans les rez-de-chaussée ou Fenêtre bilobie et détail de son cliambianle. (Palais des Pazzi à Florence.) I. Cette disposition remonte au quatorzième siècle : on la remarque dès cette époque au palais des Papes à Avignon. E. .Mûnlz. — I. Italie. Les PrimiUls. 5o 3g4 HISTOIRE HF. L'ART PENDANT LA RF.NAISSANCE. Jans les attiques : palais des Rucccllai A Florence, palais des Piccoloniini à Sienne et à Pienza. Les « oculi », souvent de dimensions gigantesques, mais nullement compa- rables pour la richesse de la décoration aux rosaces du moyen âge, pourvoient à l'éclairage d'une foule d'églises ou de palais : églises de Brunellesco, façade de Santa Maria Novella, par Alberti, hiçade de la cathédrale de Pienza, façade de Saint-Marc à Rome et de diverses autres églises de la même ville, « Madonna di Galliera » à Bologne, « Santa Maria dei Miracoli » et San Zuccaria à Venise, chapelle des Portinari à Sant' Eustorgio et sacristie de San Satiro, toutes deux à Milan, Chartreuse de Pavie, palais des Doges à Venise, etc. Après les tentatives que nous avons faites pour définir les tendances générales de l'architecture du quinzième siècle, qui fut essentiellement un stvle de conci- liation, il est inutile d'ajouter que des fenêtres gothiques, moresques et autres, continuèrent à figurer sur un grand nombre d'édifices religieux ou civils, au palais \'itelleschi à Corneto, au Grand Hospice et au palais Marliano à Milan, et surtout dans les palais de ^'enise. Les frontons triangulaires ou circulaires sont rares encore au-dessus des fenêtres. Il se passe un assez long intervalle avant que les quattrocentistes repren- nent cette donnée, esquissée pour la première fois probablement par Brunel- lesco, à l'Hospice des Enfants trouvés (1421). Sur la taçade des palais, les fenêtres sont d'ordinaire pratiquées à des inter- valles égaux. De temps en temps, cependant, connne au palais Roverella, .'1 Ferrare, éclate le désir d'obtenir plus de variété. L'architecte de ce palais a rap- proché l'une de l'autre les deux fenêtres du centre et éloigné en raison in\erse celles des extrémités. La TOITURE, qui joue un rôle si considérable dans les édifices religieux ou civils de notre Renaissance française, n'intervient comme élément décoratif dans les monuments italiens que lorsque le prolongement de ses chevrons pro- tège la façade et y remplace la corniche. D'ordinaire elle y tient de la plate- forme plutôt que de la pyramide, et s'enlève à peine sur le ciel, au lieu de donner naissance à une torèt de cheminées et de clochetons. Le pape Pie 11 cependant, en traçant les plans de son palais de Pienza, s'occupa de produire à distance un certain effet au moyen de cheminées ayant la forme de tours et rehaussées de couleurs, quelque chose comme les mitres et les épis de nos anciennes maisons françaises, (n Très et viginti quasi turres, pinnis et pro- pugnaculis picturisque variis ornat;f, qua; procul vis.e, multum splendoris et gratiai addiderunt. ») Il était rare que les fenêtres ne fussent pas garnies de vitres; les pierres spé- culaires, les toiles huilées et autres matières plus ou moins transparentes employées pendant le mo\'en âge disparurent très certainement de toutes les habitations confortables. LES CORNICHES. jgs QQQQQQQQmm tfJlMJiJ-JiiUUg' Les BANDEAUX OU CORDONS dcstinés à accuser la division par étages sont d'ordinaire traités en corniches simples et saillantes; au palais des Médicis, ils se composent d'un cordon à modillons cou- ronné d'une doucine; au palais des Pitti, « d'un petit cavet, d'un petit filet, d'une doucine, d'un autre filet, d'un tord, et enfin d'une large bande ' » . En revanche, la corniche devait jouer lui rôle prépondérant, comme étant la seule ligne horizontale que le goût du temps per- mît à l'architecte de développer librement. .\u palais des Médicis, .'i Florence, Mi- chelozzo n'a pas encore su lui donner assez (.^^^^-^^^^ j^ p^.^j^ j^^ „^j,^,^ ^ vior.nce. de netteté ni d'ampleur, tandis que d'autres architectes sont tombés dans l'excès contraire et ont adopté des dimensions absolument anormales : on peut citer comme un exemple de mauvais goût les consoles gigantesques qui supportent la corniche du palais Spannocchi à Sienne. Dans cette même ville, la corniche du palais Piccolomini se distingue déjà par un des- sin infiniment plus libre et plus pur : l'entable- ment comprend entre autres une rangée de den- ticules et d'oves, que des consoles, dont le bas est orné d'une teuille imitant la feuille d'acan- the, relient à la toiture. i / D nn Ouvrons ici une parenthèse pour examiner i le problème si grave, et tout d'actualité, de la | POLYCHROMIE, en d'autres termes de l'art de dé- | corer une fiiçade, non plus seulement à l'aide |_ d'ornements sculptés sur la pierre, mais encore j- à l'aide de matériaux teintés dans leur masse, à j_ l'aide de couleurs appliquées soit à fresque, soit '-- par le procédé appelé le « SgraffitO », ou enfin (.omichei.lu palais Pjccolomim a Sienne. à l'aide d'incrustations de marbres, de terres cuites coloriées, bref de toutes les substances ou de tous les ingrédients autres que la pierre de taille proprement dite. On peut poser en principe que le quin- zième siècle, pris en gros, a été partisan de la polychromie, mais que l'Ecole florentine dessina dès le début, avec Brunellesco, un courant qui lui fut hostile, qu'elle la considéra comme une superfétation, sinon comme un danger. Le père de l'architecture moderne proscrivit en effet de ses palais aussi bien que I. R.inic. Hislolie générale de l'Architecture; Reiuthsiiiice. p. 112. oQÔ HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. de ses églises les peintures ou les incrustations extérieures : il ne fit d'exception que pour la chapelle des Pazzi, où, dès le portique, les terres cuites polychromes des délia Robbia occupent sur la voûte une place d'honneur, ainsi que pour l'Hospice des Innocents, où des médaillons décorés à l'aide du même procédé garnissent les écoinçons. C'est que les magnifiques blocs de « pietra screna», la pierre bleutée tirée des environs de Florence, ou les travertins, d'un ton doré si riche, employés à Rome, n'appelaient pas à la rigueur le secours de couleurs plus vives. L'exemple de Brunellesco tut suivi par ses élèves ou iniitateiu's, Michelozzo, Léon-Baptiste Alberti et Rossellino. Michelozzo et Rossellino ne hrent usage de rinceaux peints à fresque ou à sgraftite que dans les cortiles (palais des Médicis et palais de Pienza) ou encore de lis dorés (cortile du Palais Vieux de Florence). Quant à Alberti, s'il couvrit d'incrustations en marbres de coulciu" la façade de Sainte-Marie Nouvelle, c'est qu'il s'agissait d'achever la déco- ration de cette église dans les données adoptées par ses prédécesseurs. La poly- chromie, réduite parfois, comme dans les monuments de Pise, à la simple alternance d'assises de marbre blanc et d'assises de marbre vert ou noir, était en effet de tradition dans toute la Toscane. Vers la fin du siècle, pour la polychromie aussi bien que pour une foule d'autres éléments, nous verrons une réaction se produire à Florence contre la logique inflexible, le rigorisme d'un Brunellesco. Partout ailleurs, en Ombrie aussi bien qu'en Lombardie, on prenait plaisir à taire alterner avec le marbre la brique, plus ou moins teintée de rouge, et les terres cuites. Mais la patrie par excellence de la pol}'chromie était N'enise. On sait aujoLir- d'hui que la c Ca d'Oro » était rehaussée de couleurs posées au pinceau. Quant au palais des Doges, les pierres étaient dorées par endroits (voy. p. !(>:, 164). La « Porta della^Carta » tout entière resplendissait d'or. On aimait surtout les incrustations en marbres de couleur, à la façon des Byzantins, les marbres formant des combinaisons purement géométriques, et non des figures élégantes dans le genre de celles de la cathédrale de Florence; ces rectangles et ces disques associés les uns aux autres, ou ce cercle entouré de quatre ou huit cercles plus petits, n'offrent véritablement aucun intérêt plastique, n'éveillent en nous aucun écho, ne flattent aucun sentiment; Burckhardt les a caractérisés d'un mot en les appelant de l'ébénisterie. Les \'énitiens faisaient également usage, pour la décoration extérieure de leurs constructions, de terres cuites vernissées '. Le triomphe de la Première Renaissance c'est I'ornementatiox, domaine sans bornes, où sa grâce, sa fantaisie, sa tendresse, débordent sans s'épuiser, I. E. Moliiiict, dans la rc\i.if rAii, 18H-, i. II, p. i-S. LORNEMENTATIOX. Sgy l'ornementation tour à tour si pure, si chaste, ou si exubérante et si touffue, ces mille motifs charmants, cherchés et trouvés, plus encore que copiés, qui reflètent tous les sentiments de cette époque si attachante, respirent son parfum, vivent de sa vie. L'ornementation a sa place marquée à la suite des différents éléments qui composent la construction : ne s'applique-t-elle pas, comme une dentelle d'une souplesse infinie, à tous les genres possibles d'édifices et à toutes les parties de chacun d'eux! Quoique développée surtoi.it par les architectes, l'ornemen- tation a du une impulsion partielle, plus oli moins brillante, à certains sculp- teurs, tels que Donatello, Giiiberti, les délia Robbia, Desiderio de Settignano et Mino de Fiesole. Les peintres ne sont pas non plus restés étrangers à ses pro- grès : Morto da Feltro, s'il n'a pas absolument retrouvé les grotesques, a du moins puissamment contribué à les remettre en honneur'. On a d'ailleurs vu (pages 264-268) avec quel empressement les peintres s'emparèrent jusque des moindres motifs fournis par les ornemanistes de l'antiquité. Nous ne nous occuperons ici que de l'ornementation appliquée .'1 la décoration architecturale, nous réservant de revenir plus loin, à propos de la sculpture et de la peinture, sur l'usage qu'en ont tait les sculpteurs et les peintres. Dans les édifices gothiques de la dernière période, une foule de points, par suite de la profusion des ornements, sollicitaient également l'attention : ce n'étaient que tètes grimaçantes sur les modillons et les culs-de-lampe, que crochets et bourgeons sur les gables et les clochetons, que fleurons de toute sorte : la Renaissance, fidèle à la tradition des anciens Romains, s'ettorça au contraire de résumer et de concentrer : autant les champions du style gothique expirant avaient été indolents et diffus, autant leurs antagonistes se montreront sobres, concrets et synthétiques. Affltire de race plus encore qu'affaire de temps. Sur im autre point, au contraire, les deux Ecoles se rencontrent et se tendent la main : le moyen âge déjà avait posé ce principe que l'ornementation peut être indépendante de la destination de l'édifice qu'elle recouvre, et le cadre du tableau qu'il entoure. La Première Renaissance reprit pour son compte cette violation de toutes les règles, je ne dirai pas seulement du style, mais même du bon sens. Examinons les portes de Saint-Pierre de Rome, modelées et fondues par Filarete. Que viennent faire, sur la façade du premier temple de la chrétienté et autour de bas-reliefs consacrés aux grands actes du pontificat d'Eugène R', le Couronne- ment de l'empereur Sigismond, le Concile de Florence, ces sLijets tirés de la mythologie — l'Histoire de Ganymàie, V Histoire de Léda, — ou des Fables d'Ésope : /(' Renard et la Cigogne, le Loup et V Agneau? Est-il possible de pousser plus loin le manque d'à-propos et, prononçons le mot, l'inconvenance? Eh bien, au siècle suivant, cette licence poétique s'autorisera d'exemples plus 1. Voy. le travail de M. Schniarsow : Aiinunnc da Mmài de Bcrttii, 18H1, p. lôi et suiv. 398 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. éclatants encore : Raphaël n'a-t-il pas peuplé les bordures de ses tapisseries, consacrées aux Arles des Apôtres, de grotesques, de satyres, etc. ! Considérée dans ses moyens d'expression, l'ornementation des Primitifs se partage à peu près également en ornementation plastique (c'est-.'i-dire en relief) et en ornementation plane : la première ayant pour tributaire la sculpture en marbre, en bronze, en terre cuite, l'orfèvrerie; la seconde englobant le domaine si varié de la peinture et de l'incrustation (mosaïque en pâtes de verre ou en marbres de couleur, marqueterie en bois, peinture à fresque, sgrafrite, pein- ture sur faïence, sur émail, nielle, etc., etc.). L'ornementation plane eût été im excellent correctit pour l'excès de relief que redoutaient les architectes de l'École toscane, si ceux-ci n'avaient pas été hostiles, dans la même mesure, à la poly- chromie (voy. page SgO). Considérée dans ses origines, rornementation torme deux grands groupes, d'importance d'ailleurs inégale, l'un qui a sa source dans les modèles antiques — c'est le plus considérable, — l'autre qui puise dans la nature et dans la \'ie contemporaine. J'ai essavé de caractériser les deu.x groupes dans un des chapitres précédents (pages ^.-iS-:!,-»')); il me suffira de rappeler ici cette division, qui s'impose littéralement à l'historien. Les quattrocentistes en efiet sacrifient simidtanément ou à tour de rôle à deux tendances bien distinctes : ils font du réalisme quand ils demandent à la nature même, par exemple au règne végétal, les images charmantes qu'elle nous oHre en abondance, sauf à les interpréter de façon qu'elles rentrent dans une gamme générale, ou encore quand ils composeiu des ornements avec les armoiries, emblèmes ou initiales d'un Mécène, avec les inventions et mille fantaisies du temps; — ils sacrifient à la tradition quand ils prennent poin- point de départ l'imitation de ces formes, telle qu'elle a été élaborée et fixée par l'antiquité. A toLit instant se dresse devant nous ce dilennne : \alait-il mieux reproduire les ornements qui parlent à la pensée, évoquent des souvenirs, traduisent le carac- tère propre d'un pays, d'une race, d'une personnalité distinguée, ou bien s'en tenir à ces formes classiques, — oves, cordons de perles, grecques, rais de cœiu', rosaces, etc., — qui flattent uniquement la \iie? Si les quattrocentistes flottent coustaunnent entre ces deux courants, les cinquecentistes se prononceront formellement, on le verra, pour l'imitation classique. Nous de\ons ,\ l'indécision des premiers quelques-ims des motifs les plus curieux et les plus charmants dont s'enorgueillisse le domaine de l'oi'ue- mentation. L'exemple des Ghiberti, des délia llobbia, des sculpteurs du temple des Malatesta, qui se sont tous hardiment attaqués, soit à la fume ou à la flore de leur région, soit à l'art héraldique, était de nature à encourager les réalistes et à les faire persévérer dans une donnée qui seule eût sauvé l'art de la stéri- lité et de l'ennui. ' Le lecteur a trouvé dans les chapitres consacrés à l'influence de l'antiquité l'énumération des prii^cipaux ornements empruntés l\ rarchitectiu'e ou .\ la I.OKXr.MnNTATION. iQQ sculpture des anciens Romains. Il nie sufîir.i ici de passer rapidement en revue les principaux d'entre eux. La figure humaine et les combinaisons innombrables auxquelles elle pent donner lieu ont fourni, outre les \'ictoires, les Génies funéraires, les Gé- nies vendangeurs, les Nymphes , les Satyres , les Faunes, les Centaures, les Sirènes, les Sphinx, les Harpies, etc., une foule d'autres motifs qui ont échaulfé l'imagina- tion des décorateurs de la Renaissance et que ceux- ci ont prodigués, on peut véritablement l'affirmer, à tort et à travers sans rime ni raison, comme des enfmts embarrassés devant l'abondance de jouets nouveaux. La plus enviable à coup sûr de ces conquêtes, la plus féconde — le qua- torzième siècle déjà en avait reconnu l'impor- tance ', — fut celle du Piillo, l'enfint d'ordinaire nu (c'est ce qui le dis- tingue des anges propre- ment dits), ailé (Mante- gna et quelques autres ont poussé le raffinement jusqu'à lui donner des ailes de papillon), ou sans ailes, dodu et flexible; tantôt rieur, tantôt mutin, prêt :\ entrer dans toutes les combinaisons déco- ratives, à remplir tous les vides; tour à tour debout, assis, couché, ployé, voltigeant; se montrant, avec une obligeance inépuisable, de tace, de profil, de trois quarts, de dos, en raccourci, ki, nonchalamment étendu sur les côtés d'un fronton, il se laisse aller .\ une rêverie infinie; U\ il dirige les rêncs d'un lit la bordure des portes de Ghiberli. (Baptistère de Florence I. Vov. ci-Jessus. p. 227 4m HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. attelage ou s'attelle lui-même devant un char; ailleurs il danse avec frénésie; chez Desiderio de Settignano, il tient fièrement la targe à huit côtés; dans les chambranles des portes ou les bordures des fenêtres de l'Italie septentrionale, il se glisse, comme en nageant, à travers le feuillage (Grand Hospice et palais Marliani ;\ Milan, cloître de la Chartreuse de Pavie, cloître de l'église de Lanfranco, etc.); il lui arrive même de se griser et de subir la peine de son intempérance en tombant dans un sommeil profond. Bref, partout il apporte avec lui un indicible parfum de gaieté, de jeunesse, de fraîcheur; c'est le génie, le bon génie de la Première Renaissance. L'industrie de l'homme a enrichi l'ornementation d'une foule d'instruments, d'outils, d'ustensiles, d'armes, presque invariablement vus à travers le prisme classique : palettes, équerres, maillets, chalumeaux (église Saint-André à Man- toue, escalier des Géants au Palais Ducal de Venise, etc.), trépieds et candé- labres (deux des plus importants facteurs de l'ornementation du quattrocento), tridents, thyrses, lyres, cornes d'abondance (d'une fornu.' souvent encore assez disgracieuse), aiguières suspendues par leur anse (Chartreuse de Pavie), etc. Quant aux trophées, ils marquent déjà une nouvelle étape dans le dévelop- pement de la Renaissance; nous les rencontrons dans la décoration intérieure du palais ducal d'Urbin, sur la ftçade de l'église Saint-André à Mantoue, etc. Le monde des quadrupèdes a fourni aux ornemanistes de la Renaissance les lions (plus rares cependant au quinzième siècle qu'aux douzième et treizième), les têtes et griffes de lion, les hippocampes, les bucranes, etc. Les griifons affrontés du temple d'Antonin et Faustine à Rome reparaissent peut-être sur vingt ou trente édifices. Le quinzième siècle a précédé le Premier Empire dans cette prédilection; mais où celui-ci a mis la lourdeur et l'ennui, la Renais- sance a mis la distinction et le charme. Mieux partagé que le lion, l'aigle, roi des oiseaux, s\nibole du grand Jupitci', domine partout, les ailes éployées, la tête haute, l'air vainqueur. La chouette de Minerve a rencontré moins d'interprètes. L'antiquité semble avoir en outre inspiré le motif si gracieux des oiseaux qui viennent becqueter des fruits. Parmi les poissons, la place d'honneur appartient au dauphin : il a séduit les ornemanistes du quinzième siècle à la fois par les légendes si gracieuses dont il est le héros et par l'élégance de ses formes. Ils l'ont prodigué sur les cham- branles, les chapiteaux, les frises, tantôt l'accolant, la tête en bas, à un vase auquel il sert d'anse, à un candélabre dont il forme la base, tantôt l'enroulant sur un trident. L'austère Brunellesco lui a donné place sur les chapiteaux du palais des Pazzi (cette tamille le portait dans ses armes), et les délia Robbia l'ont accueilli dans les bordures de leurs retables émaillés. A la flore ornementale des Romains les quattrocentistes ont pris la rosace, la palmette, l'insipide palniette (tombeaux du cardinal de Portugal à San Miniato, du marquis Hugues à la Badia de Florence, de Barbe Mantredi à Forli, de Noceto au dôme de Lucques, etc., etc.), enfin et surtout l'arabesque. Celle-ci LORNEMENTATIOX. 401 procède bien de modèles antiques (chambranles, frises, sarcophages), mais les Desiderio de Settignano, les Antonio Rossellino, les Mino de Fiesole, les Bene- detto de Majano et les Matteo Civitale lui ont donné une pureté et une saveur, un accent de fraîcheur et d'élégance qui l'ont littéralement renouvelée. Comparé à la part contributive de l'antiquité, l'apport du moyen âge se réduit à peu de chose. Citons les anges, puis les têtes de chérubins, que l'on prodigue partout du Nord au Midi, notamment sur les frises; enfin un certain nombre de symboles : le pélican qui s'ouvre la poitrine pour nourrir sa progéniture (« Madonna dei Mira- coli » à Brescia, médailles de Victorin de Feltre par Pisanello et de Phile- ticus par Lysippe). La faune et la flore ornementales du moyen âge tombent également en désuétude. Il en est de même des combinaisons géométriques, damiers, étoiles, etc. : elles ne sont plus de mise que dans les incrustations de marbre ou les marqueteries de bois. Il n'en faut que plus insister sur l'importance des éléments inventés et mis en œuvre par la Renaissance elle-même. (Voy. pages 807 et sui- vantes.) Ses testons et ses guirlandes surtout comptent parmi les plus écla- tants triomphes de la décoration : je ne connais rien d'aussi frais, d'aussi plein, d'aussi savoureux; les peintres de l'Ecole de Padoue et de l'Ecole de ^'enise, Mantegna et Crivelli en tête, sont passés maîtres dans l'art d'agencer avec une grâce inimitable les plus beaux fruits : grenades, pommes, poires gardant une feuille au bout de la tige, nèfles, citrons; de les marier aux fleurs, au feuillage, et d'en former des assemblages étourdissants de santé, de sève et d'éclat. Un motif particulièrement original et qui peut tenir lieu, sur les monu- mefits, de la signature du quattrocento, c'est le vase, savamment construit et donnant naissance aux fleurs ou aux arabesques les plus gracieuses. Les incrus- tateurs l'atfectionnent : on trouverait difficilement, pour la période que nous étudions, des marqueteries dont des vases garnis de fleurs ne forment pas la note dominante. Il suffira de citer ici les stalles de la basilique d'Assise. Parfois ces vases reposent sur un trépied. Au temple des Malatesta, à Riniini, des paniers de fleurs, aux contours infi- niment moins nets, remplacent les vases. E. .Munlz. — 1. llalic. Les Primilils. .1 Génies nus grimpant autour d'une guirlande. .\rmoiries de V a Arte délia Seta » sur une maison de Florence.) 403 HISTOIRE DE E'ART PENDANT LA RENAISSANCE. A la Chartreuse de Pavie, les sculpteurs marient avec une aisance admirable les éléments chrétiens aux éléments classiques, les branches de rosier aux rais de cœur, les chérubins et les saints ou saintes à mi-corps aux mascarons; les chimères, les sirènes, les aigles qui se dressent fièrement, aux anges qui s'agenouillent, aux chapelets, aux lix'res ouverts et atix tètes de l'urcs. Le domaine de Tornementation est sans hmites : Burckhardt \' tait entrei', avec raison, ce qu'il appelle la calligraphie monumentale, en d'autres termes les inscriptions destinées à prendre place sur les édifices. Aux caractères gothiques, si confus, se substituent des majuscules d'une clarté et d'une noblesse parfoites, et qui constituent un ornement en même temps qu'une leçon ou un souvenir. Telle est l'inscription qui foit le tour du cortile au palais d'Urbin; telles sont aussi les inscriptions du palais de Saint-Marc à Rome. llilglllclU il 1111 b;la-rclii;I. (Temple des Malatesla à Rimini.i ?A««ftS(8«(»*«»«.i*««»at *»!:*.««. jLa.*«iLixs:«iiii«E««**«»:» ^- * -^ • ''^ - ■• ' " i' .'..l F ■ .. /i. :iàm . ' '' . i— -"-.' — ■• ' — ■ ' — ^ Frae:nient d'une frise. (Palais ducal d'Urbin.) CHAPITRE II LES EGI.ISKS DE LA RE\AISSAXCE. FUXÉRAIRE. LES HOSPICES. NILLAS ET LES JARDINS. LE MOBILIER RELIGIEUX . L ARCHITECTURE LES BIBLIOTHÈQUES. LES PALAIS. LES is-à-vis des églises, l.i Renaissance du quinzième siècle, qui rompit sur tant de points avec l'architecture reli- gieuse du moyen âge, conserva cependant, en thèse géné- rale, le plan dit de la croix latine, avec deux rangées de colonnes, divisant l'intérieur en trois nets, et avec une coupole sur le transept; mais éclectique, pour ne pas dire anarchiste, elle varia à l'infini ce thème primordial, allant de la cathédrale gothique à la basilique si simple, souvent même d'une structure si pauvre, des chrétiens primitifs ', pour s'essayer ensuite dans des combinaisons nouvelles. Brunellesco, par exemple, dans l'église .Saint-Laurent de Florence, diminua l'extrémité supérieure de la croix, de manière à former im T. Dans d'autres églises, on ne se fit même pas faute de supprimer le I . Dans une série d'articles publiés dans le recueil autrichien der Kirchenschmiich (Gratz , Iofl7-i888), M. G. Graus a montré par les arguments les plus probants combien de liens rat- t.ichaient l'architecture de la Renaissance à l'art chrétien primitif. L'auteur, qui est un croyant d'une orthodoxie irréprochable, s'efforce en même temps de montrer que cette architecture traduit aussi bien l'idée du christianistne que l'architecture ogivale. 404 IlISTOIRK DF. I.'Ain^ PENDANT LA RENAISSANCE. ■*-.;--j»v.-.y.:v.ij.v.-.«« ■b-::» H' -'--14 Plan dit de la croix latine. ( Kglise du Saint-Esprit à Florence.) transept, et de revenir à la di.sposition d'un certain nombre de basiliques chré- tiennes primitives. Mêmes licences pour les chapelles latérales, pour l'arc triom- phal, pour l'abside, pour la couverture de la nef centrale, qui se conipose tan- tôt d'tme voûte en berceau, comme à la (I Madonna del Calcinajo », près de Cortone, tantôt d'un faitage découvert, comn-ie à « S. Francesco al Monte », près de Florence, tantôt encore d'un soffite à caissons, comme à S. Lorenzo de Flo- rence. Bref, la fantaisie individuelle tend à remplacer les règles fixes , strictement obligatoires, élaborées par l'art religieux du moyen âge et qui, foisant en quelque sorte partie de la liturgie, s'imposaient à la foule en raison même de leur inflexi- bilité. On copiera bien encore tel ou tel modèle, la façade de Sainte-Marie Nou- velle d'Alherti, le Saint-Pierre de Bra- mante ou de Michel-Ange; mais n'oublions pas de noter cette différence : c'est un chef-d'œuvre de Fart que l'on reproduii-a, et non plus un sanc- tuaire consacré par la vénération de plusieurs générations de fidèles. Les églises à base de croix grec- que, c'est-à-dire ayant les quatre bras de longueur égale, avec une coupole sur l'intersection, et of- frant comme l'image d'un corps ramassé sur lui-même, sont peu nombreuses à cette époque. Citons l'église San Sebastiano, commen- cée à Mantoue en 1451) sur les plans de L.-B. Alberti, l'égHse San Giovanni Crisostomo à Venise (148.1), la « Madonna délie Car- ceri » ;\ Prato, chef-d'œuvre de Giuliano da San Gallo. Ce système si riche et si suggestif, avec sa coupole dominant également toutes les parties de l'édifice, et les retenant ainsi dans une union plus étroite, devait être surtout développé au siècle suivant. Au quin- Plan de l'église Saint-Laurent à Florence. LES KGLISES. 40.-1 Plan dit de la croix grecque. (Eglise Saint-Sébastien à Mantoue.) zièiiie siècle, Léonard de Vinci s'appliqua, dans une série de projets qui n'ont jamais été mis à exécution, à poursuivre le problème de ces constructions concen- triques, pltis savoureuses que celles qui dé- coulent de la croix latine, et admettant des ]iénétrations plus variées, pltis pittoresques'. Ati quinzième siècle, les édifices circu- laires ou pohgonaux" ne sont guère phis fréquents que les églises bâties sur le plan dit de la croix grecque. Comme spécimens, on peut citer la petite église octogonale de Saint-Jacques à Mcovaro, dans les environs de Rome, qui procède des baptistères du moyen âge. Une autre construction poh'go- nale, l'église des Anges ou des Camaldules à Florence, une des créations les pltis origi- nales de Brunellesco, n'a jamais été achevée et n'offre plus qu'tme ruine, Dans cette analyse des éléments qui con- stituent l'église de la Première Renaissance, nous suivrons l'ordre indiqué par la topo- graphie et commencerons de droit par la F.\ç.\DK, pour passer de là atix autres par- ties de l'édifice. Et tout d'abord, avant de nous occuper de la façade même, rappelons que les archi- tectes du quinzième siècle proscrivent d'or- dinaire le portique, porche ou narthex — comme on voudra appeler ce genre de construction, — désireux qu'ils sont d'ob- tenir avant tout une surface, non seulement homogène, mais encore unie. Les seules exceptions dignes d'être signalées sont le portique de la chapelle des Pazzi à Flo- rence, celui de Sainte -Marie des Grâces à Arezzo (gravé page 71), puis ceux de différentes églises romaines, Saint-Marc, les Saints-Apôtres, Saint-Pierre es Liens, etc. Le moyen âge, comme s'il avait gardé potir lui la peine et laissé à d'autres l'honneur, avait légué à la Renaissance d'innombrables façades d'églises à déco- l'ian de l'ei^rlise des .An^es à Florence. 1. Voy. H. de Gcymûller : Leoiianh da Vinci us archilect. Londres, i88.3 (extr. de 'l'hc lih'raiy livrh of Leoiiardû du Vinci, p.ir J. P. Richter). 2. M. Strack a consacre un ouvrage spécial à ces édifices : Central und Kuppelltirchen der Re- naissance in Ilaliin. Berlin, Ernst et Korn ; 1882 ; un vol. de texte et un atlas. ^o6 IIISTOTRE DE I.'ART PENDANT LA RENAISSANCE. rer. Ainsi s'expliquent les tâtonnements, les contradictions, le manque de parti pris, que l'on relève dans un si grand nombre de façades d'églises italiennes datant de la Première Renaissance : leurs architectes avaient beau s'évertuer à les mettre en harmonie avec le corps même d'édifices construits en stvle gothique, la conviction intime et l'inspiration leur faisant défiiut, ils ne pou- vaient qu'enfinter des œuvres hybrides. Pendant cette première période, le constructeur par excellence de façades fut Léon-Baptiste Alberti : les églises de Sainte-Marie Nouvelle à Florence, de Saint-François à Rimini, de Saint- André à Mantoue, lui doivent la leur. Dans la première, Al- berti s'inspira très visiblement des anciennes basiliques, prin- cipalement de celles qui appar- tiennent à la Renaissance du onzième ou douzième siècle : San Miniato , la Collégiale d'Empoli, certaines églises de Lucques et de Pise, pour ne point remonter jusqu'aux tem- ples de l'antiquité. Au som- met, un fronton triangulaire : au-dessous un mur droit avec un immense œil-de-bœuf au centre, et sur les côtés deux volutes gigantesques destinées à relier le fronton à l'ordre in- férieur— innovation des moins heureuses et qui a obtenu jusqu'à nos jours un succès extraordinaire en raison même de sa bizarrerie ', — puis une large frise, enfin le corps même de la façade, avec une immense porte cintrée, répondant à la nef principale, et de chaque côté quatre arcades, dans la seconde desquelles, en partant du centre, est pratiquée une porte latérale, correspondant aux bas côtés. Des incrustations en marbre de couleur — ici encore, Alberti s'est inspiré de la basilique de San Miniato, du Baptistère de Florence, de la Badia de Fiesole — tiennent lieu sur ce vaste ensemble de saillies proprement dites et en accentuent les diffé- rents membres avec une clarté parfaite. La façade de Sainte-Marie Nouvelle a donné naissance à toute une classe de constructions congénères, avec la polvchromie en moins; de ce nombre sont les taçadcs longtemps attribuées à Baccio Pontelli, mais dont plusieurs appar- I. L'innovation d'Alberti consistait à relier l'ordre supérieur à l'ordre inférieur (qui est plus large), non pas au moyen d'une ligne oblique, comme à San Miniato, mais à l'aide d'une ligne courbe, convexe dans le haut, concave dans le bas, disposition qui ménageait mieux la transition. Façade de réa:lise Raint-Auffustin à Rome. LES EGLISES. 40- Kaçade du temple dus .Makucsla a Riniini. Projet d'Alberti. iD'aprèb une médaille de Matteu de' Pasti. tiennent en réalité à son sosie, Meo del C.iprina : citons les églises Sainte- Marie du Peuple, Saint-Augustin, Saint-Jacques des Espagnols, Saint-Pierre in Montorio, à Rome, la cathédrale de Turin (1492), où toutefois l'oculus du modèle est remplacé par deux fenêtres cintrées. Depuis, ce type a été reproduit à l'infini; il a pénétré de nos jours jusque dans d'obscurs villages. Les Siennois simplifièrent les façades jus- qu'à l'exagération dans l'oratoire de Sainte- Catherine, probablement terminé en 147? par Francesco di Duccio del Guasta, et dans la « Madonna del Calcinajo » à Cortone, où Francesco di Giorgio Martini répéta la même disposition sur la façade principale et sur les façades latérales. La façade (inachevée) du temple des Mala- testa ou église Saint-François à Rimini (vers 144'j) procède, comme d'Agin- court déjà l'a établi, de l'arc de triomphe romain élevé dans la même ville. Au centre, correspondant à la nef principale, une porte de dimensions extraor- dinaires, flanquée de deux colonnes engagées suppor- tant l'entablement du pre- mier étage; puis, de chaque côté, une arcade, qu'en- cadre une seconde colonne. A l'étage supérieur, la nais- sance de deux colonnes ré- pondant à celles du centre et que des murs à rampants inclinés devaient relier aux extrémités de la iaçade, à peu près comme les volutes emplo3'ées à Sainte-Marie Nouvelle. Ces colonnes avaient pour mission de supporter (si l'on juge par les parties amorcées ainsi que par la médaille de Matteo de' Pasti, reproduite ci-dessus) une arcade que dominait dans le fond une coupole gigantesque. Du temple des Malatesta dérivent la façade de la cathédrale de Pien/a, par Bernard Rossellino, l'élève et le collaborateur d'Alberti, puis, dans une certaine mesure, celle de la basilique de Saint-Marc à Rome. La large baie de l'oratoire Saint-Bernardin à Pérouse rappelle également le temple des Malatesta , que Façade du temple des Malatesta à Kimini (étal actuel). 4o8 HISTOIRE DF. LART PENDANT I,.\ RENAISSANCE. Façade de l'église Saint-Andic à Manluue (D'après un croquis de Baltard.) l'architecte et le décorateur de l'oratoire, Agostino di Diiccio, avait eu le loisir d'étudier pendant son long séjour à Rimini. L'eftort le plus puissant tenté par Alberti , c'est la taçade de l'église Saint-André à Mantoue. Ici encore, au sommet, le fronton triangulaire; au centre, ime porte montant du st>l à l'entablement, puis, pour encadrer cette porte, vaste comme la baie d'un arc de triomphe, quatre pilastres, occupant toute la hauteur de la fa- çade. Entre ces pilastres sont prati- qués, de chaque côté, une porte et deux étages de tenètres : disposition qui amoindrit quelque peu l'effet (Brunellesco n'eût pas manqLié de substituer à cette double rangée de fenêtres une ienètre imique). L'en- semble néanmoins a une grande tournure et lui aspect véritablement monu- mental. Aux façades .1 h'onton triangLilaire ou circulaire font pendant les cou- ronnements horizontaux, dont il n'est pas difficile, non plus, de dé- couvrir le prototype dans les églises du mo}'en âge, par exemple dans les basiliques de Rome, telles que Saint-Pierre au Vatican, Sainte- Marie du Transtévère, l'Araco-'H. Citons, pour le quinzième siècle, Saint-Marc de Rome, la Chartreuse de Pavie, etc. A Bologne, l'archi- tecte de la « iMadonna di Caillera » a traité le couronnement de ce sanc- tuaire tout comme s'il s'était agi de la frise et de la corniche d'un palais, et, de fait, l'entablement du palais Pava, dans la même ville, présente de frappantes analogies Axec celui de la « Madonna di Caillera », qui rappelle également, comme arrangement général, la Loge des Lanzi et l'oratoire d'Or San Michèle à l'iorence. Il est inutile d'ajouter que ces laçades rectangulaires l-'a^'ade de l'église Sainl-.Marc à Konie. LES EGLISES. A"9 violent de la façon la plus formelle le principe — que l'on cherche à imposer aujourd'hui — et d'après le- Tmi T JSflT 7\' quel la fiçade doit accuser les lignes et les divisions de l'intérieur. A la Chartreuse de Pavie notamment, la par- tie supérieure de la façade déhorde en hauteur et en lar- geur sur le corps même de l'édifice, et offre, vue de der- rière, un mur nu, qui ne s ap- puie contre rien. Si quelques quattrocentistes annoncent et préparent ainsi les errements du stvle jésuite, il huit ajou- ter, .1 leur décharge, qu'ils peuvent se retrancher der- rière l'autorité de plus d'un architecte roman ou gothi- que; il suffira de rappeler, entre vingt exemples, hi vénérahle hasilique de San Michèle à Lucques. l'aoade de la « .Maiicnna Ji dalliera » a Bolu^'iiu. $ Les façades d'églises vénitiennes forment une catégorie bien distincte, mais nullement recommandable. Elles se composent d'éléments disparates que les architectes n'ont pas eu la force de fondre, de manière à les fliire rentrer dans l'accord général : dé- pourvues de tout parti pris, elles manquent à la fois d'unité et de gran- deur. Ce qui \" domine, ce sont les lignes courbes, les frontons circu- laires, auxquels viennent parfois se joindre les volutes les plus disgra- cieuses, telles que celles de l'église San Zaccaria. C'est en mi mot un mélange incohérent de réminiscences b\zantines, dépourvues de tout in- térêt du moment où elles ne sont plus appliquées logiquement, et d'in- novations florentines; quelque quatre ou cinq ordres maladroitement super- posés, comme à San Zaccaria, ou un ivil-de-bœut flanqué de cinq autres 1:. -Miinlz — I. llalic. Le.-- l'hmilils. ii l-acade de l'église Saint-Zacharie à Neniït; 410 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. cercles, comme à « Santa Maria dei Miracoli », on une succession de petits frontons circulaires, comme à la « Scuola di San Marco » ; enfin, brochant sur le tout, des incrustations de marbre précieux. L'œil peut s'arrêter avec surprise slu' cette profusion de motifs, comme il le terait sur un tapis oriental, l'esthétique n'a auctm enseignement .\ en retirer. On pourrait encore proposer un autre classement et distinguer, des façades purement architecturales, comme l'étaient celles d'Alberti, et en général celles des Florentins, les taçades dans lesquelles la sculpture domine : l'oratoire de Saint-Bernardin .\ Pérouse, la c Madonna di Galliera » et le n Corpus Domini » à Bologne, la « Madonna dei Mira- coli » à Brescia, enfin la merveille des merveilles, la Chartreuse de Pavie. Certains artistes indépendants ont poussé l'audace jusqu'à \' pratiquer des niches destinées .'i recevoir des statues (comme au campanile de Giot- to et .1 l'oratoire d'Or San Michèle), élément de décoration qtie l'ivcole flo- rentine proscrivait des façades des égli- ses aussi bien que de celles des palais. Etant données les tendances des quattrocentistes florentins ainsi que cette recherche à outrance de l'unité, le CAMP.VNILE isolé OU le CLOCHEK taisant corps avec la taçade ne pouvaient être considérés qiie comme un élément parasite et en conséquence réduits .'i leiu' plus simple expression, sinon sacrifiés. Ces flèches impertinentes ne trotiblaient-elles pas l'équilibre de combinaisons fondées sur l'horizontalité des lignes et sur l'absence de toute silhouette! Aussi à peine esquissa-t-on deux ou trois campaniles de quelque intérêt : celui de S. Spirito à Rome, construit sous Sixte IV, et qui procède d'ailleurs des élégants campaniles romains du moyen âge, avec leurs petites fenêtres divisées en deux par une colonnette, celui de la cathédrale de Fer- rare, le campanile de S. Pietro in Castello .'i \'enise (1474), etc. La Renaissance du seizième siècle remettiM au contraire en honneur ces facteurs si importants de l'architectin-e religicLise : à Rome, dans le Saint-Pierre de Bramante, à Montepulciano, dans la « Madonna di San Biagio », et ailleins encore ils occuperont une place prépondérante. Une construction très intéressante, mais absolinnent isolée, c'est, à ivonie, la LOGE du haut de laquelle le Pape donnait la bénédiction. Nous connnu- niquons plus loin quelques détails sur celle de ces loges dont le pape Pie II commença la construction, en avant de la basilique du ^'atican. Fav^du iic roraluirc Sainl-Beniardin a l'erouss;. LES ÉGLISES. 411 Les arcs-boutants, qui n'avaient jamais pris racine en Italie, avant disparu, ainsi que les contreforts, il ne restait à la Première Renais- sance, pour accentuer et ani- mer les côtés extérieurs de ses églises, d'autre ressource que les pilastres. C'est dire à quel point l'aspect des taçades laté- rales s'appauvrit. Seul Alberti essaya de réagir : dans l'église Saint-François de Rimini il ou- vrit les bas côtés à l'extérieur, }• disposa des arcades profondes et plaça dans ces arcades une série de sarcophages. L'.\BsiDE a perdu chez les quattrocentistes la richesse qui la distinguait chez les archi- tectes gothiques : la couronne de chapelles qui l'enserrait na- guère tait place, dans les deux principales églises de Brunel- lesco, S. Lorenzo et S. Spiri- to, à des murs perpendiculaires tormant un rectangle plus ou moins régulier. Dans le chœur de r (I Annunziata » de Florence, Alberti essave de revenir à un plan plus riche. Pénétrons à l'intérieur : l'éclairage sera tour à tour abondant ou discret. Mais ce que les adeptes du nouveau stj'le pros- crivent rigoureusement, c'est l'éclairage artificiel, la lumière filtrant à travers des vitraux de couleur et projetant au hasard ses lueurs de pourpre ou d'azur. Passez en revue les verrières du quinzième siècle, vous n'en découvrirez que dans des églises appartenant au stvle de transition. Tout au plus dans les autres, de loin en loin, quelque vitrail isolé, égaré, comme dans la chapelle des Pazzi, où Brunellesco se réconcilia avec la polychromie. Dans Coupe de réglise Sainl-Laurent à KloreiKc. TMan Je Tabside de T a Annunziala : de Florence. 412 iiSTOiur: nr: lwrt pi:NnANT la renaissaxcp:. leur intolérance, les novateurs ne proscrivent pas avec moins de rigueur les fresques ou les mosaïques, que l'on s'était habitué, dans les basiliques primi- tives aussi bien que dans les églises romanes et gothiques, à prodiguer partout, Mir la trise de la net principale, sur les voûtes du transept, sur le cul-de-four de l'abside, à moins toutefois que l'on n'admette que toutes ces églises du quinzième siècle sont restées inachevées. Ces décorations seront soigneusement reléguées dans des édifices accessoires, les chapelles, les sacristies, parfois les cloîtres, comme dans les couvents de Saint-Marc de Florence, de la Minerve à Rome, ou de Monte Oliveto Maggiore. Pour couverture la nef centrale reçoit tour à tour une voûte en berceau, un plafond à caissons ou un faitage décou- vert. Ce dernier .système ne constituait pas une innovation : une foule d'archi- tectes gothiques en avaient flùt usage en Italie, sacrifiant ainsi le plus précieux des avantages du style gothique, la possibilité de donner plus de portée aux voûtes des- tinées à relier les murs droits de l'in- térieur. La COUPOLE, une fois remise en hon- neur par Brunellesco (coupole à huit pans sur un tambour très élevé, au dôme de Florence, coupole circulaire sur des voûtes en berceau, .'i la chapelle des Pazzi, cou- pole de la sacristie de Saint-Laurent, etc.), devient bientôt l'ornement obligé de toute église de quelque importance; avec elle les lignes courbes se sub- stituent aux lignes droites des flèches gothiques. Brunellesco cependant n'avait pas résolu toutes les difficultés : les architectes de l'église Saint-Augustin .'i i\ome, Giacomo de Pietrasanta et Sebastiano de Florence, furent les premiers « qui placèrent sur les arcs d'un quadrilatère et sur les pendentifs destinés à raciieter les angles un tour de dôme complet portant une coupole en plein cintre. » (Ramé, p. i iQ.) Puis, les obstacles matériels surmontés, il restait à donner à la coupole le galbe parfait : ce fut la mission à laquelle se dévouèrent Bramante et Michel-Ange. Pour la décoration du sol, on se sert tantôt de mosaïques, tantôt de carrelages émaillés (vo3'ez plus loin la notice sur la céramique). On est surpris de trouver les dessins géométriques à la byzantine, les dessins connus sous le nom d'opus ah'xaihhiumii, JLisque dans les Stances du \'atican construites sous le pape Nico- las \', jusque dans la chapelle Sixtine. Il semblerait que la monotonie de ces combinaisons, uniquement formées de cercles, de rectangles, de triangles et Vue iiilûiieure Je r(}i.'lise Saint-.\ui;ii^lin ;i Rcime. Saii;imi) i.l i.'n.i l^^: S aint-| .aihiint A Klorencp. (.oNSiinni: r-Aïc liruNELLEsni, UtCURhE PAU DONATELLO. 414 HISTOIRE DE I.'ART PENDANT LA RENAISSANCE. autres figures analogues, dût jurer avec la liberté que poursuivait la Renais- sance. Mais ici se vérifie une loi avec laquelle nous aurons à tout instant à compter : en matière d'industries d'art, les traditions spéciales de chaque industrie sont plus puissantes que la direction générale du goût de l'époque. Comme corollaire de cet axiome, on peut affirmer que les arts qui se rallièrent le plus vite à la Renaissance furent ceux qui n'avaient pas de passé, par exemple la gravure. Dans plusieurs églises, les sacristies reçurent un développement si considé- rable, qu'on peut les regardrer comme des monuments indépendants. De ce nombre est la vieille sacristie de Saint-Laurent, construite par Brunellesco, modèle de décoration riche et noble, avec ses portes de bronze tondues par Donatello, les bas-reliefs de sa voûte modelés par le même, ses boiseries intar- siées, puis les tombeaux de Jean de Médicis, de Cosmc et de Pierre. A cette époque de transition, le rôle des chapelles l.\tèrales n'est pas plus rigoureusement déterminé que celui du transept ou de l'abside. A San Lorcnzo, qui a trois nefs, ces chapelles (ajoutées par Antonio Manetti) correspondent aux entrecolonnements de la nef principale : chacune d'elles, encadrée par deux pilastres, communique avec les bas côtés par une porte cintrée. Tous les Mécènes ou tous les dévots ne pouvaient pas faire construire à leurs frais des églises entières, comme les souverains, les confréries ou les Médicis. Ils se rabattirent sur des constructions plus modestes, des chapelles, tantôt communiquant directement avec le sanctuaire, comme celle du cardinal de Portugal à San Miniato, ou celle de Santa Fina à la cathédrale de San Gimi- gnano, tantôt isolées et indépendantes, comme celle des Pazzi à Santa Croce, celle de Pontano à Naples, celle de Colleone à Bergame, et, dans une cer- taine mesure aussi, celle des Portinari, édifiée à la suite de l'église Sant' Eus- torgio à Milan. Plusieurs de ces monuments en miniature ont une importance considérable et devront être étudiés à part. A côté de la structure organique des églises, nous avons à étudier leur déco- ration et leur ameublement. Nous devrons successivement passer en revue les chancels, les jubés, les tri- bunes pour les chanteurs, les buffets d'orgues, les chaires à prêcher, les autels, les bénitiers, les lutrins, les candélabres, les stalles, les armoires ou tabernacles pour l'hostie ou les saintes huiles, les fonts baptismaux, les lavabos, tout un monde qui s'ouvrait à l'imagination des décorateurs. Mentionnons en outre, mais pour mémoire seulement, l'orfèvrerie religieuse, avec ses châsses, ses ostensoirs, ses paix, ses candélabres, ses calices. Je n'essaverai pas de rehiire, après Jacques Burckhardt ', l'inventaire de cette inestimable série qui s'étend d'un bout '.\ l'autre de l'Italie, ornant, illu- 1. Dti Cicfioii:\ t. II, p. ]^\-]ij2. — Geîihicbh' ikr Rcnaisuviic iii Italien. LE MOBILIER RELIGIEUX. 4i5 minant, jusqu'à d'hunihlcs églises de village. Parmi tant Je merveilles enfan- tées par la Première Renaissance, elle nous oflre peut-être l'image la plus complète Je la perfection, avec la pureté Jes lignes inspirées de l'architecture, avec les inventions gracieuses et pittoresques Jues au ciseau de tant Je sta- tuaires éminents, aux yeux Jesquels sculpter un canJélabre en marbre, fondre un bénitier en bronxe, ne s'appelait pas déroger. Ce qui tait, en effet, le prix de ces accessoires du culte, c'est qu'ils ont presque tous pour auteurs Jes artistes J'un talent supérieur, et non pas ce que nous appellerions aujourd'hui Je simples artistes inJustriels. Mais si je renonce à une énimiération qui ne présenterait peut-être pas un intérêt très vif pour le lecteur, j'ai le Jevoir Je taire passer sous ses yeux quelques-uns Jes types les plus caractéristiques, en m'attachant à Jégager les lois générales et en négligeant les exceptions en tant qu'elles ne servent pas à mettre en lumière quelque trait intéressant. La règle que je me suis im- posée, J'un bout à l'autre Je cet ouvrage, c'est en etîet Je Jistinguer les ten- Jances représentées par cent manifestations Je celles qui ne le sont que par dix ou cinq, ou par une seule, comme aussi de distinguer, pour emplo}'er l'expression de Vasari, « il meglio dal buono e l'ottimo dal migliore » . Chez ces partisans si convaincus de l'alignement, r.\LiTEL doit s'etiacer autant que possible contre les parois. Signalons comme un modèle de richesse l'autel des Piccolomini, au dôme de Sienne, sculpté par Andréa Bregno. Le CHANXEL de la Renaissance a trou\é sa torme la plus élégante à la chapelle Sixtine. Dans le bas, une balustrade en marbre ornée de bas-reliefs d'une rare richesse, avec les armoiries de Sixte IV et des guirlandes : de ce soubassement partent Jes piliers Jécorés J'arabèsques et qui supportent l'entablement; sur celui-ci se Jétachent à leur tour des canJélabres en marbre, qui achèvent Je Jonner à l'ensemble un air Je granJe légèreté et Je granJe Jistinction. Parmi les tribunes de ch.wteuks (les « cantorie «), la palme revient à celles Je la cathéJrale de Florence, sculptées : les unes par Donatello, les autres par Luca délia Robbia. Nous reparlerons de ce double chef-d'œuvre dans la biographie des deux maîtres. Plus tourmentée, plus froide, est la « cantoria « de l'église Saint-Laurent à Florence, remarquable par des colonnettes incrus- tées, d'un goût fort douteux. La tribime de la chapelle Sixtine brille par le luxe de l'ornementation. Les plus riches des eoxts b.aki'Is.maux du quinzième siècle, mais non les plus élégants, sont ceux du Baptistère de Sienne, avec leur cuve hexagonale ornée de bas-reliefs en bronze fondus par Jacopo Jella Quercia, Ghiberti, Donatello, Turini, leur tabernacle à niches et à frontons, leurs échaftuJages Je statuettes et leur couronnement qui n'en finit pas. En voulant trop bien taire, les Siennois n'ont réussi qu'à créer un monument hybride, auquel tous les sacrifices de temps et d'argent ont été impuissants à donner l'unité. 4I6 HISTOIRE DK LART PENDANT LA RENAISSANCE. Plus sobre mais infiniment plus harmonieuse, est la cuve baptismale en marbre de la cathédrale de Pien/a, contemporaine, selon toute vraisemblance, du pape Pie II (i45H-i4h4) : dans le bas, monté sui' un pied, un vase, de forme antique, à oves et à y;odrons; le couvercle, décoré de palmettes, se termine par un fitis- ceau de feuilles d'acanthe, faisceau qui supporte à son tour un édicule rectangulaire flanqué aux angles de colonnes et percé au centre d'une porte; la frise a pour prin cipal ornement les croissants des Piccoloniini. Pour couronner le tout, sur une toiture couverte d'imbrications, la statue tradition- nelle du Précurseur. A côté des tonts baptismaux, le BÉNITIER ((' pila deir acqua santa ») est représenté par une longue série de monuments, en marbre ou en bronze, les uns exubérants et sur- chargés, comme ceux de la catlié- drale de Sienne (14(1:-! j'i.i), les autres corrects et troids, conmie Celui de Civitale, à la cathédrale de Lucqiies (i4()M). La cuAUu; se conçoit connue accolée .'i im pilier de I.i nef (chaires de Benedetto da Majano à Santa Croce de Florence, de Ci- vitale au dôme de Lucqiies, etc.) ou suspendue contre une paroi, principalement dans les rétectoires (chaire de la Badia de Fiesole, attribuée à Brunellesco, ch.ure de la Chartreuse du \'al d'Hma). Nous trouvons même quelques exemples de chaires extérieui'es, placées à l'angle des églises (cathédrale de Prato, avec la fameuse ronde d'enfmts de Donatello). Les AMBONS, imités de ceux des basiliques primitives (on voit que la Renais- sance a mis à contribution l'antiquité chrétienne presque .uitant que l'antiquité Cuve haplismalc du la callicilrale de l'icn/.a. LE MOBILIER RELIGIEUX. 41: païenne) — un coffre posé sur des colonnes, — n'apparaissent qu'à titre de restitution archéologique. Les plus célèbres d'entre eux sont les ambons de bronze de l'église Saint-Laurent à Florence, par Donatello et Bertoldo. Le quinzième siècle n'a pas compté que des chefs- d'œuvre : on peut signaler comme un modèle achevé de mauvais goût la chaire intérieure de la cathédrale de Prato, quelque chose comme un calice gigan- tesque, produit de la collaboration d'Antonio Rossellino et de Mino. Le ciBORiUM, le ta- bernacle, I'armoire aux SAINTES HUILES, comme on voudra appeler ces monu- ments en miniature, tan- tôt isolés de toutes parts, tantôt fixés contre une paroi, ont eu pour privi- lège de surexciter le talent des sculpteurs aussi bien que des architectes : ils se présentent à nous tantôt avec la science de com- binaisons et la finesse de profils chères à l'architec- ture, tantôt avec l'exubé- rance et le mouvement qui caractérisent l'École de Donatello. Parmi les tabernacles qui relèvent de l'architecture, celui de Benedetto da Majano, à la Collégiale de San Gimignano, affecte une grande pureté de lignes : de forme hexagonale, supporté par une base ressemblant au pied d'un calice, il contient sur les angles des pilastres géminés entre lesquels sont pratiquées les portes; la frise est ornée d'une inscription en beaux caractères épigraphiques; une coupole couverte d'imbrications et surmontée d'une lanterne — ne dirait- on pas, en voyant l'artiste déployer une telle science, qu'il s'agit de couronner la coupole de Sainte-Marie des Fleurs! — termine cet édicule, élégant, mais E. -Mûnlz. — L Ilalie. Les Pnmilils. J.' Bcnilicr en marbre par A. Federig-hi. {Cathédrale de Sienne.) 4iE HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. froid. C'est au fond le système des architectes gothiques : traiter les moindres meubles dans le même style que les édifices eux-mêmes et faire d'une châsse, d'un ostensoir, d'un calice, une cathédrale en raccourci. Un autre tabernacle de Bene- detto , exécuté pour l'église Saint-Domi- nique à Sienne, a pkis de liberté et d'élé- gance. Parmi les taberna- cles ou les armoires aux saintes huiles dans lesquels l'élé- ment sculptural do- mine , plus d'un a pour signature le nom le plus glorieux. La basilique de Saint- Pierre de Rome con- serve, dans une dé- pendance de la sacris- tie, le tabernacle du Saint- Sacrement exé- cuté, en I4.V-Î, par Donatello , retrouvé de nos jours par M. Schmarsow. Un type d'armoire aux saintes huiles d'une parfoite élé- gance, et qui a été copié à l'envi, est ce- lui qu'a créé ou per- fectionné Desiderio de Settignano, à Saint- Laurent de Florence. Il se compose de deux pilastres encadrant le motit principal, — sur lequel je reviendrai tout à l'heure; — d'un entablement qui a pour ornement des tètes de chérubins, puis d'un fronton semi-circulaire, sur lequel se détachent en ronde bosse l'Enfmt Jésus, debout sur un calice et bénissant, et deux anges qui l'adorent. Entre les pilastres est simulée une belle voussure à caissons (très réussie comme per- Cliaire de la cathédrale de Pialo. Sculplée par A. Rossellino et Mino de Fiesole. LF, MOIMLIER RELIGIEUX. 410 spcctive), au pied de laquelle des anges, pressés les uns contre les autres, s'inclinent avec les marques de la vénération la plus pro- fonde devant la petite porte du tond, la porte du sanc- tuaire. En dehors du taber- nacle, deux anges, debout, vêtus de longues robes, portant chacun un candé- labre. Ce tvpe a été modifié avec plus ou moins de succès à la Badia d'Arezzo, puis à Rome, principalement par Mino, qui en a laissé un modèle d'une grâce achevée dans la basilique de Sainte- Marie du Transtévère ' . L'Ecole vénitienne s'est em- parée du motif des anges en adoration dans une sculp- ture délicieuse conservée au Musée de Brera à Milan. Les sculpteurs, je le ré- pète, ont rivalisé d'élégance et d'ingéniosité dans l'ar- rangement de ces jovaux en marbre, sur lesquels ils semblent avoir concentré toute leur tendresse : en tace de l'idée si touchante, imaginée par Donatello ou Desiderio, de placer des anges en adoration devant la porte trois fois sainte, il faut mettre en lumière l'in- vention éminemment poé- tique du sculpteur qui a exécuté l'armoire de la sacristie de Santa Croce "i Florence : au vulgaire cul-de-lampe il a substitué un ange dont les 1 . Cette armoire est publiée pi. III de l'ouvrage de Tosi et Barbier de Montault ; celles de Saint-Marc, de Saint-Jean des Génois, des Quatre-Saints Couronnés et de Saint-Jacques des Espagnols, pi. XVIIl, XCIII, XCIX, CX du même ouvrage. .Armoire aux saintes huiles. (Uadia d'Arezzo.) 420 HISTOIRK DE I/ART PF-NDANT LA RENAISSANCE. mains étendues tiennent une banderole avec l'inscription : O salidaris hoslia ! L'art s'emparant courageusement d'usages qui semblent de prime abord répugner à ses hautes tendances spiritualistes, et les rendant respectables à force de mettre de la noblesse dans son interprétation, tel est le problème qu'ont résolu victorieusement une foule de quattrocentistcs. Rien assu- rément n'éveille moins d'idées élevées que les cuves ou bas- sins, destinés aux ablutions, alors même que la liturgie les a prises sous sa protection. Eh bien, ces lavabos (c'est le terme consacré en archéologie), que l'on serait tenté aujourd'hui de dissimuler, deviennent un élé- ment de décoration des plus intéressants, tant il est vrai qu'il appartient à la forme d'en- noblir l'idée, pour peu que l'ar- tiste prenne franchement son parti de la tâche qu'on lui im- pose. La Renaissance du quin- zième siècle nous offre une série tout à fait remarquable de la- vabos en pierre ou en marbre, parmi lesquels je citerai, à Flo- rence et dans les environs, ceux de la sacristie de Sainte-Marie Nouvelle, de l'abbayt (Badia) de Fiesole, de la Chartreuse du val d'Ema ; à Pavie, celui de la Chartreuse; à \'enise, celui de l'Académie des Beaux-Arts. Tandis qu'au moyen âge, et surtout en France, les lavabos se composaient d'ordinaire de vasques isolées de toutes parts, en Italie les quattrocentistes les plaçaient presque invariable- ment contre les murs (se conformant ainsi à une tendance que nous aurons sans cesse à constater) : l'eau s'échappe des réservoirs dans un bassin long et étroit. Dans le lavabo de la sacristie nouvelle du dôme de Florence, sculpté par Buggiano, le réservoir a la forme d'une outre sur laquelle sont assis deux génies nus, dont le poids fut sortir l'eau de deux robinets. Une merveille de richesse et de goût, c'est le lavabo de la sacristie de Saint- Lavabo de la sacristie de Saint-Laurenl, par .\. Rossellino. L'ARCIIITKCTURE Y- VSVAXWRE. 421 Laurent, avec des sphinx, des dragons, un foucon, une tête de lion et les armoiries des Médicis, chef-d'œuvre d'Antonio RosscUino (faussement attribué par Vasari à Verrocchio). Si les meubles, ornements ou ustensiles en marbre et en bronze suivent docilement le courant de la Renaissance, le mobilier en bois témoigne de plus d'Iiésitation : c'est que nombre de sculpteurs en bois avaient pour patrie, soit la France, soit TAllemagne, et professaient en conséquence un vif attachement pour la tradition du moyen âge. C'est ainsi qu'au dôme de Pienza (i 458-1 4Ô4) les stalles sont encore gothiques : dans les compartiments rectangulaires s'inscrit une ogive contenant au sommet un cercle, et se subdivisant plus bas en deux ogives plus petites, que sépare une colonnette torse. Par contre, les pilastres qui encadrent ces compartiments, ainsi que la frise à rinceaux et à denticules qui les surmonte, procèdent du style nou- veau. Même observation pour les stalles d'Assise. Le quinzième siècle n'a pas à son actif des fondations de MONASTJ-iRES aussi grandioses que Saint-François d'Assise, la Chartreuse du Val d'Ema, Monte Oliveto Maggiore, Ca- maldoli, la ^\■rnia, Vallombrosa, etc., pour ne point parler de Monte Oliveto, de la Cava, de Subiaco, de Monreale. La Chartreuse de Pavie elle-même remonte, pour le plan géné- ral, au quatorzième siècle. Cependant quelques ordres privi- légiés durent à leur propre ardeur, ou à la munilicence de Mécènes d'entrer en possession de vastes locaux, bâtis sur un plan régulier et formant un ensemble parfaitement rai- sonné et complet. De ce nombre furent les Dominicains de Saint-Marc de Florence. Leur protecteur, Cosme de Médicis, fit construire à leur intention, par Michelozzo, une longue rangée^ de cellules avec des cloîtres aussi élégants que spacieux, des réfectoires, une salle capitulaire, une bibhothèque, etc. A la Badia de Fiesole, destinée à héberger des chanoines réguliers de ses amis, Cosme confia une mission du même genre à Brunellesco. Comparées à l'œuvre de Cosme, les autres constructions conventuelles ont quelque chqse de fragmentaire : l'on bâtit ou l'on décore deci delà un cloître (Santa Croce à Florence, Monte Oliveto Maggiore), une chapelle (couvent des Carmes à Florence), le tout sans plan préconçu et sans grande dépense. L'architecture funéraire a été, jusque dans notre siècle, si intimement liée dans la Péninsule à l'architecture religieuse, qu'elle a sa place tout naturelle- Coupe des stalles de la basilique d'Assise. 422 HISTOIRE DF. LART PENDANT LA RENAISSANTE. ment marquée à la suite de celle-ci'. Le Campa Santo, une des créations aux- quelles l'Italie moderne a su donner l'aspect le plus monumental, n'existait pas, ou peu s'en fout, à l'époque de la Renaissance, et celui de Pise était à tous égards une création rare, pour ne pas dii'c unique. Partout ailleurs, les tombeaux prenaient place dans les églises, sur les parois des bas côtés, ou dans le sol, souvent aussi dans les galeries des cloitres'. Au moyen âge l'architecture fiméraire avait cu autant d'originalité que de variété et d'éclat"' : elle révélait la vigueur d'assimilation d'une époque habile .'i assouplir la matière et à y imprimer nettement ses aspirations. L'Italie avait créé le mausolée isolé de toutes parts, avec la statue du défunt placée sous un édicule, ou cette statue au contraire couronnant l'édicule, dans une attitude triomphante (tombeaux des Scaliger à Vérone , de Barnabô Visconti à Milan, etc.). Un autre tvpe tort répandu, c'était le sarcophage incrusté dans le mur, à une certaine hauteur, et soutenu par des consoles (tombeau de Niccolo Acciajuoli à la Chartreuse du Val d'Ema, tombeaux des Carrare au San.to de Padoue). Nous trouvons en outre le mausolée accolé contre une paroi. Au quinzième siècle, la tvrannie des architectes, qui redoutent avant tout de voir troubler par les accessoires les lignes générales de leurs constructions', relègue d'ordinaire le mausolée contre une des parois de l'église, à laquelle il devra s'adosser. Cet excès de discipline a pour résultat de supprimer presque entièrement le mausolée isolé, si brillamment représenté au siècle précédent. Étudions tour à tour les ditlérents t\pes de l'architecture funéraire pendant le quattrocento. Comme le modèle le plus riche et le plus noble de l'architecture funéraire, et en même temps de la polychromie florentine, il faut citer la chapelle du car- dinal Jacques, de la tamille rovale de Portugal, .'i San iMiniato, (commencée eu 14* 11), sur l'une des hauteurs qui dominent Florence. C'est un carré sur 1 . BiBL. : Gr.iiidjcan Je Montigii\-, Rfcueil des plus beaux lonilvaux excculcs eu Italie Jaus les .W' et A'I-7" siècles. Paris, iSl."!, in-fol. (gravures sans caractère). — Clochar, Monuments et tom- beaux conservés et dessinés en Italie. Paris, 181.S (même observation). — Gozzini et Lasinio, Monn- nienti sepolcrali délia Toscana. Florence, l8iq (plus satisfaisant). — Tosi et Barbier de Montault, les Chefs-d'œuvre de la Sculpture religieuse à Rome à V époque de la Renaissance. 2°édit., Rome, 1070. — Les photographies de MM. .\linari et Brogi, qui ont rendu tant de services à l'histoire de l'art italien. 2. A Milan, les cimetières suburbains lurent établis en 1788 par ordonnance de l'empereur Joseph 11. (Ghiron, // Ciniitero monumentah di Milano. Milan, s. d.) — A Gênes, le premier cimetière proprement dit date de iM.i.S seulement. (.-Mizeri. Guida ilhistrativa... per la citlà di Genova, p. 625. Gènes, 187.5.) .3. Vov. le DonateUo édité par la librairie Rouam, p. .3.5 et suiv. Au quinzième siècle les sta- tues ou bas-reliefs équestres ne figurent plus que dans quelques tombeaux du midi ou du nord de l'Italie : tombeau du roi Ladislas (| 1414). dans l'église -S. Giovanni a Carbonaro, à Naples; tombeau de Sarego (| 1402), dans l'église S. Anastasia à Vérone: tombeau du Colleone. à Bergame (gravé p. ig3), tombeaux de Venise. 4. Burclihardt (Geschichte der Renaissance, p. i53-l54) analvse une série de mesures prises par les papes pour protéger leurs basiliques contre l'envahissement des tombeaux ou des autels. L'ARCHITECTURE FUNÉRAIRi:. 42.Î monté dune coupole; trois côtés contiennent chacun une sorte de niclie, le quatrième est occupé par la porte. La polychromie se foit jour à partir du sol, qui est recouvert d'un pavement en pierres de couleur formant des ornements géométriques (étoiles, etc.), et imitant les riches tapis d'Orient, d'où leur nom de « opus alexandrinum ». A gauche, dans l'un des enfoncements, un trône épiscopal en marbre, avec des incrustations de porphj're et de serpentine. Au- dessus, une fresque représentant V Annonciation, touchée d'or et de couleurs très riches. A droite, le tombeau, dû au ciseau d'Antonio Rossellino, monu- ment d'une importance capitale et sur lequel nous reviendrons dans la biogra- phie de ce maître. En face de l'entrée l'autel. De grandes rosaces en reliet forment le parti pris général de la décoration. Les quatre lunettes au-dessous de la coupole renferment chacune deux saints (peints). Quant à la coupole, elle porte quatre anges en terre cuite émaillée (figures blanches sur tond bleu) et au centre la colombe du Saint-Esprit entre sept candélabres. Plus bas, huit saints à mi-corps tenant des banderoles. On a donc mis à contribution la sculpture en marbre, la sculpture en terre cuite émaillée et pohxhrome, la peinture à fresque, la mosaïque et enfin les incrustations en marbres de couleur. Aussi la chapelle du cardinal de Portugal peut-elle passer pour un modèle achevé de la richesse jointe à l'élégance. Prenons maintenant un mausolée isolé : le modèle par excellence est le chei- d'œuvre qui s'appelle le tombeau de Léonard Bruni (Leonardo Aretino) dans l'église Santa Croce à Florence, édifié et sculpté par Bernard Rossellino (gravé page 25). Décrivons en détail, afin d'éviter les redites, ce type reproduit à l'infini. Le soubassement se compose d'une trise ornée de génies supportant des festons, avec une tète de lion au centre, et d'une corniche ornée de rangées de palmettes et de perles. Sur ce socle proprement dit reposent, d'une part, les deux pilastres cannelés qui encadrent le monument, de l'autre les griffes et tètes de lion qui servent de support au sarcophage, d'une décoration sobre et véritablement classique. Au centre, sur un cartouche tenu par deux anges voltigeant', une inscription en beaux caractères romains, puis des mou- lures, des rangées de perles, d'oves, etc. C'est au-dessus du sarcophage seule- ment que f;iit son apparition la statue funéraire : Bruni est représenté étendu, la tète placée sur un coussin, les mains croisées, dormant sur une bière, que recouvre un riche drap funéraire et que soutiennent deux aigles d'une tour- nure superbe. Derrière la statue se développe une paroi formée de trois com- partiments aux lignes aussi simples que nobles. En rejoignant le sommet des pilastres, nous trouvons un entablement d'une grande richesse (oves, pal- mettes, denticules, etc.), puis une lunette contenant, au centre, la Vierge et I . Ces anges drapés, avec le bas du corps à peine indiqué, qui soutiennent en volant un médaillon, procèdent de modèles du quatorzième siècle (on les trouve également sur le tombeau de l'évêque Federighi par Luca délia Robbia). On peut les rapprocher, soit de ceux du tabernacle d'Orcagna, à Or San Michèle, soit de ceux -de la façade de la cathédrale d'Orvieto. 424 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. l'Enflmt Jésus, sur les côtes deux ;int;cs en adoration, avec une bordure de rais de cœur, d'oves, de guirlandes, de festons; enfin, couronnant le tout, deux génies nus tenant une couronne au centre de laquelle se dresse un lion cou ronné. Dessin, proportions, décor, tout est hors de pair. Moins pur, moins classique, mais peut-être plus pittoresque et plus per- sonnel, est le mausolée placé du côté opposé, celui de Charles Marsuppini, par Desiderio de Settignano. Ici le soubassement a pour ornement un vase de fleurs que des festons entourés de banderoles rattachent aux sphinx sculptés aux extrémités. De ce soubassement partent deux pilastres cannelés, peut-être un peu trapus, aux pieds desquels se tiennent deux génies nus, une main appuyée sur une targe, motif charmant dans sa naïveté et qui a fait la fortune du monument. Le sarcophage, d'une exécution incom- parable, à griffes de lion et à rin- ceaux (ainsi beaucoup plus mouve- menté que celui de Bruni), pose sur une base décorée de vases de fleurs. Quant à la statue, se montrant presque de face, et non pas de trois quarts, et pressant sur sa poitrine im respectable in-tolio, elle est moins heureuse d'arrangement et heurte quelque peu les lignes de l'encadre- ment. Il en est de même des guir- Tombeau de Rolaïul de Médicis. (Eglise de TAnnonciation à Florence.) landes si longues et si massives, en forme de boudins, qui partent d'un candélabre placé au sommet du fronton circulaire par lequel est couronné le mausolée, et qui retombent jusque vers le milieu des pilastres. On sent bien, .\ telles enseignes, que chez Desiderio le statuaire n'était pas doublé d'un architecte, comme il l'était chez Rossellino, et que le plaisir de taire briller son talent de modeleur l'emportait chez lui sur la recherche des belles lignes et du rythme. Les tombeaux calqués plus ou moins lidélement sur celui de Bruni dépassent peut-être la centaine. A Morence, .'i Lucques, à Borgo San Sepolcro, d'un bout à l'autre de la Toscane, à Rome, à Bologne, à ^'enise, à Padoue, partout ce chef-d'œuvre a provoqué des imitations. Les auteurs du Ciccrouc font honneur à Donatello et .'i son école d'un type de mausolée aussi simple que noble et dont le premier exemple est le tombeau d'Onofrio Strozzi (f 1417), par Piero di Niccolo, dans l'église de la Trinité .'i Florence. Ce mausolée se compose d'une niche semi-circulaire, encadrée par une guirlande et contenant le sarcophage, aux côtés duquel se tiennent deux LARCHITECTl'RE FUNERAIRE. 42.-) -wtî^iï^^^liï'jjs^!^' « putti >) avec Técu du défunt. Plus bas, des plaques de marbre de couleur forment une sorte de soubassement. Comme monuments analogues, le Ciccronc mentionne, à Florence, ceux de Giannozzo Pandolfino (f 14?')), à la Badia, par un imitateur de Desiderio; de Roland de Médicis, à l'Annunziata; de Neri Capponi (14."^ 7), à S. Spirito, par Simone di Niccolo de' Hardi; au dôme de Prato, de Filippo Inghirami (1480). A Rome, ce motit a été plus ou moins modifié dans le tombeau du jeune Albertini. Le Scpolcro in aria\ c'est-à-dire le sarcophage incrusté dans le mur au- dessus du sol, type favori du moyen âge, ne compte plus qu'un petit ~'-r,-. nombre de partisans. Giacomo délia Quercia, novateur si hardi sur cer- tains points, conservateur à outrance sur d'autres, le remit en honneur, dans le tombeau d'A. Galeazzo Ben- tivoglio, à San Giacomo Maggiore de Bologne. A Venise, cette disposition se rencontre dans les tombeaux des doges Antonio Venier et Michèle Mo- rosini, à SS. Giovanni e Paolo. Une niche ogivale avec des figures sculp- tées y surmonte le sarcophage; elle y supporte à son tour des statues qui donnent à l'ensemble un grand air de richesse, sinon un grand air d'élé- gance. Une variante très ingénieuse du Sc- polcro in aria nous est fournie par le tombeau de l'évèque Salutati, dû au ciseau de Mino de Fiesole (gravé page 42i>). Un autre tombeau du même genre, celui de la « Diva Isotta », au temple des Malatesta à Riniini, a pour supports des éléphants en place de consoles (gravés page 427). Les sculpteurs du moyen âge, Arnolfo à Orvieto, les Cosniatl à Rome, avaient mis en œuvre une idée aussi touchante que pittoresque : devant la statue du défimt ils aimaient à étendre deux rideaux glissant sur ime tringle, et ces rideaux, deux anges debout aux extrémités les écartaient comme pour montrer une dernière fois à ses amis celui qui n'était plus, ou les fermaient comme pour dire que le dernier acte du drame était joué. Le quinzième siècle, préoccupé avant tout de la correction des lignes et de l'harmonie de l'en- semble, ne garda de cette disposition, avantageuse entre toutes, que stricte- Tombeau de M. A. Albertini. (E^'lise Sainte-.Marie du Peuple a Rome.i I. Expression de Sansovino, citée par Burcliliardt : Geschich/e der Rc-imissuHCc in lUilu'ii, p. 269. E. .Munli. — 1 Italie. Les Pnmitils. .^ 426 I1IST0IR1-: DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. ment ce qu'il fallait pour les besoins de la décoration : les rideaux devinrent un ciel de lit, noué au sommet, et s'écartant sur les côtés pour encadrer le monument entier : c'est dire que l'idée primitive perdit sa poésie et sa saveur. Donatello et Michelozzo firent usage les premiers, si je ne me trompe, de cet arrangement dans le mausolée de l'ex-pape Jean XXIII, au Baptistère de Florence, en le combinant avec des niches et avec des consoles supportant le sarco- phage, comme dans le Sepolcro iii aria. Ils provoquèrent d'innombrables imita- tions, dont les principales sont indiquées ci-dessous en note'. Dans le mausolée du cardinal Bran- cacci, à Naples, les deux collaborateurs reprirent le thème primordial d'Arnolfo et des Cosmates, mais en le dénaturant par un changement maladroit : les rideaux que soulèvent les deux anges y sont telle- ment courts, qu'ils n'arrivent même pas au niveau du visage du défunt. Et cepen- dant quelle tournure, rien que le choix de ce motif, tout mutilé qu'il est, ne donne-t-il pas à l'ensemble du monu- ment ! A cette époque d'imitation, les initia- teurs sont plus rares que jamais dans l'ar- chitecture et la sculpture. On est efîra\-é et humilié en découvrant le nombre pro- digieux d'artistes qui ont vécu rien que siu' les idées de Donatello. Cet homme de génie, qui avait imaginé de donner pour cadre à ses tombeaux des ten- tures disposées en forme de ciel de lit, dota Tarchitecture funéraire de plusieurs autres inventions, appelées à une fortune non moins brillante. Le premier Tojiibeau de révèque Salutati, par i\lino. (Cathédrale de Fiesole.) j. Florence. S. Miniato, tombeau du cardinal de Portugal, par A. llossullino. A S. Maria Kovclla, dans le tombeau de la Beata Villana, B. Rossellino a trouvé le moyen de concilier le ciel de lit avec les anges qui tiennent les coins de la tenture. PlSTOLi^. S. Domenico, monument de F. Lazzeri par B. 1-lossellino. Rome. Eglise de la Minerve, tombeau du cardinal D. Capranica; les rideaux y sont lîgurc's sur la paroi du fond, derrière la statue. FoRLi. S. Girolamo, tombeau de Barbe Manfredi. Le rideau est réduit .'i une simple draperie recouvrant la paroi derrière la statue. RlMlNl. S. Francesco, chapelle de S. Sigismond. Ciel de lit avec des anges qui en soulèvent les côtés. Venise. SS. Giovanni e Faolo, tombeaux du doge Malipicri et du doge Tommaso Mocenigo (gravé ci-dessus, p. 107), ce dernier par Pietro de Florence et Giovanni de Fiesole; — Frari, L'ARCHITECTURE FUNERAIRE. 427 il pratiqua des niches dans le soubassement de ses mausolées et garnit ces niches de statuettes, rompant ainsi le développement des lignes de l'architecture. Peut-être s'inspira-t-il, dans cet arrangement, de l'exemple de nos sculpteurs français, qui aimaient à incruster des figurines à la base ou dans les flancs de leurs monuments funéraires, — il suffît de rappeler le tombeau de Philippe le Hardi par Claux Sluter, au musée de Dijon. En tout cas, si le mérite absolu de l'invention ne revient pas à Donatello, le sculpteur florentin a, le premier en Italie, prêté à cette innovation l'appui de son autorité. Le mausolée, avec des niches, soit dans le soubassement, soit sur les côfés, et des statuettes (principalement li-rrr-trr-rJ^h :^(l :Z5S!L- -•"*"• 1 [ des figures allégoriques, telles que les Vertus théologales, les Vertus car- dinales, les Arts, les Sciences, etc.) trouva surtout faveur à Rome, à Padoue, à Venise. Ne nous séparons pas de Do- natello sans signaler une autre de ses inventions : je veux dire les génies assis qui supportent le cartouche avec l'inscription funé- raire, à la place des génies volti- geants, qu'on trouve dans la ma- jorité des autres tombeaux. Ces figures , d'une grâce et d'une beauté inimitables, font leur appa- rition sur les tombeaux de Jean de Médicis le Vieux (gravé page 429) et du pape Jean XXIII. Elles passèrent de là dans le tombeau de G. Tebaldi (f 1466) à la Miner\-e, dans ceux de Barbe Manfredi à Forli, et de Gattamelata au Santo de Padoue. Il arrive fréquemment que la ftce des sarcophages a pour ornement des génies ou des anges tenant, comme chez les anciens, un cartouche sur lequel sont inscrits le nom et les titres du défunt. Chez Donatello, on l'a vu, ces génies, représentés tout nus, sont assis sur le sol; chez d'autres sculpteurs, par exemple chez Bernard Rossellino et chez Ghiberti, dans la châsse de saint Zanobi, ils voltigent; parfois, comme dans le mausolée du marquis Hugues, par Mino de Fiesole (gravé page io5), ils courent l'un vers l'autre avec une précipitation que rien ne justifie. Éléphants employés comme supports. (Église Saint-François à Rimini.) tombeau du doge Foscari, avec deux personnages armés tenant les bords du ciel de lit, rémi- niscence des anges du moyen âge. Un motif analogue se remarque au tombeau de Sarcgo, à Vérone. Vérone. S. Fcrnio, tombeau de Brenzoni, par le Rosso. Bergame. Tombeau de la fille du Colleoiie : les rideaux y sont littéralement atrophiés. 42P. HISTOIRE DE I.ART PENDANT LA RENAISSANCE. Desiderio de Settignano rompit avec cette donnée et, au lieu de figurer ses génies en has-relief sur la fltce du sarcophage, il en fit des statues et les plaça debout aux cotés du monument, disposition dont Mino de Fiesole s'est inspiré dans le mausolée ci-dessus mentionné, où il a cherché à combiner les génies en bas-relief avec les génies en ronde-bosse. Il nous resterait à étudier les dalles tombales; mais, comme elles ne relèvent à aucun titre de l'architecture, nous nous occuperons des plus marquantes d'entre elles dans la notice consacrée aux sculpteurs qui les ont modelées ou ciselées, nous bornant ici .i mentionner les dalles de Giovanni Crivelli et de l'évèque Pecci, par Donatello (église de l'Aracœli .'i Rome, catiiédrale de .Sienne). Les stèles et les cippes, plus simples, deviendront surtout fi'éqiients ,'i partir de la fin du quinzième siècle. Parmi les éléments qui mtervieiment dans les mausolées, il faut également mentionner les cariatides, quelque limité que soit encore leur rôle. Quoique leurs prédécesseurs du quatorzième siècle eussent essayé d'en tirer parti (entre autres dans le mausolée véritablement grotesque des Pazzi, sculpté par Agos- tino et Agnolo de Sienne pour l'église Santa Croce de Florence), les archi- tectes et sculpteurs du quinzième siècle, ou ignorèrent ou méconnurent ce tacteur si important de la sculpture décorative. Seuls Donatello et Michelozzo en firent un usage rationnel dans le mausolée du cardinal Brancacci, à Naples : ils y placèrent le sarcophage sur les épaides de trois femmes se tenant debout. Le sculpteur Andréa de Florence imita leur exemple dans le tombeau de F. Sanseverino (église S. Giovanni a Carbonara à Naples). On peut citer comme un spécimen achevé de mauvais goût les cariatides assises du tombeau du Collcone à Bergame (gravé page !<>■>)> et les caria- tides pliées en deux du tombeau du doge J. Marcello (f 14<^4) aux Frari de Venise. Rien de plus rare pendant les deux premiers tiers du siècle que la construc tion d'HÔTELS DE VILLE, de palais de la Seigneurie, ou autres lieux de réunion destinés aux membres du gouvernement. Puis tout à coup, après 1475, un véritable feu d'artifice; les sanctuaires de la vie numicipale naissent comme sous le coup de baguette d'une fée : 1476, le palais « délia Ragione » ou « del Consiglio » à Vérone; 148,1, la partie du palais ducal de Venise qui donne sur la cour; 1485, le palais du Podestat de Bologne; 148O, le palais communal de Jesi; i5()8, le palais de Brescia, etc. On s'étonne également à bon droit de ne pas trouver un plus grand nombre de lieux de réunion ouverts, dans le genre de la « Loggia dei Lanzi » ou de la « Loggia di San Paolo » à Florence, ou du « Foro dei Mercanti » à Bo- logne. Ne semble-t-il pas que ces portiques, rappelant les habitudes des LKS HOTELS 1)1-: MLLE. 429 Ronuiins d'autrefois, eussent dû rci. Trois dates encore pour marquer les étapes de ce grand travail : le début des études directes de Brunellesco pour la coupole remonte, on l'a vu, à 141 7; en 1425 on commença la voûte, qui fut terminée en I43(j; de 1445 à 14O1 on bâtit la lanterne. Brunellesco avait l'intention de faire orner l'intérieur de mosaïques : oA sait que ce projet n'eut pas de suite et qu'au siècle suivant les Zuccheri désho- norèrent la coupole par leurs misérables fresques. La foi de l'artiste dans son œuvre, l'opiniâtreté avec laquelle il réussit à la faire triompher, ne sont que les petits côtés de l'histoire de la coupole floren- tine, et je m'en veux d'y avoir insisté si longuement. La faute en est à notre ami Vasari; son récit est trop attachant pour qu'il soit facile de le résumer. La coupole de Sainte-Marie des Fleurs, le plus grand problème de construction qu'ait résolu le quinzième siècle ', a suscité des éloges et des critiques également excessifs. Ce qui est certain, c'est que, malgré ses défauts, — elle manque de légèreté et d'élégance, — elle marque le retour définitif au système de voûtes des Byzantins et des Romains (le style gothique avait supprimé ce genre de construction, sauf dans un petit nombre de provinces"), et qu'elle servit de point de départ pour des milliers d'églises d'un bout à l'autre de l'Europe. L'édification de la coupole de Sainte-Marie des Fleurs, compliquée des luttes incessantes avec les autorités si défiantes de Florence, aurait absorbé les forces vives de tout autre artiste. Chez Brunellesco, cette tâche colossale ne torme toutefois qu'un épisode dans une carrière d'une fécondité admirable. Parnfi ces monuments, dont un seul aurait suffi pour fonder la gloire de n'importe quel autre architecte, il convient de s'attaciier en premier lieu à ceux que Brunellesco construisit pour les Médicis; ils forment un groupe nombreux et varié. Le plus ancien d'entre eux fut la sacristie de l'église Saint-Laurent, com- mencée aux frais de Jean de Médicis (f 1428) et continuée aux frais de son fils Cosme, qui finit par prendre â sa charge la reconstruction même de l'église adjacente, dont les travaux n'avançaient pas assez vite à son gré. De la sacristie, 1. L.i distanct.- du sol à la naissance du tambour est de 42", 3o, la hauteur du tambour de i3°',2.5; la hauteur totale de la coupole de qo mètres, son diamètre de42'",40; la lanterne mesure extérieurement 2() mètres de haut, et intérieurement b mètres de large (Ramé, Histoire ghièrah âe Varchilccltirc ; Renaissaiia', p. ll.'î). 2. Viollet-le-Duc, Dictionnaire, t. IV, p. 307. BRUNELLESCO. 449 Brunellesco fit la merveille que le lecteur a pu admirer dans notre gravure (p. 41 3), de l'église même il fit le premier en date des sanctuaires modernes (gravé page 45 1). Aux piliers gothiques il substitua la colonnade antique; à la net voûtée en ogive, le soflite à caissons. S'inspirant des préceptes de Vitruve, il interposa, entre le chapiteau des colonnes et les arcades devant porter sur elles, un entablement intermédiaire, avec architrave, frise et corniche. Cette disposition, quoique inspirée des Romains et souvent répétée depuis , donne aux édifices quelque chose d'artificiel et de pré- tentieux. La net' de Saint- Laurent n'était pas encore commencée, nous affirme M. de GeymûUer, au mo- ment de la mort du maitrc. Citons ensinte l'abbaye, la « Badia », construite par Cosme de Médicis à côté d'une église située près de Liesole, à mi-côte sur cette colline incomparable. Res- pectant la façade, qui date du douzième siècle, Bru- nellesco porta tous ses efiorts sur l'édification de l'intérieur, où il prit à tâche de frapper par la simpli- ,^j,_j^,^ ^_^ ^^,.^ ^^ ,^ ^^^^^^^^ ^^^ ^.^^^ ^^ ,,i^„.^,,,^^ cité et la sévérité des lignes (Œuvre du Dôme.) (chaînes en pierre grise se détachant sur un crépi d'un blanc jaunâtre), par une recherche de la grandeur poussée jusqu'à l'abstraction. Il voûta en berceau l'unique nef du sanctuaire et la flanqua, de chaque côté, de quatre chapelles tort profondes, percées chacune d'une fenêtre de petite dimension. Un escalier de cinq marches conduit à l'ab- side, qui se distingue par son caractère monumental. On admire entre autres les quatre superbes pilastres cannelés qui s'élèvent au centre : l'antiquité ne nous a pas légué de modèles oflrant plus d'ampleur et de pureté. L'ornemen- tation des portes pratiquées de ce côté contraste avec la simplicité, on serait tenté de dire la nudité, des autres parties de l'édifice : sur les chambranles de pierre, les guirlandes, les candélabres, les vases, artistement travaillés, alternent avec les armoiries des Médicis. Rapprochons de la Badia de b'iesole le second cloître de Santa Croce, égale- E. .MiinU. — 1. llalic. Lus l'nmilifc. 5/ 4.So lllSTolKi; l)i: L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. ment élevé sur les dessins de Brunellesco. La construction comprend deux étages : le rez-de-chaussée, composé d'arcades fort larges avec des colonnes qui posent sur un stvlobate continu; puis, dans les écoinçons des arcs, des mé- daillons en relief, que soutiennent des génies volants. Un large cordon règne entre cet étage et l'étage supérieur, qui était autrefois ouvert à la façon d'une «loggia». Cet étage n'est pas voûté : des colonnes supportent l'entablement, qui forme un contraste excessivement heureux avec les arcades. L'église du Salnt-lîsprit, Santo Spirito, commencée du vivant de Brunel- lesco, et non en 1470, comme on l'a admis jusqu'ici, ne fut terminée que longtemps après sa mort. Les nombreuses erreurs que l'on y découvre n'em- pêchent pas l'ensemble de produire un effet vraiment saisissant de grandeur et de noble sévérité; elles sont d'ailleurs imputables aux successeurs du maître. La « cappella dei Pazzi », construite postérieurement à 1420, près de Santa Croce, nous montre l'artiste sous un jour bien différent. Tandis qu'.i la Badia de Fiesole, à San Lorenzo, au palais Pitti, il exclut tout ornement qui n'était pas rigoureusement du domaine de l'architecture, c'est-à-dire toute sculptiu'c ou toute peinture, nous le voyons ici non seulement emprunter à l'antiquité ses motifs architectoniques les plus charmants, mais encore toute la richesse de sa décoration. Autant le maître avait recherché ailleurs la sévé- rité et la grandeur, autant il se montre ici amoureux de légèreté, de grâce, d'élégance. Correct dans les profils, harmonieux dans les proportions, bien équilibré dans les efiets de clair-obscur, gracieux dans les ornements, tel est, dit M. Melani ', ce chef-d'œuvre en miniature, ce bijou qui n'a déjà plus rien à envier aux plus belles créations de Bramante. On a vu (page .187) par quelle innovation hardie Brunellesco a associé sur le portique un arc impo- sant à l'entablement horizontal. Dans l'arrangement des pilastres de l'attique, il s'inspira au contraire plus ou moins directement du Baptistère de Flo- rence, sauf que chez lui les pilastres sont géminés et qu'ils correspondent à l'axe des colonnes, tandis qu'au Baptistère ils sont simples et correspondent à la retombée des arcs. Quant aux strigiles qui ornent la trise, ils procèdent des sarcophages antiques. Après s'être inspiré à S. Loivnzo et à S. Spirito des basiliques chrétiennes primitives, tout en longueur, après s'être rapproché à la « cappella dei Pazzi » du plan (gravé page 4.^2) dit de la croix grecque (qu'il n'y a cependant pas appliqué rigoureusement), Brunellesco s'essaya dans un autre type favori de l'antiquité chrétienne, la rotonde : il n'avait qu'à choisir entre vingt modèles également remarquables, le mausolée de Sainte-Constance près de Rome, les différents baptistères, Saint-Vital de Ravenne, Saint-Laurent de Milan, ou encore certains temples païens, tels que celui de Miner\a Medica à Rome. Le résidtat de cette tentative d'assimilation lut « la bizarrissima inxenzione de! 1. L'JrchiUiliiru, t. L p. i42. P.RrNRI.LESCO. 4.M tempio in otto raccie degli Angeli » (Vasari), le temple octogonal des Anges, à Florence. « On y remarque, dit d'Agincourt, la conception ingénieuse du mpas^rr^sTyrt .«__ , . ^ --ii.^^ii4,^.„„ 1,11. Ail j 8 tL:-J ?ww f 1^ a^T^-*["^ I^T*!^ c î ; t::i Intérieur de l'église Saint-Laurent a Florence. plan octogone dans l'intérieur et à seize pans au dehors, afin de diminuer la trop grande épaisseur des murs' ». L'église des Anges ou des Camaldules doit son origine au noble aventurier florentin Pippo Spano (page 66), qui en mourant (1420) légua une somme I. Histoire di' l'Art par les Monuinenis ; Archilectun-, t. I, p. QI. 4.12 iiisTdiKi; ni; i/art pf.noant i.a ri-.naissance. considérable pour élever dans sa ville natale ce monument de sa piété et de sa maguiticence. Les travaux toutefois ne commencèrent qu'en 14.^4, et bientôt les difficultés pécuniaires les firent suspendre : le monument resta une ébaucbe qui ne tarda pas à se clianger en ruine. Un moment il fut question de le terminer, pour y installer l'Académie de dessin, mais ce projet n'eut pas de suite'. Nous avons reproduit (page 40?) le plan de cette construction aussi originale que grandiose. L'architecture civile s'est ressentie, au même point que l'architecture reli- gieuse, de l'action immense de Brunellesco. Htudions d'abord les monuments publics. Le principal d'entre eux, l'Hospice des Enfants trouvés (gravé page 455), le « Spedale degli Innocenti » (commencé en 1421, terminé en 1445), tient le milieu entre l'élégance de la chapelle des Pazzi et la sévé- rité des basiliques de Saint-Laurent et du Saint- Esprit. Une rangée d'arcs en plein cintre, dont les écoinçons ont été ornés depuis de médail- lons contenant de délicieuses figures d'enfants emmaillotés, par Andréa délia Robbia, deux ordres de moulures, et enfin des fenêtres rectangulaires surmontées de frontons trian- gulaires, voilà les moyens, d'une extrême simplicité, avec lesquels Brunellesco a produit l'effet le plus saisissant. Le mélange de grâce et de noblesse, la grande tournure de ce monument, sont plus faciles à saisir qu'à exprimer. La loge de Saint-Paul, sur la place de Sainte-Marie Nouvelle (commencée en 1451), remonte, dans son dessin général, à Brunellesco, et rappelle forte- ment rilospice des Linocents. Dans le domaine de l'architecture privée, Brunellesco s'est signalé par la construction de deux des plus beaux palais de Florence. Un patricien florentin, Luca Pitti, aussi riche que vaniteux, lui demanda, raconte-t-on ", de lui bâtir une habitation dans la cour de laquelle l'ensemble des demeures de ses rivaux pourrait tenir. Ce programme hyperbolique fut accueilli avec enthousiasme par un artiste épris des tâches les plus ardues et brûlant d'élargir sans cesse, dût-il le faire éclater, le cadre dans lequel se ren- fermaient ses contemporains. Quelle idée nous faire et de ce citoyen de Florence, un marchand enrichi, je pense, qui rêve, dans une république égalitaire entre toutes, de bâtir un palais 1. duatrcnière de Q.uinc\-, Tliîloiir de la î'/V et ifi'i ouvrages ."', Michelozzo suivit Cosme dans son exil, à Wnise (voy. page i()6); puis, de retour à Florence, où Cosme était rentré en triomphateur, il y édifia, ])Ourle compte de son protecteur, le couvent de Saint-Marc (i4.'>7-i44.'î)(?) avec ses cloîtres si clairs et si élégants, d'une facture si aisée et si noble, la chapelle des Médicis à l'Annunziata (1447), les villas de Careggi et de Caffiggiuolo, auxquelles il finit ajouter la villa Mozzi à Fiesole. Il dirigea en outre l'impor- tante restauration du Palais \'ieux, la construction du Noviciat de Sainte-Marie- Nouvelle, celle du palais Tornabuoni (aujourd'hui Corsi), et une foule d'autres travaux, où se révèle un style d'une clarté et d'une légèreté rares. A Milan, Michelozzo restaura et agrandit le palais que François Sforza avait donné en 145b à son allié Cosme de Médicis (connu depuis sous le nom de Mirnr.i.ozzo. 4.1g palais \'ismara; voy. page 091 la gravure d'une des portes de ce palais). Le représentant de la banque des Médicis à Milan, Pigello Portinari, le chargea vers la même époque (14'»::) de construire la chapelle de Saint-Pierre Martyr à S. Eustorgio : le voisinage des architectes milanais porta bonheur à l'ar- chitecte florentin, car il fit de cette chapelle une des œuvres les plus coquettes de la Première Renaissance. En 1464, on le trouve à Raguse; cette même année il s'engage à se rendre à Chio, avec un traitement annuel de rmii ducats. Il mourut en 1472 et trouva sa sépulture dans ce monastère de Saint-Marc, à l'édification duquel il avait présidé. Comme architecte, l'œuvre maîtresse de Miche- lozzo est le palais des Médicis, famille avec laquelle Michelozzo s'était lié de bonne heure d'une amitié étroite et dont il devint, suivant l'expression pit- toresque du quinzième siècle, le « fomilier » le plus intime. Cosme s'adressa à lui, après avoir repoussé le projet trop grandiose de Brunellesco, pour bâtir le palais qu'il se proposait d'édifier dans la Via Larga. On ignore la date du début des travaux, de même que celle de leur achèvement. La décoration du « cortile » ne semble avoir commencé qu'en 1452', celle de la chapelle qu'en ]^5q. Le palais de Cosme de Médicis ne comprenait à l'origine que la moitié environ (la partie de gauche) du palais actuel : le reste fut ajouté au dix-sep- tième siècle par les marquis Riccardi, qui s'étaient rendus acquéreurs, en i65q, de cette demeure historique. C'est dire qu'il fout nous figurer le palais avec une façade réduite à dix fenêtres sur chaque étage, et en outre avec trois portes ouvertes au rez-de-chaussée. Un rez-de-chaussée en rustique (à rai- son de dix-huit assises), de 10 mètres de haut, un premier étage de 7"',25, un second étage de 4'", 7 5, avec un cordon séparant les étages, et une corniche, encore assez lourde, telle fut la disposition adoptée par Michelozzo. On voit par les chiffres qui viennent d'être rapportés que la hauteur des étages va en diminuant très sensiblement : Michelozzo en a agi de même pour l'appareil, qui offre au rez-de-chaussée des bossages rustiques très accentués, un relief moins développé au premier étage et à l'étage supérieur une surface complè- tement lisse. Le « cortile », avec une colonnade au rez-de-chaussée, des fenêtres gé- minées au premier étage, une loge (autrefois) ouverte au second, a servi de modèle pour presque tous les palais du quinzième siècle (il est aujourd'hu-i Portrait de Michelozzo. (D'après une gravure publiée par Vasari.) 1. Yriarte : Gabelle ih'S Bauix-Arb, 1881, t. H, p. 147-148. 46c, HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. absolument défiguré parles prétendus embellissements des Riccardi). Dans les écoinçons des arcs, Cosme de Médicis fit placer par Donatello des médaillons reproduisant, mais en dimensions gigantesques, des camées antiques. Des sgrat"- fites, dont les traces ont été retrouvées sous le badigeon il y a peu d'années, avec des guirlandes de ft^uits et des banderoles, complétaient la décoration. Cette cour, d' « un effet piquant », d'après Grandjeande Montigny et Famin, « a beau- coup de grâce dans les profils et annonce la magnificence par les matériaux employés à sa construction. » En dehors de Brunellesco, le maître en l'art de b.itir qui a remué le plus d'idées pendant le quinzième siècle est Léon-Baptiste Alberti, un de ces initia- teurs que leurs successeurs sont réduits a imiter, désespérant de les surpasser ou de les égaler; esprit libre, hardi, sachant soulever les problèmes et les résoudre. Léon-Baptiste Alberti ', le génie le plus universel de la Première Renaissance, mais dont les aptitudes hors ligne ont avant tout profité à l'architecture, naquit à Venise le iC) février 1404, pendant l'exil de sa famille, qui comptait parmi les plus illustres de Florence. Comme Léonard de Vinci, avec qui il offre tant de points de ressemblance, il était enfant naturel. Du moins les soins de son père ne lui firent-ils pas défaut : aussi le moyen pour un père de ne pas s'enorgueillir d'un fils pareil! Dès ses premières années, Léon-Baptiste excella dans les exercices du corps en même temps que dans ceux de l'espr-it : il savait dompter les chevaux les plus fougueux, sauter à pieds joints par-dessus un homme debout, lancer avec une telle force une pièce de monnaie, qu'elle allait frap- per la voûte de la cathédrale de Florence. Vis-à-vis des sciences, mêmes apti-, tudes exceptionnelles : à l'Université de Bologne, où il fit ses études, il ne se familiarisa pas seulement avec les humanités proprement dites, poussant la connaissance des lettres jusqu'à composer une pièce de théâtre, le Phihdoxeos "' , qui passa longtemps pour l'œuvre du poète romain Lepidus, il pénétra encore jusque dans les ramifications les plus secrètes des mathématiques, de l'optique (il est l'inventeur de la chambre claire), de la mécanique; se révéla comme poète — on lui doit les plus anciens vers italiens libres, et, malgré son admi- ration pour l'antiquité, fit les plus grands efforts pour remettre en honneur la 1 . BiBL. : Les différents ouvrages d'Alhcrti et notamment les Opcre volgari tU Lcon Battisia AU'eili(ùdh. Bonucci ; Florence, 1843-1840, 6 vol. in-8). — Vasari. — Braghirolli, L. B. Alhnti a Mantn-a, l8ôq (cxtr. de VArchivio storico italiano). — Passerini, Gli Alberti di Firenxe. Flo- rence, 1870. — Redtenbacher, dans Kiinst iiiid Kiiiisthr de Dohme. — J. Meyer, dans YAllge- meines Kûnslkr-Lcxihon. — Mancini, Vita di Léon Battista Alberti. Florence, Sansoni, 1882 (très reconimandable). — Le même, Niicwi Dociimmti e Notifie... di Léon Battisia Alberti. Florence, 1887 (extr. de VArchivio slorico italiano). — M. Janitschek a promis depuis longtemps une bio- graphie d'Alberti, dont nous appelons de tous nos vœux le prompt achèvement. Sur les écrits théoriques d'Alberti, voy. ci-dessus, p. 36l, et les Stndien ~n L. B. Alberti s ^ehn Ki'ichern : de Re adificalorid . de M. Hoffmann. Frankenberg, i883. 2. Voy. p. r2. ALBERTI. 461 poésie nationale; • — brilla en outre comme moraliste — il a composé entre autres un traité d'éducation, délia Faïuiglia, — comme penseur, comme peintre, comme sculpteur, comme médailleur — on lui fait honneur, sur de fortes présomptions, du beau médaillon reproduit ci-dessous, — et enfin, c'est la le point que nous avons à mettre en lumière ici, comme arcliitecte. La vie même de cet homme prodigieux offre peu de vicissi- tudes. Rentré à Flo- rence en 142(8, il se lia intimement avec les Médicis, toujours à l'aftut des hommes de valeur : c'est à son instigation que Pierre de Médicis décerna, en 1441, une couronne d'argent au vainqueur du concours de poésie italienne, et c'est Al- bert! également qui en 1468 dirigea, en pré- sence de Laurent de Médicis, les discussions connues sous le titre de Disputationes camal- iliilenses(yo\. page ')S). Il entretint des rela- tions, sinon plus cor- diales, du moins plus fructueuses, avec les Ruccellaï, qui lui demandèrent d'élaborer les plans de leur palais, de la chapelle de Saint-Pancrace, de leur « loggia », et de la f;;çade de Sainte-Marie Nouvelle. Il s'honora en outre de l'amitié de Brunellesco, auquel il dédia son Traité de Peinture, et de celle de Donatello. On sait aujourd'hui, grâce à une découverte récente de M. Mancini, que des liens étroits rattachaient Alberti à la cour romaine, et qu'il y remplit, à partir de 140.3, les fonctions de secrétaire pontifical : il faisait donc partie de cette phalange d'esprits supérieurs et indé- pendants à laquelle avaient appartenu ou devaient appartenir Coluccio Salutati, le Pogge, Valla, G. Manetti, .tneas Sylvius, Platina, Bcmbo, Sadolet, etc. Portrait de L. B. Alberti, par lui-même. (D'après un bronze de la collection de M. G. Dreyfus.) 4^12 iiisT(")iRi': ni: i.wrt pendant la renaissance. D'humeur instable, comme beaucoup de ses contemporains (à moins qu'il ne faille voir dans ces pérégrinations incessantes un excès d'activité), Alberti se multiplia, à partir de 144') environ, entre sa ville natale, Rimini, Mantoue et Rome, qu'il dota toutes de monuments de premier ordre. Partisan .1 outrance de l'antiquité classique, au point d'oublier souvent qu'il vivait au quinzième siècle et qu'il était chrétien, bien plus, qu'il était prêtre (le pape Nicolas V lui avait conféré un bénéfice ecclésiastique ; il remplissait en outre, comme on l'a vu, les fonctions de secrétaire pontifical)', il ne pouvait que conquérir les sjun- pathies de ce païen endurci qui avait nom Sigismond Malatesta; il reçut de lui la mission périlleuse de moderniser l'église Saint-François à Rimini, le Temple des Malatesta. Le pape Nicolas V, qui l'avait très certainement connu à Flo- rence avant son élévation au pontificat, appréciait d'autre part en lui le partait humaniste; je gagerais que l'appréciation de l'artiste ne vint chez lui qu'en second lieu ; elle n'en fut que plus vive, et la preuve, c'est qu'il chargea Alberti de la direction des travaux gigantesques dont il se proposait de doter la Mlle Eternelle. Quant au marquis Louis de Gonzague, c'est, j'en suis persuadé, l'auteur du traité délia Faiiiiglia, le moraliste, qu'il prisait surtout dans Alberti. Ainsi choyé des grands, lié avec l'élite de l'aristocratie intellectuelle de l'Italie, semant sans compter ses idées d'écrivain et ses plans d'architecte, sans ambition et sans besoins, un épicurien dans la plus noble acception du mot, et la plus haute incarnation de la Première Renaissance, Léon-Baptiste Alberti atteignit la vieillesse en pleine possession de ses facultés et, on peut l'atïirmer, dans une constante fièvre de travail. En tant qu'architecte, Alberti n'avait pas seulement la science la plus sûre (il l'a prouvé dans son Traite d\4rchitectiire) et le goiit le plus fin — assez d'autres artistes du quinzième siècle se distinguaient par ce mérite, — mais encore des idées de génie, ce qui était aussi rare au quinzième siècle que de nos jours. L'érudition prodigieuse, disons mieux, fastidieuse, qu'il avait développée en lui par l'étude des ruines romaines, loin d'étoufier l'inspiration sous le formalisme ou le pédantisme, comme chez tant de quattrocentistes, lui laissa toute l'indépendance du coup d'œil et la foculté de voir les grandes lignes. Ses conceptions, si hardies et si fortes que seules celles de Brunellesco peuvent se mesurer avec elles, en témoignent surabondamment : l'idée de donner .'1 la façade d'une église la forme d'un arc de triomphe, le retour au plan dit de la croix grecque, les combinaisons les plus inattendues de voûtes en berceau, de coupoles, — jeux que tout cela pour cet esprit si vigoureusement trempé. Alberti peut passer pour l'idéal des architectes consultants, des deviseurs, comme on disait autrefois, qui préparent leurs plans dans le silence du cabinet et ne se transportent que rarement sur les chantiers. Une fois ses édifices tracés 1 . Les preuves Je son entliousiasme sans bornes pour l'antiquité sont rapportées dans les Pn'niiieiirs de la Reiiaiisance, p. 84 et suiv. Un exemple entre cent ; Alberti proposait d'en revenir, comme les païens, à la crémation des cadavres. ALBERTI. 463 sur le papier, il abandonnait volontiers aux autres le soin d'en surveiller la mise en œuvre, ces auxiliaires dussent-ils introduire dans les détails des modi- fications peu heureuses, ainsi que l'avaient fait Luca Fancelli et Antonio Manetti pour les projets de Brunellesco. Matteo de' Pasti et Matteo Nuti, à Rimini, Luca Fancelli à Mantoue, Giovanni di Bertino au palais des Ruccellaï et à Sainte-Marie Nouvelle, Bernardo Rossellino au ^'atican, tels furent les interprètes plus ou moins fidèles de ses oracles. Cet esprit, qui vivait si volon- tiers dans le monde de l'abstraction, considérait une telle surveillance , où l'administrateur avait à intervenir autant que l'artiste, comme indigne de lui; et il fit une loi, dans son Traité d'Architecture, de ce que l'on peut hardiment appeler l'indolence de son caractère. On ignore quels furent les débuts d'Alberti comme architecte. Les documents nous le montrent pour la première fois dans l'exercice de cette profession à Rimini, vers 1446; il y dirigea, pour le compte de Sigismond Malatesta, la reconstruction ou plus exactement le remaniement de l'église Saint-François'. Les travaux furent poussés avec assez de vigueur pour qu'en i45o, l'année du jubilé, on put inaugurer la construction, dont le gros œuvre toutefois était loin d'être achevé. On tondit à cette occasion la médaille gravée ci-dessus (page4t>~). Alberti dut conserver d'une manière générale la structure primitive de l'église, en se bornant à la revêtir extérieurement d'une enveloppe de marbre distante d'environ un mètre du noyau proprement dit; mais cette sorte de pla- cage suffît pour transformer complètement l'édifice gothique et pour en faire une des merveilles du style nouveau. Nous avons décrit plus haut la principale façade de l'église : le parti pris architectural des deux façades latérales a plus de simplicité encore; il consiste en une série d'arcs de même dimension que les arcs des angles de la façade principale; seulement, au lieu d'être simulés, ils sont à jour et encadrent les baies gothiques des façades latérales anciennes. Dans ces arcs, Alberti a disposé les sarcophages destinés aux pensionnaires des Malatesta, philosophes, historiens, poètes. A l'intérieur, Alberti prit le parti de conserver les baies gothiques, et à cela se borne d'une manière générale son intervention. Il m'est impossible, en effet, de croire qu'un styliste de sa force ait présidé à l'arrangement bizarre, incohé- rent, baroque, des ornements destinés à recouvrir les baies des chapelles, de ces bas-reliels dont les bordures coupent chaque pilastre en trois ou quatre tronçons intormes (voy. la gravure de la page 1 1^^. Aussi ai-je hâte de laver sa mémoire d'une telle tache, \o\c\ ce qui sera arrivé : une fois le maître parti, et on sait qu'il n'aimait pas à perdre son temps sur les chantiers, les sculpteurs, à commencer par ce mauvais sujet d'Agostino di Duccio, en ont pris à leur aise, ne songeant qu'à mettre en lumière leurs bas-reliefs, au détriment des lignes I. Il est il peine nécessaire de renvoyer le lecteur, pour l'histoire de ce monument, au savant et attachant volume Je M. Yriarte : Rimini, p. 178 et suiv. Voy. aussi plus haut, p. 407. 464 HISTOIRE DE L ART l'ENDANT LA RENAISSANCE. architecturales. Ils y ont réussi avec la complicité de l'architecte Matteo de' Pasti, un Lombard (c'est tout dire) : on peut affirmer qu'il ne reste rien de la belle et noble ordonnance d'AIberti. Comment les historiens de l'architecture ne se sont-ils pas aperçus plus tôt de cette mutilation, de cette trahison, qui saute aux yeux ? Une coupole devait compléter le temple des Maiatesta, comme le prouvent la médaille reproduite ci-dessus et une lettre d'AIberti même. Mais Alberti fut le premier à se lasser de ces travaux, qu'il semble avoir abandonnés pour se rendre à Rome, où l'appelaient sans doute les instances du pape Nicolas V. Ses successeurs, Matteo de' Pasti de^'érone et Matteo Nuti de Fano, n'avaient pas l'autorité nécessaire pour mener à fin l'œuvre d'un tel maître. Les entreprises téméraires — politiques et autres — de Sigismond firent le reste : Pendent obéra internipta. Des projets si nombreux et si importants préparés par Alberti avec le concours de B. RosseUino pour le pape Nicolas V — réédification de Saint-Pierre, du palais du Vatican, construction de portiques traversant le pont Saint-Ange, — il ne reste que les descriptions de Giannozzo Manetti et de Vasari. Tout récem- ment, M. de Geymiiller a cru retrouver, dans une des fresques de Ghirlandajo, à Sainte-Marie Nouvelle, un souvenir des projets pour le Vatican'. En 1450, Alberti, qui avait suivi la cour romaine à Mantoue en sa qualité de secrétaire pontifical, composa pour le marquis Louis le plan d'une église qui devait être consacrée à Saint-Sébastien. Il choisit, comme il a été dit ailleurs, le plan de la croix grecque"'. On a reproché différentes hérésies à cette construction, qui tut achevée en 147-, l'année même de la mort de son auteur. Les constructions florentines d'AIberti appartiennent toutes, si je ne m'abuse, à la dernière période de sa vie. Son principal protecteur, Jean Ruccellaï (i4o3- 1477), le chargea d'abord de composer le dessin du palais qu'il se proposait d'édifier dans la « Via délia Vigna ». Ce palais, que M. Milanesi croit avoir été bâti entre 1451 environ et 1455 (époque à laquelle Alberti travaillait à Rome), me paraît avoir pris naissance seulement vers 1460, puisque Filarete, dans son Traité écrit en 1464-14O5, en parle comme d'un édifice « fatto nuovamente ». C'est, à mon avis, la création la plus complète et la plus harmonieuse d'AIberti. Celui-ci y a rompu avec la tradition de ses compatriotes, et il oppose hardiment le palais moderne, élégant et gai, au palais encore si sévère de Brunellesco et de Michelozzo. Pour animer et éclairer sa frçade, il recourt à l'artifice le plus simple qui se puisse imaginer : il sépare les fenêtres par des pilastres. Du coup, quoique l'appareil soit le même que celui de l'étage supé- rieur du palais des Médicis construit par Michelozzo (voy. page 461) et quoique . I. Die Aichilekliir âer Renaissance in Toscana. 2. Braghirolli. — Mancini, Vita di Léon Baltisla Alberti, p. 4.32-436. ALBERTI. 46.S les fenêtres hilobées reproduisent, avec de légères variantes seulement, celles du même palais, l'idée d'élégance se substitue à celle de détense et produit l-açaUe du palais Kuccellaï à Florence. l'impression d'une œuvre véritablement moderne. Ces pilastres nous montrent en outre une pensée terme et claire, groupant avec netteté les membres de la construction, au lieu de s'en remettre en quelque sorte au hasard pour intro- duire de l'ordre dans des amoncellements de blocs gigantesques rappelant les murs cyclopéens. On a constaté qu'au palais RucccUai les pilastres vont en dimi- E. .Miinlz. — 1. Ualie. Les Primilils. 5<) 466 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. nuant de h;uiteur du rez-de-chaussée à l'étage supérieur, et que la corniche n'occupe que la dix-septième partie de la hauteur totale de la façade, tandis qu'au palais des Médicis cette proportion est d'un huitième'. A l'oratoire de -Saint-Pancr.ice, situé à peu de distance du palais Ruccellaï, Alberti construisit une chapelle destinée à la sépulture de cette famille, et con- tenant en outre une réduction du Saint-Sépulcre (1467). Ce gracieux monu- ment existe encore "'. La façade de Sainte-Marie Nouvelle, construite par Alberti aux frais de Jean Ruccellaï, a été décrite et appréciée dans un précédent chapitre (p. 4(i'i)j l'api""-'" Ions ici que ce travail considérable, projeté dès I44^>', tut terminé en 1470, ainsi qu'en foit foi une inscription monumentale : Johaunes Oriccllariits Paiili F. aiino MCCCCLXX. C'est aux Gonzague de Mantoue que nous ramène la construction du chœur de l'égHse des Servîtes ou de l'Annonciation à Florence, entreprise à laquelle le marquis Louis consacra 5ooo florins. 11 s'agissait de reprendre, en le modifiant, le plan élaboré par Michelozzo d'abord, par Antonio Manetti ensuite, et de tirer parti dans une certaine mesure des fondations préexistantes, fondations qui imposaient à Alberti la forme circulaire. Le projet de celui-ci souleva une telle opposition, que son protecteur, le marquis Louis, songea un instant à retirer ses subsides et à laisser là l'ouvrage commencé. Alberti en eftet avait mis en avant une idée des plus originales : appuyer la coupole sur huit niches demi-circulaires, prises dans l'épaisseur du mur (niches qui devaient servir de chapelles, malgré leur étroitesse), et relier directement, sans transition , la rotonde au corps même de l'église par une baie gigantesque. Commencés en 147' 1, les travaux ne furent achevés qu'en 1476, après la mort d'Alberti. Depuis, des embellissements ou restaurations considérables ont altéré singulièrement cet ouvrage, dont l'ensemble comme les détails n'ont cessé de donner prise à la critique. La dernière et l'une des plus grandioses conceptions d'Alberti tut le plan de l'église Saint-André à Mantoue (gravé page 408)''. Les dessins étaient terminés le 22 octobre 1470; mais leur auteur put à peine voir le commencement des travaux, car il mourut en 1472. L'idée fondamentale de l'édifice est une net centrale voûtée en berceau et reposant sur d'autres voûtes en berceau, qui forment des chapelles profondes ; ces chapelles à leur tour sont séparées par 1 . IveJtcnbachcr, Gcschichte. 2. Gr.ivures chez d'Agincourt et chez Lasinio(Aft)»//;»f«// scpolcrali dilla Toscaua, pi. XXX). Des relevés plus exacts st trouvent parmi les dessins de Lesueur ù la bibliothèque de l'École des Beaux-Arts de Paris (Toscane, fol. 66). ?>. Marcotti, Un Mercatore fiorciitiiio, p. 65. 4. Voy. les documents publiés par Gayc{Caileggio, t. I, p. 2;5), l'article de W. BragliiroUi, dans le Reperloriinn fiir Kunstivisscinchaft, 1879, p. 2.Sg-279, et le volume de M. Mancini, p. 5o9 et suiv. ALBERTI. 467 d'autres cliapelles plus petites à coupoles. « L'organisme intérieur de cette Façade de Téglise Sainte-Marie Nouvelle a Florence. magnifique église, dit M. de Geymiiller, est tellement semblable à celui qu'adopta Bramante à Saint-Pierre de Rome, qu'on peut admettre sans hési- 4' '8 iiiSTOiRR m-: i.AKT l'icNixwr i.\ ki;naissance. tntion qu'il lui servit de modèle. Son benu porche n'aura peut-être pas exercé- sur Bramante ime moindre influence'. » Alberti mourut A Rome, âgé de soixante-huit ans, au printemps de l'année 147-. On ignore jusqu'.'i la date précise de sa mort, jusqu'à l'empla- cement de son tombeau. Peu de temps avant sa fin, il avait accueilli dans sa maison et défrayé de tout, plusieurs mois durant, Luca Pa- cioli, le futur auteur du de Divina Proportione. Qui sait si celui-ci n'entretint pas, dans la suite, de cet homme prodigieux, son ami Léonard de Vinci, l'héritier intel- lectuel du grand artiste et penseur florentin, et ne servit pas de trait d'union posthume entre ces deux génies ? Ce que Michelozzo avait été à Brunellesco, Bernard Rossellino le fut à Léon-Baptiste Alberti, un disciple respectueux, mais qui sa- vait en même temps développer les idées du maître; activité féconde et bien réglée, sereine et noble figure, plus amoureux de correc- tion que d'originalité, et dont les œuvres frappent moins la foule peut-être en raison même de leur équilibre et de leur perfection : ce sont là — qui l'ignore? — qualités propres à fiire vibrer toutes les cordes à la fois et non pas une seule au détriment des autres. Bernardo di Matteo Gamberelli, surnommé Rossellino, était né à Florence en 141»); il y mourut en 14(14, ■'^S'-' *^'-' i^inqi'-^'ite-cinq ans seulement. Ayant suivi la bannière d'Alberti, ce fut .sous sa direction qu'il exécuta à Rome les grands travaux commandés par le pape Nicolas ^^ la reconstruction de Saint- Pierre et du palais du Vatican. A Sienne, on tait lionneLir à Rossellino du palais Piccolomini, édilice imposant commencé par le pape Pie II (i45(i-i4'i4), mais auquel on semble Plan lie l'tiirlise S.iinl-.Xndri; .1 .M.-iiiloue I. Les Piojets primilijs pour lii hisiliquc Je Saiiit-Piene de Rome, p. ". ROSSELLINO. 469 avoir travaillé jusque vers la fin du siècle, puisque Jacques Piccolomini, dans son testament de 1498, le qualifie de « palatium novum », mention à laquelle un contemporain a ajouté celle de « et non perfectum ' ». Le palais s'élève dans une rue étroite et irrégulière, qu'il domine, isolé comme il l'est de toutes parts, sauf du côté de la place, où il se relie à une maison. Il est construit en pierres de taille rappelant le travertin employé à Rome. Le rez-de-chaussée, autrefois percé d'arcades servant de portes, est aujourd'hui muré, à l'excep- tion de la porte principale. Au-dessus s'élève une rangée de fenêtres rectan- gulaires, fort petites, une sorte d'entresol, puis deux rangées de fenêtres monu- mentales, du même st^-le que celles du palais de Pienza, avec cette difterencc qu'ici elles ne sont pas séparées par des pilastres. Un bandeau à denti- cules sépare l'entresol du premier étage, et le premier étage du second. Une frise, que surmonte une cor- niche, d'un style très libre et d'un effet très imposant (voy. page ."ÎqS), couronne le tout. Sur un des angles, l'écu (la targe) des Piccolomini avec les croissants et l'aigle. Partout des porte-torche, en ter forgé, se termi- nant dans le bas par un mouton avec un croissant. Le cortilc, qui n'a pas été terminé, devait avoir une torme particulière. II comprend aujourd'hui trois rangées d'arcades, avec des colonnes à chapiteaux ornés de croissants. Le premier étage est ici séparé du second par un intervalle énorme ; au-dessus s'ouvrait une « loggia » aujourd'hui murée. A Pienza", un autre palais Piccolomini, également construit pour Pie II, et légué par celui-ci à ses neveux, dès l'année 14O3, puis l'église, l'évêché, l'hôtel de ville, tous fort bien conservés, nous montrent dans Rossellino l'imitateur diligent, parfois un peu lourd, d'Alberti. Autour de Brunellesco et d'Alberti, une nuée d'architectes habiles, rompus à toutes les difficultés du métier, mais d'ordinaire plus habiles à conduire les tra- vaux en sous-ordre qu'.'i inventer : Niccolô di Piero, qui appartient d'ailleurs Plan du palais Piccolomini a Sienne. 1. Document inédit conservé aux Archives de .Sienne. Cf. le document de 146Q, publié par Gayc {Carteggio. t. I, p. 21 8-220). 2. Voy. Les Arts à la Cour des Papes, t. I; Le Tour du Monde, 1882, liv. 1117; la Xeit- schrift fi'ir Bauivcseu, t. XVI, p. .ïl.3; YAUgemeine Bau:^'itung de Kôstlin, 1882, p. 17 et suiv. (article de M. Holtzinger), et ci-dessus, p. 9,3. 484 et suiv. 470 IIISTOIUi; DF. I.-ART PENDANT l.A RKNAISSANCK . encore à l'âge précédent, quoiqu'il ait vécu jusque vers 1420; Antonio Ma- netti, et Antonio di Tuccio Manetti; Luca Fancelli, que nous retrouverons à Mantoue; la Cecca (1446-1468), surtout célèbre comme ingénieur militaire (il mourut au champ d'honneur); Camicia Chimenti (1427; vivait encore en i5o5), qui eut l'honneur de travailler pour le roi Mathias Corvin; le Fran- cione, à la fois artiste en marqueterie, ingénieur militaire et architecte; Gio- vanni di Bertino, qui semble avoir dirigé les travaux du palais Ruccellaï, ceux de la façade de Sainte-Marie Nouvelle et ceux du premier chœur de l'Annon- ciation'. A Sienne, les architectes du quinzième siècle, de même que leurs com- patriotes les sculpteurs et les peintres', flottent longtemps entre les souvenirs du passé — ces souvenirs du moyen âge qui avaient jeté un si vif éclat dans leur ville — et les séductions que flùsaient briller à leurs yeux ces tentateurs de Florentins, voisins et rivaux aussi haïs qu'enviés. Une circonstance pure- ment fortuite, l'emploi des briques, qui alternent ici avec les pierres de taille, compliquait d'ailleurs le rôle des constructeurs. Le principe de la Renaissance domina pourtant dès la première moitié du quinzième siècle, mais il ne s'af- firma pas avec la netteté et la vigueur qui eussent pu engendrer des œuvres véritablement vivantes, et puis c'est à un Florentin, à Bernard Rossellino, que l'on doit le plus important des édifices de cette époque, le palais Piccolomini, au style si ample, aux proportions si harmonieuses (voy. page S95 la gravure de la corniche et page 469 la description de ce palais). Le palais Spannocchi, avec cinq fenêtres de façade seulement, un rez-de- chaussée et deux étages, a quelque chose d'étriqué ; la corniche supportée par des consoles trop grandes achève de l'écraser. Quant au palais des Papesses (palazzo Nerucci), aujourd'hui restauré et converti en Banque nationale, il est encore à moitié gothique. Le cortile se distingue par des piliers octogonaux en briques et à loge ouverte. Les Siennois ont le mérite d'avoir adopté, des premiers, un genre de construc- tion dont il est difficile de séparer l'idée même de la Renaissance, ces loges ouvertes, de plain-pied avec les places publiques, ou élevées de quelques marches seulement, souvenir bien affaibli de la basilique antique, remises en honneur par Orcagna dans la « Loggia dei Lanzi ». En 141 7, ils élevèrent la « Loggia degli Uffiziali » ou « Casino dei Nobili », gothique quant à son style, mais toute moderne d'inspiration. La seconde loge, d'une élégance déjà un peu facile, d'une correction déjà un peu banale, est la « Loggia dei Papa », con- struite par Federighi en 1460. La chapelle, à arcades ouvertes, bâtie à côté du « palazzo dei Diavoli », par Federighi également, se rapproche aussi de ces modèles; le gothique v coudoie encore la Renaissance. 1. Voy. pour tous ces noms la t.ible lIu l'édition de V.is.iri publiée pnr M. Milanesi. 2. Voy. ci-dessus, p. 7.>78. LES ARCHITECTES DE SIENNE ET DAREZZO. 471 Antonio Federighi dei Tolomei (f 1490), dont nous venons de prononcer le nom, à la fois architecte et sculpteur, résume avec le plus de distinction, pour cette période, ce que l'on peut appeler le stj-le siennois. Pour Li période suivante, le plus éminent des architectes siennois est Francesco di Giorgio Martini, que nous retrouverons dans le second volume de ce travail. Chez cette race, de tout temps portée vers la finesse plutôt que vers la force, l'architecture affecta de plus en plus de pureté, tendances qui, au siècle suivant, trouvèrent leur plus haute expression dans le Siennois Balthazar Peruzzi, l'harmoniste par excellence en matière d'architecture. A Arezzo, un des plus charmants pro- duits du style de transition est le Pa!a:^:^o th'lla Frafeniità ou la Misericordia : au rez-de-chaussée, deux fenêtres en ogive flanquent une porte en plein cintre; au premier étage, la Renaissance triomphe partout, dans les pilastres, dans les gé- nies tenant des festons, dans les niches contenant des statues, enfin dans la Irise ; seul le motif assez disgracieux qui encadre le bas-reliet placé au-dessus de la porte procède du moyen âge. A l'étage supérieur, les consoles qui sup- portent la petite loge découverte, rap- pellent par leur saillie excessive les mâchicoulis de l'époque antérieure. Quant au vase à fleurs qui se développe sous chaque arcade de la loge, c'est la signature de la Première Renaissance, une de ses inventions les plus carac- téristiques et les plus charmantes. Vasari attribue la construction de l'étage supérieur à Niccolo di Piero d' Arezzo, l'habile sculpteur arétin, qui l'aurait bâti en i38.3. Sur la première partie de cette assertion, on peut en croire le biographe, car Niccolô di Piero tut un précurseur dans toute la force du terme ; quant à la date mise en avant par Vasari, elle ne saurait s'appliquer qu'au commencement des travaux, c'est-à-dire au rez-de-chaussée, et nullement au premier étage : en i383, per- sonne en Italie ne savait construire avec une telle entente du style nouveau. Palais de la ■ Jlisericordia • à Arezzo. 472 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. A Pise, quelques palais — le cortile de l'Université, celui du palais archiépi- scopal, la Casa Trovatelli et la Casa Toscanclli — décrits par les auteurs du Ciccroiic, méritent seuls une mention. A Pérouse, la Renaissance s'incarne dans l'oratoire de Saint-Bernardin, construit et décoré en 14O1 par Agostino di Duccio', et dans la porte de Saint- Pierre, commencée par le même artiste en 1 47.-i, en collaboration avec Polidoro di Stefano (gravée page -\?>\). Plus près de Rome et de la mer T^-rrhénienne, à Corneto, le palais Vitel- leschi", commencé dans le premier tiers du quinzième siècle par le cardinal de ce nom (voy. page 86), nous offre un mélange assez incohérent d'éléments gothiques et d'éléments antiques : des fenêtres polylobées et des mâchicoulis à côté de portes dont le tronton triangulaire repose sur des consoles. l'. Décrit par M. P. SchœiifcM, dans la Zcitschiift fur bildciidc. Kunst, 1880, p. 2g3 et suiv. 2. Ce palais a été publié par M. Boffi, .1 Milan, chez Hœpli, en 1886 : // Pa/a^^o ViteUcschi in Corihio Taïqiiiiiia ; un vol. gr. in-fol. Une gravure de la façade a paru dans la Rciniisniiicc nu teiiibs de Charles FJII, p. l65; une gravure d'une des fenêtres, ci-dessus, p. 392. ^'^Mr Etude d'aigle couronncc. D'après un dessin de Pisanello. (Musée du LuLivit;.) Fribe d'une cheminée du palais ducal d'Urbin. CHAPITRE IV LES ARCHITECTES DE ROME, D LRBIX, DE VENISE ET DE LA LOMBARDIE. Rome', au milieu de tant de merveilles en l'art de bâtir, en face de ces ruines incomparables, le sts'le reste lourd et terne, les combinaisons manquent d'originalité, les profils de finesse; sécheresse et pauvreté, tels sont les traits caractéristiques des innombrables églises et palais élevés au quinzième siècle. Aussi bien, en dehors de quelques architectes florentins « di primo cartello » (Léon-Baptiste Alberti et Bernard Rossellino, puis les San Gallo), les papes, les cardinaux, les grands seigneurs ne firent-ils appel qu'à des maîtres de troisième ou de quatrième ordre, les uns Toscans, comme Antonio di Francesco de Florence, Giovannino de' Dolci, l'architecte de la chapelle Sixtine, le Francione, Giacomo di Cristoforo de Pietrasanta, l'architecte de l'église Saint-Augustin (en collaboration avec Sebastiano de Florence) et du Belvédère d'Innocent ^^II, Meo del Caprina, Baccio Pontelli, Lorenzo de Pietrasanta, Bernardo di Lorenzo de Florence; les autres Lombards, tels que Gratiadei de Brescia. Je n'insisterai pas ici sur la biographie de ces différents maîtres, me bornant à I. BiBL. : Letarouilly, Edifices de Rome moderne. Paris, 1840-1857. — Le même, Saint-Pierre et le Vatican. Paris, 1882. — A. Ferri, l'Arcbitettura in Roma nei secoli XV e XVI. Rome, 1867. — A. de Reumont, Geschichte der Stadt Rom, t. III. — F. Gregorovius, Storia délia città di Roma. E. .Munu. — I. Italie. Les Primitifs. cxj 474 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. 0-9-^ CAoaufror ptuvmàu^ ...?i;««*.J. ''Ç^ "ii»,ic j^^o cJ eTitjna.-lvcJKfcJ» itgrrc^fut ofefuNuofa», ^nfe^fmj.f>fo}u"^ p^^^^ c. " Pi-tf* ad «J f;„^ p""'" renvoyer le lecteur à mon travail sur /« ^-///.v à la Cour des Papes, ouvrage dans lequel il trouvera tous les détails nécessaires. Pendant la première moitié du quinzième siècle, l'intérêt se concentre sur les entreprises grandioses du pape Nicolas V; quoique restées à l'état d'ébauche, elles mar- quent une conception trop généreuse et trop haute du rôle de l'ar- chitecture pour ne pas nous arrêter un instant. On a vu que Léon- Baptiste Alberti et Ber- nard Rossellino" tiirent les maîtres chargés par Nicolas de réaliser ces projets gigantesques. De tous les monu- ments romains de la Première Renaissance , le palais de Saint-Marc, ou, comme on l'appelle aujoLird'hui, le palais de \'enise, est celui qui actuellement encore at- tire le plus l'attention : construit au pied du Capitole, sur une vaste place qu'il domine en- tièrement, il s'impose autant par sa masse énorme que par les par- ticularités de son style, par ce caractère de transition si marqué entre les palais-forteresses du moyen âge, dont Florence a si longtemps conservé la tradition, et les habitations si claires, si gaies, si élégantes, si véritablement modernes, inventées par Léon-Baptiste Alberti et par Bernard Rossellino". Ce Essai de reconstituUon du projet d'Alberli et de Rossellino pour la basilique du Vatican. (D'après un dessin de Ferrabosco : Rome, Bibliothèque Barberini.) 1. Voy., sur CCS travaux et sur la part qu'y prit Alberti, l'ctudc de M. Dehio dans le Rcpci- loriiiii! fiir Kuiutwmenschaft, 1880, p. 241, 247, 2,57, et ci-dessus, p. fit). 2. On a souvent fait honneur des constructions de Bernardo Rossellino à son quasi-homo- nyme et compatriote Bernardo di Lorenzo. Mais ce système doit être de-finitivement abandonné. Il résulte de mes recherches dans les Archives romaines que Bernardo di Lorenzo soumissionna en 146b la construction d'une partie du palais de Venise, mais que le contrat ne fut pas exécuté. .1. Les documents sur l'histoire du palais de Saint-Marc se trouvent dans les Ai Is à lu Cour LES ARCHITECTES DE ROME. 47-"' La cour du palais de Saint-Mari; (palais de Venise) à Rome. Le jardin du petit palais de Saint-Marc (palais de Venise) à Rome. 476 HISTOIRE DE E'ART TENDANT EA RENAISSANCE. monument qui comprend le grand palais proprement dit, avec son cortile imité du Colisée, et le petit palais (« palazzetto »), fut commencé vers 145? par le cardinal Barbo et continué par le même prélat devenu le pape Paul II (■f 1471). On ignore le nom de l'architecte qui en a tracé les plans (ce ne fut certainement pas Baccio Pontelli) : nous savons seulement que Giuliano da San Gallo, Giacomo da Pietrasanta, Giovannino de' Dolci, y ont travaillé. Un autre édifice d'une grande importance, la Loge de la bénédiction (com- mencée sous Pie II, terminée sous Alexandre VI, détruite au dix -septième siècle), formait une sorte de portique à trois étages, avec des colonnes engagées. Giuliano da San Gallo et d'autres artistes célèbres prirent part à sa con- struction. A Naples, un petit nombre seulement de monuments rentrent dans le cadre de ce premier volume. Nous avons déjà fait connaissance (pages 112 et suiv.) avec les architectes attachés au service d'Alphonse V et de Ferdinand I", notamment avec Pietro di Martino, de Milan, qui éleva l'arc de triomphe du « Castel Nuovo ». En dehors de l'arc de triomphe, il n'y a lieu de citer ici que le palais Maddaloni- Colobrano, ou Sant' Angelo, que son propriétaire, Diomede Carafla, fit reconstruire en 1466 et orner d'un portail dans le goût florentin; puis les cloîtres de Monte Oliveto et de San Severino, attribués à Andréa Ciccione, et quelques portails. Nous retrouverons dans notre second volume et les Giuliano da Majano et les Giuliano da San Gallo et les Giovanni da Mormanno, et bien d'autres archi- tectes, avec les édifices dont ils ont enrichi Naples vers la fin du siècle, la « Porta Capuana », Poggio Realc, la chapelle de Pontano, etc. En longeant les côtes de l'Adriatique pour remonter vers le nord, de Brindisi à Venise, le monument le plus remarquable et le plus complet de la Première Renaissance est, en dehors du temple des Malatesta à Rimini, le palais ducal d'Urbin, aujourd'hui encore relativement bien conservé'. Commencé dès 1447, à ce que l'on afErme, par Frédéric de Montefeltro, d'abord comte, puis duc d'Urbin, ce noble édifice fut continué à partir de 1467, et augmenté de la partie à laquelle il doit principalement sa réputation : de là l'irrégularité du plan. Le 10 juin 1468, le prince adressait à 1' « egregio huomo maestro Lutiano, dotto et instruite in quest' arte (dell' architettura) », les lettres patentes qui le nom- maient architecte en chef du palais". des Papes, t. II, p. 49 et suiv., dans un article que j'ai publié dans la revue l'Art (i883, l. IV), et dans Gli Studj in Italia, 1884. Voy. en outre le Mt'lo:^io da Forli, de M. Schmarsow, p. 6.3 et suiv., l'article de M. G. Gatti dans les Sttidi e documenli di Storia c Diritto (1887) et celui de M. Stevenson dans les Mélanges de l'Ecole française de Rome (if 1. Pour la bibliographie, voy. ci-dessus, p. 128. 2. Gaye, Carteggio, t. I, p. 2l4-2l5 LUCIANO DE LAURANA. 477 Luciano di Martino était originaire de Laurana (ou Lovrana), petite ville d'Istrie. D'après Baldi, il aurait fait ses premières armes à Naples, en construi- sant la villa de Poggio Reale. Mais nous savons que cet édifice fut commencé seulement en 1487, et qu'il eut pour auteur Giuliano da Majano. Peut-être Baldi a-t-il entendu parler de l'autre Laurana, Francesco, le sculpteur, qui tra- vaillait effectivement à Naples vers cette époque (1474). Quoi qu'il en soit, ce renseignement, que Baldi n'a d'ailleurs donné que sous toutes réserves — « per quanto si dice » — , me paraît devoir être définitivement écarté. Le duc, tous les témoignages sont d'accord sur ce point, fut le véritable col- laborateur de l'architecte : comme Nico- las V, comme Pie II, il lui traça le plan de l'édifice, discuta avec lui jusqu'aux moindres détails de l'aménagement'. Les modèles dont ils cherchèrent à s'inspirer furent, d'après Baldi, ceux de l'ancienne Rome (on trouve un souvenir de ces études dans l'inscription monumentale qui fait le tour du cortile), mais surtout ceux de Florence, ces arcs à la Brunellesco et à la Michelozzo, avec des médaillons dans les écoinçons : seulement Luciano fit un pas de plus. « On peut dire de lui, affirme M. de Geymùller, qu'ayant étudié dans sa jeunesse le style de Brunel- lesco, il le transforma et le livra bramantesque entre les mains de Bramante. » Lorsque Luciano mourut, en 1480, le palais était achevé dans ses parties principales : aussi Baccio Pontelli, à qui l'on a fait souvent honneur du plan de ce chef-d'œuvre, ne put-il que se consacrer à la décoration de l'intérieur, notamment aux marqueteries (1479-1482). En 1481, il envoya à Laurent le Magnifique un plan de ce palais, qui passait dès lors pour le plus parfait de l'Italie (voy. page i34). Un autre architecte célèbre, Francesco di Giorgio Martini, quoique fixé à Urbin, comme Pontelli, avant la mort de Luciano (il semble y avoir séjourné de 1477 à 1487, puis de nouveau en 1490, en 1492, etc.), arri- vait trop tard également pour s'occuper d'autre chose que de constructions accessoires. Le palais d'Urbin se développe, d'un côté sur un plan uni, en face de l'église Saint-Dominique; il suit de l'autre la déclivité du terrain, qu'il a fallu soutenir par des substructions formidables : la brique sert de base à la construction, mais par endroits on a eu recours .'i un revêtement en travertin ; on a en outre I . E tudi li disegno el huon signore Che d'ingegno é perfecto architecture. Poème d'.\ntonio de Mercatello, publié p.ir M. Schmarsow : Melo^xp '^^ Forli, p. 72. Cul-de-Ianipe du palais ducal d'I'rbin. 4:8 HISTOIRE DR L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. employé le tuf, la pierre de Césène, la terre cuite et le marbre, celui-ci réservé pour l'intérieur. La façade principale n'offre pas la netteté de celle des palais florentins : c'est qu'elle se rattache à des corps de bâtiments préexistants. Le cortile, au con- traire, par son étendue, son ampleur et son harmonie, laisse loin derrière lui les constructions similaires de Florence. Quant à la loge à triple étage, qui s'ouvre entre deux tours à encorbellement', elle présente un mélange inexpri- mable de grâce et de fierté. M. Schmarsow l'a rapprochée, avec beaucoup de saga- cité, de l'arc de triomphe de Naples, encastré, comme elle, entre deux tours circulaires. Les détails n'offrent pas moins de distinction, depuis les encadre- ments des fenêtres, si riches et si purs, jusqu'aux escaliers si ingénieusement disposés. A l'origine, le palais renfermait, d'après le poète Antonio de Mercatello', 25o salles et chambres, 660 portes et fenêtres, 40 cheminées, « qui ne fumaient jamais ». On y admirait avant tout la grande salle avec les tapisseries de V His- toire de Troie, la bibliothèque, le cabinet de travail (« studio ») du duc, la cha- pelle. Partout une décoration riche et de bon goût : sur les chambranles des portes et des fenêtres, sur les frises des cheminées, des arabesques, des rinceaux, des trophées, des grotesques, parfois même une danse d'enfants^ Bon nombre de ces sculptures avaient pour auteur le Milanais Ambrogio Baroccio. Cepen- dant, d'après quelques vers assez obscurs de Mercatello, les Florentins semblent également y avoir eu une part considérable. Les vantaux des portes et certaines parois avaient pour ornements de véritables tableaux en marqueterie; Luciano ne dédaigna pas d'y mettre la main. Des communs très étendus, des citernes, un puits et un jardin rempli de plantes rares, complétaient cette demeure seigneuriale. « Le palais d'Urbin, dit M. Schmarsow', est le berceau du style que nous concevons dans sa perfection, lorsque nous prononçons les noms de Bramante et de Raphaël. Ici, dans ce palais d'Urbin, s'est accomplie l'évolution victo- rieuse de la Première Renaissance vers la pureté classique. Malgré toute notre vénération pour Bramante, nous devons reconnaître que Luciano surpasse tous ses contemporains par la noblesse des profils et de certaines proportions, et qu'il est souvent difiîcile de le distinguer de son élève Bramante. » M. de Geymûller, de son côté, affirme que Luciano de Laurana, seul parmi les prédé- cesseurs de Bramante, nous montre cette beauté et cette élégance de certaines proportions, cette « morbidesse » de l'ornementation qu'on ne peut désigner que sous le nom de bramantesque". 1. Voy. la gravure de la page ."îi. 2. Schmarsow, Melo^io da Forli, p. oS.i, 3.S.S. 3. Voy. la gravure de la page 473. 4. Mflo:^io (la Forli, p. 80. .S. Raffaello Saii^io stttdiato corne archiletto ; Milan, Hœpli, p. 8. LES ARCHITECTES VÉNITIENS. 479 Le palais Je Gubbio, moins connu que le palais J'Urhin, a également pour architecte Luciano de Laurana. L'activité déployée par les bâtisseurs florentins n'était rien au prix de celle dont firent preuve leurs émules vénitiens ; grâce à des ressources splendides, églises et palais naissaient comme par enchantement, quelque défavorables que Corlile du palais ducal d'Urbin. fussent d'ailleurs les conditions dans lesquelles l'architecture était appelée à se dé velopper : la difficulté de bâtir sur un sol mouvant, auquel des pilotis seuls pou- vaient donner quelque solidité; celle de trouver de l'espace, de l'air et de la lumière dans ce dédale de ruelles; puis, au point de vue du style, ce mélange d'éléments incohérents, byzantins, arabes, gothiques, antiques'. Si le goût des Vénitiens avait égalé leur magnificence, nul doute qu'ils n'eussent rapidement pu rivaliser avec les Florentins, car au fond c'était une race artiste; mais voila I. BiBL. : Cicognara, le Fabbiiche più cospicuc di Veiu\ia. Venise, 1R1.V1820. — 2' édit., 1B30-1840. — Cicogna, Iscri^ioni vene:^ane. Venise, 1824-186.Î, «1 vol. in-fol. — Selvatico, SulUi Architettura e siilla SciiUura in Vemxia. Venise, 1847. — Ruskin, thc Sloiws of Venicc. Londres, i85j, 3 voL — Yriarte. Venise. Paris, 1878. — Enfin les ouvrages indiqués ci-dessus, p. 162. 48o HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. précisément leur côté faible : sollicités par les influences diverses avec lesquelles leur commerce les mettait sans cesse aux prises; pieusement attachés à la tra- dition, et cependant pleins de curiosité pour ces nouveautés qu'ils entendaient vanter partout, ils ne surent ni distinguer, ni prendre parti. Après avoir sacrifié, jusque vers 1450, à ce que le savant marquis P. Selvatico a appelé le style « arabo-archiacuto » (arabo-ogival), ils oscillèrent à tel point entre le style gothique et le style antique, que, dans la cour du palais des Doges, ils construi- sirent sur un rez-de-chaussée voûté en plein cintre un premier étage voûté en ogive. Si à tant de causes de trouble nous ajoutons la rareté des architectes nourris aux sources vives de l'art toscan (seul Michelozzo fit à Venise un séjour, de peu de durée d'ailleurs, en I433; tous les autres architectes étaient des Vénitiens ou des Lombards), nous comprendrons aisément pourquoi l'architec- ture vénitienne du quinzième siècle est plus riche que pure, plus pittoresque qu'harmonieuse, pourquoi tant de motifs charmants se trouvent jetés sur des façades sans unité, pourquoi l'ornementation, cette suprême ressource des architectes aux abois, l'emporte à tout instant sur l'ossature même des édifices. Un des phénomènes de la vie artiste à Venise, ce sont les dynasties d'archi- tectes : les Bon ou Buon, les Bregno, Riccio ou Rizzo, les Lombardi ; ne dirait- on pas que la forte constitution de la cité et l'organisation par castes réagis- saient jusque sur le domaine des arts ! Je n'essayerai pas ici de débrouiller la généalogie, terriblement compliquée et incertaine, de ces l^imilles. Il suffira au lecteur de savoir que Giovanni di Bertucci (Albertuccio) Bon avait pour fils Bartolommeo et Pantaleone, et qu'ils auraient commencé ensemble en 1414, d'après !c Ciccroiic, la fiiçade du palais des Doges, terminée vers 1463. Je dois toutefois ajouter que, d'après une connnunication de M. Cecchetti, siu'inten- dant des Archives de \\'nise, on ne connaît de Giovanni Bon aucun document antérieur à 1423. Quant à Bartolommeo di Giovanni, il ne doit pas être con- fondu avec un autre Bartolommeo Bon qui mourut en 1529'. Martino Lombardi et son fils Pietro di Martino Lombardi, les chefs de la célèbre dynastie de ce nom, avaient pour patrie Carona (vo_\'. page lOM); leur nom de famille aurait été Solari". Pietro mourut vers ioi5; il eut pour fils TuUio Lombardo (7 i532?) et Antonio (f i5i6). Quant à Moro Lombarde, il semble avoir été originaire de Bergame. Dans l'architecture religieuse, le trait le plus saillant, ce sont les efforts des Vénitiens pour créer un type de façade qui conciliât la tradition byzantine avec les innovations des Florentins. On a vu (page 4110) combien ces essais furent malencontreux; la gravure de la façade de l'église San Zaccaria (commencée en 1456, sur les plans d'Antonio di Marco selon les uns, de Martino Lombardo selon les autres) dispense à cet égard de tout commentaire : les volutes de 1. Caffi, d.inb l'Jiie e Staiia, iBtJô, p. 81-02, 89-90, 14.5-140. 2. Calîi, p. 140. LES AIUIIITECTES \ KMTIKNS. 481 l'ordre inférieur rappellent celles de Santa Maria Novella de Florence, le cou- ronnement, avec ses frontons semi-circulaires, se rattache à certains modèles byzantins. Quant au chœur, il est encore à moitié gothique. Même indécision dans l'église San Michèle (14(36), élevée sur les dessins de Moro Lombardo : ici l'architecte a emprunté aux Florentins l'appareil rustique de la façade. Le La « Ca d'Oio » à Venise. groupe des églises de Santa Maria dei Miracoli (1480), de SS. Giovanni et Crisostomo (1483), de la « Scuola di S. xMarco » (1485), appartient déj;\ tout entier à la période postérieure. Dans les palais, la fantaisie, bannie des créations d'un Brunellesco, d'un Michelozzo, d'un Alberti, d'un Rossellino, se donne librement carrière. Rien de plus charmant que ces loges ouvertes, ces galeries, ces balcons, ces fines den- telles de pierre, ces incrustations en marbre précieux. Tout l'effort d'ailleurs dans le palais vénitien porte sur la façade; le cortile, si développé ailleurs, existe à peine dans la cité des Doges. Le plus éblouissant des palais de la première moitié du quinzième siècle est la fameuse « Ca d'Oro », mi-moresque, mi-gothique, mais dont on a pLi dire L. MuiiU. — I. Halii;. Lcb l'rmulils. (>i ^f2 iiisroïKi: ni: i.'art pkndant i.a ki:naiss\nce. qu'elle réunissait tous les styles possibles (voy. page lôM). A côté d'arcs en accolade, de merlons moresques, de moucharabis, on relève des écoinçons à médaillons, comme dans les palais florentins, et des cartouches rectangulaires. Les palais Foscari et Pisano a San Paolo appartiennent également au st\le gothique; sur ce dernier on remarque cependant déjà des oves. Au palais des Doges, la taçade qui donne sur la place (commencée, affirnie- t-on, en 1404) nous échappe par son style — du pur gothique, — et la taçade qui donne sur la cour (commencée en I4' ){),. f-m ;-3 La chapelle des Portinari. (Vue extérieure.) 4H6 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. reins en guise de pendentifs. Deux des côtés sont percés d'un arc », dit M. Dar- cel, ;i qui nous empruntons cette description, « l'un qui sert d'entrée, r.iutre qui donne accès dans une petite abside. Leurs pieds-droits sont des pilastres corin- thiens, et leurs archivoltes sont décorées de grotesques blancs en relief sur fond vert. Leur imposte, qui forme frise, tout autour de la chapelle, est ornée de têtes de chérubins rouges en relief sur le même fond vert éteint. Chaque pendentif est décoré d'un ange peint qui soutient devant lui un écu en relict sur lequel est figurée une porte fermée accostée de deux lions : armoiries excel- lentes pour un banquier. Au-dessus des anges est l'oculus appareillé, blanc et noir qui encadre la figure peinte de l'un des docteurs de l'Eglise. Les deux écomçons au-dessus des oculus sont décorés de grandes volutes blanches sur fond violet. Au-dessus de la corniche circulaire, au niveau du tambour, posent des anges en relief et peints, portant des cordons où sont suspendus de gros bouquets de fleurs peintes seulement, en avant d'une arcature simulée, percée de place en place d'ajours cintrés. La coupole, voûtée sur ner\'ures, est creusée dans chaque secteur d'un arc percé d'un oculus blanc et noir, l'un à jour alter- nant avec un aveugle dans lequel est peint un buste'. » Une sèche énumération de toutes ces merveilles, palais, châteaux, villas, créées à Milan même, dans les environs, dans les villes voisines, .\ Pavie, à Mgevano, à Crémone, à Bergame, à Lodi, n'oflrirait aucun intérêt, et d'autre part ce n'est pas dans un ouvrage comme le nôtre que l'on peut aborder la description de monuments qui dépassent peut-être la centaine. Réduit à taire le choix le plus rigoureux, je veux du moins accompagner de quelques lignes de commentaire la gravure représentant un des plus charmants édifices de Brescia, la Prison ou Mont-de-Piété. Deux grands pilastres cannelés encadrent la façade dans toute sa hauteur. Au rez-de-chaussée, deux arcades portant sur une colonne ionique. Plus haut, une frise formant balustrade, avec un balcon au centre, un balcon à la moresque, et de chaque côté six targes. Sur cette balustrade posent huit colon- nettes supportant des arcs; au-dessus règne une nouvelle fri.se surmontée d'une corniche d'une grande richesse. On ignore en quelle année et par qui fut bâti ce petit chef-d'œuvre, qui, à côté de la finesse vénitienne, respire toute la dis- tinction des Florentins. Cette esquisse de l'architecture italienne du quinzième siècle devant s'ar- rêter À l'apparition de Bramante, une foule de monuments lombards nous échappent, quoique par leur date ils semblent rentrer encore dans le cadre de rcmani.i Ogalcnioiu le portique de droite dans la grande cour — portique commencé par Br.i- mante, — afin de le mettre en harmonie avec le nouveau plan adopté pour cette cour. Ric- cliini fit replacer à cette occasion dans les appuis du premier étage les belles terres cuites exécutées sous la direction de Bramante. (Notice communiquée par M. le baron de Gej-mùller.) 1. A. Darcel, Excursion à Malle: Rouen. 1882, p. 352. .IS.'Î. — Cf. P.iravicini, l'Aiihitirture hmharjf. LES AlU IllTECTES LUMl'.AKDS. 4H7 notre premier volume. C'est en Lombardie en effet que le st\le appelé bra- mantesque s'est pour la première fois affirmé, vers I47i>; c'est donc à cette La Prison de Brescia. année que s'arrêtera notre analyse. Notre observation s'applique particuliè- rement à la Chartreuse de Pavie : si le corps de l'église relève encore du moven âge par ses origines (les travaux avaient commencé en i.'^o'i) et par AdS HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. son style, hi fliçade, de son côté (commencée non en I47.'î, comme on l'.it- lirme, d'après les dessins d'Amhrogio Borgognone, m;iis en I4()i, sur ceux d'Omodeo', et terminée seulement au début du seizième siècle), appartient à la période bramantesque, et, à ce litre, sera étudiée dans notre second volume. Hssa\ons de résumer les efforts et les conquêtes des novateurs italiens qtii ont précédé Bramante. Ceux-ci ont dû sacrifier beaucoup de membres d'archi- tecture qui sont restés comme atrophiés : les escaliers extérieurs, les cheminées, les campaniles; ils n'étaient pas assez sûrs d'eux-mêmes pour disposer des colonnes sur leurs façades ou pour faire ressortir celles-ci au moyen d'ailes ; parfois ils se sont vus obligés de reculer devant des problèmes que le seizième siècle allait résoudre avec une sûreté triomphante. Leur plus beau titre de gloire, c'est une clarté et une bonne foi parfaites; rien de nature à intriguer ou à sur- prendre, comme l'avaient fait certaines constructions du moyen âge. L'esprit s'est étendu; il a gagné en ampleur et en harmonie ce qu'il a perdu en har- diesse : partout un sentiment exquis de mesure, de propriété, de rythme, la plus pure et la plus douce volupté. En présence de tels mérites, on pouvait attendre patiemment l'évolution nouvelle qui de\ait porter l'architecture ita- lieime à sa perfection. I. |l' Miis ri.i.lcv,ililc do cette LomiiiuniL.itioii il l'obligcuicX' de mon ami M. Ileiir\ du Cicy- luùllcr. Sujet allefioiique. (l-'ac-ï-imilc d'une ;,'ra\ure du .Sd/ii;..' i/c- l'nlyf-hilc.) Frontispice tiré des Triomphes de Pétrarvie. iVenise, 1493.) E. Muiitz. — I. Ualic. Les PnmiUrs. Urncnieiils en bois sculpte, attribucb à Donalello. (Sacristie de la catliédiale de Florence.) CHAPITRE I LA SCULPTURE ITALIKXNK DU MOYEN AGE ET LA SCULPTURE DE LA PREMIERE RENAISSANCE. ESSOR DE l'ÉCOLE ELORENTINE. l'idÉAL NOUVEAU. LA CONCEPTION DES SUJETS. LE STYLE. LA TECHNIQUE. LA SCULP- TURE DU QUINZIÈME SIECLE A-T-ELLE ÉTÉ POLYCHROME? otre ami niessirc Georges Vasari se montre fort dur pour la sculpture italienne du moven âge : « Elle se ressentait plus, dit-il, de la « câxa » (c'est-à-dire des pratiques de la carrière, des pratiques des tailleurs de pierres) que de r « ingegno » (du talent) des artistes. Aux plis défec- tueux, aux airs maussades, succèdent une invention plus riche en figures et en ornements, tin modelé se rappro- chant de la nature, des statues ressemblant à des figures vivantes. » Ailleurs, en cherchant à définir l'art antérieur, Vasari se sert des expressions pitto- resques de « rouille de la vieillesse, grossièreté et manque de proportions' ». Avouons qu'il y a un grain de vérité dans ces sarcasmes : prise en bloc, la I. T. II, p. 9.5, 99, IfM. C'est aussi, au l'uiid, l'opinion de M. Courajod : « Quand on a excepté quelques rares œuvres, très remarquables d'ailleurs, mais exclusivement gothiques, de Balduccio, d'Andréa Pisano, de Nino. d'Orcagiia, on n'est en présence que d'œuvres informes, dont l'ensemble est d'une désolante platitude et d'une révoltante grossièreté. » (Lfi vcrilahlcs Oiiginca de ta Rcuaisiuiuc, p. îl.) 4q: histoire DE L'Al^T l^ENDANT LA RENAISSANCE. sculpture italienne du moyen âge s'est montrée inférieure à l.i sculpture française contemporaine, sinon dans les bas-reliefs, du moins dans les statues proprement dites. Malgré ces imperfections, dès l'aube de la Renaissance, je parle de cette ten- tative miraculeuse de Niccolô Pisano, les Toscans s'étaient révélés connne une race de sculpteurs'. Mais si, aux treizième et quatorzième siècles, Pise et Sienne eurent le monopole des artistes supérieurs — Florence n'a qu'Orcagna à leur opposer, — il devint évident, au début du quinzième siècle, que les Florentins arracheraient à leurs voisins et rivaux le sceptre dont ceux-ci s'étaient enor- gueillis si longtemps. Des différents arts, la sculpture répondait le mieux, ce semble, au tempéra- ment de la Première Renaissance et en même temps, par contre-coup, trouva les interprètes les plus brillants. Au seizième siècle, d'un bout à l'autre de l'Italie, on ne découvre plus qu'un seul sculpteur de génie, Michel-Ange ; au quinzième, on en compte au moins cinq, Donatello, Ghiberti, Luca délia Rob- bia, Jacopo délia Quercia, Verrocchio, pour ne point parler des di minores, cette phalange de maîtres habiles qui s'appellent Desiderio de Settignano, Mino de Fiesole, Agostino di Duccio, Niccolo dell' Arca, les Riccio, Civitale, Caradosso, Pollajuolo et tant d'autres. Le concours seul d'artistes aussi remarquablement doués ne suttit pas à expliquer l'essor de la sculpture italienne; il a encore fallu que les conditions générales, que le milieu, pour employer le terme consacré, fussent exceptionnel- lement propices : vivant sous l'Empire ou sous la Restauration, Donatello lui- même n'eût peut-être été qu'un Canova ou un Thorwaldsen! L'enthousiasme provoqué en laveur de la sculpture par tous les chefs-d'œuvre de l'antiquité subi- tement rendus au jour, l'abondance des cctnnnandes (quel est le parvenu qui ne rêvât pas d'avoir son mausolée orné de sa statue!), la traicheur et la netteté toute plastique des impressions, tels nous paraissent être quelques-uns des facteurs qui ont valu à la sculpture italienne son magnifique épanouissement. Gardons-nous bien de considérer le sculpteur du quinzième siècle comme le représentant d'un art abstrait, exécutant de loin en loin pour les églises la statue d'un saint, pour les places publiques celle d'un prince ou d'un grand cito}'en, pour les mausolées celle d'un noble, d'un poète, d'un banquier ou d'un industriel enrichi, ou encore quelque buste, quelque statuette, quelque bas-relief pour le salon ou le cabinet d'im Mécène. La sculpture, chez ces hommes du Midi dont les idées prennent si facilement un tour plastique, la sculpture est partOLit 1. BiliL. : Vasari. — D'Aeincourt. — Cicogn.ira, Slci iii ciclhi Seuil ma ihil risorainiento deUc Belle Arii in Itaha fuio al secolo di Napoleone. Venise, i8i.i-l8lfi, .î vol. iii-fol. — 2° édit. Prato, 1823-1824, 7 vol. in-S" et atlas. — Perkins, Xi'^M" Sculptors. Londres, 1864. — Le même, Italian Sculptors. Londres, l8ti8 (ces deux ouvrages traduits en français par M. Haussoullier : les Sculpteurs italiens. Paris, Renouard, i86q, 2 vol. in-8° et atlas). — Le même, Hislorical Handbook of Italian Sculpture. Londres, Remington, i883, un vol. in-8". — Le Cicérone. — Bodi:, Italienische Bildhauer der Renaissance. Berlin, Speemann, 1887. UNIVERSALITE DES SCULPTEURS DU XV SIÈCLE. 49.3 et dans tout : sur leurs moindres ustensiles, leurs moindres meubles, tout comme sur leurs armes, leurs bijoux; sur les façades de leurs maisons, tout comme dans les églises ou les hôtels de ville ; aussi, loin de se renfermer dans ce que l'on est convenu depuis d'appeler le grand art, le sculpteur se prodigue avec une bonne grâce parfoite; acceptant, s'appelât-il Donatello, de sculpter Lin taber- nacle ou une vasque, s'appelàt-il Ghiberti, de ciseler un bouton de chape, s'efforçant de servir d'interprète à toutes les conceptions de la vie religieuse, de la vie politique ou de la vie de famille, et retirant, en échange, de ce contact fécond la conviction qu'il se trouve en communion d'idées avec son peuple et son temps, qu'il n'a pas fut une œuvre morte. Rappeler qu'un Michelozzo a sculpté des chapiteaux, un Benedetio da Majano des chambranles de portes et des tabernacles, un Verrocchio le jaquemart d'une des horloges publiques de Florence et des ex-voto, un PoUajuolo des casques, un Paolo Romano des effigies de criminels, n'est-ce pas dire, d'un autre côté, à quel niveau de goût l'intervention de tels hommes maintenait jusqu'aux plus modestes branches de l'art ' ! Avec la sculpture du quinzième siècle, nous entrons dans un monde de formes d'une richesse admirable : des statues monumentales, telles que le Gattamelata et le CoUeone, les portes du Baptistère de Florence et les ornements de l'autel de Saint-Antoine à Padoue, des bustes qui n'ont leurs pareils que chez les anciens ou au dix-huitième siècle, les bas-reliefs de la J'icrgc cl de l'Enfant si merveilleusement enlacés, ou les rondes entraînantes des Enfants dansant, les médailles d'un Pisanello — nom qui dit tout ; — partout la grâce, la finesse, la distinction, la verve, parfois le pathétique; que de jouissances ouvertes devant nous! Jeune, libre, riche, heureuse, Kltalie du quinzième siècle avait l'esprit tourné aux idées gracieuses et riantes; et puis la résurrection de l'antiquité ouvrait à l'imagination de tous des horizons d'une richesse éblouissante, l'idéal le plus radieux. Il était tout naturel que la sculpture, tout comme la peinture, tout comme la religion, qui n'est au fond qu'une manifestation de l'esprit de chaque nation et de chaque époque, suivit le courant, en montrant toutefois moins de mysticisme que sa sœur la peinture. Aussi trouve-t-on chez les sculpteurs du temps un fonds de sérénité et de tendresse inexprimable. Seul Donatello, l'universel Donatello, se laisse aller parfois à des idées plus sombres, dans ses Christs en croix ou ses Mises an tombeau . Plus de Jugeiueiils derniers, comme auparavant (Fra Angelico traite-t-il par exception ce sujet, il prodigue les élus qui s'embrassent bien plus que les damnés qui grincent des dents) : tout au plus, les besoins du culte l'exigeant, des Crucifixions, des Pietà, auxquelles se I. « Lapicida n, tailleur de pierres, c'est ainsi que s'intitule Agostino di Duccio sur la façade de l'oratoire de Saint-Bernardin à Pérouse (1461). — Le carnet de recettes du sculpteur Maso di Bartolommeo fait connaître à inerveille la multiplicité des travaux acceptés .'i cette époque par un sculpteur (Yriartc : Gax.dlc des Bauix-Arls, 1881"). 404 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. joindra dans l'Italie du Nord et dans l'Italie méridionale, lorsque vers la tin du siècle les idées s'assombriront, quelque Calvaire ou Morlorio. Sur les chaires, les autels ou les tribunes, des enfonts qui dansent et qui chantent, comme ceux de Luca délia Robhia ou de Donatello; l'ange, le génie, le « putto », sous toutes ses formes, escaladant les pilastres, voltigeant sur les frises, poussant l'irrévérence jusqu'à jouer avec les instruments de la Passion. Alors même qu'ils abordent les mystères de l'Incarnation, les quattro- centistes s'efforcent d'en mettre en relief le côté poétique et id3"llique, non le côté majestueux ou tragique : l'adoration Je l'enfimt par sa mère, tel fut le thème qui, traité pour la première fois avec éclat par Gentile da Fabriano', dans la prédelle de l'Adoration des Rois Mages (i42.'i), tenta rapidement les sculpteurs aussi bien que les peintres, Luca délia Robbia et Antonio Rossel- lino, tout comme Fra Angelico et Fra Filippo Lippi, en attendant que Mi- chel-Ange et Raphaël s'en emparassent et lui imprimassent sa suprême consé- cration. En dehors de Donatello, de PoUajuolo et de quelques autres maîtres sacrifiant au réalisme, tantôt accidentellement, tantôt de propos délibéré, la sculpture italienne du quinzième siècle s'est donc avant tout consacrée à l'expression de sentiments purs, tendres et nobles; aimant mieux séduire que trapper, préférant la suavité ou l'élégance à la grandeur. Prenons les œuvres de Ghiberti, des délia Robbia, de Desiderio, de Mino, des Rossellino; n'est-ce pas dire que jamais Ecole n'a créé de types plus chastes, plus tendres, plus véritablement angéliques? que, joignant au doux mysticisme du moyen âge et à sa grâce parfois élégiaque la pureté de lignes dont elle a trouvé le secret dans l'art antique, elle est restée jeune, tout en devenant savante, savante dans tout ce qui n'est pas le mal ou la laideur? C'est le moment charmant où l'Iiimianité réapprend, où, se dégageant de toute tradition, elle épelle un alphabet nouveau, et découvre combien il est doux d'ignorer ou d'avoir oublié poiu' éprouver la volupté de se retremper dans des impressions nouvelles. Ces sentiments, la sculpture s'efforce de les traduire, non plus seulement sur les figures, mais sur le corps entier, par les attitudes, les gestes, véhéments comme l'est en Italie la mimique même des gens du peuple : bras jetés en l'air, torses crispés, mains négligemment pendues, comme chez le Pensieroso de Michel-Ange, rien n'y manque; les draperies s'en mêlent; bref, c'est la passion taite chair et os : Mens agitât mole ni. Ce qui restait de raideur disparait devant des formes plus souples et plus mor- bides. Evidemment la statuaire du quinzième siècle n'a encore ni l'ampleur ni la puissance de celle d'un Michel-Ange; mais elle est fière, gracieuse, suave au possible ; ses représentants parcourent en virtuoses toute la gamme de ce que 1. j'enipruiiti; ces dclaiK .lUx ingcnicuscs observations du rcgrcué HcUikt ; Iliiliciiisclie Sliiiiicii, p. 03. I.A TI^\r)ITIO\ COTHIQUE. 40.5 l'on pourrait appeler les sentiments du second degré, le souverain pathétique, la « terribilità », d'un Micliel-Ange composant le premier degré. Le nombre d'idées mises en œuvre peut d'ailleurs passer pour limité : d'une part la religion chrétienne, de l'autre l'antiquité classique, nous ne sortons pas de là; par des scrupules, des habitudes, que j'ai essayé de définir ci-dessus (p. 2(/)-2()7), l'illustration des sujets contemporains reste le plus souvent inter- dite à ces graves sculpteurs. Je me hâte d'ajouter que dans les quelques rares cas où ils ont eu à les traiter, ils ont échoué; nous en avons pour témoins les bas- reliets de Filarete sur la porte de Saint-Pierre de Rome, ceux de Guglielmo Monaco sur la porte du Castel Nuovo de Naples, et même ceux, si supérieurs cependant, de l'arc de triomphe du même château'. Cherchons-nous à décomposer en ses éléments primordiaux le style des sculp- teurs du quinzième siècle, nous y découvrons deux courants bien distincts et d'importance bien inégale, le courant gothique d'une part, le courant antique de l'autre. Plus d'un lecteur se récriera ;\ ce mot de gothique; il n'a rien de surprenant cependant. Comme il finit de toute force que l'on soit toujours le fils de quelqu'un, les sculpteurs de la Renaissance furent les fils des sculpteurs gothiques, comme le quinzième siècle fut la suite du quatorzième : des fils qui dégénérèrent rapidement. Devant la multiplicité de ces infiuences gothiques, on pourrait être tenté de croire à un retour offensif, à une invasion nouvelle de sculpteurs du Nord, français, flamands ou allemands : il n'en est rien. Nous voyons ici se renouveler le même phénomène que pour l'architecture (page 07 4) : loin de faire table rase, les sculpteurs italiens retinrent du style gothique ce qu'il pouvait avoir de suggestif et de fécond; quelques-uns s'eftbrcèrent de le dé\'elopper dans une donnée nouvelle; tous enfin, pénétrés de cet esprit de conciliation qui n'a cessé d'animer la Première Renaissance, le jugèrent avec respect. L'école gothique, habituée à cacher le corps sous les vêtements, s'attachait avant tout à l'étude des draperies, tandis que la Renaissance s'eflbrça, sous l'ardente initiative de Donatello, de mettre à découvert toutes les parties qui I . On .1 vu ailleurs (page 27) combien les humanistes eurent peu de part au développement de l'art pendant le quinzième siècle : en ce qui concerne spécialement la sculpture, leur inter- vention se réduit à une demi-douzaine d'ouvrages : Léonard Bruni d'Arezzo, chancelier de la République florentine, fut chargé d'indiquer à Ghiberti les sujets de la seconde porte du Baptistère et ceux de la châsse de saint Zanobi (Rumohr, ItalienischeForschungen, t. II, p. 354). Politien signala à Michel-.\nge le sujet du Combat des Centaures et des Lapithes. Parmi les autres interprétations de sujets antiques qui peuvent se ramener à l'initiative des humanistes, citons encore les statues équestres de Néron et de Poppée, sculptées par Isaïe de Pise (voy. ci-après la biographie de ce maître), les Planètes, les Enfants musiciens et autres sujets analogues, inspirés d'une poésie de Sigismond Malatesta (Yriarte, Rimini, p. 21 g, .3H9-3g2). Quant aux artistes de la force de Donatello, ils connaissaient assez bien, sinon la littérature, du moins l'art des anciens, pour pouvoir v puiser directement, sans avoir besoin du secours de leurs amis les humanistes. 406 IIISTOIRF, DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. n'appelaient pas impérieusement la protection d'une étoffe. Je n'oserais pas affirmer toutefois que ce fougueux novateur n'ait pas emprunté aux sculpteurs gothiques, au début de sa carrière, certains arrangements de plis. Quant à ses émules Ghiberti et délia Quercia, ils se sont inspirés d'eux en mainte occasion : If premier pour ses pans tombant en pointe, et aussi pour certains entortille- ments ; le second d'une manière générale pour l'ampleur et le mouvement des draperies, qu'il dispose toujours par grandes masses. Mais chacun d'eux, cédant à des instincts secrets, s'adressait à une période différente de l'art du moyen âge : tandis que délia Quercia semble avoir consulté les modèles déj.'i si plan- tureux du quatorzième siècle, tels que les a élaborés l'Ëcole flamande et bour- guignonne, Ghiberti, amoureux de rythme, de finesse et de distinction, semble avoir accordé ses préférences à Tlicole française du treizième siècle. Rntre l'attachement des sculpteurs italiens pour le st^le gotliique et leur admiration pour le style classique, il \' a la même différence qu'entre les sentiments qu'inspire une famille naturelle et ceux qu'inspire une ftmille d'adoption, entre l'habitude et les aspirations. Héritiers naturels du gothique, les quattrocentistes s'efforcèrent de devenir les enfants intellectuels de l'antiquité. Si les sculpteurs de la Première Renaissance avaient réussi à vaincre avec leurs seules forces, rien n'eût manqué à leur gloire. Mais le lecteur sait déjà quelle dette, quelle lourde dette ils ont contractée envers leurs prédécesseurs de la Grèce et de Rome'; il sait qu'ils ont réussi plus souvent à faire renaître qu'.'i faire naître, à ressusciter qu'à créer. Aussi croit-on rêver, en lisant dans le guide inappréciable qui a pour titre le Cicérone, que, pour la sculpture en ronde bosse (« die freie Plastik »), l'influence de l'antiquité a été presque nulle (Ji'' édition, page ^43). Pour le coup, notre maitre Jacques Burckhardt s'est étrangement mépris. Et la Judith donc de Donatello, et son Ciipidon, et son David de bronze, et l'arrangement des draperies de son Saint Pierre, et cette manière de poser ses Prophètes, entre autres son Jèreniie (fragment gravé page 496), et ce cheval imité de celui de Marc-Aurèle, et les Apôtres de Paolo Romano, avec leurs toges à la romaine, et les personnages costumés en triom- phateurs, et l'interprétation du nu, dont jamais la Renaissance ne se serait tirée sans le secours des anciens, que d'emprunts faits à l'antiquité! — Il aurait été plus juste de dire qu'au quinzième siècle les statues sont, proportion gardée, moins nombreuses que les bas-reliefs, et qu'elles conservent plus longtemps les réminiscences du stvle gothique. Autant l'imitation des modèles grecs pouvait offrir d'inconvénients pour l'ar- chitecture'', autant elle avait d'avantages au point de \ue de la sculpture : il ne 1. Voy. p. 2.S4 et suiv. 2. Voyez ci-dessus, p. 237-238. La .Madone et l'Enpant Jésus, par Jacopo dei.la Querca (Kgl.se San Petron.o a Bologne.) E. .Miinlz. — I. Iialie. Les Prmiilil». 63 408 iiis'roii^i: i)i: ART im:m)a\t i.a renaissance. s'agissait plus en effet de reproduire des formes inventées en vue d'un climat particulier, mais de s'inspirer librement de cette interprétation du corps humain que les Grecs avaient formulée à l'usage de l'humanité entière. Les modèles grecs furent surtout mis à contribution par Ghiberti, dans sa seconde porte, puis par les sculpteurs vénitiens, tandis que Donatello et son école s'en tinrent de préférence aux modèles romains, c'est-à-dire i\ des modèles infini- ment moins purs. Limitée dans les sta- tues, l'influence antique est au contraire prépon- dérante, parfois écra- sante, dans les reliefe, qu'il s'agisse de figures nues (Donatello, Ghi- berti , Jacopo délia Quercia), de costumes, d'attributs, d'ornements et d'accessoires de toute sorte, ou de la manière même de disposer les compositions : les unes, trop touffues et aux saillies exagérées pro- cédant des sarcophages romains ' ; les autres, comme certaines fi- gures de Ghiberti, of- frant toute la légèreté et toute la grâce de la statuaire grecque; d'autres, encore inspirées des stucs antiques, ces stucs dont les touilles de la Far- nésine viennent de remettre au jour des modèles d'une finesse parfliite, et dont les quattrocentistes connaissent à coup sûr beaucoup plus de spécimens que nous. Mais venons-en aux qualités distinctives des quattrocentistes. Quel était le type, le canon, l'idéal de beauté que la sculpture italienne renais- sante s'est appliquée à réaliser? Pour bien saisir les données du problème, il tant admettre a priori que les sculpteurs florentins, ayant imposé leur goût au reste de la Péninsule, ont forcément répandu partout le type qui leur était fitmilier, c'est-à-dire celui de Florence. Aussi n'est-ce pas l'opulence des formes romaines que nous voyons triompher, mais la maigreur et la fierté propres aux Busle du prophète Jèrcmie (IVairnieiil), par Donatello. {Campanile du dôme de Florence.) I. Voy. Lubke, Geschichte dt'r Plastih, 2' édit., t. II, p. .t28. LES TYPES. A99 Florentins. Ce type, malgré ce qu'il a de grêle, d'incorrect, parfois de souffre- teux, les a séduits, eu égard principalement à la jeunesse qui était dans les espritf et qui leur faisait aimer tout ce qui rappelait l'innocence et la chasteté. Enten- dons-nous bien; je ne parle pas de la pauvreté ou de l'humilité chères à certaines races, par exemple aux Ombriens, mais uniquement d'une irrégularité de traits qui n'exclut pas la distinction, ni même parfois la grâce. Conservé dans toute sa pureté par les sculpteurs de la seconde génération, les Desiderio, les Mino, les Civi- tale, le type florentin se com- plique chez Ghiberti d'élé- ments grecs, chez Donatello d'éléments romains. Dans les statues d'hommes aussi bien que dans les statues de femmes, les formes élan- cées sont de rigueur (seul peut-être Jacopo délia Qucrcia préfère des formes amples, parfois un peu massives). On n'eût pu souhaiter réaction plus complète contre les fi- gures trop trapues de l'École de Pise, défaut qui éclate, au quatorzième siècle encore , à Florence même, chez les u-lpo- trcs de l'ancienne taçade du dôme. La théorie corrobore sur ce point les errements de la pratique : Alherti admet pour la hauteur moyenne du corps six fois la longueur du pied Sainte Cccile, par Donatello. (Collection de loid Elcho.) - Dans ces figures, maigres plutôt que grasses, le système musculaire ne peut manquer d'être très accentué. Le visage varie naturellement de maitre à maître; Donatello à lui seul a épuisé toute la gamme des physionomies, depuis les traits si énergiques et si fiers de Saint Georges, depuis ceux si osseux et si sarcastiques du Pogge, jusqu'à la majesté de Saint Pierre, jusqu'à la laideur ou l'iinbéciUité du Zitccone. Les femmes appartiennent presque invariablement au type blond et maigre. Mino de Fiesole, dont les Madones peuvent passer pour caractéristiques, aime à leur donner un nez pointu, une bouche tirée et des tempes limpides. Le front est haut et convexe, plutôt que droit et bas; le cou, toujours démesurément long, depuis la Sainte Cécile de Donatello jusqu'aux différentes Simone! ta des HISTOIRE DE EART l'ENDANT \..\ RE.NAISSANCE. Pollajiiolo ou des Botticelli; les mains enfin sont d'ordinaire minces et osseuses, rarement potelées, avec des ongles plats et carrés. Voilà pour la structure même des figures. Si l'on examine le parti qu'ont tiré de celles-ci les sculpteurs au point de vue des expressions, on reste ébloui devant la fécondité de leurs ressources : nous admirons tour à tour la ^''ierge tendre, majestueuse et pathétique, Judith triomphante, sainte iMarie-Madeleine, image de la pénitence, sainte Cécile, image de la rêverie, sainte Catherine de Sienne, la nonne ascétique et recueillie, puis la frivole Salomé, l'impudique Simonetta , et la pha- lange de dames floren- tines, les unes Ij'mpha- tiques, d'autres pleines de mièvrerie , d'autres encore cuirassées dans leur froideur et dans leur fierté. Ange de Verrocchio. (Monument de Forteguerra, au dôme de Pistoia ) On a VU (pages 290- 291) combien de diffi- cultés l'interprétation du nu suscita pendant tout le cours du quinzième -Tç. siècle aux sculpteurs ita- liens. Seuls, pour les statues proprement dites, Ghiberti, dans son Isaac • et dans son Noé endormi, Donatello dans son David de bronze, Antonio Riccio ou Bregno dans son Adam du palais ducal de Venise, peut-être aussi Antonio Rossellino dans son Saint Sébastien d'Empoli, surent en triompher. Si les statues d'hommes nus sont d'une grande rareté, celles de femmes nues sont presque uniques. M. Bode tait observer avec raison que les Florentins ont perdu là une belle occasion de représenter hve, et qu'ils ont laissé cet honneur au Véronais Riccio, dans sa fameuse Eve du palais ducal de Venise. Quant à sainte Marie-Madeleine, son corps est invariablement caché par ses cheveux. L'art de grouper deux figures en ronde bosse laissait également beaucoup à désirer : Donatello a complètement échoué dans sa Judith et Holopherne ; le Rosso, dans son AbraJmin et Isaac. Nanni di Banco s'est tiré avec plus de succès de cette épreuve dans son groupe des Quatre Saints couronnés. Verrocchio enfin, dans son Civist et Saint Tlionms, a réussi à établir une corrélation, un échange de sentiments et comme un courant magnétique entre les deux acteurs. La science des raccourcis n'a pas cessé, pendant la même époque, d'embar- L-ETUDE DU NU. LES RACCOURCIS. 001 rasser singulièrement les sculpteurs, grands ou petits ; en général les attitudes ont quelque chose de forcé, les mouvements quelque chose de brusque, de raide et d'étriqué. Prenons un des motifs favoris de la Première Renaissance : les Anges qui volent ou qui s'agenouillent aux côtés d'un tombeau, d'un tabernacle, d'un retable ; neuf fois sur dix, une des jambes, avec la dra- perie qui l'enveloppe. est ramenée trop près du corps et paraît trop courte. Exemples : les Anges de Verrocchio au iMusée du Louvre (col- lection Thiers) et au monument de Forte- guerra (dôme de Pis- toia), les Anges d'une série de retables des délia Robbia énumérés ci-dessus (page 358), les Anges d'Antonio Ros- sellino ou de Mino sur la chaire intérieure du dôme de Prato, ceux de Benedetto de Majano, sur le tombeau de Phi- lippe Strozzi, à Santa Maria Novella, et bien d'autres encore. S'agit-il au contraire de représenter des en- flmts, la connaissance et la possession du nu ne laissent plus rien à désirer; debout, se serrant contre leur mère, couchés mollement, emportés dans une ronde bachique, partout ces favoris de la Pre- mière Renaissance se montrent à nous pleins d'aisance, de liberté ou de crànerie, dans les attitudes les plus naturelles, chez les délia Robbia, ciiez Desiderio, même chez Verrocchio, avec son délicieux Enfant au dauphin, aussi bien que chez Donatello. On ne voit véritablement pas ce que le siècle sui- vant a pu y ajouter. Gardons-nous bien d'attribuer cette supériorité au hasard; il est tout naturel que les quattrocentistes aient excellé dans l'interpréta- tion des sentiments et des formes qui répondaient le mieux à Iclu's propres sentiments. Enlanls tenant des bouquets, attribués à Simone Ferrucci. (Temple des Malatesta à Rimini.) HISTOIRE ni: L'ART l^EXDANT LA RENAISSANCE. Bien différents des peintres (voy. page 3o8), les sculpteurs ne donnèrent que rarement à leurs compositions le caractère d'ouvrages de genre : ils surent se maintenir, sauf de rares exceptions, danslestvle historique, et se garder de l'abus des portraits, aussi bien que de celui des costumes contemporains. Essayons, avant d'aller plus loin, de définir cette question si intéressante du costume. Autant de maîtres, autant de systèmes différents de draperies. Disons tout de suite que celui qui sait draper ses personnages — hommes ou femmes — avec, la science la plus consommée, le goût le plus exquis et la plus grande variété, c'est Ghiberti, non pas le Ghiberti des statues d'Or San Michèle, mais le Ghiberti de la seconde porte, celui qui a eu le loisir de s'initier aux infinies ressources de la statuaire grecque. Avec les fresques peintes par Micliel- Ange sur le plafond Je la Sixtine, cette seconde porte est peut-être l'arsenal où la sculpture moderne a trouvé le plus à puiser. Ce que l'artiste florentin a mis d'ingé- niosité, de r3"thme et de désinvolture dans ses draperies, qui tantôt enserrent le corps comme une cuirasse, et tantôt lui laissent toute hi liberté de ses mouvements, ne saurait s'exprimer avec des paroles. Tout autres sont les draperies mouvementées et bour- souflées, soit de Jacopo délia Quercia, soit de Donatello. Au début, dans son Saint Picnc, et un peu moins dans son Saint Marc d'Or San Michèle, ce dernier s'astreint au costume traditionnel : tunique, manteau, sandales à l'antique, draperies retombant en plis plus ou moins régu- liers, avec adjonction d'une grosse ceinture en étoffe. Mais bientôt il se sent gêné par ces vêtements de com- mande et met ses héros à l'aise : ils ne rougissent plus de montrer une jambe nue, comme le David de marbre, des bras nus, comme le Zuccone, la poitrine nue, comme le Jérémie, en attendant que tout costume disparaisse, comme dans le David de bronze. — Aux plis, plus ou moins régu- liers, des étoffes de laine ou de lin interprétées par les sculpteurs grecs et romains ou les sculpteurs gothiques, aux cassures du lourd brocart de soie et d'or, le Florentin substitue les draperies lâches, flottantes, indécises, avec des bouillonnements rappelant ceux du cuir, des manteaux négligemment noués sous le menton, comme dans le Saint Georges, les peaux de bique de ses Saint Jean, les haillons de son Jérémie. Précédant en ceci Michel-Ange, il montre surtout de l'aversion, à moins que ce ne soit de l'incapacité, vis-à-vis du costume de son temps : habitué à placer tous ses personnages dans un monde héroïque et à foire du grand art historique, ce génie impatient de tout joug repousse les modes contemporaines comme une atteinte à la dignité de son art (son Niccolo du (7--(//(t) même est costumé à l'antique), taisant profession de Statuette de Prophétesse (2" porte de Ghiberti.) ^Jiâi 'M Etode podr la Vierge du tableau du Louvre. Fac-similé d'un dessin de D. Ghirlandajo (Musée des Offices.) Li:S DRAPERIES. ooô s'adresser sans cesse, non comme Ghiberti aux délicats et aux raffinés, mais aux esprits véritablement libres, forts et virils. Aux draperies trop souvent en cuir ou en caoutchouc de Donatello, si éloignées des beaux plis parallèles de la statuaire antique, il faut opposer les draperies des délia Robbia, simples, amples, graves, d'un jet facile et naturel, et quelquefois d'un arrangement véritablement heureux, par exemple dans la figure de l'Ange annonçant à la \'ierge ses glorieuses destinées. Les délia Robbia savent aussi, par contre, emmailloter avec un art parfait les « babies )) de l'Hospice des Innocents. En outre, quoiqu'ils se soient forgé une sorte de costume idéal, moitié antique, moitié chrétien, ils ne dédaignent pas certaines ressources de la toilette de leur temps : notons leurs manches collantes, retenues deci delà par des boutons, ouvertes ailleurs. Donatello se présente à nous sous des faces si multiples, que, loin de se piquer d'être conséquent avec lui-même, il fournit à tout instant à ses imitateurs ou à ses adversaires le mo3-en de le battre avec ses propres armes. Dans quel- ques-uns de ses bustes ou de ses médaillons, notamment dans ses Vierges et ses Saintes, il avait adopté un système de draperie d'une grâce et d'une légèreté extrêmes, presque une gaze jetée sur les membres, les couvrant sans les voiler. Agostino di Duccio développa cette donnée et créa le svstème des draperies transparentes qui plaquent sur les corps comme du linge mouillé. Mino de Fiesole, tout en ajustant ses draperies, leur fit souvent dessiner des plis parallèles très élégants, qui rappellent la toile enduite de cire. Puis, tout à coup, Verrocchio invente les draperies chiffonnées, recroquevillées, aux cassures innombrables, réaction inconsciente contre les draperies grecques ou romaines, tandis que les Lombards emploient comme modèles des étoffes et des papiers mouillés et collés de manière à former des plis anguleux. Dans la fixation des traits individuels, dans le portrait, le buste surtout, la sculpture a précédé la peinture; et cela en grande partie grâce à l'habitude alors si répandue de décorer les tombeaux de l'effigie du défunt'. Cet usage se rattache intimement à un autre, qui a peut-être encore plus contribué à donner de la précision à ces effigies : je veux parler de l'habitude prise dans chaque ftmille notable de Florence de faire exécuter un masque funéraire après le décès d'un de ses membres. « Au temps de Verrocchio, raconte A'asari', l'usage 1. Bode, Italknische Bildhauer. p. 2I(). Cf. p. 217-261. 2. Voy. ci-dessus, p. 2Q2. Il existe cependant des masques funéraires bien antérieurs : celui de Dante (•]• i32i, au Musée des Offices), celui de Brunellesco (•{• 1446, à l'œuvre du Dôme: gravé ci-dessus, p. 441). Statuette de Prophétesse. (r porte de Ghiberti. 1 •""^-1 HISTOIRE m: L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. se répandit de mouler le visage des morts, ce qui occasionnait peu de frais : de là vient que l'on voit dans chaque maison de Florence, sur les cheminées, les portes, les fenêtres et les corniches, une masse de ces portraits, si bien flaits et si naturels qu'ils paraissent vivants. Cet usage s'est maintenu jusqu'à nos jours, et j'en ai tiré de grandes facilités pour me procurer les portraits de beaucoup de personnages que j'ai placés dans les peintures du Palais (vieux) représen- tant VHisloire du duc Cosme. Grâces soient rendues au talent d'Andréa Verrocchio, qui fut un des pre- miers à appliquer ce procédé. » M. Courajod a re- connu ce point de départ, à savoir le moulage sur nature, dans le buste à'Anna- h'iia Malatcsta , par le \'ecchietta, au Musée national de Florence, dans des bustes du Musée de Berlin et du Musée de South Ken- slngton, dans un buste en terre cuite qui est en sa possession ' , dans la belle tête de cire du Musée Wicar à Lille, faussement attribuée à Raphaël. « Souvent, ajoute M. Courajod, au moyen de retouches, les sculpteurs faisaient disparaître les traces matérielles des emprunts directs demandés à la nature — L'École florentine finit par se trouver mal de ce procédé et, à force de rechercher la vérité anatomique, par donner à ses œuvres un aspect morbide et cadavérique. » Grâce à de telles pratiques, grâce à la saveur réaliste dont elle se pénètre encore, la sculpture du quinzième siècle l'emporte sensiblement sur celle de l'âge suivant : les bustes de Donatello, de Desiderio, de Mino, de PoUajuolo, n'ont pas été surpassés, les uns pour l'exubérance de la vie et la force de la caractéristique, les autres pour la distinction ou la suavité. La sculpture du quinzième siècle ne comptait guère d' « animalier » de pro- I. Quelques Moiuiiiieitls Je la Seiilpl me funéraire. Paris, l88;. Buste d'Annalena Malalesta, par le Vecchietta. (.Musée national de Florence.) LES BUSTES. fession, comme les Barye ou les Gain. Donatello, Baroncelli, \'errocchio, se sont attaqués au cheval, mais d'une taçon qu'on pourrait appeler incidente, je veux dire à l'occasion de statues équestres. On ignore ce que purent être ks Buste de l'évëque Salulali, par .Mino. (Dôme de Fiesole.^ taureaux placés sur la rontaine de la place du Vatican par ordre du pape Alexandre \'I : ils ont disparu depuis longtemps. Les figures d'animaux qui se rencontrent le plus fréquemment dans les collections sont des crabes, des oiseaux, etc. en bronze. Pour la sûreté de la caractéristique et la finesse de la tonte, ces morceaux ne le cèdent pas, je le garantis, aux meilleurs bronzes japonais. E. .\lunlz. — I. Italie. Les PrimiliiM. 64 .5o6 HISTOIRE Dl". l/ART l'ENDANl LA RENAISSANCE. Si l'on s'attache à la forme sous laquelle se produisent les sculptures, on s'aperçoit bien vite que le haut-relief et le bas-relief l'emportent sensiblement sur la ronde bosse. C'est que ces branches, susceptibles de recevoir un plus grand nombre d'accessoires, répondaient mieux aux exigences d'une époque dont le génie était avant tout analytique. Peu de maîtres — je dirai même un seule- ment, à savoir Donatello — avaient une volonté assez énei'gique et une science assez sûre pour concentrer dans une figure unique tout un monde d'impres- sions : la rareté et l'infériorité relative des statues du quinzième siècle n'ont pas d'autres causes. Dans les reliefs, une innovation importante se produit : l'invention de la perspective exposait les sculpteurs à des tentations trop vives pour qu'ils n'\" succombassent pas; en dehors des délia Robbia, inébranlables dans leurs convictions, il n'est guère de sculpteur de talent qui ne cédât au plaisir de taire des tableaux, de véritables tableaux, avec des fonds d'architecture ou de paysage sur trois, quatre ou même cinq plans, toutes les fois qu'on lui confiait un bas-relief : Donatello et Ghiberti, Filarete et Agostino di Duccio, et tous les autres. Vis-à-vis de la sculpture du quinzième siècle (qu'il s'agisse de statues ou de bas-reliefs), aussi bien que vis-à-vis de la sculpture gréco-romaine, la critique, au tur et à mesure qu'elle serre les problèmes de plus près, se voit forcée de renoncer à bien des illusions. Il n'est plus permis aujourd'hui, surtout après les recherches de M. Courajod, de se demander si les quattrocentistes pratiquaient ou non la polychromie, et si l'austère beauté du parcs ou du carrare l'empor- tait à leurs yeux sur ce que l'on pourrait être tenté de traiter de bariolage, de raffinement dangereux et malsain. Une série de monuments, dont le nombre va croissant de jour en jour, vient nous prouver que l'empire de la polychromie s'étendait à la ronde bosse aussi bien qu'au bas-relief, au marbre aussi bien qu'au bois ou à la terre cuite, que les sculpteurs du temps hésitaient aussi peu, principalement à Sienne, à couvrir leurs bronzes d'émaux de couleur qu'à dorer les cheveux ou les vêtements, ou à enluminer la tace de leurs marbres. Encore une illusion qui s'en va ! Au quinzième siècle, la polychromie n'a pas seulement pour champions la puissante dynastie des délia Robbia, qui peuplent la Toscane de leurs terres cuites multicolores émaillées : Brunellesco, l'adversaire le plus acharné de la polychromie en tant qu'architecte (sauf à la chapelle des Pazzi et à l'hospice des Innocents), lui sacrifie de propos délibéré comme sculpteur dans son Christ en croix de Sainte-Marie Nouvelle, dans sa Madeleine (détruite par l'in- cendie en 147 i) ; Donatello incruste de cubes dorés le ïonà de sa Ronde d'enfouis et enlumine le buste dit de Xieeolo da U:^^no; Filarete émaille les portes de bronze de Saint-Pierre de Rome, de même que Ghiberti dore celles du Baptistère de Florence. En 1488 encore la fabrique de la cathédrale de Come tait dorer LA POLYCHROMIE HANS LA SCULPTURE. les statues destinées à l.i façade '. Quant aux stucs, ils nous sont presque inva- riablement parvenus avec leur enluminure ancienne. Le coloriage était tantôt poussé, comme dans une peinture flamande, tantôt sobre et discret: dans une statuette de Sainte Marie-MadeJcine, au Musée de Berlin, attribuée à Verrocchio, la polychromie, aflirnie M. Bode, produit presque le même effet que dans les meilleures figurines de Tanagra et de Kertsch". Mais en sculpture, aussi bien qu'en architecture, le rôle de la polychromie diminue au fur et à mesure que s'élabore une esthétique plus sévère : dernier legs du moven âge, elle disparaît vers l'époque où Michel-Ange tait prendre à la sculpture italienne son suprême essor. La Renaissance italienne a connu et pratiqué dès ses débuts tous les genres imaginables de sculpture, de même qu'elle a mis en œuvre le marbre, la pierre, le bronze, la terre cuite, la terre cuite émaillée, le bois, le stuc, la cire, parfois aussi, mais plus rarement, l'ivoire. Elle s'est essayée tour à tour dans la ronde bosse, dans le haut relief, le moyen relief et le bas relief (« alto rilievo, mezzo rilievo, basso rilievo »), dans les médailles, et dans ce genre d'une finesse inimitable dont Donatello semble être l'inventeur, le « schiacciato » ou « stiacciato » (mot à mot : qui est écrasé), c'est-à-dire un relief à peme apparent, presque de la gravure, presque du graffite. Alors comme aujourd'hui la plupart des sculpteurs avaient l'habitude d'es- quisser leurs compositions au crayon ou à la plume, avant de procéder à l'exé- cution des maquettes. On vante la rapidité et la sûreté de main de Donatello dans ce genre de travail''; malheureusement aucun des dessins actuellement placés sous le nom de ce maître ne peut lui être attribué avec certitude. Quant à ceux de Verrocchio, ils sont d'une facture pauvre, rude et heurtée. Après ces esquisses dessinées, le sculpteur commençait par préparer une maquette en cire ou en terre*. Puis, d'après cette ébauche, plus ou moins sommaire, il préparait le modèle définitif en terre. Souvent il prenait la pré- caution de faire cuire ses maquettes au four, ou de les reproduire en bronze; nous en avons pour preuve les deux Anges du tombeau de Forteguerra par Verrocchio (Musée du Louvre, collection Thiers), le David de Michel-Ange (même Musée, ancienne collection Pulszky), et une foule de terrres cuites ou de bronzes analogues. Ici encore un assez grand nombre de modèles originaux sont parvenus jus- qu'à nous, depuis le bas-relief en terre qui a servi à préparer le bas-relief en pierre sculpté sur la façade de la « Misericordia » d'Arezzo (i4o3), jusqu'au buste en terre de Philippe Strozzi, acquis il \ a peu d'années par le Musée de 1. Ciceri, Selva di Notifie autentiche risguardanli la fahhrica délia calledrale di Como, p. 8l. 2. IlaUenische Bildhauer, p. 184. 3. Vov. le Z)oHa/i;//o édité par la maison Rou.ini, p. 106. 4. Ghiberti raconte, dans ses Commentaires, (|u'il a fourni un grand nombre de « provedi- nienti », c'est-à-dire de maquettes, tant en cire qu'en terre glaise ; « di cera e di creta ». 5.i8 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA Rl'.NAISSANCE. Berlin. Le Musée de South Kensington à Londres, surtout, renferme une pré- cieuse série de terres cuites. Ces préparatifs plus ou moins longs, d'après le caractère de l'artiste ou la complication de l'œuvre, une fois terminés, commençait le rôle soit du metteur au point, soit du tondeur. La matière la plus appréciée, la matière noble par excellence, c'était le bronze ', comme si les difficultés de l'exécution et cette intervention du feu, qui unit et purifie tout, avaient donné à la statuaire ane consécration de plus. Le bronze admettait en outre une plus grande liberté de mouvements que le marbre (dans lequel les parties eu saillie ne sont jamais susceptibles de recevoir un développement considérable), et favorisait par là les audaces de génies impétueux tels que Donatello. Ajoutons que les travaux de la fonte devaient offi'ir un attrait particidier pour tous ces orfèvres-sculpteurs, si fiers de briller dans les « arts du feu ». Les champions par excellence du bron^^e sont, au quinzième siècle, Ghiberti, Donatello, qui ne s'y mit cependant qu'assez tard, A'errocchio, qui fit ftire de grands progrès à la fonte, PoUajuolo. Jacopo délia Quercia et Luca délia Robbia ne s'y essayèrent qu'accidentellement; Desiderio, Mino, Paolo Romano, Civitale, à peine ou pas du tout. Limitée d'abord à Flo- rence et à Sienne, la sculpture en bronze trouva bientôt une phalange d'habiles représentants dans les Écoles de Padoue et de Vérone, nées d'une étincelle du génie de Donatello'. En principe, les ouvrages d'un caractère monumental, surtout ceux qui sont destinés aux places publiques, doivent tous être exécutés en bronze. Exemples : les statues de Gattainclala, de Nicolas III d'EsIe, de Borso cI'EsIe, du Pape Paul II, à Pérouse, du CoUcoue . De même les portes principales des sanctuaires : baptistère de Morence, sacristie de Saint-Laurent et de Sainte- Marie des Fleurs dans la même ville, basilique du Witican. Faire couler en bronze des tombeaux, comme celui de Cosme et de Pierre de Médicis, dans la sacristie de Saint-Laurent, ceux des papes Sixte IV et Lmocent VIII, des châsses, comme celle de saint Zanohi, des autels, comme celui du Santo à Padoue, peut déjà passer pour un raffinement. J'en dirai autant de tous les accessoires du culte coulés en métal au lieu d'être sculptés en marbre : bénitiers, candélabres, tabernacles, etc. Ajoutons que l'association du bronze et du marbre ne froisse à cette époque aucune conviction : le marbre, comme la matière la moins précieuse, encadre d'ordinaire le bronze (tombeau du pape Jean XXIII, cuve baptismale de Sienne, etc.). 1. Bodc, Ilalicnische Bildhaucr, p. 2Z\. Cf. Driny Fortiium, A âcsciiplivc Calalogiic cf Ihe Rronxes iii Ihe South Kensington Miisenni. Londres, Cfiapmaii et Hatt, iR-6. ;. On a constaté que les sculpteurs qui travaillaient plus spécialement le marbre, les Rosscl- liiin. les Desiderio, les Mino, les Civitale, montrèrent moins de réalisme et moins de « terribi- lità » que ceux qui s'attaquaient de préférence au bronze, comme si la matière qu'ils mettaient en œuvre comportait moins de liberté et de fougue. (Lûbke, Geschichte ikr Pliislih, t. IL p. Sri.) La Vierge et l'Enfant Jésus. Sculpture italienne polychrome. (Musée du Louvre.) LA TERRE CUITE. — LE BRONZE. .509 L'art de la fonte et celui de la ciselure destinée à corriger les imperfections de la fonte furent portés à une véritable virtuosité. Ghiberti et Verrocchio excellaient dans ce procédé ', que Donatello, avec ses allures primesautières, négligeait davantage. Ces bronzes florentins à la cire perdue font les délices des amateurs modernes, qu'ils se présentent soit sous la forme de statuettes, soit sous celle de plaquettes ou de médailles; la matière, tirant tantôt sur le brun, tantôt sur le vert foncé, tantôt sur le jaune, est d'une homogénéité parfoite, unie, grasse et onctueuse. Même quand il s'agit d'ouvrages destinés à être reproduits à un grand nombre d'exemplaires, tels que les plaquettes et les médailles, des retouches au ciseau ou au burin donnent à chacun d'eux toute la valeur d'un original. Dans la sculpture en marbre de Carrare, en pierre bleutée, en pierre d'Istrie ou encore en porpliyre (matière remise en honneur par Donatello), on recherche d'ordinaire, surtout à Florence, le plus grand fini. Les visages sont polis et repolis à l'excès; c'est au point que les sculptures de Mino de Fiesole, par exemple, en deviennent froides et fltstidieuses. La terre cuite n'était pas seulement un acheminement vers l'œuvre définitive en marbre ou en bronze ; elle n'était pas seulement un mo3'en, mais encore un but : une infinité de quattrocentistes — les « plasticatori », — la cultivèrent pour elle-même. Il n'est guère de musée qui ne renferme des statues ou des statuettes de Madones, de Christs, de saints, des groupes, des bustes, d'un ton plus ou moins brun, exécutés à l'aide de cette matière, la plus économique de toutes ". A tout instant des statues ou des bas-reliefs en terre cuite étaient appelés à occuper une place d'honneur, comme ce Couronnement de la Vierge de Lorenzo di Bicci, modelé en 1420 pour le tympan de la porte de l'hôpital de Santa Maria Nuova à Florence. Notre photochromie reproduit une superbe Madone en terre cuite peinte et dorée, autrefois placée dans la chapelle d'une villa appartenant à la marquise Vettori, à San Lorenzo a Tignano, dans le Val d'Eisa, et aujourd'hui exposée au Musée du Louvre ''. Ces terres cuites, polychromes ou non, supportaient mal les intempéries : les efforts de Luca délia Robbia eurent pour résultat de les couvrir d'un émail et par là de les rendre inaltérables. La sculpture en bois comptait des représentants spéciaux, tels que ce Fra Antonio de \'iterhe qui sculpta, sous le pape Eugène IV, les portes de la 1. Voici, d'après Vasari, comment Gliiberti procéda pour les portes du Baptistère: Il fit exécuter tout d'abord un grand châssis de bois, de la mesure nécessaire, et l'orna de tûtes et de frises. Etant achevé, et le modèle complètement sec, il en fit la fonte en bronze. Après le cadre, il modela les bas-reliefs en cire, les coula en bronze, et, à mesure qu'ils sortaient de la fournaise, après une dernière revision, il les mit en place. 2. Voy. le travail que M. Bode a consacré aux sculpteurs florentins en terre cuite dans ses Italienische Bildbatier, p. .58-68. — Il est à peine nécessaire de rappeler que le fameux buste de Benivieni, au Louvre, est un très habile pastiche moderne. .1. Courajod, Acquisilions ihi Miisce de lu Siiilphiii' moâtriie au Louvre. Paris, Rnpilly, i88r. 5io HISTOIRE DE EWRT PENDANT EA RENAISSANCE. basilique du A'atican'. Pour la partie ornementale, on employait fréquemment des maîtres français et allemands. Mais il n'est guère de statuaire célèbre qui ne s'y soit essayé : Brunellesco, Donatelloet Verrocchio sculptèrent des crucifix. Ces statues ou bas-reliefs en bois étaient presque invariablement peints. Moins bien partagée que la sculpture en bois, la sculpture en ivoire eut infi- niment de peine à prendre racine; on compterait bien dix ivoires français du quinzième siècle contre un ivoire italien'. La sculpture en stuc ou en carton pierre (« carta pesca ») jouait dans l'art du quattrocento un rôle considérable, que le savant conservateur du Musée du Louvre, M. Louis Courajod, a eu le mérite de remettre en lumière ''. Beau- coup de compositions du temps ne nous sont plus connues que par des stucs coloriés : à cette catégorie appartiennent diverses Madones acquises dans les dernières années par le Louvre ou par le Musée de Berlin. La sculpture en cire, qui devait prendre un brillant essor au siècle suivant, tut cultivée avec succès par la fomille florentine des Benintendi, surnommée « Fallimagini » ou « Cerajuolo », en raison de sa profession. Mais l'artiste qui remit véritablement en honneur cette branche de la sculpture fut ^'errocc]^io : associé à Orsino Benintendi, il exécuta, après la conspiration des Pazzi, à titre d'ex-veto, plusieurs effigies en cire de Laurent le Magnifique, miraculeusement échappé aux coups des assassins. 1. Marchese, Memorie dei piùiiisigiii... ihiiieiucaiii, t. I. 2. Le Louvre possède une demi-douzaine ;x peine d'ivoires italiens du quinzième siècle, parmi lesquels le fragment du Triomphe de Pétrarque publié par M. Molinier {Ga\etle archéolo- gique, i883, pi. XXXV) et le beau tript\-que de la collection Timbal provenant, je crois, du trésor de Gran. Au Musée de South Kensington, une douzaine d'ivoires représentent cette technique (Maskell, Description of the ivories in the South Kensington Mnseuni. Londres, 1872), parmi lesquels le beau Saint Sébastien en bas-relief, souvent reproduit en moulage. .T. Bulletin lie la Société des Antiquaires de France, 1886, p. iq6, 220. Fraijnienl J'un bas -relief de marbre. (.Musée civique de Manloue.) ;.l Un Miracle de saint Antoine de Padoue. (Bas-reliet en bronze de Donalelio, au . Sanlo ■ de Padoue. CHAPITRE II LES NOVATEURS. ■ — DONATELLO, SES PRECURSEURS ET SES ELEVES. orce a été à l'histoire d'admettre , pour l'arciiitecture comme pour la peinture italienne du quinzième siècle, un certain nombre de groupes, d'écoles : pour la sculpture, cette division peut p.naitre superflue, tant les Toscans ont d'avance et de supériorité sur tous les autres sculpteurs italiens '. A Naples, à Rome, à Pérouse, à Bologne, à Ferrare, à Rimini, à Mantoue, à Venise, à Padoue, par- tout où vous trouvez un moninnent de premier ordre, vous pouvez être siu' qu'il a pour auteur un Toscan : tombeaux de papes, statues équestres du Gatta- melata et du Colleone, portes de San Petronio à Bologne, décoration du temple des Malatesta, oratoire de Saint-Bernardin à Pérouse, etc. A peine de loin en loin quelque sculpteur indigène réussit-il à percer. Si l'on me demande poiu'quoi la sculpture florentine, aussi bien d'ailleurs que I. Relevons, à ce sujet, un exemple d'hérédité — comme on tilt aujourd'hui — assez curieux. C'est d.ins les pays de carrières que naissent, au quinzième siècle, la plupart des sculpteurs toscans célèbres : Fiesole donne le jour à la dynastie des Ferrucci (Mino n'est pas .T12 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE- l'iircliitecture, prit une si grande avance sur la peinture, je répondrai sans iiési- ter que c'est à cause de l'abondance des modèles antiques, ces modèles dont la peinture était sevrée. J'ajouterai que l'esprit florentin, plus porté à l'observation qu'au mysticisme, et à l'expression des passions violentes plutôt qu'à celle de la rêverie, devait finir par exceller dans un art où l'exactitude anatomique, d'une part, la rechercbe du mouvement, de l'autre, l'emportent sur toute autre qualité. Il y avait dans cette race encore plus de science et d'esprit critique que d'imagi- nation ou de sensibilité. Les autorités, en connnandant cette masse de sta- tues monumentales pour la taçade du dôme, pour le campanile, pour l'oratoire d'Or San Micbele, et de même les Médicis, en donnant place dans leurs palais ou leurs villas à des bronzes tels que la Judith et le David de Donatello, VEnfant au dauphin de Verrocchio, ne pouvaient que lavoriser l'essor de la statuaire. Mais si l'on insiste pour savoir à quelles causes cette école doit le concours de tant d'artistes supérieurs, force me sera de me retrancher derrière les lois mystérieuses de la naissance des grands hommes, derrière cette apparition sou- daine, impossible à prévoir, d'un Donatello, d'un Ghiberti, d'un délia Robbia, d'un \'errocchio, d'un Michel-Ange : ce dernier étant bien l'entant du miracle que l'Ecole florentine, vieillie et usée, n'osait plus attendre. L'éducation et l'entraînement peuvent favoriser le développement des maîtres, ils sont impuis- sants à les susciter. \o\V.\ le sens dans lequel doivent être interprétées et coor- données les observations qui suivent. Pour achever de montrer qutlle était en pareille matière l'impuissance de l'éducation, je citerai ce fait caractéristique : après Donatello, la sculpture florentine décline jusqu'à ce que Verrocchio vienne lui imprimer un nouvel essor. Il importe de ne pas s'exagérer l'importance de ces sculpteurs qu'on a qu.n- lifiés de Précurseurs de DonateUo\ à savoir Piero di Giovanni Tedesco et Niccolô di Piero d'Arezzo : ces deux artistes, qui sont loin d'avoir brillé au premier rang, ont surtout pu exercer de l'influence sur le génie naissant de Donatello en originairL' de Fiesolc, mais de Poppi); Majano, aux deux Irèrcs Beiiedetto et Giuliano; Settignaiio, à Desiderio et à Luca Fancelli (c'est à Settignano également que se passa l'cniaiice de Michel-Ange); Pietrasanta, aux Ricomanni. Non seulement tous ces maîtres débutèrent comme tailleurs de pierres, ils comptaient encore presque tous des ancêtres ayant exercé la même profession. Il y a quelques années, lors d'une excursion à Majano, je fis la connais- sance d'un représentant d'une vieille famille d'artistes, les Fancelli (voy. p. 470). J'appris à cette occasion qu'un de ses parents avait sculpté une partie des ornements du château de Vincigliata, si intelligemment restauré par les soins de son propriétaire, M. Temple Leader. Ce n'était qu'un simple tailleur de pierres, gagnant 4 ou 5 francs par jour, mais qui, sans études spéciales, était devenu très habile dans le maniement du ciseau. Supposez-le dans une atmo- sphère et soumis à un entraincnient tels que ceu\ du quin/iènie siècle, il eût lait figtire à côté des Mino ou des Desiderio. I. Semper,0i//i' Foi Lciifcr DoihiliJlos. Leipzig, Seemann, 1070. — Les Piàuneiiis ih- la Riiuiis- sance, édités par la librairie Rouam, p. .S;-54. PIERO TEDESCO ET MCCOLO DAREZZO. remettant en honneur les figures nues, j'entends des figures de petites dimen- sions, plus ou moins inspirées de l'antiquité, traitées plus ou moins sommaire- ment. Ils n'ont fait que suivre en cela la tradition des sculpteurs de l'École pisane, des peintres de l'École florentine'. Piero dl Giovanni Tedesco, en d'autres termes Pierre, fils de Jean, Allemand, parut en i.3i% à Florence et y travailla jusqu'en iSqq; puis il entra au service de la fabrique du dôme d'Orvieto, qui lui commanda, en 1402, des fonts bap- tismaux; son essai semble avoir déplu, car un autre artiste ne tarda pas à rece- voir la même commande. A FI orence, Piero di Giovanni débuta par une série de statues d'apôtres et de saints destinées au dôme (1.186 et années suivantes), statues qui n'oftrent rien de particulier. En 1.395 on le chargea de décorer le portail sud du dôme, travail qu'il semble avoir achevé en i.V)(S. C'est là que son imagination et son réalisme se don- nèrent carrière : sur un tond de feuillage, interprété avec un vif amour de la nature, il détacha des êtres bizarres ou monstrueux, tels qu'on en voit en si grand nombre sur nos cathédrales gothiques : un singe s'élançant sur un hibou, un singe monté sur un chameau, le combat d'un singe et d'un serpent, un centaure lançant une flèche, un fauve dérobant sa proie, des personnages à tête humaine et à corps de dragon, etc:, puis, à ces réminiscences du Nord, il ajouta des motifs foncièrement méridionaux, des génies nus dans toutes les attitudes : l'un qui tient une coupe, l'autre qui joue de la cornemuse, un homme nu vu de dos et qui, le bras recouvert d'une draperie, semble attendre l'attaque d'un fauve, enfin une tête évidemment inspirée d'un camée antique. Hâtons- nous d'ajouter que ce qui est antique ici, c'est l'idée, non le style; la facture en effet est rude, vulgaire, véritablement germanique. On n'a pu établir jusqu'ici si Piero di Giovanni ne formait qu'un avec le sculpteur allemand ou flamand anonyme dont parle Ghiberti en termes si émus (lui document lui donne pour patrie Fribourg). Niccolo di Piero Lamberti, surnommé Pela, avait pour patrie Arezzo". On gnore la date de sa naissance, de même que celle de sa mort; on sait seule- ment qu'il mourut vers 1420. Son compatriote Vasari, qui lui a consacré une notice spéciale, affirme qu'après avoir reçu dans sa ville natale les leçons du sculpteur siennois Moccio, il alla se fixer à Florence, où il eut longtemps à lutter contre la misère. Enfin sorti des rangs, il reçut de nombreuses com- mandes, soit de la fabrique de la cathédrale florentine (de i388 à 1419), soit des autorités d'Arezzo. Laissant de côté les ouvrages, principalement des terres cuites, destinés à ces dernières, je m'efforcerai de faire connaître au moins les principales 1. Vo\-. plus liaui, p. 226-230. 2. BiBL. : Vasari. — Semper, die VorUeufer Donalellos. — Schmarsow : Aumiairc des Musées de Berlin, 1887, p. l33-l53; 227-230. E. A\ùntz — I. Italie. Lcb l'rimilib. 65 •"•M IllSTOlRIi Di: L'ART l'LNDANT LA RENAISSANCE. sculptures exécutées à Florence par le m.iîtrc arétin. Son activité s'y concentra sur le dôme. Il sculpta pour le campanile deux statues de Prophètes ou de Patriarches (1.19,3 à 1402); pour Li tribune de Saint Zanohi, le Saint Marc assis (140.S-1415), œuvre froide et o;uindée, avec des arrangements de drape- ries du plus mauvais goût, dans le genre de ceux de la statue de Martin \ au dôme de Milan (gravée page .'I4), et sans effet d'ensemble. Entre les Prophètes et le Saint Marc se place la création la plus in- téressante de Niccolo, celle qui lui a valu le surnom de Précurseur de Donatello, la décora- tion de la « Porta dél- ia Mandorl.i «, au dôme de Florence. Ce que Piero di Gio- vanni Tedesco avait fait poiu" la porte nord, Xiccolo di Piero le fit pour la porte sud, la porte qui reçut dans la suite le nom de « Porta délia Mandorla » (mot à mot, porte de l'Aman- de, .'i cause du bas-reliel en forme d'amande qui la surmonte. Assisté d'Antonio di Banco et de son iils Nanni di Banco, il multiplia dans les bordures (le corps même de la décoration se compose d'anges à mi-corps) les figurines nues, vues de face ou vues de dos, et des scènes mythologiques nettement caractérisées (d'après M. Seniper : Hercule et Caciis, Hercule et le lion de Nèinèe, Hercule debout, un Triton soiifjlant dans nu coquillage, ime femme nue tenant d'une main une corne d'abondance, de l'autre une grappe de raisin ; u n torse rappelant la Vénus de Médicis, etc.). Commencé en 1402, ce travail fut achevé en 1408'. Ainsi voilà un lait acquis : avant Donatello, qui en 1402 ne comptait que Bas-rtliel du Niccolu d'.Vrezzo Uragmenl). Porte « délia Mandorla » au dôme de Florence. I. D.uis le tr.ivail ci-dessus cité, M. Schni.irsow a ct.ibli Li ligne Je démarcition entre partie due à Niccolo et celle qui a pour auteurs les di Banco. noXATELLO. 5i5 dix-huit ans à peu près, il s'est trouvé une génération de sculpteurs appliquée à l'imitation de l'antique, et cette génération, à son tour, a été précédée de deux autres attachées aux mêmes études, les sculpteurs du dôme d'Orviéto et, avant eux, l'Ecole de Pise'. Essayons de tirer une conclusion de ces différentes données. Piero di Gio- vanni et Niccolo di Piero ont en effet précédé Donatello dans l'imitatitjn des bas-reliefs antiques. Mais cette imitation n'a été qu'une des fiices de To-'uvre de Donatello : outre que ses prétendus maîtres n'ont pas pu kii enseigner les lois intimes de la statuaire grecque ou romaine (ils n'y avaient vu que le côté idéographique et la prédilection pour les figures nues), la nature seule lui révéla le secret de faire frissonner, comme il l'a fait, ses créations, de leur donner, avec la verve, le pathétique, d'être enfin ce qui sera son éternel titre de gloire, Donatello le grand dramaturge. Donatello', de son vrai nom Donato di Niccolo di Betto Bardi, avait pour père un simple cardeur de laine; mais celui-ci, nature essentiellement ardente, était le digne héritier de ces fières corporations du moyen âge, prêtes à tout instant à sacrifier leur vie pour la liberté : la chaleur de ses convictions lui fit ehcourir d'abord l'exil, puis une condamnation à mort à la suite de l'assas- sinat d'un de ses adversaires politiques; il fut assez heureux pour obtenir sa grâce, et nous devons nous en féliciter autant que lui, puisque sans cette cir- constance Donatello n'aurait pas "vu le jour. Cette leçon profita-t-elle au fils, ou bien celui-ci ne fit-il que céder aux sug- gestions d'un caractère extraordinairement calme? Toujours est-il que nul Flo- rentin, même pendant cette période si pacifique du quinzième siècle, où les raffinements de la civilisation avaient comme assoupi les passions, ne s'occupa moins de politique. Ce ne fut pas la seule preuve d'indépendance donnée par le maître : jamais depuis l'antiquité on n'avait vu homme plus indifférent aux Portrait de Donatello. (D'après la gravure publiée par Vasari.) 1. Voyez ci-dessus, p. 227-230. 2. BiBL. : Semper, Donatello; seine Zeit niid Schiilc. Vienne, Br.iuinuller, 187.S. Nouv. édit., 1887 (ouvrage qui contient un certain nombre de documents intéressants, mais qui. pour sa mise en œuvre et ses conclusions, a été fort malmené en Allemagne). — E. Mùntz, les Artistes célèbres. Donatello. Paris, Rouam (l88.^). — Depuis la publication de ma monogra- phie, à laquelle je renvoie le lecteur pour de plus amples détails, de nombreux volumes ou plaquettes ont été consacrés à Donatello, surtout à l'occasion de son centenaire. Il me suffira de citer parmi elles : Vita ed opère del Donatello, par M. Cavallucci. Milan, Hcepli, 1886 (planches). — Donatello, par M. Schmarsow. Leipzig, Breitkoff et Hsrtel, 1886. — Donatello e la Crilica vioderna, par M. de Tschudi. Turin, Bocca, 1887. — Enfin, Catalogo délie Opère di Donatello e Bibliografia degli autori che ne hanno scrillo, par M. Milanesi. Florence. 1887. .5i6 i!is'i(5iRF. nr: l'art pendant la ri:naissance. détails de la vie matérielle, à l'argent tout d'abord, puis à la bonne chère, au confort, au luxe des habits, etc. Le peu d'argent qu'il gagnait, il le mettait dans un panier suspendu au plafond par une corde passant sur une poulie : élèves, connaissances, puisaient librement dans cette maigre réserve; sa garde-robe, il oublait à tel point de la renouveler, qu'il fallait que son protecteur Cosme de Médicis, le chef du gouvernement florentin, prît soin de la remplacer de temps en temps; il taisait placer les habits neufs à la place des vieux, et l'artiste s'en revêtait sans s'apercevoir de l.i différence. Dans son insouciance pour les règles les plus élémentaires de la vie sociale, Donatello en était arrivé jusqu'à oublier son âge : tantôt il se dit né en 1.^82, tantôt en i3S6, tantôt en iSH^. Oubli trois fois heureux! c'est à lui que la municipalité florentine doit d'a\oir pu choisir, entre cinq années, celle qui lui paraissait la pUis propice pour célébrer le centenaire de l'artiste, et d'avoir ainsi pu faire coïncider, en 1886, cette fête avec celle de la translation des cendres de Rossini et l'inauguration de la nou- velle façade du dôme. Ainsi isolé du monde extérieur — pour se donner tout entier à son art, il s'était voué au célibat, — mais néanmoins ami obligeant et dévoué, compagnon gai et fltcétieux (les charges qu'il inventa de concert avec son ami Brunellesco sont restées légendaires), Donatello put concentrer sa rare activité intellectuelle sur la sculpture, à laquelle il resta inflexiblement fidèle, tandis que la plupart de ses contemporains allaient de la sculpture à la peinture, de la peinture .'1 l'architecture, de celle-ci à l'orfèvrerie ou à la gravure, en vrais génies univer- sels, prêts à briller en toutes choses connues et en quelques autres, m onnti re scihili et quihiisdam aliis. Voilà comment Donatello, en vrai spécialiste, a pu approfondir et tous les genres et tous les procédés relevant de son art fivori, depuis ces bas-reliefs au modelé presque imperceptible rappelant la gravure, le « stiacciato », jusqu'à la ronde bosse, depuis la sculpture en bois jusqu'à celle en bronze ou en marbre, depuis la sculpture de portraits et la sculpture d'ani- maux jusqu'à la grande statuaire historique et monumentale. Il résulte de ces prémisses que l'histoire de la vie de Donatello tient en dix lignes. Quand j'aurai dit qu'il fut le client, le familier, l'ami des Médicis, qu'il fit des séjours plus ou moins longs à Rome, à Sienne, à Padoue, qu'il compta pour amis ou collaborateurs Brunellesco, Paolo Uccello, Michelozzo, et pour élèves tous les grands sculpteurs des âges suivants, qu'il mourut âgé, pauvre, mais content de son sort, j'aurai retracé les épisodes principaux de cette carrière unie entre toutes. Quant à ce qui est de définir et d'apprécier l'œuvre, c'est à peine si un volume y suffirait, et je ne dispose que d'un petit nombre de pages. Allons du moins au plus essentiel, en renvoyant le lecteur pour le reste à la monographie que j'ai consacrée au maître. Chronologiquement, le développement artistique de Donatello peut se divi- ser en trois grandes périodes. La première, de 1410 à 1424 environ, est celle DONATELLO. 5iî où le maître, fougueux et désordonné à l'excès, se plaît dans une véritable débauche de réalisme. Les statues du Campanile de Florence, ces statues de Prophètes, si irrévérencieuses si l'on s'attache à l'interprétation des Écritures saintes, si puissantes si l'on n'y voit que la vie et le caractère de physionomies individuelles rendues en traits ineffables, forment le point culminant de cette première étape. Puis vient, de 1425 à ^-i.i, l'association avec l'architecte-sculpteur Miche- lozzo. Ce sage, et il faut l'ajouter, hélas! ce médiocre collaborateur, parvient à discipliner l'imagination déréglée de son ami, à la subordonner aux lois de la décoration monumentale. Avec son concours prennent naissance les mausolées de l'ex-pape Jean XXIII au Baptistère de Florence, du cardinal Brancacci à Naples, de Bartolommeo Aragazzi au dôme de Montepulciano, et les bas-reliefs de la chaire extérieure du dôme de Prato, avec leur ronde étourdissante d'en- tants dansant. Pendant la troisième et dernière période, de 1433 à 1400, l'influence de l'antiquité, intermittente auparavant, devient prépondérante. Elle se manifeste principalement dans le David et dans le Cupidon de bronze, tous deux con- servés au Musée national de Florence, dans les médaillons du palais des Médi- cis, dans la fameuse statue équestre de Gattamelata à Padoue, et dans une foule d'autres productions. Ce n'est pas un des phénomènes les moins extraordi- naires de l'histoire de la Renaissance que cette aptitude chez le même artiste à imiter fidèlement les chefs-d'œuvre de la Grèce ou de Rome, et à créer des figures respirant toutes les ardeurs des temps nouveaux. Essayons de classer chronologiquement et de caractériser du moins les pages maîtresses de cet œuvre immense, qui contient peut-être une centaine de statues, de bustes, de bas-reliefs. A en croire Vasari, Donatello aurait dès 1401 pris part au fameux concours pour les portes du Baptistère; mais cette assertion se dément d'elle-même, du moment où l'on tient compte de l'âge du jeune artiste, qui, né en i382, n'aurait compté en 1401 que dix-neuf ans, et né en i386, quinze ans seulement. Ce qui est certain, c'est que Donatello travailla à plusieurs reprises, entre 1403 et 1407, à la première de ces portes sous la direction de Ghiberti, mais simplement à titre d'aide, de compagnon. Notons à ce sujet que pendant la première période de sa vie, jusque vers 1424, époque de son association avec Michelozzo, les ouvrages en bronze, du genre de ceux des portes du Baptistère, ne tiennent qu'une faible place dans son œuvre. Un de ses derniers historiens, M. de Tschudi, est parti de là, non sans raison à mon avis, pour établir que longtemps l'artiste, tenant compte avant tout de la nature du marbre, ne demanda à celui-ci ni saillies exagérées, ni attitudes trop mouvementées, comme celles que comporte le bronze. Plus tard seulement, une fois familiarisé avec toutes les ressources de la sculpture en métal, il ne recula plus devant n'importe quelle audace. .Îi8 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Vers 1400, d'après le témoignage d'un auteur du quinzième siècle, Antonio di Tuccio Manttti, témoignage que l'on a essaj^é, bien témérairement à mon avis, de révoquer en doute', Donatello se rendit à Rome en compagnie de son ami Brunellesco et y fit ini séjour assez long, coupé probablement par des voyages dans sa ville natale. Les chefs-d'œuvre de l'antiquité exercèrent une action bien différente sur les deux amis : tandis que chez Brunellesco ils opé- raient une révolution instantanée, absolue, presque miraculeuse, une des assi- milations les plus puissantes dont l'histoire des arts nous ait conservé le souvenir, ils déposèrent seulement quelques germes dans l'esprit de son compagnon de route, mais des germes qui plus tard devaient fructifier et s'épanouir, de manière à le remphr tout entier. Le premier résultat de ces études d'après l'antique aurait été, suivant la tra- dition, l'Afinonciatiou, haut relief en pierre bleutée placé sur un des autels de l'église Santa Croce à Florence, ouvrage exécuté, selon toute vraisemblance, aux environs de l'année i^oh (d'après M. Schmarsow, en même temps que les statues d'Or San Michèle, soit vers 1410 ou 141 -). L'ornementation — à cha- piteaux, à mascarons, oves, rais de cœur, rosettes, imbrications, denticules, etc., — trahit avec l'insistance la plus marquée l'imitation des modèles romains. Quant aux figures, elles ont je ne sais quelle afféterie, quelle mièvrerie, qui prouvent que Donatello n'était pas encore à cette époque le réaliste audacieux avec lequel nous ferons connaissance dans la suite. Il convient d'ajouter qu'un des critiques dont nous avons tout à l'heure rap- porté l'opinion, M. de Tschudi, place cette Aiuionciation après le second voyage à Rome, en d'autres termes après T433, fidèle en cela à son système, qui con- siste à démontrer que Donatello n'a sacrifié que sur le tard à l'influence antique. Je ne saurais, pour ma part, m'associer à une telle manière de voir : comment admettre en effet que Donatello soit demeuré réfractaire, près de trente années durant, à des influences auxquelles sacrifiaient alors même les plus bornés d'entre ses concitoyens! que cet esprit si ouvert ait ignoré volontairement les conquêtes de ses collaborateurs ou amis, Brunellesco, Nanni di Banco, Niccolo d'Arezzo! L'influence antique se trahit d'ailleurs dans une série de monuments tous antérieurs au second voyage à Rome : le Sainl Pierre, avec ses draperies arran- gées à la romaine, le Jércinie , les mausolées exécutés en collaboration avec Michelozzo, — à moins que l'on ne suppose que Donatello n')- ait pris aucune part, — le tombeau de Jean de Médicis. J'invoquerai un autre argument encore : la Vierge et l'ange de Y Annonciation ont quelque chose d'embarrassé, de timide, qui s'accorderait mal avec ce que nous savons du style de Dona- tello vers 1433, époque où il déployait une fougue extrême, qu'aucune consi- I. Tschudi, p. 9. — (Brunellesco) « cbbo iii qucsta stanz.i di Roma quasi coutinovamcntL' Donatello schultore », dit Manetti, qui a connu de très près et Brunellesco et Donatello. Il est vrai qu'il ajoute immédiatement que Donatello n'ouvrait jamais les veux sur les monuments d'architecture (« sanza mai aprire gli occlii alla architectura «). DONATELLO. Sig dération ne tenipcmit plus. Si l'on examine attentivement les deux tètes, on y trouve une grande pauvreté de traits et un foire sec, qui ne jurent pas moins avec les formes si pleines et avec le modelé si souple (on n'ose dire si gras, car c'est bien là une qualité inconnue à Donatcllo) inhérents aux productions postérieures à I4.-).-). De 1406 à 1424, date de son association avec Michelozzo, Donatcllo con- sacra ses principaux efforts à la cathédrale, et à l'oratoire d'Or San Michèle. En 140S il reçoit la coniniandc du David en marbre, œuvre sinsulicrement suin- dée, aujourd'hui au Musée national de Florence. Entre 1408 et 1415 il crée le Saint Jean assis, si grave, si majestueux, prototype du Moïse de Michel-Ange; en 1412 le Josiié. Le dernier groupe de Prophètes comprend, à mon avis, le Pogge ', le Zucconc et le Jéréniie : la liberté illimitée des expressions et des atti- tudes, un réalisme qui ne recule devant aucun scrupule, une verve qui ne se dément pas un instant, voilà ce qui caractérise ces trois tours de force, hors de pair dans l'art italien du quinzième siècle, et avec lesquels, de ce côté-ci des monts, seuls les Prophètes du puits de Moïse à Dijon, chef-d'œuvre de notre Claux Sluter, peuvent se mesurer. A Or San Michèle, Donatcllo exécuta trois statues de valeur bien inégale : le Saint Pierre (entre 140O et i4i('), le Saint Marc (commandé en 141 i), enfin le Saint Georges, son chef-d'œuvre. A la période réaliste appartient sans conteste le superbe buste en terre cuite 'coloriée récemment acquis par le Musée des Offices et qui est connu sous le nom de Niccolo da U::j:ano (gravé page 5 20). Cette attribution est contestable, car Uzzano comptait plus de quatre-vingts ans au moment de sa mort (i4.-52) et le buste représente tout au plus un sexagénaire-; mais, quel que soit l'original de cette merveilleuse terre cuite, rien, au quinzième siècle, n'approche d'une telle exubérance de vie et de verve. L'année 1433 (peut-être aussi une partie de l'année 1452) est marquée par un nouveau voyage à Rome. Vasari raconte que, le sculpteur-orfèvre Simon (Ghini) ayant prié Donatcllo de venir expertiser la statue tombale du pape Mar- tin V, qu'il venait d'exécuter pour la basilique de Latran, Donatcllo se rendit à son appel et prit part, à cette occasion, aux préparatifs des fêtes qui signalèrent le couronnement de l'empereur Sigismond (mai 143.3)". Il exécuta pour l'église 1. On a contesté que ctxxt statue (dont le buste a été gravé ci-dessus, p. 21) représente le Pogge, sous préte.xte que celui-ci ne s'est fixé à Florence qu'en 1453, et que la statue qui est censée le représenter appartient à la première manière de Donatello. Mais le Pogge a fait de nombreux séjours à Florence longtemps avant de s'y établir définitivement. Nous l'y rencon- trons entre autres en 1429 (de 141" .i 1422 il séjourna en .Angleterre). Voy. Shephard et Tonelli, Vita di Pcggio Briicciolini , t. I, p. 10g, jSj. Florence, i825. 2. De Tschudi, Donatcllo e la critica inodcnia, p. 23. 3. Ce témoignage est confirmé par un document dont il résulte qu'en 140.5 l'œuvre du dôme de Prato envova Pagno di Lapo à Rome pour en ramener Donatello (Guasti, // Pcrgaïuo. p. 23). 52(.) IIISTOIRI-: 1)1-: l.'ART l'HNDAXT LA R1:NAISSANCE. de l'Aracœli la dalle tombale de Jean Crivelli de Milan (f 28 juillet i4-^2), aujour- d'hui méconnaissable, et pour la basilique de Saint-Pierre un tabernacle en pierre BDSTÔlirNtcIoLO DA IZZANO OflM, ù.'-^ .;.rûG ^trirfi-W liubte dit de Niccolo da Uzzano, pai Duiialcllo. i.Muscc luilKinal Je l'Iurcnce.) blanche, que M. Schniarsow a le mérite d'avoir retrouvé en loHCi dans une des dépendances de la sacristie. Après son retour à Florence, Donatello se consacra principalement aux bas- reliefs de la chaire extérieure du dôme de Prato (le premier compartiment fut livré en 1404, le dernier en 1 4.''8), à ceux de la tribune des chanteurs, au dôme Porte de la Sacristie de Saint-Laurent, par Donatello (Fragment.) don.\ti:llo. de Florence (1433-1440, aujourd'hui au Musée national), les uns et les autres célèbres par la verve avec laquelle l'artiste a représenté des Enfants divisant, enfin à la décoration de la sacristie de Saint-Laurent; il orna ce sanctuaire de deux portes de bronze, contenant des pro- phètes rangés deux par deux et discutant avec véhémence, puis de stucs qui furent incrustés au-dessus des portes et sur la voûte : fisfures de saints , fisJLn'es des Evangélistes, inscrites dans des médail- lons, bas-reliefs avec des scènes tirées de la vie de saint Laurent. De 1444 jusqu'en 14(11), l'activité de Donatello se partagea entre Padoue, Ve- nise, Modène, Sienne, Florence et plu- sieurs autres villes. A Padoue, il fond la statue équestre de Gatlainchila (gravée page ^>S^j , les statues et les bas-reliets de la basilique Saint -Antoine, parmi les- quels ces merveilleux Enfants musiciens dont on a essayé, sur des présomptions bien faibles à mon avis, de lui enlever la paternité. Je n'insisterai pas ici sur ces chefs-d'œuvre, pour ne pas répéter ce que j'ai imprimé ailleurs. De retour dans sa ville natale, Dona- tello, parvenu à l'extrême vieillesse, voua ses dernières forces à la décoration des deux ambons de l'église Saint -Laurent, qu'il orna de scènes de la Vie du Christ : il les laissa inachevés, et c'est au compte de son collaborateur et continuateur Ber- toldo que doivent être mises les inégalités et les incohérences de ces bronzes. Le grand sculptem' florentin mourut le 1.1 décembre 14Ô6. Quelques mots encore pour caractériser le génie et l'influence de ce novateur ardent, que l'on peut considérer, avec Brunellesco, comme l'ancêtre de la Renaissance, et j'ajouterai de l'art moderne. Au point de vue technique, la facture de Donatello a trop s.ouvcnt quelque chose d'inégal, de heurté, de lâché, d'incorrect, soit dans ses statues, soit dans ses hauts reliefs et ses bas-reliefs, bien inférieurs pom' le fini à ceux de Ghiberti, pour la pureté et la suavité .'i ceux de Luca délia Robbia. C'est qu'il E. Mûnlz. — I. llalie. Les l'riimlilV.. 66 Enfant musicien, par Donatello. (Au • Santo • de Padoue. 322 iiis'i'oiR!: m; i.art pendant la renaissance. s'était habitué à manier l'ébauchoir avec la même liberté qu'un peintre manie le pinceau, et que, voyant ainsi ses créations venir du premier jet, il s'en £tti- guait, s'en dégoûtait volontiers, persuadé que l'application amoindrirait l'œuvre de l'inspiration. Aussi bien, sans ces imperfections, eîit-il été un dieu, non un simple mortel. Seuls ses ouvrages en « stiacciato » se distinguent par l'exécu- tion la plus savante et la plus poussée; Charles Perkins n'a pas eu tort d'affirmer que Donatello a préparé par ce procédé la renaissance de l'art du médailleur. Ce qu'il faut demander à cette nature agitée et dramatique, comme son pré- Enlanls daiis:ml, par Donatello. (.Musée national de FloreiKe.l curseur Jean de Pise, toujours en ébuUition, n'ayant que par soubresauts le sens de la réalité, de la mesure, de l'harmonie, sauf dans certains de ses bustes qui sont criants de vérité, ce qu'il faut lui demander et ce où il e.xcelle, c'est la verve, la fougue, l'envergure, la puissance de synthèse, le grand pathétique de Michel- Ange, de Rubens, de Puget, ou de Delacroix. Par là il est unique dans la sta- tuaire italienne du quinzième siècle, par L'i il est le véritable précurseur de iMichel-Ange. Donatello a tour à tour étudié l'antique et la nature, il a sacrifié au naturalisme (terme que je propose de substituer .'i celui de réalisme) et au classicisme, il a cherché en un mot .'i combiner les enseignements de ces deux grandes sources d'inspiration. Personne n'était capable au même degré de fiire de brusques retours sur lui-même, et par là de dérouter la pauvre critique d'art, qui suppose toujours chez les artistes qu'elle étudie un développement logique, systématique, comme si les hommes de génie procédaient à la façon des natures ordinaires. Il DONATELLO. Ô2.1 ne serait pas impossible que le Zuccom et le David de bronze, débordant l'un de laideur, l'autre de poésie, eussent pris naissance simultanément; l'année où Donatello se livre à des orgies de réalisme est parfois celle où, pour d'autres ouvrages, il s'inspire le plus de l'antiquité. Le maître n'a pas reculé devant la laideur lorsqu'elle lui paraissait propre à donner plus de puissance à l'idée qu'il s'eflbrçait d'exprimer, et il a salué avec enthousiasme la beauté lorsqu'il l'a trouvée d'accord avec les modèles grecs ou romains. A cet égard, nul n'a montré plus d'indépendance; nul n'a fait preuve de plus d'éclec- tisme. J'ajouterai toutefois que d'ordinaire l'expression de la vie l'intéresse plus que la beauté : il peut rencontrer celle-ci d'instinct; il pour- suivra l'autre de propos déli- béré. Avec Donatello l'Italie s'empare véritablement du sceptre de la statuaire. Ce qu'il mit d'animation et de chaleur dans les tètes, de mouvement dans les drape- ries, de frissonnements ner- veux jusque dans les moin- dres parties de ses figures, la noblesse et l'originalité saisissantes du Saint Georges d'Or San Michèle, la laideur et le cynisme révoltants du Zucconc, l'ironie pénétrante du Poggc, la puissance dramatique de ses bas-reliefs des portes de la sacristie de Saint-Laurent, de ses Mises au tombeau, de son Histoire de saint Antoine à la cathédrale de Padoue, la verve rythmée de ses Enfants dansant (chaire de Prato; balustrade des orgues de la cathédrale de Florence; pié- destal de la Juditli) , l'ascétisme de ses statues ou bustes de Saint Jean, dont l'un vient d'entrer au Louvre par le legs d'Albert Goupil, ces qualités admi- rables et tant d'autres ont fait de lui, mieux que le précurseur, le rival incontesté de Michel-Ange. En résumé, la sculpture définitivement affranchie de la timidité, de la rai- deur et de la maigreur des âges précédents, l'étude du nu remise en honneur par des modèles d'une hardiesse et d'une désinvolture incomparables, l'art de traduire tour à tour avec une liberté et une éloquence souveraines le frais et Buste de Saint Jean-Baptiste, par Donatello. (Musée national de Florence.) 524 HISTOIRr: DR L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. gracieux sourire de l'enfance, l'héroïsme calme et sûr de lui-même d'un saint Georges, le scepticisme des philosophes païens, le désespoir de la Vierge sanglo- tant ou se tordant les mains au pied de la croix, — l'antiquité ressuscitée, le christianisme exalté, la conscience donnée à l'homme moderne de sa liberté et de sa puissance, que de conquêtes impérissables iaites pour assurer l'immortalité au nom de Donatello! La biographie de Nanni d'Antonio di Banco (-f 1420) offrirait, si la version de Vasari était véridique, un intérêt tout spécial pour l'histoire des arts pen- dant la Première Renaissance : Nanni serait, pour tout le quinzième siècle, un des rares représentants de la classe des artistes amateurs, si nombreuse aujour- d'Inii, à peu près inconnue alors. Fils de parents très riches, il aurait cultivé la sculpture par goût, non par nécessité, comme ses contemporains. Malheureu- sement, les documents, les impitoyables documents nous révèlent que le père de Nanni était, comme lui, sculpteur, et de plus sculpteur assez habile, ainsi que le prouve sa collaboration aux bas-reliets de la « Porta délia Mandorla », commencés par Niccolo di Piero ' (1402-1 4n(S). Dès lors cette vision de richesse et de désintéressement perd singulièrement de sa force. Sans aller jusqu'au fond du problème, contentons-nous de déclarer que, riche ou non, Nanni avait assez de talent pour justifier sa détermination : à supposer que les patriciens l'aient renié, les artistes, Donatello en tête, l'acceptèrent avec em- pressement comme un des leurs, et ils n'eurent pas à rougir de cette adoption. L'admission de Nanni dans la corporation des tailleurs de pierre, « l'Arte dei maestri di pietra », remonte au 2 février 1400 (nouveau style). A partir de ce moment, on le voit exécuter différents travaux, notamment pour la cathédrale, en collaboration avec son père. Mais c'est surtout à l'oratoire d'Or San Michèle que son souvenir se lie indissolublement, tout comme celui de Donatello. MM. Burckhardt et Bode admettent au sujet de ce dernier que Nanni aurait .'1 l'origine exercé sur lui une influence considérable, sauf à devenir plus tard le tributaire de l'artiste supérieur. Mais rien, dans les dates, ne me semble justifier la nécessité d'une pareille hypothèse. En tous cas, les statues exécutées par Nanni pour les niches d'Or San Michèle ont de la peine à soutenir le voisinage de celles de son illustre rival. Celle de Snint Jacques pèche par la raideur et l'afféterie; les draperies sont beaucoup trop fouillées par endroits : il est vrai que les auteurs du Cicérone la retranchent de l'œuvre de Nanni, pour l'attribuer à quelque imitateur des trecentistes. Dans la statue de Saint Philippe — aux formes passablement tra- pues — l'influence de Donatello est indéniable. On y trouve surtout l'habitude de traiter les draperies par grandes masses, et non par plis plus ou moins serrés, plus ou moins parallèles, comme au moyen âge. La figure de SainI Êloi est 1. Voy. p. ,114. NANNI 01 P.ANCO. S2r> incontestablement la plus correcte de toutes; on ne peut lui adresser qu'un reproche en quelque sorte négatif : elle manque de caractère et d'accent. Les Quatre Saints couronnés enfin, debout tous les quatre dans la même niche, sont des figures graves et recueillies. C'est au-dessus d'elles que se déroule le petit bas-relief, si curieux, représentant l'intérieur d'un atelier de sculpteur. Le choix du sujet a plus fiit pour la réputation de ce bas-relief que le mérite du style (gravé page 047). Ce culte de la beauté, qui distingue Nanni di Banco et qui le rapproche à tout instant de Ghiberti, se retrouve dans la statue de SainI Luc assis (^]^oH à 141 5), sculptée pour la façade du dôme, et placée aujourd'hui sur la tribune de Saint Zanobi. C'est une figure juvénile, à la barbe courte, à la bouche fière, au nez droit, aux yeux légèrement fatigués (défaut assez commun aux figures du maître, d'après la re- marque fort juste de M. Bode), au front noble, om- bragé par des cheveux épais, avec un parfum de poésie et de noblesse qui fait trop souvent défiut aux statues voisines de Niccolo di Piero et de Ciuftagni. Une attitude pleine d'aisance, des draperies amples, sou- ples, mouvementées et cependant pleines de rythme, achèvent d'accentuer le contraste avec le Saint Jean de Donatello, placé quelques pas plus loin. Ces hautes qualités expliquent comment des connaisseurs tels que M. Cavallucci ont pu confondre l'œuvre de Nanni avec celle de Donatello, et voir dans cette statue juvénile le Saint Jean que l'on savait avoir été commandé à ce dernier. Les bas-reliefs de la porte de la « Mandorla », au même édifice (postérieurs à l'année 1414), nous montrent, au centre, dans la « mandorla » (l'auréole en forme d'amande), la Vierge assise, tendant sa ceinture à saint Thomas agenouillé dans le bas. Ces deux figures appellent une comparaison avec celles du fameux tabernacle d'Orcagna à Or San Michèle. On s'aperçoit, au premier coup d'œil, que le saint de Nanni est presque textuellement copié sur celui de son prédécesseur du quatorzième siècle, avec cette différence que son attitude est beaucoup moins expressive, moins éloquente. Dans la figure de la Vierge, Nanni prend sa revanche; il y montre plus de liberté et de grâce. Dans les anges enfin qui voltigent aux côtés de la Vierge, le quattrocentiste s'est élevé à une beauté de type, à une noblesse de conception, absolument dignes de Ghiberti. Il y a sacrifié les préoccupations réalistes de Donatello pour ne s'attacher qu'à la recherche des lignes les plus pures, de l'expression la plus suave, et il v a réussi'. Poitrail Je Nanni di Banco. (D'après la gravure publiée par Vasari.) I. Un de ces anges est gravé ci-dessus, p. 4. .S26 HISTOIRR DR L'ART PENDANT LA. RENAISSANCE. Andréa di Lazzaro Cavalcanti, surnommé Buggiano (1412-1462), artiste mé- diocre, élève, fils adoptif et héritier de Brunellesco, sculpta en 1440 les deux lavabos de la sacristie du dôme, auxquels il donna une disposition assez ingé- nieuse (le réservoir ordinaire y est remplacé par une outre dont deux génies nus assis font sortir l'eau par le poids de leur corps), et, en 1446, le monument commémoratif de son maître, avec un buste aux traits bien ingrats, au dôme de Florence. Parmi les nombreuses productions d'un autre Florentin, Bernardo di Piero CiufFagni (i3«Si-i457), il suffira, pour caractériser cet artiste, absolument secondaire, d'anal}ser la statue de Saint Mathieu assis (1409-1416), sur la tribune de Saint Zanobi, au dôme de Florence. Dans cette page froide et sans accent, l'auteiu' a pu taire preuve diin certain art pour arranger les draperies (et encore, si la partie inférieure du vêtement se développe harmonieusement, rien ne se justifie moins que le motif des deux pans de manteau qui s'enroulent l'un autour de l'autre à la hauteur de la gorge, sans même former un nœud) : il n'a pas réussi à mettre de la vie ou de l'expression dans les traits, qui restent absolument archaïques et vides. — Nous retrouverons tout à l'heure CiufHigni parmi les sculpteurs du temple des Malatesta à Rimini. Giovanni di Bartolo de Florence, surnommé il Rosso (f après 145 1), un autre élève de Donatello, avait plus d'ambition, sinon plus de tempérament que Ciuffiigni. Nature assez agitée, à ce qu'il semble, il travailla tour à tour dans sa ville natale, à Vérone, où il exécuta l'étrange mausolée de Brenzoni, sur lequel nous reviendrons, à Tolentino, où il inscrivit en 1401 son nom, « Johannes Rubeus », sur le portail de l'église Saint-Nicolas. D'ordinaire ses figures sont vides et déclamatoires : j'hésite beaucoup, pour ma part, à revendi- quer en laveur de Donatello une part de collaboration, quelque mince qu'elle soit, dans le groupe littéralement si ennuyeux à^ Abraham et d'Isaac, au Cam- panile du dôme de Florence. Laissons-le tout entier à l'actif du Rosso. Dans une autre figure de Prophète, également au Campanile (photographie Brogi, n" 5336), nous retrouvons quelques-uns des motifs de prédilection du maître illustre, assez habilement interprétés par l'élève: la main levée, la grosse ceinture nouée autour des reins, etc. Nous ferons connaissance, dans le chapitre IV, avec Filarete, et, dans notre second volume, avec d'autres élèves de Donatello, tels que Bertoldo, Vellano, les Riccio. L'œuvre sculpté de Michelozzo s'enchevêtre tellement dans celui de Dona- tello, que force nous a été de l'étudier dans le chapitre consacré à ce dernier maître. Le mausolée d'Aragazzi, au dôme de Montepulciano (1427 à 1420), dont on fliit aujourd'hui honneur à Michelozzo seul (gravé page 72), nous révèle un ciseau savant et froid plutôt qu'ému et vibrant, de l'afféterie à la place de fougue, un modelé sec et sonnnaire. AGOSTiNo 1)1 nurcio. 527 La personnalité, si originale, d'Agostino di Duccio, est une des conquêtes de l'érudition moderne. Vasari avait parlé vaguement d'un certain Agostino délia Robbia ', auteur des sculptures de l'oratoire Saint-Bernardin à Pérouse. C'est à M. Charles Yriarte" et à M. Bode que nous devons d'avoir vu sortir des ténèbres, d'un côté la biogra- phie de ce maître, de l'autre son œuvre, qui otiVe le plus vif intérêt. Sans entrer dans le détail de cette découverte, dont l'hon- neur se partage entre le savant parisien et le savant berlinois, je me bornerai à dire qu'Agos- tino d'Antonio di Duccio na- quit à Florence en 1418 et qu'il mourut à Pérouse vers 1498. Il n'appartenait en au- cune façon à la famille des délia Robbia. Comme tant de ses compatriotes, il alla de bonne heure chercher fortune au loin, profitant du privilège qui s'attachait alors à tout ce qui venait de Florence. A peine âgé de vingt-quatre ans, il sculptait sur la façade du dôme de Modène quatre petits bas-reliefs, avec des scènes de l'Histoire de saint Géiiiiiiieii (si- gnées « Augustinus de Floreii- tia. F. 1442 »). En 144(1, ^^^i^usé de vol dans sa ville natale, il prit la fuite et se fixa pour quelques années, jusque vers 1454, à Rimini, où il trouva plusieurs de ses compatriotes, entre autres Léon- Baptiste Alberti, qui dirigeait les travaux de l'église Saint-François. Attaché presque aussitôt à la décoration de l'église, peut-être avec une sorte de direc- tion, il y appliqua, comme son maître Donatello, le système de la collaboration sur la plus vaste échelle. Il en tut la première victime, car ses auxiliaires déna- turèrent plus d'une fois ses compositions. La planète Diane. Bas-relief d'Agostino di Duccio. (Temple des Malatesla à Rimini.) 1. Cf. la notice de M. Milanesi : Vasari, t. H, p. 170. 2. L'Art : 1880, t. IV, p. 289-298. — Rimini, p. 407-411. .Î2S HiSToiiu-: m-: l'art pendant la renaissance. Le principal d'entre eux fut Simone di Giovanni Ferrucci de Fiesole, fonda- teur d'une dynastie de sculpteurs habiles (son fils Francesco, son petit-tils Bastiano). Simone était fixé à Rimini dès 1442, date gravée, sous la forme bizarre deMCCCCMIIL, sur un crâne de marbre appartenant au marquis Campori de Modène'. M. Yriarte lui tait honneur des Enfants gui dansent et qui jouent, ces figures si fraîches et si délicieusement maniérées, malgré certaines lourdeurs (des pieds gros et courts, véritables pieds d'éléphant; voy. page 5ni), qui remontent d'ailleurs, en général du moins, à Donatello. II faut distinguer Simone Fer- rucci de Simone Ghini, qui semble avoir plus spécialement travaillé le bronze. Quant à Bernardo Ciufiagni, il travailla au temple des Mala- testa de 1447 à 1450 environ; il y exécuta le tombeau d'Isotta et décora la chapelle de Saint- Sigismond'. Il n'est pas trop facile, étant donnée cette collaboration, de déterminer la part d'un chacun. Voici cependant un essai de classification qui me paraît ré- soudre les difficultés principales : I. Les Sept Vertus cardinales, représentées assises ou debout entre des pilastres; pauvres d'invention et lourdes d'exécution, avec de grosses têtes vides; ces figures, toutes d'une main, me paraissent pouvoir être attribués à Ciufiiigni, ainsi que les Enfants tenant des écnssons ; — IL Les Prophètes et les Sibylles, figures plus caractéristiques, parfois assez expressives, et en tout cas infiniment plus libres, me semblent trahir le faire d'Agostino, de même que les Sciences et les Arts, ces créations spirituelles entre toutes celles du maître, et les Planètes (voir pages 2~?>, ^2~)et Signes du Zodiaque, bas-reliefs maniérés et véri- tablement trop traités en esquisses, a la fitçon des médailles, comme M. Yriarte l'a fiit remarquer fort justement; — III. Les Enfants faisant de la musique, dan- sant ou jouant : à inscrire à l'actif de Simone Ferrucci; — IV. Compositions diverses, tombeaux, triomphes de S. Malatesta, etc. Où Agostino excelle, c'est dans l'invention — ■ une invention toujours superfi- Enlants dansant, par Ferrucci. (Temple des Malatesta à Rimini.) 1. Yriarte, Riiniui, p. 23ii, 4!:-4l5. 2. Ibicl., p. 400-401. -UiOSTINO m DUCCIO. 32q ciellc, mais qui rend les idées les plus abstraites sous une forme souvent pitto- resque et imprévue. Demandez-lui de personnifier la Grammaire, VÉdiicatioii, V Agriculture, la Philosophie, il improvisera en se jouant, avec une facilité qui tient du prodige, et sans mettre à profit les modèles antérieurs, des figures dont le type, les attitudes, les attributs, sont spirituels et amusants au possible; telle est la Poésie, courant en compagnie d'un cygne, et tenant de la main gauche un arc, de la droite une mandoline qui se termine par des feuilles de laurier entre lesquelles surgissent trois temmes nues, évidem- ment les Trois Grâces. Dans ses heures d'inspiration, il ira jusqu'à la verve, jusqu'à la grâce : jamais au delà; mais avouons qu'il n'a pas été donné à tous les quattrocentistes d'atteindre cette limite. Pas un des déftuts de ses qualités ne manque à Agostino : sans étude, sans vigueur, sans conviction et sans probité, il brille par son esprit, par ses allures primesautières et impertinentes. Malgré une préparation insuffisante, il se lance, sans avoir l'air de se douter de rien, dans des entreprises faites pour efl'rayer les plus hardis, s'attaquant aux sujets comme aux attitudes les plus compliqués, ne se lais- sant effrayer ni par un raccourci , qu'il manquera, ni par une allégorie, dont il se tirera Dieu sait comme. Inégal, négli- gent, « lâché », il a commis à lui seul plus d'hérésies que tous ses compatriotes ensemble. De Rimini, Agostino se rendit à Pérouse, où il semble avoir résidé de longues années. Il dota le dôme du mausolée de l'évèque Baglione, en 1459, et l'église Saint-Dominique dans la même ville, d'un retable, moitié en pierre, moitié en terre cuite peinte non vernissée. Mais son œuvre capitale est la décoration de l'oratoire de Saint-Bernardin, achevée en 1461. Il orna la façade de bas-reliefs représentant la Vierge en gloire au milieu d'un essaim d'anges, et les Miracles de saint Bernardin. N'ayant à compter que sur lui-même, devenu plus posé, Agostino déploie dans ce vaste cycle une fécondité de ressources et une poésie véritablement faites pour séduire. Ce sont toujours ces figures sveltes et légères, aux draperies flotuintes, glissant sur le sol comme des ombres, E. -MùiUz. — I. Ualie. Les Primilils. 07 Anges musiciens, par A. di Duccii). (Oratoire de Saint-Bernaalin à Pérouse.) 53o HISTOIRE DI-: L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. mais combien plus ciiàtiées qu'à Rimini ! Le goût de l'artiste est devenu plus ferme sans que la traîcheur de ses impressions y ait perdu : nous en avons la preuve dans ses délicieuses têtes d'anges, dont on pourra apprécier le mérite par une de nos gravures (page I09). Agostino travaillait à Pérouse en 1470 encore; il construisit à cette époque la porte Saint-Pierre (voy. page 4.'>(i). Dans l'intervalle, il fit plusieurs appari- tions à Florence (140.1, i4'i5), il y sculpta le tabernacle d'Ognissanti, avec On comprend que dans cette liistoire générale de l'art je sois forcé de nie borner, pour une foule d'artistes de cinquième ou de sixième ordre, à renvoyer le lecteur à des ouvrages spéciaux. J'indique en note ceux de ces ouvrages qui contiennent des détails sur les sculpteurs Beltrame di Augelo Belferdeli, sur- nommé Varrone, un des collaborateurs de Filarete; Pasquino de Montepulciano, qui termina l'admirable grillage de la cbapelle « délia Cintola » au dôme de Prato; Maso di Bartolommeo, siu'nonimé Masaccio (y vers 14O-); Simone, dont Vasari a fait un frère de Donatello, mais qui est plus vraisemblablement identique à Simone di Giovanni Ghini; Pagno di Lapo et Pagno d'Antonio di Berto, ce dernier un des collaborateurs du mausolée du cardinal Brancacci". 1. Citons encore parmi ses ouvrages le bas-relief du Musée de Brera, des Ccwaliers auxquels apparaît un Auge et une Crucifixiou, plaquette en bronze du Musée national de Florence, attri- buée jusqu'à CCS derniers temps à PoIIajuolo. 2. Vasari, t. II, p. 4,59, 4^2. — Les Arts à la cour des Papes, t. I. p. 88, 254-205. — Yriarte : Gaietie des Beaux-Arts, 1881, t. 1, p. i42-l5S, 427-404. Saturne dévorant un de ses enfants. Bas-reliel d'A. di Uuccio (fragment). (Temple des Malalesla .i Kiniini.) Frise du lombcaii tiii pape Paul II, par Mino de Fiesole el Giovanni Dalniala. (Musée du Louvre.) CHAPITRE III LFS REPRESENTANTS DU STVI.E DK TRANSITION. GHIBERTI : LES PORTES DU BAPTISTÈRE. LES STATUES d'oR SAN MICHELE. LA CHASSE DE SAINT ZANOBI. LES ROSSELLINO. DESIDERIO DE SETTIGNANO. MINO DE FIESOLE. LES DELLA ROBBIA. .1 révolution opérée par Brunellesco et DonatcUo avait été trop brusque, elle avait trouvé l'Italie trop peu préparée, pour que des esprits plus modérés ne s'appliquassent pas à ménager une transition entre le passé et le présent. C'est la tâche à laquelle se dé- vouèrent, pour la sculpture, Ghibcrti et Luca délia Robbia. Lorenzo Ghiberti naquit à Florence en 1.178'. Son père, Cione di ser Bonac- corso, étant mort de bonne heure, ce fut le second mari de sa mère, l'orfèvre Bartolo ou Bartoluccio di Michèle, qui le remplaça auprès de l'enfimt. Une tendre affection unissait le beau-père et le beau-fils; celui-ci était même telle- ment habitué à considérer Bartolo comme son véritable père, qu'il signait « Lorenzo di Bartolo »; il comptait plus de soixante ans, lorsque cette sorte de confusion faillit lui jouer un fort mauvais tour. Ses ennemis, pour l'empêcher I. BiBL. : Charles Perkins, Ghilviii et son Ecole. Paris, Rouam, 1886. — M. Frey a publié dans un fascicule à part la biographie de Ghiberti par Vasari et les Commentaires de Ghiberti : Suiiimhiiig uusgewahller Biographieii Vitsiiris. Berlin, Hertz, 1886. — Kiinsl und Kiiiistler de Dûhme (article de M. Rosenberg). .■>.i2 HISTOIRE m: I.'ART PENDANT I.A RENAISSANCE. d'être élu à une des magistratures de la République, l'accusèrent d'être le fils naturel de Bartolo, tare qui le rendait impropre à exercer une fonction pu- blique. Il fltllut que Ghiberti, alors au comble de la gloire, se résignât à taire faire une enquête approfondie. Il en résulta qu'il était bien le fils de Cione, et que sa naissance était sans tache. A partir de ce moment, au lieu de Lorenzo di Bartolo, il prit le nom de Lorenzo di Cione. Ghiberti, mieux inspiré que .ses contemporains, a pris soin de nous con- server par écrit le souvenir des principaux événements de sa carrière. « Dans ma jeunesse, en 1400, dit-il, voulant fuir la peste et les désordres civils, je quittai Florence avec un peintre excellent qui avait été appelé à Rimini par le sei- gneur Malatesta, pour déco- rer à fresque une salle que celui-ci avait ftit construire, tâche dont nous nous ac- quittâmes ensemble de notre mieux. » Cependant , dès 1401, l'artiste revint brus- quement à Florence , à la suite de lettres lui annonçant que la Seigneurie et la con- frérie des marchands de cette ville avaient repris le vieux projet d'orner le Baptistère d'une nouvelle porte en bronze, et que, dans ce but, ils venaient d'ouvrir un concours entre les maîtres italiens les plus réputés. L'épreuve devait consister dans la traduction en bas-relief d'un sujet indiqué, de la grandeur des compar- timents de la porte d'André de Pise, alors placée en face de la cathédrale, c'est-à-dire à l'endroit qu'occupe aujourd'hui la seconde porte de Ghiberti. A peine arrivé, Ghiberti se présenta devant les juges, et, après une courte attente, il eut la joie d'être autorisé à entrer en lice avec son compatriote Filippo Brunellesco, les deux Siennois Giacomo délia Quercia et Francesco Valdam- brini, les deux Arétins Niccolo di Luca Spinelli et Niccolo di Piero Lamberti, et un maître de Colle in \'al d'Eisa, Simone, surnommé dei Bronzi. Une année entière était accordée aux concurrents pour exécuter, aux frais de l'Htat, un bas-relief en bronze représentant le Sacrifice d'Abraham. Au jour fixé, les juges, au nombre de trente-quatre, procédèrent à l'examen Le Sacrifice d'Abraham. Bas-reliet de Brunellesco. (Musée national de Florence.) GIIIRERTI. 533 des sept bas- reliefs. Ils en écartèrent cinq, et ne gardèrent que ceux de Bru- nellesco et de Gliiherti. On sait avec quel désintéressement ou quelle fierté Brunellesco se retira, laissant le champ libre à son rival '. La postérité ne peut qu'approuver cette sage détermination. La composition de Ghibcrti, aujour- d'hui conservée au Musée national de Florence, l'emporte à tous égards, par la distinction et la suavité qu'il a mises dans ses figures, notamment dans le torse d'Isaac, tendant la poitrine aLi fer paternel — d'une science achevée comme étude du nu, — par l'anima- tion de la scène, par le fini de l'exécution. Mais cédons un instant la parole à l'auteur même de ce premier chef-d'œuvre, et laissons-lui raconter les péri- péties de ce concours épique : « Nous étions six à foire ledit essai, lequel était en grande partie une démonstration de l'art statuaire. La palme me fut concédée par tous les ex- perts et par tous ceux qui avaient pris part à la compé- tition. Tout le monde recon- nut mon succès, trouvant, après mûre délibération et examen des modèles par les hommes instruits, que j'avais surpassé les autres. Parmi les juges, il 3^ avait des peintres et des sculpteurs en or, argent et marbre, qui, selon la volonté des membres du conseil, devaient exprimer leur opinion par écrit. Les trente-quatre juges, en comptant ceux de la ville et des pays voisins, les consuls, les ouvriers et toute la compagnie des marchands qui administrent l'église de Saint-Jean, me don- nèrent la palme, en signant cette déclaration de leur nom. Il tut décidé que je ferais les portes de bronze pour ladite église, ce que j'ai foit de mon mieux, et ce fut mon premier travail". » Le contrat officiel pour la première porte fut signé le 2,3 novembre 1411.1. Il portait que Ghiberti commencerait son travail dès le i" décembre suivant, et qu'il le continuerait sans interruption, les jours de fête exceptés, jusqu'à parfait Le Sacrifice d'Abraham. Bas-reliel de Ghiherli. (Musée national de Florence.) 1. Vo\'. ci-dessus, p. 442. 2. Coimnentaires ; trad. Perkins (Ghihnii ,i sou Ecole, p. 127-12R). >.,4 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. achèvement (il n'y mit pas moins de vingt et un ans, comme on le verra). L'artiste devait livrer trois bas-reliefs par an. Il était libre de s'adjoindre, outre son beau-père Bartoluccio, les collaborateurs dont il jugerait le concours néces- saire. En 141 17, nouvelle convention. Ghiberti, qui n'avait pas livré chaque année les trois bas-reliefs promis, s'engage à renoncer à tout autre travail et à travailler la journée entière, à raison de 200 florins par an, le prix des journées non employées au travail devant être détalqué de son salaire. Il devait exécuter lui- même les figures, les arbres et autres morceaux analogues (plus tard on spécifia qu'il exécuterait de sa main les parties nues des figures, les cheveux, etc.). La première porte de Ghiberti fut mise en place en 1424; elle pesait 04000 li- vres et avait coûté 16204 florins. Les deux vantaux comprennent vingt -huit bas- reliefs, représentant les principales scènes du Nouveau Testament, disposées dans l'ordre chronologique, en commen- çant par le bas. Chaque bas-relief a un encadrement spécial, enrichi de feuilles de lierre, et orné d'une tête de prophète ou d'une tète de sibvUe. Les huit der- niers bas-reliefs contiennent les figures des Évangélistes et des Docteurs de l'Église. Voici la liste des sujets : L'Aii- nonciation, la Kalivitc, Y Adoration des e Baplàiic du Christ, la Tentation du Cljrist Buste du Prophète. (Première porte de (Jhiberli.) Mages, le Christ parmi h's docteurs, dans le désert, les J'endciirs einissés dn Temple, h Barque de saint Pierre, la Trans- figuration, la Résurrection de La:^are, Y Entrée du Christ à Jérusalem, la Sainte Cène, le Christ au jardin des Oliviers, le Baiser de Judas, la Flagellation, le Christ devant Pilate, le Portement de croix, hi Crucifixion, la Résurrection du Christ, les Saintes Femmes au tombeau du Christ. Examinons le style de ces compositions. Elles procèdent avant tout de l'art gothique, comme types, attitudes, costumes, ordonnance. Ghiberti a pris pour modèle la porte de son prédécesseur André de Pise. Il s'est efforcé de se pénétrer de ce qu'il y avait d'harmonie, de recueillement, de simplicité dans ces belles et grandes figures. Ce qu'il a ajouté aux qualités d'André de Pise, c'est la souplesse, une plus grande variété et richesse de composition, une vie plus intense, une grâce plus parfliite. Ne cherchons point chez lui le parti pris d'un Donatello; il s'assimile les qualités de ses prédécesseurs, sauf à les compléter par des qualités nouvelles; il ne rompt pas brusquement avec eux. Il arrive ainsi à créer des costumes intermédiaires entre ceux du moyen âge et ceux de la Renaissance, des manteaux aux longs plis réguliers, et une architecture mixte, non encore franchement antique. Dans ses types et ses attitudes, il préfère la gravité à la GHIBERTI. 535 vivacité; renonçant aux scènes trop mouvementées, il dispose ses figures avec symétrie, en les subordonnant aux exigences de l'architecture. Nulle recherche encore des effets de perspective, qui tiendront une si grande place dans la seconde porte. J'ajouterai que, comparée à l'admirable Sacrifice d' Abraham, la première porte marque plutôt un recul. — Le tout, pour employer les expressions mêmes de Ghiberti, est foit soigneusement et avec amour, avec un très grand talent et une très grande discipline : « condotta con grande amore diHgente- mente..., con grandissimo ingegno e disciplina ». Les deux portes du Baptistère absorbèrent la vie de Ghiberti, et nul, à coup sur, ne trouvera qu'il ait mal employé son temps. Aussi les autres travaux exécutés par le sculpteur florentin sont-ils en petit nombre et d'import.ince secondaire. Avant de passer à l'examen de la seconde porte, étudions les principaux d'entre eux. Ce sont, pour la période de 14(1.1 à 1424 : à Or San iMichele (1414 et années suivantes), les statues en bronze de Saint Jcaii-Bap- lislc, de Saint Mathieu, de Saint Etienne, peut-être aussi de Saint Jacques, figures pleines de finesse, de distinction et de sua- vité, mais qui n'ont pas l'allure de celles de Donatello, auxquelles elles font pen- dant. Le soufi^e manque à Ghiberti quand il s'attaque à des taches aussi considérables; l'orfèvre prime constanmient chez lui le sculpteur; le fini l'emporte à ses yeux sur la fougue. La plus distinguée de ces statues est celle de Saint Etienne, avec son expression de sérénité et de résignation, ses draperies harmonieuses et pures. Chez le 5(7;;// Mathieu, les draperies manquent d'ampleur et ont quelque chose d'étriqué. Ghiberti exécuta en outre un certain nombre de dalles funéraires, dont on trouvera le détail dans les ouvrages spéciaux'. L'importance de ces différentes commandes ne fit pas abandonner à Ghiberti la pratique de l'orfèvrerie. En 141 7, il dessina deux chandeliers en argent pour l'oratoire d'Or San Michèle; en 14 1<), il cisela une mitre d'or avec huit demi- figures (c'est-à-dire des figures à mi-corps) et un bouton de chape avec le Christ bénissant pour le pape Martin V. Il s'essaya aussi à diverses reprises dans l'architecture, travaux secondaires qui ne méritent pas d'être signalés ici (vo}'., pour sa collaboration .'i la coupole du Dôme, les pages 44O et suiv.). Le 24 avril ] )25, Ghiberti reçut la commande de la seconde porte du Baptis- Busle de Prophète. (Première porte de Ghiberli. I. Perkins, les Sculpteurs ilulieiis, t. I, p. i(j5. .536 HISTOIRE DE LARI" PENDANT LA K1:NA1SSANCE. tère, celle à laquelle le mot de Michel-Ange et l'admiration de la postérité ont valu le surnom de « Porta del Paradiso » . La fonte ne commença qu'en 1 441 1, et le tout ne fut terminé qu'en 14^2, après vingt-sept années de travail. Aucun artiste, on le voit, n'était plus lent, plus méticuleux que Gliiherti. L'ouvrage, quoique plus compliqué que le premier, coûta moins (14. '1)4 florins et une traction, contre lO 204). Ici encore, l'artiste nous apprend dans quelles circon- stances le travail lui fut confié et quel but il poursuivit : « Les portes, dit-il, me furent confiées avec toute liberté de faire ce qui me semblerait préférable pour arriver au résultat le plus par- tait. Je commençai le travail par des tableaux de la grandeur d'une cou- dée et un tiers, dont les sujets, pris dans l'Ancien Testament, compor- taient de nombreux personnages; je tachai d'imiter la nature autant que possible, et d'enrichir mes compo- sitions en variant les formes. Dans quelques-uns des bas-reliets, j'in- troduisis .'i peu près cent figures, plus ou moins dans d'autres; tou- jours je travaillai avec diligence et enthousiasme. J'avais dix sujets à traiter : dans ces sujets, j'ai repré- senté tous les édifices, tels que dans leurs proportions ils paraissaient à la vue, et avec une telle vérité d'ap- parence, qu'en s'éloignant d'eux ils nous paraissent détachés sur le tond. Ils ont très peu de relief, et connue dans la nature, les figures les plus rapprochées de la vue paraissent plus grandes que celles qui sont éloignées. J'ai exécuté tout l'ouvrage dans les mêmes mesures. » Les sujets représentés sur la deuxième porte sont : I. La Création de riioiiune, la Créalion de Ici femme, la Tentation d'Eve, l'Expulsion du Paradis; — II. L'His- toire de Ca'ni et d'Ahel ; — III. L'Histoire de Noé ; — IV. L'Histoire d'Ahraiiam: — V. L'Histoire d'Isaac et de Jacob ; — \'I. L'Histoire de Joseph; — VIL Moïse et les Tables de la loi ; — VIII. Josné et la Prise de Jéricho; — IX. David et Goliath; — X. Saloinon et la reine de Saba. Il est difficile d'exprimer avec des paroles ce que l'artiste a mis d'élégance, de noblesse, de sentiment, dans ces compositions, ce qu'il y a semé de figures délicieuses, d'épisodes enchanteurs, de frais paysages, d'édifices majestueux. C'est que, dans l'intervalle entre la première porte et la seconde, Ghiberti avait !\)rliait Je lîarloluccio. (Deuxième porle du Baptistère.) GIIIl'.F.RT 337 appris, et par l'exemple de ses émules et par sa propre initiative, combien de trésors cachaient les ruines antiques ; de la recherciie du caractère et de la mesure il passa dès lors à celle de la beauté. 11 ne faut pas hésiter un instant à taire honneur à ces études de l'évolution d'un si noble génie : l'influence de l'antiquité ne se traduit pas seulement par une foule d'imitations incontes- tables : elle éclate surtout dans le choix des types et l'arrangement du costume'. La seconde porte du Baptistère mérite une étude particulière au point de vue de l'ordonnance. Le plus souvent, Ghiberti s'y voit condam- né, par la multiplicité des scènes, à disperser ses figures, et surtout à substituer .'i un bel effet d'ensemble une toule d'épisodes distincts les uns des autres. Cependant, lorsque le sujet le comporte, comme dans la Reine Je Saki devanl Saloinoii, il sait grouper les personnages avec un art consommé et pondérer les masses avec une entente merveil- leuse de l'effet décoratif. Les bordures des différents com- partiments sont à elles seules tout un monde. « Autour de ces bas- reliefs, dit Ghiberti, j'ai placé vingt- quatre statuettes dans la corniche, et vingt -quatre bustes entre les deux frises (plus exactement, vingt statuettes dans des niches et quatre figures allégoriques couchées, semblables à des divinités fluviales). De tous mes travaux, déclare-t-il , celui-ci est le plus remarquable et, en l'exécutant pour le mener à bonne fin, j'ai déployé tout mon savoir. Pour la frise exté- rieure, laquelle est entre les montants et les gonds, j'ai fait un ornement convenable de feuillages, d'oiseaux et d'animatix. Il }• a aussi une corniche en bronze, et sur les montants un ornement en relief très plat d'un beau travail. Tout dans cet ornement est de bronze fin. » Parmi les bustes, qui se détachent sur un médaillon, connue les « imagines 1. Ghiberti uc sut pas non plusse dérober entièrement à l'inHucnce de Don.uello. Regardez, sur la deuxième porte, le Prophète debout, à gauche de VIvicsse tic Nov, avec ses bras nus musculeux, sa draperie si librement arr.uigèe : c'est une imitation du « Zuccone », sauf que chez lui le bras gauche est levé-, tandis que chez le modèle il retombe (gravé p. .S38). Dans une autre statue, un Prophète barbu, qui pose le doigt contre ses lèvres, l'imitation n'est pas moins sensible. Portrait de Ghiberti. (Deuxième porte du Baplislère.) E. .Mùnlz. — I. Italie. Les Priniilils 53R HISTOIRE DE L"ART PENDANT LA RENAISSANCE. clvpeaut » des anciens, il faut citer en première ligne le portrait de Ghiberti et celui de son beau-père Bartoluccio, qui l'avait assisté avec tant de dévouement. Quant aux statuettes, elles oftVent toute l'importance des statues véritables, tant l'artiste y a condensé de grâce, de poésie, de séduction. A vrai dire, je les aime sous cette forme réduite, qui permet à l'orfèvre de génie de déplo\'er tous ses avantages, mieux que dans les dimensions monumentales des statues d'Or San Michèle. Ghiberti a prodigué dans ces figurines, dont plus d'une rappelle les bronzes ou les terres cuites les plus exquises de l'an- tiquité , tout ce qu'il avait d'imagination et de science. Ici, comme dans Samson tenant une co- lonne, il nous a donné un superbe morceau de nu; là, il a représenté des Prophètes, l'un méditant, l'autre implorant l'Eternel, ou encore regardant avec amour la banderole sur laquelle se déroulent les paroles divines, ou enfin prêchant la contrition. Les statuettes de femmes surtout, l'une recueillie et rêveuse, comme une figurine de Tanagra, ime autre, Judith, brandissant le glaive, une troisième agitant un tambourin pour célébrer la victoire des Hébreux, sont d'une liberté et d'une élégance inimitables. Ghiberti a tenu à résumer tout ce qu'il avait de talent et de science dans ces deux portes, qui sont l'œuvre maîtresse de sa vie. L'encadrement qu'il a composé pour elles, ainsi que pour la porte d'André . ,, ^. de Pise, est une merveille de décoration. Les orne- Staliietle de Prophcte. ' (Deuxième porte du Uapiisiére.) ments sculptés sur le linteau consistent en pampres de vignes et en oiseaux (fragment gravé p. .3()q); ceux des montants, en branches de figuier, de pin, de chêne, autour desquelles s'en- roulent des banderoles. Un vase placé dans le bas sert de point de départ à ces rameaux, au milieu desquels s'agite tout un monde de quadrupèdes ou de bipèdes, un hibou qui fascine un oiseau placé au-dessous de lui, un écureuil qui croque une noix, etc., etc. On ne saurait trop recommander ces chefs-d'œuvre aux décorateurs modernes. — Il est juste d'associer dans nos éloges le nom de Victor Ghiberti à celui de son père : il a eu une part considérable à ce travail. Pour cette seconde période encore, les travaux étrangers à la porte sont en petit nombre. je citerai d'abord les deux bas-reliefs en bronze exécutés pour la cuve baptis- male de Sienne (conmiandés en 14 17, ils furent commencés en 1424 seulement et terminés en 1427). L'un d'eux représente le Biipiciiic du Chris!, l'autre Saint 1. Pcrkins, Chihcrii cl son Ècolf,^. i32 GHIBERTI. .■>o9 ]mn conduit devant Hérode. Ce sont des compositions distinguées, mais non pns iiors ligne. Ghiberti, en vrai fils du moyen âge, s'entend beaucoup mieux à raconter qu'à dramatiser; il sait exposer les faits avec animation, il ne sait pas frapper le spectateur par une action pathétique, par des contrastes violents, à la Donatello. « Dans le premier de ces bas-reliefs, dit Perkins, comme dans Histoire d'Isaac et Je Jacob. (Deuxième porte du Baptistère.) ceux de la seconde porte, Giiiberti a fait usage de reliefs gradués de manière à rattacher le groupe principal aux anges de l'arrière-plan, et à obtenir ainsi un effet de perspective. Il serait difficile de trouver dans l'art moderne un groupe plus charmant que celui des deux femmes debout près du rivage; les formes gracieuses, les draperies élégantes de ces statuettes, portent l'empreinte évidente d'une inspiration due à l'antique'. » Pour la cathédrale de Santa Maria del Fiore, Ghiberti fondit une châsse en I. Les Sculpteurs italiens, t. I. p. \(i^. 540 HISTOIRE DK L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. bronze destinée à renfermer le corps de saint Zanohi. « Sur le devant, dit-il, j'ai représenté comment le saint ressuscita un enfant que la mère avait laissé sous sa protection jusqu'à son retour d'un pèlerinage, et comment, pendant son absence l'enfant étant mort, elle, revenant, le demanda à saint Zanobi, qui le rendit à la vie. J'ai aussi représenté la mort d'un homme qui fut écrasé sous les roues d'un chariot et, de plus, la résurrection d'un des deux serviteurs que saint Ambroise avait envoyés à saint Zanobi, serviteur qui mourut en traversant les Alpes. A son compagnon éploré le saint dit : « Tu rêves, va, et tu le trou- veras vivant; » et comme il alla, il le trouva en effet ainsi que le saint avait dit. De l'autre côté de la châsse j'ai sculpté six petits anges qui tiennent une guir- lande de feuillages de lierre, au milieu de laquelle se trouve l'inscription en riionneur du saint en caractères antiques. » Les bas-reliefs de la cliàsse de saint Zanobi sont au nombre des plus belles créations de Ghiberti : autant il a mis de suavité dans les anges tenant la guir- lande (gravés page H3) — ils sont dignes d'être signés par un Grec, — autant il a mis d'animation dans les scènes légendaires qui ornent la face principale et les côtés. Malgré l'abus de la perspective linéaire, le bas-relief représentant la Résurrection d'un enfant s'impose à notre admiration, et par la beauté de l'or- donnance — l'artiste y a groupé harmonieusement peut-être cinquante per- sonnages, — et par l'extrême suavité du modelé et par l'éloquence des gestes, tant chez la mère éplorée, avec ses bras étendus, que chez le saint avec ses bras levés vers le ciel. On éprouve comme une sensation musicale devant le rvtbme des mouvements, cette alternance irréprochable du « mezzo » et du « basso rilievo, « et ces transitions ménagées avec un art consommé. La scène du chariot qui écrase un paysan nous offre, à côté de la note élégiaque, un récit concis, vif, spirituel. Il est seulement regrettable que les figures drapées y soient si longues; l'artiste s'est évidemment trompé d'échelle. On voit, par ces quelques traits, que les bas-reliefs, si peu connus, de la châsse de saint Zanobi méritent de prendre place à côté des meilleures pages de la seconde porte du Baptistère. La châsse de saint Jacinthe, commandée par les Médicis en 1428 (aujour- d'hui au Musée national de Florence), n'offre d'intéressant que les anges qui en ornent la face. Comme orfèvre, Ghiberti se signala en ciselant pour le pape Eugène IV une tiare merveilleuse et en enchâssant pour Jean de Médicis, frère du grand Cosme, une cornaline antique. Laissons-lui ici encore la parole : « Quand le pape Eugène vint résider à Florence (1434), il me fit taire une mitre d'or dont le métal pesait quinze livres et les pierres cinq livres et demie. Ces pierres, rubis, saphirs, émeraudes et perles, dont six étaient grosses conune des noisettes, furent estimées par les orfèvres de la ville .ifîooo florins. La n)iire I. C. T^i'iliins, Gliihi'ili cl son Eioli\ p. [2g-l.iii. La Deuxième Porte de Ghiberti. (Fra(;ment.) GHIBERTI. 041 fut enrichie de figures et d'ornements nombreux. Sur le devant, Notre-Seigneur placé sur un trône, entouré d'anges; sur le côté opposé, la Madone dans la même attitude. Le bord de la mitre contenait les quatre Évangélistes et des anges de petite dimension. Le tout était d'une grande magnificence. » — Cette merveille de l'orfèvrerie fut fondue par Benvenuto Cellini, en 1027, lors de ce funeste siège de Rome qui causa la perte de tant d'œuvres d'art. « A cette même époque, ajoute Ghiberti, j'ai monté en or une cornaline de la grosseur d'une coquille de noix , sur laquelle quelque grand maître de l'antiquité avait gravé trois figures (/r Supplice de Marsyas). Je fis un dragon dont les ailes étaient à demi déployées. Avec la tête baissée il soutenait de .son cou recourbé la pierre qui reposait entre ses ailes. Le dragon ou serpent dont je parle fut entouré de feuilles de lierre que j'ai cise- lées de mon mieux. » Essayons de détermi- l'n Miracle de saint Zaïiûbi. 1 r.' J (Châsse de saint Zanobi, cathédrale de Florence.) ner les rares qualités de '■ Ghiberti, ainsi que les lacunes de son talent. Il est avant tout, et sur ce point nous ne serons pas contredit, un maître gracieux plutôt que puissant, accessible aux beautés de la nature autant qu'à celles de l'art, et non une de ces organisations ardentes et portées à la synthèse, telles que Donatello. Les recherches scientifiques chères à ce dernier, et notamment les recherches anatomiques, ne sont point son fait. Il ne l'a que trop prouvé dans ses raccourcis, d'ordinaire fort insuffisants et qui révèlent une connaissance assez superficielle du corps humain. Ne lui demandons pas non plus de peindre des sentiments violents, des scènes dra- matiques. Ses acteurs ou actrices, noblement drapés comme des statues antiques, perdraient tout leur charme s'ils se lai.ssaient aller à quelque geste exagéré; il ne faut pas qu'ils dérangent les plis si harmonieusement dispo.sés de leurs tuniques, ni qu'ils forcent ces attitudes empreintes d'une dignité si parfaite. En cela Ghiberti est un héritier des Grecs; chez lui comme chez ceux-ci la beauté passe avant l'expression dramatique. 543 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Pour achever de caractériser l'auteur des portes du Baptistère, je ne saurais mieux faire que de le placer en regard de Donatello. Que de contrastes! Tandis que Donatello gaspille ses forces, Ghiberti les concentre sur une œuvre unique; tandis que Donatello poursuit la solution des problèmes les plus ardus, Ghiberti se contente de plaire et d'enchanter; son succès a dû être plus général, sinon aussi profond, car la foule préférera toujours le talent au génie. On pourrait continuer indéfiniment ce parallèle : Ghiberti est avant tout un bas-reliéviste, Donatello embrasse la statuaire sous toutes ses formes; Ghiberti s'attache au fini, Donatello à la grandeur. Le point sur lequel ils se sont peut-être le plus souvent rencontrés, c'est leur admiration pour l'anti- quité. Mais ici encore les prédilections de l'auteur des Portes s'éloignaient de celles de Donatello. Tandis que ce dernier prêterait les œuvres plus mouve- mentées de la statuaire romaine, Ghiberti reclierchait les plus pures figures du plus pur art grec. Donatello, nous l'avons vu, renouvela l'iconographie religieuse, traitant chaque figure d'après ses idées propres. Ghiberti au contraire (comme Luca délia Robbia) tint compte des habitudes du moyen âge, et s'efforça surtout de donner à ses saints le plus de beauté, de sérénité ou de majesté pos- sible. Donatello ne recula pas devant le réalisme le plus outré; ses deux émules, sans renoncer à s'inspirer de la nature, aussi bien d'ailleurs que de l'antique, cherchèrent avant tout à idéaliser. Heureuse la ville qui peut pos- séder simultanément des artistes aussi différents, et chacun aussi éminent dans son genre! Ghiberti vécut jusqu'en i-p?, entouré d'une famille nombreuse, riche, con- sidéré. Il eniplova ses dernières années à enrichir son cabinet d'antiques et à écrire ses Coinineiilaircs (voy. pages l'^b, 250, 3bf{). Ses fils continuèrent ses traditions, et la famille Ghiberti compta jusqu'au seizième siècle des sculpteurs distingués. Mais l'artiste avait laissé un souvenir bien autrement impérissable dans ces portes qui, depuis plus de quatre siècles, n'ont cessé d'enchanter les amateurs de tout pays et de toute condition, par la grâce, la tendresse, le charme infini qu'elles respirent. Dès le début, on est frappé de ce tait que, malgré l'influence prodigieuse exercée par Donatello, malgré la multiplicité de ses élèves, l'Ecole de sculpture florentine, après lui, s'écarte du réalisme pour entrer dans la voie de la con- ciliation. Les maîtres dont nous allons nous occuper n'ont plus rien de la farouche grandeur de Donatello, de sa « terribilità » ; ils s'attachent à la fois à l'expression religieuse et à l'élégance de la forme, et parla se rapprochent davan- tage de Ghiberti; il se produit comme une réaction contre les excès de Dona- tello; la gr.âcc et la beauté rentrent dans leurs droits; l'àpreté fait place à la douceur. Ces maîtres ne s'élèvent pas au sublime; ils restent dans les régions BERNARDO ROSSELLINO. .^43 tempérées, ils l'eprcnnent par le menu les grandes lignes tracées par leurs immortels devanciers. Tel est surtout le rôle qu'ont joué dans la sculpture les deux frères Rossellino, Desiderio da Settignano, Mine da Fiesole, puis Verrocchio. Vasari a insisté d'une fltçon fort judicieuse sur les tendances techniques des Rossellino : « après Donatello, dit-il, Antonio Rossellino ajouta à l'art de la sculp- ture un certain poli et un certain fini, cherchant à dégager et à arrondir ses figures. » En effet, ils évitent avec soin ce qu'il y a de heurté chez Donatello, ménagent les transitions, augmentent le rythme. La haute perfection de l'art florentin est due en grande partie aux efforts de ces artistes sages et laborieux, sinon puissants; à la fougue ils substituent la discrétion, la délicatesse; pas de sublimes audaces, mais pas de fautes grossières non plus; aussi plaisent-ils davantage au commun des amateurs. La gloire d'Antonio Rossellino a relégué dans l'ombre celle de son frère Ber- nardo, dans lequel on s'est plu à voir le représentant de l'architecture (voy. pages 468-469), tandis qu'Antonio passait pour celui de la sculpture. Je vou- drais établir ici que Bernardo l'a emporté à la fois comme architecte et comme sculpteur. Un des plus anciens ouvrages de sculpture de Bernardo, Y Annonciation, en ronde bosse, orne l'église de la Miséricorde à Empoli. Les deux figures turent commandées en 1447; le délai accordé au maître tut de quatre mois; la rémunération s'élevait seulement à .-ÎO ducats d'or '. C'est une page d'une grande pureté et d'une grande distinction, à laquelle on ne peut reprocher qu'un peu de froideur. Le chef-d'ivuvre de Bernardo est le mausolée du fameux humaniste Lco- iiardo Bruni d'An':{;io (j 1444), dans l'église Sainte-Croix à Florence ^ Grâce à sa double compétence comme sculpteur et comme architecte, Bernardo a réussi à donner à ce monument une noblesse, une pureté et une iiarmonie qu'aucun contemporain n'a pu réaliser au même degré. Le monument de la Bcata Villana, à Sainte-Marie Nouvelle, fut commandé en 1451. L'artiste, par un artifice qui a donné lieu à bien des critiques, s'est efforcé d'obtenir avec un bas -relief toute la profondeur de la ronde bosse. La sainte, la tête posée sur un coussin, les mains croisées sur la poitrine, les pieds nus ceints de sandales, repose sous un baldaquin, d'une forme peu heureu.se, dont deux anges, d'une beauté parfaite, surtout celui de gauche, soulèvent les lourdes extrémités. La tête offre comme l'expression d'un doux recueillement. Les draperies, peut-être un peu trop chiffonnées, rap- pellent la manière de Donatello. C'est une page aussi originale qu'émue, et qui contraste à tel point avec la gravité habituelle de Rossellino, avec 1. J'ai public le contr.u dans le Courrier de l'Art, i885, p. 633. 2. L'ciistniblc gravé ci-dessus p. 25, est décrit p. 428, la statue gravée p. .S4.S. ■M-4 I1IST«~)IRI-: i)l'; I.AKT l'KNDANT I.A RENAISSANCE. hi rcclicrcht' de la svmètrie, que Vnsari a cru pouvoir l'attribuer à Desiderio. Le monument de A(/^^(r//, dans l'église Saint-Dominique à Pistoia, est du à la collaboration de Bernard et de son trere Antoine. L'ivuvre abonde en détails charmants : admirons ce petit bas-reliet, si léger, si vit, si suave, représentant le professeur en chaire, au milieu de ses élèves. Les deux génies s'élançant vers le cartouche qui porte l'inscription sont moins heureux; le mouvement est exagéré, nullement en rapport avec le rôle de ces figures. Plus haut, le défunt Tiniibeau de la Bcala \ illaiia, p;u ti. Kub^cllmu. (Ki^libu Sanla Maiia .Nuvulla à t'iurence.) est représenté étendu sous un baldaquin, dont deLix anges, aux gestes un peu tr(.)p vits, écartent les extrémités. Antonio Rossellino, le frère de Bernardo, naquit l\ Florence en 1427; il y mourut vers 147<). Sa biographie n'offre aucim trait saillant : son œuvre, voilà la préoccupation de sa vie. Il semble avoir peu voyagé, car ceux de ses ouvrages qLie l'on voit .'i Naples, par exemple, peuvent parlaitement avoir été exécutés à Morence même, ainsi que cel.i eut lieu poLU' les mausolées commandés à Donatello et à Michelozzo. Le chet-d'ojuvre d'Antonio, le mausolée du ('tWiliiuil de Porliii^al , d.uis la basilique de San Miniato, aux portes de Florence, lui tut conunandé en I4'ii, au prix de 425 florins d'or. Le monument est d'une richesse éblouissante : des incrustations y rehaussent l'éclat du marbre. Mais la perfection de la main- d'œuvre ne le cède pas au luxe de la matière première. Le soubassement, en E. Munir. — 1. Ualic. Les l'HinJUIs. 69 .-.^h lllSTOiRH Di; I.AR'l' PKN'HANT LA RENAISSANCE. forme de frise, se compose de génies tenant une corne d'abondance, de licornes, de candélabres et d'une tête de mort, mélange d'emblèmes païens et d'em- blèmes chrétiens. Sur les côtés se développent des bas-reliets, copiés de camées antiques. Au-dessus, le sarcophage, d'une structure savante, reproduc- tion textuelle de l'urne de porphyre autrefois placée devant le Panthéon. Les deux anges accoudés aux extrémités du tombeau manquent un peu de liberté; par contre, ceux qui sont sculptés plus haut sont d'un mouvement exagéré, a\ec des effets de raccourci et un recroquevillage de draperies disgracieux, tout connue dans les fameux Anges de Verrocchio, entrés au Louvre a\ec la collection Thiers (voy. page Soi). La partie Li plus belle de ce riche mausolée est le médaillon conte- nant les figiu'es de Li \'ierge et de l'Entant; celle-l.'i gracieuse et touchante, celui-ci trais et coquet. Jusqu'à ces dernières années on a attribué à An- tonio le monument funéraire de Atiiric fAiiiooii, dans l'église de Monte Olivetu .'i Naples. 'l'ont récenunent M. Bode a soutenu, a\"ec beaucoLip de vraisemblance, que ce mausolée, qui oflre les plus frappantes analogies avec celui du cardinal de Por- tugal, a été exécuté sous Li direction dii maître p.ir Benedetto da i\Lijano. Une autre chapelle de la même église, celle tics Piccolomini, doit a RosseJlino son tanieux bas-ieliel, VAiiiioiiriiilioii ditx k'ri;crs, avec un chœur d'anges qui a été reproduit à l'inhni, notannnent par les délia Robbia et leur Ecole (vov. page .-!?!'). Le Sailli Sclhiilicii d'Antonio, à la Collégiale d'Empoli (i4,~'7), est sonnne toute une des plus belles statues nues du siècle : d'un taire souple, libre et sur, la tête rejetée en arrière, les bras liés derrière le dos, la poitrine légèrement eu a\ant, le poids du corps portant sur Li jambe gauche (la jambe droite eM d'un modelé plus taible), la tigure rend admirablement la langueur qui envahit les membres dans le sonmieil ou .'i l'approclie Je la mort : le Siiliil Sckisliiii d'Empoli sert, je ne crains pas de l'affirmer, de précurseur à VEsclaiv donnanl du LoLL\re, im des chefs-d'œuvre de Michel-Ange. Une autre statue, celle de Saiiil Jcaii-Baplislc jcitiic (^\ ^\--^, au Musée national de Elorence, se fait remarquer par son attittide embarrassée, prétentieuse, "Liindée. On y sent combien la tradition de la grande statuaire avait décliné depuis Donatello. Le triomphe d'AïUonio, ce sont les médaillons a\ec la l'ii'i'i;f cl ri-.ujaul, auxquels il ajoute connue fond (bas-reliet du Musée national île l'ioreiui) V Adoration des Bergers. Les traits de la \'ierge respirent turc duLKcur et une sérénité infinies. 1 . \'.is.iri. l. Ifl, p. 94. l'orlrall a'.Vnlonio Kosbcllino (IJ'aprùs la frravure publice par Vasari.i ANTONIO ROSSEI.LINO. •■^47 Citons en outre le buste de Nkco!ô Palmier i (1468, Musée national de llorence), le tombeau de Roveirlla dans l'église S. Giorgio de Ferrare (terminé en I4"5), en collaboration avec Ambrogio de Milan, la chaire de Prato, en collaboration avec Mino de Fiesole, la fontaine de la villa de Castello, etc. Résumons-nous. Antonio Rossellino manque de fermeté dans ses compo- sitions, de netteté dans ses contours; il ignore ce sentiment de la ligne et de la tournure que son frère Bernardo devait à ses études architecturales. Ses sculptures ne se sauvent qiic par la délicatesse de l'expression, notamment ses Vierges, par leur mo- delé souple et suave. C'en est assez pour as- surer à ce maître un rang distingué dans la phalange des statuaires de la Première Renais- sance. Le plus fin et le plus •spirituel des sculpteurs florentins de la seconde génératiori, Desiderio, avait pour patrie ce village de Settignano, dont les carrières four- nissent aujourd'hui en- core la belle pierre bleutée employée dans les constructions florentines et forment en même temps une armée de tailleurs de pierre, pour ne pas dire de statuaires. Né en I42(S, il mourut en I4')4, âgé de trente-six ans seulement; mais quelque courte qu'ait été sa carrière, elle compte plusieurs pages qui sauvent son nom de l'oubli. La biographie de Desiderio semble avoir tenu dans son œuvre : nous savons seulement qu'il eut pour maître Donatello et qu'il sculpta sous sa direction le soubassement, aujourd'hui perdu, de la statue de Daz'iiU avec des harpies et des rinceaux d'une grâce aciievée. Le chef-d'œuvre de Desiderio, le tombeau de Carlo Marsnppini, chancelier de la République florentine (f 143.1) ', se dresse en ftcc de celui de Bernardo Ros- sellino, dans l'église de Santa Croce. Il est difficile d'imaginer un contraste plus frappant. Autant l'im est grave, élevé, classique, autant l'autre est prime-sautier, vif et irrégulier. La statue du défunt, aux contours un peu confus, aux propor- M.uUinc d'Antonio Rossellino. (Musée national ilo Florence.) 1. Vov. p. 4:4 1.1 dcscriptJDii lie la p.inic (iriieiiiL-ntali.- Ju tonibenti. 548 HISTOIRE DE I/ART PENDANT LA RENAISSANCE. Portrait de Desiderio ( D'aprC-s la gravure publlùc par Vasari.) tioiis un peu trapues, ne saurait passer pour heureuse; mais quelle fierté dans les deux génies nus tenant un écusson; qu'ils sont mutins, spirituels, et vérita- blement gamins! Je ne leur reprocherai que leur modelé un peu trop sommaire et leur ventre bal- lonné. Si l'ordonnance architecturale n'offre pas la sûreté magistrale de celle du tombeau de Bnmi, que d'esprit dans ce riche sarcophage à rinceaux (copie par \'errocchio dans la sacristie de Saint-Laurent), quelle vie et quel mouvement dans les moindres figures! On reconnaît partout l'élève de Donatello, moins universel, mais plus châtié et parfois plus fin, avec je ne sais quelle morbidesse de plus. Dans l'église Saint -Laurent de Florence, Desi- derio exécuta un tabernacle d'une élégance achevée', qu'il orna entre autres d'une statuette de l'Enfant Jésus, dont l'attitude gauche, les mouvements em- barrassés, les gestes comme inconscients, respirent un tel parfum de naïveté et de fraîcheur qu'il est impossible de n'en être point touché. (Une statuette en marbre oiîrant de grandes analogies avec celle du tabernacle de Saint- Laurent est entrée au Louvre par le legs du baron Davillier.) On attribue encore à ce charmant artiste un tabernacle de la \-ia Cavour à Florence, représen- tant la ViiTi^i' à mi-corps avec FEiifaiit Jésus. La com- position est traitée dans ce genre de bas-relief si mince, remis en honneur par Donatello, le « stiac- ciato » ; nul procédé ne permet de mieux taire saisir toute la délicatesse du modelé. Le seul buste authentique de Desiderio, celui de Marietta Slro:^:^!, orne aujourd'hui le Musée de Ber- lin. On retrouve dans cet ouvrage et la souplesse de modelé propre à l'artiste, et cette grâce native, ce sourire exquis, parfois un peu maladit, cette morbi- desse, qui sont les marques de son st\le'. Avec Desiderio disparaissait l'artiste le mieux doué parmi tous ceux qui sui- virent la manière de Donatello. Gcnie tenant un écusson, pai' Desiderio. (Tombeau de Marsuppini.) 1. Décrit ci-dessus, p. 418. 2. Dans ces derniers temps un critique a revendiqué pour Desiderio toute une série de bustes d'enfants jusqu'ici attribuée à Donatello, entre autres le buste de la collection Miller, gravé p. 7 (Tschudi, Donatello c la ailica vioderna'). Mais c'est là une conjecture, rien de plus : en ce qui concerne ce dernier buste notamment, il me semble oflVir une netteté d'expression MINO DE FIESOLE. 549 Mino de Fiesole' est né à Poppi, dans le Casentin, en 14.10 ou 1431 ; il est mort, âgé de cinquante-trois ans environ, en 14S4. Son existence s'est par- tagée entre la Toscane et Home; elle n'offre guère de particularités remar- quables; c'est la carrière laborieuse d'un de ces vaillants maîtres du quinzième siècle, plus près, par la modicité de leurs goûts, de l'artisan que de l'artiste. Aussi bien est-il probable que Mino s'éleva du r6!e de simple tailleur de pierre à celui de statuaire. A'asari tait de Mino l'é- lève de Desiderio. Mais cette assertion est sujette à caution, Desiderio n'avant que trois années de plus que son prétendu élève. Mino se rendit fort jeune à Rome, où nous le trou- vons dès 1454 : ainsi à l'âge de vingt- quatre ans environ. Il y retourna sous le règne du pape Pie II, vers 1463, puis sous celui du pape Paul II, dont il sculpta le tombeau, en col- laboration avec Giovanni Dalmata. L'œuvre de Mino est des plus considérables. A Flo- rence il a sculpté les tom- beaux de la Badia, de nombreux bas-reliefs et bustes; à Fiesole, le tombeau de VÉvcqiic Sahitati , avec le bas-reliet repré- sentant la Vierge, et le buste de l'évèque (vers 1462) (gravé page 5o5); à Prato, la chaire, en collaboration avec Antonio Rossellino, ouvrage peu henjeux, achevé en 1473 (gravé page 418); à Volterra, un ciboire (147 1); à Rome enfin, les nombreux bas-reliefs de Sainte-Marie Majeure (un fragment gravé page 553), le tombeau de Paul II à Saint-Pierre, le tabernacle de Sainte- Marie du Transtevère, etc. De ce côté-ci des Alpes, une Madone et un petit ./ î I' M * La Madone et TEnfant Jésus, par Desiiierio. (Via Cavour à Florence.) et une sûreté de facture que l'on ne rencontre dans aucun des ouvr.iges .lutlientiques de Desiderio, et qui s'expliquent bien davantage chez un artiste nourri de la moelle de l'antiquité, comme l'était Donatello. I. BiBL. : L. Courajod, Un bas-relkf 99, ou j. BiBL. : Barbet d(j Jouy, les délia Robbia, sculpteurs en terre èiiuiilUe. Paris, l855. — Bode, die E. .MunU. — I. Ualie Les Primilils. 70 X14 I1ISTOIK1-; ni-: '.MIT PENDANT LA RKNAISSANCE. en 1401, une quinzaine d'années après Donatello, une vingtaine d'années après Giiiberti. Comme ceux-ci, après avoir passé par l'école primaire, il entra dans l'atelier d'un orfèvre. C'était un caractère tranquille et doux, exempt d'ambition, de jalousie et d'égoïsmc, travailleur infatigable, ne vivant que pour son art. Quels furent ses débuts? on l'ignore. On s'accorde à traiter d'erroné le récit que Vasari nous tait de ses travaux à Rimini à l'âge de quinze ans. En réalité, son premier ouvrage authentique est la décoration de la tribune des orgues à Santa Maria del Fiore, cette fameuse tribune exécutée en. concurrence avec Donatello, entre les années 14.1I et 1440. Ces bas-reliefs, aujourd'hui exposés au Musée national de Florence, ont été rendus populaires par le moulage et par la photographie. Il serait difficile d'en signaler- les qualités transcendantes mieux que ne l'a fait Vasari : « Luca représenta sur la base, en quelques groupes, les chœurs de la musique qui chantent de diverses laçons; il v mit tant de soin et réussit si bien ce travail, qu'encore qu'il soit placé à une hauteur de lO brasses, on voit le mouvement des lèvres de ceux qui chantent, l'agitation des mains de ceux qui règlent la mesure par-dessus les épaules des plus petits, et toutes sortes de jeux, de chants, de danses et d'actes agréables qu'entraîne le plaisir de la musique. En outre, Luca ht au-dessus de la corniche deux figures de bronze doré, qui étaient des anges nus, exécutés avec une grande délicatesse, ainsi que l'œuvre entière, qui tut tenue poiu' ime chose rare. » Vers la même époque, de i^.^S à 144(1, Luca sculpta, pour le campanile, cinq reliefs destinés à compléter le cycle des Sciences et des Arts commencé au siècle précédent par Giotto et Andréa de Pise. Il fît choix, pour la Graïuinaive, de la figure de Donatus, pour la Philosophie, de celles de Platon et d'Aristote, pour la Musique, d'un homme qui joue du luth, pour V Astronomie, de Ptolémée, et pour la Géométrie, d'Euclide. Ces compositions, très largement traitées, ont une liberté, ime verve et un mouvement extraordinaires, qu'on ne retrouve plus au même point dans les œ'uvres postérieures de Luca. Dans l'une d'elles il a subi, à son insu peut-être, l'influence de Donatello : Platon et Aristote, discutant avec vivacité, rappellent de la manière la plus frappante les bas-reliefs des portes de bronze de la sacristie de Saint-Laurent. l'ortmil de Luca délia Robbia. (D'après la gravure publiée par Vasari.) Kfiiiitkr-Fdiiiilie délia Roblna (dans Kiiiisl iiin! Kïinsller de Dohmc) et Italienischc Bildljaiur dcr Renaissance (p. 65-8.5). — Cavalluci et Molinier, les dclla Rcbbia. l'aris, Rouani 1884, in-4°, avec de nombreuses gravures (la nionograpliie la plus complète qui existe). — Farabulini, Sopia lin Moniiiiieulù ddta sciiola di Luca délia Robbia. Rome, l88f>. — J. Bayer, dans les Mitlhcilim^cn du Musée autrichien d'.Art et d'Industrie. 1886-188B. LUCA DELLA ROBBIA. 555 Le tombeau de Beno:^:^o Fcilcrighi , évèque de Fiesole (église S. Francesco di Paola à Florence; 1455-1457), peut passer pour le modèle de la magnifi- cence jointe à la noblesse. Les figures sont d'une ampleur, d'une souplesse et d'une majesté admirables. Quant à l'ornementation, composée d'un encadre- ment peint et émaillé avec des fruits et des fleurs réunis en bouquets, elle Enlaiils dan&anl, par Liica dciia Kiibbia. (Musée national de Florence.) marque le désir d'unir à la sculpture en marbre les conquêtes céramiques du premier des délia Robbia. Plus tard même, l'exécution des terres cuites émaillêes (on éprouve des scru- pules à employer le mot de fabrication devant une production aussi conscien- cieuse) n'absorba jamais Luca délia Robbia au point de lui faire abandonner la sculpture en marbre ou en bronze. Il accepta, en 1466, de fondre, en collabo- ration avec Michelozzo et Maso di Bartolommeo, surnommé Masaccio, les portes .-l.lt) HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. destinées à la sacristie du dôme de Florence. Il devait y représenter la Vierge tenant son fils dans ses bras, le Christ sortant du tond'cait, les Quatre Évangclistes La Vieriie, par Luca délia Robbia. Tombeau de Fedeiiyhi. (Eglise San Francesco di Paola à Florence.) et les Quatre Docteurs de FEglise. Mais ce fut tant pis pour lui. Cet ouvrage, qu'il ne termina qu'en 1474, compte parmi ses productions les moins heu- reuses : il ne manque pas seulement d'élégance, mais encore de caractère. Autant Ghiberti éprouvait d'embarras qu.md il s'agissait d'ouvrages de LUCA DELLA ROBBIA. 337 grandes dimensions, autant Luca délia Robbia en éprouvait quand il s'agis- sait d'ouvrages de dimensions réduites, et je ne connais point de critère L'Évangéiiste saint Jean, par Luca deila Robbia. Tombeau de Federif^hi. (Eglise San Francesco di Paola à Florence.) qu: permette de mieux distinguer du sculpteur-né l'ortevre devenu sculpteur. La statuaire proprement dite n'avait pas enrichi Luca. Il résolut de s'essayer dans un procédé qui tenait davantage de l'industrie, et, reprenant le vieux 558 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. systcme des terres cuites polychromes, il y ajouta pour sou compte l'émail stan- nifère, qui devait les rendre inaltérables. Rectifions tout d'abord à ce sujet quelques erreurs : on sait de reste aujourd'hui que cet émail était connu en Italie longtemps avant les délia Robbia (ainsi qu'il sera dit dans la section consacrée à la céramique); tout au plus Luca peut-il revendiquer la priorité de l'application de la « couverte » à la sculpture monumentale. Nous savons, d'autre part, que Luca n'a pas fait seulement usage, au début, de deux tons, le blanc et le bleu : dans les Évangélistes de la chapelle des Pazzi, on rencontre en ertet déjà, outre le blanc et le bleu, le vert, le violet et le jaune. Néanmoins, à l'origine, Luca évita d'abuser de la polychromie. Passons rapidement en revue quelques-unes des productions les plus carac- téristiques de Luca. Sa première terre cuite émailléc à date authentique remonte à 144.1 : c'est le tympan de la porte de la sacristie du dôme de Florence, avec la Résurrection du Christ, composition encore heurtée et disgracieuse, avec des effets de raccourci trop violents dans les soldats qui dorment autour du tombeau, et dans les anges repliés sur eux-mêmes comme s'ils n'avaient pas de charpente osseuse. Dans les médaillons de la chapelle des Pazzi, la sévérité du style et la dureté de l'expression alternent avec certains motifs plus gracieux, tels que l'attitude de l'ange de saint Mathieu (manches collantes, nouées au poignet, etc.). C'est à telles enseignes que l'on reconnaît chez Luca le sculpteur de race : à l'attache d'un bras, à la cambrure d'un pied. Quant aux draperies, elles sont encore, on n'ose pas dire étriquées, mais un peu justes. Des centaines d'autres ouvrages, plus ou moins importants, répandirent la réputation de Luca délia Robbia jusque dans les contrées les plus lointaines. Dans leur consciencieux catalogue, MM. Cavallucci et Molinier n'énumérent pas moins de 481 pièces de toutes dimensions, modelées, peintes et cuites par Luca, par son neveu Andréa et par les autres membres de la famille. Parmi les plus remarquables il convient de citer les médaillons de la chapelle de San Miniato, les retables du couvent de la Vernia, avec Y Annonciation, la Nativité, la Crucifixion, la Déposition de croix, l'Ascension, la Vierge domnint sa ceinture à saint Thomas, etc., les Personnifications des Mois, au Musée de South Ken- sington (gravées page 9), puis des Annoncialions, des Nativités, des Crucifixions sans nombre. Luca délia Robbia représente, comme Ghiberti, l'idéalisme, par opposition aux innovations parfois téméraires de Donatello. Plein de respect pour la tra- dition sacrée, il n'oserait pas traiter les prophètes, les apôtres, les saints, avec la liberté illimitée et, disons le mot, avec l'irrévérence de son émule. Quelle àme sereine et belle ! Dans cet oeuvre immense, qui a peut-être compris un millier de compositions, il n'y a place que pour es sentiments les plus nobles, pour les tormes les plus châtiées. Ne dirait-on pas que l'idée du mal et l'idée du laid n'existent pas aux 3'eux de ce poète iortuné ! Mais, pour être pures. LUCA DELLA KOi;i;l.\. .i.ig chastes, recueillies, ses figures n'en sont pas moins profondément lunnaines, saines, robustes et vivantes. Rarement le christianisme a trouvé un interprète aussi ému et aussi élevé, un caractère aussi digne de respect, un talent aussi sur et aussi loyal. Le cercle dans lequel tournent Luca délia Robhia ainsi que ses neveux est restreint, comme l'étaient leurs pensées mêmes; 'ayant conservé toute la profondeur de leurs convictions, graves, presque austères (plusieurs d'entre eux entrèrent en reli- gion), ils ne sortent pas des sujets de sainteté. Lyristes avant tout, ils ignorent l'art de raconter; ils ne s'y essayent même pas, car il n'y a pas chez eux de succession d'évé- nements, mais un événement unique, sur lequel ils con- centrent toute leur attention; leurs personnages, générale- ment dans les attitudes les plus calmes, traduisent en traits ineffables le recueille- ment, parfois même la fer- veur. L'humilité avec laquelle Marie s'incline devant son fils, l'émotion avec laquelle elle presse sa main sur sa poi- trine pour marquer combien elle se sent touchée par la nouvelle que lui annonce l'ange Gabriel, et la vénération protonde que lui témoigne le messager divin (haut relief du couvent de la \'ernia), puis, dans la Nalivilc, l'allégresse des anges qui joignent les mains, tendent les bras, sourient ou pleurent de bonheur, que de sentiments rendus avec une souveraine éloquence ! Au point de vue du style, Luca appartient, comme Ghiherti, comme Jacopo délia Quercia, à la période de transition. Il s'efforce, ainsi que ses neveux, de combiner ce qu'il y a de meilleur dans la statuaire du moyen âge avec un naturalisme de bon aloi. Pour ce qui est de l'antiquité, tout au plus lui prend-il l'indication générale du rythme et de l'ampleur. Ce n'est pas que cette étude lui ait fait entièrement défaut (voy. page 2()2); mais il ne l'avait Buste d'enfant. (Saint Jean-Baptiste?) .\telier des délia Robbia. (.Musée national de Florence.) 5fio HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. pas poussée assez loin pour arrêter nettement le contour de ses figures, pour en pondérer ou en animer les gestes, pour les poser avec franchise, — science que d'ailleurs, pour les statues en pied, Donatello seul, parmi les sculpteurs de la Première Renaissance, possédait à fond. Luca dtUa Robbia réussit ainsi à donner à ses compositions, parmi lesquelles les hauts reliefs dominent, la correction, la souplesse et le naturel. Esprit sage et élevé, s'il n'a pas été jusqu'au sublime de Donatello, il a aussi échappé à ses excès. Il a su, d'autre part, éviter les compositions trop nombreuses, ainsi que l'abus des effets de perspective si chers à Ghibcrti. Aussi son exemple n'a-t-il pas peu contribué à ramener la statuaire florentine dans de justes limites, à lui rendre le calme et la pondération, dont s'accommodait si peu la fougue ou la minutie de ses émules. Luca mourut en 1482, sans avoir été marié. Ses neveux formaient autour de lui une famille nombreuse, qui continua son œuvre et perpétua son nom. Nous les retrouverons dans notre second volume. L'.\nge de l'Annonciation. (Fiattment.) (Bas-relief de Luca délia Robbia. au couvent de la Vernia.) iH'iiiiiHiii iiiiimmTrnuiiini •s^ 0M)jiOMmaiLQÀtiMxuijiataiOÂa\0xaioxoioioioAai^^^ Fragmcnl d'un labernaole sculplO par Dusiderio de Setti^nano. Eglise Saint-Lauieiil à Floiciicc.) CHAPITRE IV JACOPO DELLA QUERCEX ET L ECOLE SIENNOISE. L ECOLE RO.\L\I\E. LA SCULPTURE A NAPLE.S, A N'ENISE ET EN LOMBARDIE. i^g2 çgiWfMaaBj^^^ w m iJjaaiiativ.a.»tiaJ^ chronologie, Giacomo oLi J.ico)x) dclki QLicrcia, dont la can-icrc se p.irtage.i entre sa ville natale Sienne, Lacques et Bologne ', aurait dû figurer en tète des sculpteurs italiens de la Renais- sance ; il était en effet déjà célèbre à l'époque où Ghi- herti, Brunellesco et Donatello taisaient lem-s premières armes. Mais ce puissant génie, malgré son originalité, ou peut-être en raison même de son originalité, a exercé peu d'influence sur les contemporains, n'a pas formé école, et partant ne se rattache pas au grand mouvement d'émancipation dont les Florentins ont pris l'initiative ati début du quinzième siècle. Force nous est donc de l'étudier à part, dans une sec- tion spéciale, que nul d'ailleurs ne saurait remplir plus dignement que kii. Giacomo ou Jacopo délia Quercia naquit à Sienne en i.Vi ou environ. Son père, Pietro di Angelo di Guarnieri, était originaire de Quercia Grossa, château détruit des environs de Sienne : d'où le surnom de " délia Quercia ». Après l'achèvement de la tameuse « Fonte Gaja », ce surnom alterna partois avec I. Ce grand artiste attend encore une monographie; ses œuvres n'ont même été reproduites qu'en partie. On pourra consulter sur lui, outre la biographie de Vasari, les notices de Perkins et de Burckhardt, ainsi qu'un article de M. Sidney Colvin dans IIk Poilfolio, février i883. E. Miintz. — l. Italie. Les l'nmililb. 7' 562 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. celui de « Giacomo délia Fonte », Jacques de la Fontaine. Pietro di Angelo, qui était orfèvre, servit sans doute de premier précepteur au jeune Giacomo. D'après Vasari, Giacomo ne comptait que dix-neuf ans lorsque en Licjo les Siennois le chargèrent d'exécuter une statue équestre, plus grande que nature, représentant le général fovori qu'ils venaient de perdre, Giantcdcsco da Pielra- iiitila (et non Giovanni d'Azzo Ubaldini, connue le biographe le rapporte par erreur), et destinée à prendre place sur le catafilque. Giacomo, mélangeant hahilement le bois, le loin, l'étoupe, la terre, la pâte, la colle, improvisa un mannequin auquel une couche de couleur blanche donna toutes les apparences d'une statue de marbre : du coup il obtint les suffrages de la cité entière. Peu de temps après, délia Quercia quitta sa ville natale : on a rattaché son départ à l'expulsion des Malevolti en i.ii)i. Il ne serait pas impossible que dès cette époque il eût tait un séjour à Lucques, en compagnie peut-être de son père'. En 1401, notre artiste prit part au concours de la porte du Baptistère de Florence : telle était dès lors son expérience des choses de la sculpture, qu'au lieu de présenter une maquette, comme ses concLU'rents, entre lesquels, on le sait, brillaient au premier rang Brunellesco et Ghiberti, il somnit immédiatement aux juges un bas-relief tout terminé. Malgré le mérite de cet ouvrage, il se vit écarté : aussi bien le moyen, pour un Siennois, étant donnée la rivalité entre les deux cités, de remporter sur un Florentin dans lui concours dont les juges avaient pour patrie Florence! Puis nous trouvons de nouveau della Q.uercia à Lucques, où il sculpte pour le dôme le mausolée d'Ilaria, femme de Paul Guinigi et fille du marquis del Garetto, morte en 1405, après deux ans de mariage seulement'. La statue, d'un marbre blanc superbe, légèrement veiné, nous montre ime jeune temme, la tète posée sur un double coussin, les mains croisées sur la poi- trine, les pieds voilés par sa robe et appuyés contre un chien. Le visage, au menton proéminent, à la bouche mignonne, au nez droit et tîn, aux cheveux bouclés ceints d'une guirlande, est aussi fier que délicat; soutenu et encadré par une collerette montante, il respire une iVaicheur et une distinction souveraines, sans ressembler à aucun des types qui l'ont précédé. Les draperies sont amples, nettes et harmonieuses, quoique la taille, indiquée par une ceinture un peu lâche, soit excessivement courte, à la mode du temps, et que les manches du vêtement supérieur, des manches à la juive, démesLirément larges, jurent avec l'étroitesse des manches de la robe, collantes et serrées â la hauteur du poignet. L'ensemble 1. Ridolli, l'Aitc in LiiiClI, p. 11^, ii.î. 2. M. Mikmcsi place ruxOcution du tombeau d'Ilaria un 141.1, mais à tort scion moi, car les arguments produits par M. Ridolli, dans son excellente description de la cathédrale de Lucques (p. ni et suiv.), établissent que ce fut en 1406 ou en 1407 au plus tard que l'artiste travaillait à ce monument. Do ces arguments, je n'en retiendrai qu'un, qui me paraît décisif ; dès 140- l'époux d'Ilaria avait convolé en nouvelles noces; il n'.airait pas attendu jusqu'en 141.1 pour perpétuer le souvenir de la délunte. — On trouvera ci -dessus, p. -5, la gravure du tombeau. J. DELLA QUERCIA. 563 est tout un poème; on devine une nature éminemment distinguée et poétique, et on ne peut se défendre de l'aimer. Le chien qui repose au pied de la statue, emblème de la fidélité conjugale, est excellent comme attitude et comme modelé. Le monument (plusieurs fois déplacé) avait pour complément un soubassement orné de génies nus tenant des festons (l'un des côtés continue d'orner le mau- solée; l'autre figure au Musée national de Florence). Ces génies se distinguent par l'ampleur de leurs formes 'et l'aisance de leurs mouvements; on remarque leurs pieds un peu courts, comme chez les enfants de Donatello, et leurs pru- nelles vides, réminiscence bien caractérisée de la sculpture antique, de qui d'ail- leurs, comme il a été dit plus haut (page 202), ces figures procèdent en ligne directe. Quelques années se passent sans que nous enten- dions parler du sculpteur siennois. En 140(8, il reparait à Ferrare, sculptant pour la cathédrale une Vierge avec V Enfant Jésus. En 1409, sa réputation était assez solidement éta- blie pour que ses concitoyens lui confiassent l'exé- cution du monument de sculpture le plus considé- rable qui ait pris naissance à Sienne pendant tout le cours du quinzième siècle, la fameuse fontaine de la « Piazza del Campo », ou place du Palais municipal, la « Fonte Gaja ». Le premier contrat pour cet ouvrage date du 22 janvier 14OQ; il accorde à l'artiste un délai de vingt mois pour le complet achèvement et une rémunération de 2000 florins (environ 75000 francs; somme qui fut ensuite portée à 2280 florins), mais à charge par lui de fournir les matériaux. Le projet soumis par délia Quercia comprenait un parapet en marbre de trois côtés; les neuf niches du fond contenant les statues de la Vierge, de VEnfant et des Sept Vertus, les côtés latéraux ornés de bas-reliefs représentant la Création d^Adam et YExpulsion du Paradis. Des monstres marins portant des enfants sur le dos, des louves, des dauphins vomissant de l'eau, émergeaient du bassin. Le lo juin 141 2, ce premier contrat fut confirmé et étendu. Délia Quercia n'avait reçu à ce moment que 120 florins, après bien des chicanes, bien des difficultés; aussi traînait-il le travail en longueur. A partir de i4i.-> jusqu'en 1422, délia Quercia oscilla entre Sienne et Lucques, de même que pendant la dernière partie de sa vie il flotta entre Sienne et Bologije; de là des tiraillements qui troublèrent singulièrement la vie du maître. Celui-ci, comme tant d'artistes de son temps et aussi du nôtre, embrassait plus qu'il ne pouvait étreindre ; craignant de manquer de travail, il acceptait com- mande sur commande, sacrifiant volontiers les plus anciennes aux plus récentes, par un de ces caprices si familiers aux hommes d'imagination. Qu'il eût, d'autre part, le travail lent, les retards apportés à l'exécution de ses différents ouvrages Portrait de ti. délia Quercia. (D'après la gravure publiée par Vasari.) 564 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. le prouvent surahonJaniment. Mais à cette époque bien des obstacles entravaient les tra\aux du sculpteur : d'un ct'ité la difficulté de se procurer des matériaux (on sait combien de semaines et de mois Michel-Ange dut passer à Carrare pour surveiller l'extraction des blocs de marbe qui lui étaient nécessaires), et puis l'irré- gularité des pavements, qui l'empêchait de s'adjoindre des collaborateurs aussi souvent qu'il eût été nécessaire. Della Quercia était d'ailleurs, si nous en jugeons par ses lettres, un liomme grave, mesuré, sentencieux, a\-ant un faible pour les proverbes (une fois il écrit qu'il ne tient pas à consumer ses jours dans la misère à Bologne, car pour vivre misérablement il n'est pas nécessaire de chercher bien loin autour de soi ; une autre fois, qu'il n'est de bien véritable que celui qu'on accepte volontairement), mais sachant aussi tenir un mâle et fier langage : invoquant son honneur et sa loyauté, « mio onore e mia lieltà « ; qualifiant les sculptures du portail de San Petronio d'ouvrage destiné à lui donner la plus grande réputation, « magn;t me:\.> fam;t ». Pour ne pas tomber dans la même erreur que le sculpteur siennois, je termi- nerai tout de suite ici l'histoire de la « Fonte Gaja », sauf à m'occuper ultérieu- rement des travaux exécutés à Lucques. Après des lenteurs et des difficultés sans nombre, la fontaine fut achevée en 1411). Autant que l'on peut en juger par des fragments presque informes, les figures sont toutes construites par grandes masses, les différentes parties du corps étant peut-être même articulées avec trop de netteté, ce qui produit l'effet d'une déchiqueture. La « Fonte Gaja » est en effet depuis longtemps détruite. Il n'en reste plus que les statues de la /'/V/^v et de YAiigc Gabriel, avec les bas-reliefs de la Créai ion (l\4iiaiii et de V Expul- sion du Paradis, et des figures allégoriques. Tous ces morceaux, gravement alté- rés, se trouvent au Musée de l'Œuvre du Dôme. Il y a une vingtaine d'années, la municipalité de Sienne a entrepris de remplacer le chef-d'œuvre détruit de della Quercia par une restitution fondée sur les documents anciens. Commencé en ]''ô(), cet ouvrage a été terminé en iM(i(). En 141.5, Giacomo se trouve de nouveau a Lucques, oi'i il travailla proba- blement pour le dôme. M. Ridolfi lui attribue dans ce sanctuaire un Apôtre, d'apparence juvénile. En 14 1() il sculpta, pour une autre église de Lucques, S. Frediano, les dalles funéraires de Federigo Trenta et de son épouse, puis, pour la chapelle fondée par eux dans la même église, un vaste retable qu'il termina en 1 42:. Cet ouvrage en marbre, d'un ton sale, comme s'il avait reçu une couche de peinture, con- tient, outre des bas-reliefs avec des scènes de martyre, les statues de la Vicri^c avec l'Iiufanl, de Saint Sébastien, de Sainte Lucie, de Saint Jérôme et de Saint Sigisniond. On y est tout d'abord frappé de l'aisance avec laquelle les différentes figures se subordonnent à l'ensemble, de manière à produire un effet véritable- ment décoratif; c'est que della Quercia, comme son disciple Michel-.\nge, se J. DELLA QUERCIA. 56.5 ti-oiiv;iit tout naturellement porté a l'abstraction ; il ne s'arrêtait pas à repré- I.e retable des Trenla. par tlella Quercia. (Eglise San-Frediano a Lucgues.) senter, par exemple, certains détails du costinne ou encore de la végétation ; opposé à tout laisser-aller et à toute fantaisie — ces défauts charmants des Pri- .W, HISTOIRE DF. L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. niitifs, — il ne s'occupait que de fliire concourir tous ses efforts à un but unique. Pris isolément, les personnages, avec leurs yeux d'ordinaire sans prunelle, leur front droit et fier, leur nez droit, ont une expression sévère et hautaine, à laquelle répondent bien ces draperies mouvementées et d'un jet puissant. Plus rien d'anguleux dans le modelé, mais plutôt une souplesse parfliite : la tête du vieillard placé à droite est même déjà un peu molle et ronde, et comme d'un taire trop facile. L'ensemble, enfin, tout en rappelant le moyen âge par le carac- tère général de loyauté et de grandeur, paraît déjà tout moderne par l'extrême liberté de la facture, par l'originalité des expressions et des gestes, par l'ampleur des draperies : on y constate des échappées très nettes sur le seizième siècle, et comme le pressentiment de la manière de Michel-Ange, qui s'est, entre autres, très certainement inspiré de la Vierge placée au centre du retable. L'histoire de la cuve baptismale de Sienne est celle de la plupart des ouvrages du maître. En 1417 on lui commanda, au prix de ifio florins chacun (environ oono francs), deux bas-reliefs en bronze doré destinés à ce monument, dont il avait fourni l'année précédente le dessin assez malencontreux (voy. page 41 5). Comme il ne tenait pas ses engagements, on dut lui retirer un de ces bas-reliefs pour le confier à Donatello. Quant au second, on ne l'obtint qu'en 14.10. Est-ce la suite des tracasseries qu'il dut subir, ou bien le résultat de l'erreur commise dans le choix de l'échelle imposée aux sculpteurs de la cuve (tous ces bas-reliefs ont quelque chose de forcé et d'antidécoratif)? toujours est-il que le comparti- ment modelé par Giacomo est loin de satisfaire. Examinons-le sans parti pris. Au centre, sous un ciborium du plus pur style roman, on aperçoit VAiit^c s'avaii- rant vt'rs Zdckiric (d'après le récit de saint Luc, et nullement la J'onitioii de Joafhiiii, comme on l'a sans cesse répété) ; celui-ci, une main appuyée sur la poitrine, l'autre placée sur l'extrémité de la chaîne de l'encensoir, paraît en proie à une émotion profonde. A droite, un spectateur, ime main placée sur une hanche, geste si tamilier aiix personnes composant ce que l'on pourrait appeler les chœurs du quinzième siècle; à gauche, un groupe de cinq autres spectateurs, dont deux laissent éclater leur surprise par des gestes assez malencontreux. Si la scène est des plus mouvementées et même quelque peu déclamatoire, par contre les figures manquent d'expression : elles ont cet air impassible, parfois même hébété, que l'on retrouve dans certains bas-reliets de Donatello, et cette sorte de sauvagerie dont Michel-Ange, à son insu peut-être, a emprunté la formule à son devancier siennois. Quant aux draperies, on les croirait soulevées et agitées par un ouragan, sans que rien explique cette exagération. Les auteiu's du (tireront' attribuent en outre à délia Quercia la statuette de Siiiiil Jean, qui coin'onne le monimient, et quatre Prophcics en bas-reliet. Le zH mars 142.^, le cardinal Correr, archevêque d'Arles et légat du pape à Bologne, signa le traité qui chargeait Jacopo de décorer le grand portail de j. DELLA QUERCIA. 367 l'église San Petronio, à l'aide de statues et de bas-reliefs en pierre d'Istrie. Il lui traçait un programme éblouissant, et lui promettait une rémunération brillante : 36oo florins d'or de la Chambre (environ 180000 francs). La décoration devait comprendre : quatorze sujets de Y/lncien Testament avec des figures de deux pieds de haut, trois de la Nativité du Christ, vingt-huit Prophètes à mi-corps, d'un pied et demi de haut, la Vierge avec l'Enfant, la statue du Pape, celle de Saint Petronius, des Lions, aux côtés de la porte, de grandeur naturelle, les statues de Saint Pierre et de Saint Pan!, le Christ porté par les anges, enfin la Crucifixion. L'artiste se mit à l'œuvre presque aussitôt : en 142O on le trouve à Venise et à Vérone pour chercher des matériaux. Les tiraillements qui avaient marqué le séjour de délia Quercia à Lucques se reproduisirent lors de son établissement à Bologne. Ses concitoyens ne cessaient de le harceler au sujet des engagements qu'il avait contractés avec leur ville. L'année 1428 fut de celles où leur tyrannie pesa le plus lourdement sur le malheu- reux sculpteur. La Seigneurie lui expédia courrier sur courrier pour le faire revenir; lui se défendait de son mieux; finalement on lui dépécha un exprès à ses frais (il se garda bien de payer ce message forcé), avec ordre de revenir dans le délai de dix jours à peine de 100 florins d'amende; l'artiste ayant laissé passer ce délai, on prononça contre lui une condamnation en règle ; et ce ne tut que longtemps après qu'il réussit à la taire lever. Il n'est pas étonnant, avec de telles préoccupations et avec ces interruptions continuelles, que délia Quercia n'ait pas pu mener à fin la décoration du portail de San Petronio : il mourut littéralement à la peine, le 20 octobre 1438, laissant inachevée l'œuvre qui a le plus contribué à sa réputation. Les bas-reliefs de San Petronio font éclater au grand jour les qualités comme aussi les défauts et les lacunes très considérables du génie de délia Quercia. Les scènes nombreuses et pittoresques ne sont nullement son fort; étranger aux notions d'ordonnance et de perspective, dès lors familières à tous les Florentins, il essayerait en vain de grouper dans la même composition plus de quatre ou cinq personnages. En outre, cédant peut-être aux atteintes de la vieillesse, il laisse à beaucoup de figures des formes massives et une expression lourde, impersonnelle, on serait tenté de dire obtuse (dans d'autres parties il a traité les nus avec un art admirable). Mais deci, delà des éclairs de génie : la figure véritablement gnmdiose du Père éternel dans la Création ifÈve (gravée page i?';), celle d'Adam avec sa poitrine supérieurement modelée par grands méplats dans la Tentation, et dans la scène (gravée page rOq) qui montre le père du genre humain bêchant laborieusement, et Eve si belle dans sa grâce robuste; puis, dans l'Expulsion du Paradis (gravée page 261), le geste de l'Ange, superbe d'indignation, et celui d'Adam, si véhément, quoique un peu tourmenté; dans le Massacre des Innocents, des traits pathétiques à côté de traits d'une naïveté charmante. On admire surtout les figures à mi-corps, presque toutes pleines de mouvement, partois même d'éloquence. 568 HISTOIRE 01! I.AKr l'I^NDANT LA RENAISSANCE. On attribue à délia Qucrcia plusieurs autres ouvrages de sculpture conservés à Bologne : le mausolée du jurisconsulte Antonio G(r/(Y/--t) Bciilivoi^lio (à San Giacomo Maggiore; I4.->(j?), avec la statue couchée du détunt, très vivante et très largement traitée, ainsi qu'avec les statuettes de la Vierge, de Sai)il Pierre et Siiinl Paul et de Quatre Vertus, et des bas-reliefs représentant les élèves — coiffés du turban, — assis autour de la chaire et suivant dans des livres les paroles du maître. On retrouve dans ces diverses figures la recherche, je dirais presque l'exagération du mouvement qui caractérise toutes les ligures du maître. Deux bas-reliets, avec la l'iergc. Saint Michel, une Sibylle et des Anges, au Musée civique de Bologne, réunissent, d'après le Cicérone, la grâce à la vigueur'. La conclusion qiii se dégage de cet œuvre considérable me parait pouvciir se lormuler à peu près connue suit : Génie grave, austère, aux convictions pro- tondes, artectionnant, comme le iera Michel-Ange, les scènes de l'Ancien Tes- tament, ignorant la névrose, mais aussi la finesse propres .'i l'Ecole florentine contemporaine, préférant la grande tournure aux mièvreries de l'exécution, et les formes pleines, robustes, parfois même un peu massives, à l'élégance, délia Quercia est le tailleur de pierres gothique rude et loyal, plein de dédain poiu' tout artifice, d'ordinaire sombre, parfois même indolent, mais qui, d'un coup daile, saura s'élever à de sublimes haLiteurs. Ces qualités et ces défauts natifs, qui ne perçaient que de loin en loin dans les ouvrages exécutés à Sienne et à Lucques, se font surtout jour dans les bas-reliefs de Bologne, où éclatent d'ailleurs déjà bien des preuves de lassitude et de décadence. A coté de beautés du premier ordre, nous avons du y signaler une niasse de lourdeurs ; des corps trop trapus, semblables .i un dîam.mt incomplètement dégagé de sa gangue, etc. Mais si à bien des égards délia Quercia peut passer pour le dernier héritier du style gothique, à d'autres i! est u\\ des apôtres du style nouveau, un précur- seur dans toute la force du terme, un précurseur posthume, il est vrai, sans influence sur ses contemporains, et dont l'action ne se fera sentir que longtemps après sa mort. En dehors de Niccolo dell' Arca, qui reprit ses traditions à Bologne môme, Michel-Ange, on l'a trop oublié en le représentant comme sorti tout armé du cerveau de Jupiter, à l'instar de Minerve, Michel-Ange lui doit énormément ; c'est en alliant la grandeur de ses types et l'ampleur de ses draperies avec »ce qu'il \- avait de mouvementé, de fébrile, chez Donatello, que le puissant assimilateur s'est créé sa manière. Délia Q.uercia, nous l'avons dit, ne ht pas école. Dans sa ville natale l'éclec- I. Jusqu'à ces derniers temps on a t'ait honneur a delLi Quercia d'une série de terres cuites, CQnser\'ées pour la plupart au Musée de South Kensington, et qui ont leur pendant dans une Madone en stuc récemment acquise par le Louvre. Mais M. Bode, dont le jugement est d'un si grand poids, a cru devoir faire honneur de cette série à des maîtres florentins représentant le style de transition (Jlulicniscisc Eildhuiwr dcr Rciiaissaitcc, p. .ïli-ôHj. J. DELL A QUERCIA. r)6<) tisme ou l'anarchie triompha de son vivant même : les sculpteurs, gagnés, longtemps avant leurs concitoyens les peintres, par les principes nouveaux (à tout instant, Donatcllo et Ghiberti taisaient des incursions à Sienne), rcnon- >llWI.WHIli.iii»liin iijniljlU I illiiljiiiilnj^nmia Adam bêchant ut Eve lilant, par Jeila Quercia. (Eglise San Petronio à Hulof;nc.) cèrent au dotix mysticisme qui taisait le charme de la sculpture siennoise de l'âge précédent, sans avoir la force nécessaire pour s'assimiler complètement ces principes, pour créer des figures fermes, vivantes ou émues. On trouve chez plusieurs d'entre eux de l'habileté ou de l'esprit : on ne trouve ni vie ni poésie immanente. E. Miiiuz. — 1. Italie. Leb Primilih. -: 5-0 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. Passons rapidement en revue ies principaux de ces artistes, en renvoyant pour les détails aux ouvrages de MM. Milanesi, Perkins, Burckhardt et Bode. Antonio Federighi, surnomme dei Tolomci (f 14<)<')' '•]"'-■ nous avons déjà signalé comme architecte, exécuta les bénitiers en marbre du dôme de Sienne, d'un style excessivement maniéré, ce qui ne les a pas empêchés de passer long- temps pour antiques (l'un d'eux est gravé page 417). A partir de 1 4?'), il travailla aux trois statues — d'un style plus robuste — destinées à la « Loggia dei Nobili ». Le maniérisme, telle est aussi la note dominante du st\le des Turin! : Turino di Sano, et ses fils Barno, Lorenzo et Giovanni di Turino — ce dernier, le plus célèbre d'entre eux — se distinguaient surtout dans la sculpture en bronze. On leur doit deux des bas-reliefs de la cuve baptismale de Sienne (1417 à 14-7), la Naissainr de sain! Jcau-Baptisic et la Prcdicatioii de saint Jcan-Baptisic, remar- quables par leurs tètes rondes, sans grande expression, et leurs interminables draperies; puis la Louve de bronze placée devant le Palais public. Giovanni modela et fondit en outre pour la cathédrale trois statues de Vcrliis, figures remarquables par leurs draperies chifibnnées, par le manque de calme et de pondération. On lui doit également quelques bénitiers, dont, l'un celui du Palais public, montre chez ce maître l'incapacité de relier ensemble trois figures aussi simples que le Christ et deux anges. — Giovanni Turini, fidèle aux tra- ditions de l'orfèvrerie, aimait à jeter quelques touches d'émail sur ses bronzes. Lorenzo di Pietro di Giovanni di Lando, surnommé « il \'ecchietta », à la fois architecte, peintre, sculpteur et orfèvre (141 2-1480), affectionnait une extrême minutie, qui le rendait particulièrement apte au travail du bronze. Il usait et abusait des moulages sur nature, comme le prouve le buste à'Anriahna Mala- fcsfa, au Musée national de Florence (gravé pagec'iq), avec son réalisme poussé aux dernières limites, et la statue couchée, également en bronze, du jurisconsulte Marina Soucino (^i^b~, même musée). Je me rallie entièrement à l'opinion de Perkins quand il signale le « faire dur et sec » de ce dernier ouvrage. J'ajouterai que la physionomie est pauvre, les draperies agitées, mais non point mouvementées, l'eftet général mesquin. A Sienne même, on remarque le tabernacle du maître autel de la cathédrale (i4'j5 à 147-), ainsi que les deux statues de Saint Pau! (1458) et de Saint P/Vnr (146(1), à la c Loggia dei Nobili ». Citons encore Neroccio di Bartolommeo (1447-1500), qui est représenté de nos jours encore dans sa ville natale par divers bas-reliets ou statues', entre a.utres par la statue assez lourde, aux draperies chifibnnées, de l'évèque T. Pic- colomini, au dôme. I . L'attribution à Michelozzo du beau médaillon avec la Vierge et l'Enfant, incrusté sur une des portes latérales extérieures de la cathédrale de Sienne (gravé p. .^71), me paraît sans fon- dement. J'y reconnaîtrais plus volontiers l'œuvre de quelque anonyme, partagé entre l'influence de délia Quercia et celle de Donatello. Telle est aussi l'opinion de M. Schmarsow, qui y voit comme un compromis entre la Madone de la c< Fonte Gaja » et la Judith du sculpteur florentin. (Donatello, p. 3.5. Cf. Courajod, Acquisitions du Musée du Louvre , la Sculpture moderne au Louvre en iSSo. Paris, Rapilly, 1881.) LES sri'LPTRURS SIEXNOIS. .171 Malgré la diversité des origines, l'bcole romaine (si tant est que l'on puisse décerner le titre d'école à une agglomération en quelque sorte fortuite d'artistes accourus de toutes les parties de la Péninsule) a imprimé un caractère frappant d'unité à ses productions. Cette unité, elle la doit d'une part à l'influence des modèles antiques, plus nombreux ici que partout ailleurs, de l'autre à celle de la cour pontificale, ou mieux ;\ l'action même de la religion catholique ; dans le voisinage d'un tel foyer, les éléments les plus disparates fondirent rapidement, comme des métaux dans un creuset incandescent. A l'antiquité, l'Hcole ro- maine prit la recherche de la régularité, de la cor- rection, de la noblesse; au catholicisme son cal- me, sa sérénité, sa dou- ceur. Ce double courant donna naissance à un art abstrait, idéal, où les échos du dehors n'ar- rivaient qu'atténués et transformés. Partout les souvenirs du passé; nulle part les impressions de la vie réelle, les luttes du jour, l'actualité. Il sem- ble que la religion ait mis une immense sour- dine à toutes les vivacités et à toutes les révoltes de l'individualisme. Dans les tombeaux mêmes, en dehors de la statue du défunt, qui neuf tois sur dix est un prélat, et de son écusson, nulle allusion aux événements contemporains. (Seuls Rido, à Sainte-Françoise Romaine, et Robert Malatesta, à Saint- Pierre, sont représentés à cheval, en guerriers. Rappelons en outre les bas- reliefs du tombeau de la femme de Jean Tornabuoni, par Verrocchio, gravés page 297.) Les figures accessoires dérivent des Évangiles (la Madone trônant, le Jugement dernier, les Apôtres Saint Pierre et Saint Paul, à mi-corps), et les ornements procèdent à peu près invariablement des modèles de l'ancienne Rome. (Je signalerai à titre de curiosité, sur le tombeau de Roverella, à Saint- Clément, des vases munis d'ailes.) En un mot, partout une discipline sévère, qui ne va cependant pas jusqu';\ l'intolérance : nous le savons par les nom- breux Génies plus ou moins vêtus qui s'affichent en tous lieux. En nous plaçant à un point de vue plus spécial, nous constatons la rareté des statues (on ne trouve guère à mentionner que celles de Paolo Romano, en dehors La Vierge et PEnfant JiSsus. Bas-reliei anonyme de TEcole siennoise. (Dôme de Sienne.) 572 insToiRF nr: i;.\rt pendant la renaissance. des statues funéraires), ainsi que l'absence de sculptures sur les fiiçades, ces façades si richement ornées dans la Vénétie et la Lombardie. En échange, à l'in- térieur, des bas-reliefs partout, sur les portes, les chancels, les tribunes, les autels, les mausolées. — En tant que matière première, le marbre semble l'avoir emporté sur le bronze, et surtout sur la terre cuite, qui se montre à peine sur les bords du Tibre; citons, comme ouvrages importants en métal, les tombeaux des papes Martin \\ Sixte I\', et Innocent Mil (gravé page h !■■>), ainsi que les portes de Saint-Pierre. La polychromie, — est-il nécessaire de l'ajouter? — disparut promptement d'une ville où le réalisme avait si peu de prise. Les tombeaux romains du quinzième siècle forment une série tellement riche, que quelques détails ne feront pas double emploi avec ceux que nous avons don- nés plus haut en étudiant l'architecture funéraire (pages 42. ~i etsuiv.). L'ordon- nance procède, d'une manière générale, des modèles florentins. Les sarcophages, d'ordinaire très riches, rappellent tantôt celui du tombeau de Marsuppini, par Desiderio da Settignano, avec des rinceaux et des grifles de lion, tantôt l'urne de porphyre placée alors devant le Panthéon. Parfois, comme dans le tombeau de P. Riario (ti474), aux Saints-Apôtres, le sarcophage a pour support des sphinx. Les statues, à peu près invariablement couchées sur le dos, les mains croisées sur la poitrine, la tête posée sur un coussin, les pieds étendus, ont aussi peu de mouvement que possible. Les mains levées dans l'attitude de la prière, au lieu d'être posées à plat l'une sur l'autre, torment l'exception (tombeau de G. de Fuensalida, 7141^0, à Santa Maria di Monserrato); à plus forte rai- son toute indication d'une attitude plus aisée' — par exemple la tête appuyée sur la main — manque-t-elle encore. C'est la mort, en un mot, que l'on repré- sente, non le sommeil. De loin en loin des rideaux glissant sLirune tringle (tom- beau de Roverella à Saint-Clément) ou un ciel de lit à la Donatello. Nulle recherche enfin de silhouette : il nous fuidra aller jusqu'à Jacopo Sansovino pour trouver, au début du seizième siècle, des mausolées se détachant sur la paroi du fond, .\ l'aide de frontons déchiqLietés, de candélabres placés aux côtés des frontons, etc. Si nous passons en revue les sculpteurs en qui se personnifie cette production si considérable, nous trouvons au premier rang les Toscans (Simone Ghini, Donatello, Filarete et ses collaborateurs, Isaïe de Pise, Mino de Fiesole, \'erroc- chio, Pollajuolo), mêlés .\ un petit nombre d'artistes de l'Italie supérieure (Andréa Bregno, Giovanni Dalmata, Cristoforo di Geremia). Quant aux États de l'Église, ils ne peuvent s'enorgueillir que d'un seul nom, Paolo Romano. Les autres, tels que Pietro Paolo de Todi, ne sont que des comparses. I. D'uprC-s M. Semper, Bartolomnieo Spiiiii aurait le premier représenté le défunt appuyant la tête sur le bras, dans le mausolée de Maleguzzi (| 1448), au dôme de Reggio d'Eniilia {.4il,'i' Slorin. 1884, p. l8g). 1. Voy. 1rs .-iris !i hi Cour Ji'.t Piipcs, t. I, et \Qi Mt'liingi's piiNics par l'Écok fiaiiùiise ik Rom,; if',84. LES SdLPTKrRS ROMAINS. 57^, Les premiers sculpteurs florentins qui firent leur apparition à Rome furent Donatello, que nous savons avoir travaillé sur les bords du Tibre vers 1403 d'abord, en \^^^ ensuite (voy. page 5 in), puis cet énigmatiquc Simone, d'après Vasari le propre frère de Donatello, ce qui est inadmissible; d'après d'autres, l'orfèvre Simone di Giovanni di Simone Ghini, ou encore l'orfèvre Simone di Giovanni di Giovanni (tous deux fixés à Rome, le premier à partir de 1427 au plus tard, le second à partir de 1434 ou I435). Ce Simone, quel que soit son nom de famille, fondit en 143.1, afhrme-t-on, la dalle funéraire en bronze du pape Martin V, à Saint-Jean de Latran. Quant à Donatello, il laissa à Rome, outre le tabernacle de Saint-Pierre, que nous avons mentionné plus haut, la dalle funéraire de Crivelli à l'Ara-Cceli. Parmi tant de travaux intéressants, la tâche la plus enviable, l'exécution des portes de bronze de Saint-Pierre, échut à un sculpteur d'une rare médiocrité, sans tempérament, à l'imagination prosaïque, au style plat : j'ai nommé Antonio Averulino, surnommé Filarete. Ce personnage n'a plus besoin d'être présenté au lecteur ; mais si nous n'avons pas marchandé les éloges à l'habile architecte du grand hôpital de Milan (page 484), nous avons le devoir, le strict devoir, de dire son fait à celui qui en sculpture était indigne de délier les cordons des sou- liers à n'importe lequel de ses compatriotes. L'idée de doter la basilique du Prince des Apôtres de portes monumentales en bronze fut évidemment suggérée au pape Eugène I\' par la vue des portes du Baptistère de Florence, auxquelles travaillait alors Ghiberti. Il la mit à exécu- tion avant même de quitter Florence pour retourner à Rome. Commencées par Filarete en ^^m) au plus tôt, avec la collaboration d'Agnolo, Jacopo, Gianelli, Pasquino (da Montepulciano), Giovanni, \'arrone", peut-être aussi de Simone Ghini, les portes furent mises en place le 2O juin 1445. Les portes contiennent, sans compter la bordure entourant chacun des deux vantaux, quatre grands cadres, deux petits, et quatre bandes dans les intervalles''. En liant, d'un côté le Sauveur et de l'autre la Vierge, assis sur des trônes. Au- dessous, saint Paul tenant le glaive et ayant à ses pieds le vase mystique, « le vase d'élection », d'où sort la fleur où se pose la colombe; en regard, saint Pierre 1. M. Yriarte scinde en deux le Simone mentionné par Vasari, et attribue à l'un, Simone Ghini, les ouvrages en bronze, à l'autre, Simone di Xanni Ferrucci de Fiesole, les ouvrages en marbre. 2. Tschudi : Repertorium fur Kuiislivissenschuft , 1884, p. 291-292. — Cf. les Mélanges à- r Ecole française de Rome, l885, p. 326. — Dans un travail récent, M. Stevenson s'est fondé sur l'inscription des portes pour soutenir qu'elles avaient été exécutées à Florence, et non à Rome {Kcte sur les tuiles de plomb de la Basilique de Saint-Marc ; Rome, 1888, p. 3l). Mais cette hypo- thèse, d'ailleurs plausible en elle-même, est contredite par l'inscription tracée sur la réduction de la statue de iMarc Aurèle dont il sera question plus loin : Filarete y déclare qu'il exécuta cette copie « quo tempore fabricatus est Roma; sneas (januas) templi S. Pétri. » Cf. Courajod : Ga-{ette archéologique, i885, p. 38.Ï. 3. M. Geffroy a donné une excellente description de la porte dans \à Revue des Deux-Mondes, septembre 1879, p. 376 et suiv. Voy. aussi la gravure publiée ci-dessus, p. 25g. 574 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. debout, qui remet les clefs au pape agenouillé. Les petits cadres renferment des images du Martyre de saint Pierre, et de saint Paul, le Couronnement de l'empereur Sigismoiid, l'Arrivée de l'empereur Jean Paléoloi^ue au concile de Florence, l'Arrivée des Ethiopiens, etc. au même concile. Une des particularités des portes, c'est l'emploi de touches d'émail. Filarete semble avoir emprunté cette idée aux Siennois (voy. page 570). Deux années environ après Tachèvement des portes, Filarete tut chargé de sculpter, pour la basilique Saint-Jean de Latran, le mausolée du cardinal A. de Ciaves, appelé le Cardinal de Portugal (f 1447). Mais les persécutions dont il fut victime (voy. page 484) semblent l'avoir empêché de terminer ce travail. Le mausolée en question ayant disparu au dix-septième siècle, il est impossible de savoir s'il était de la main, si facile à reconnaître, du sculpteur des portes. En 14^5, ainsi l'année même où il terminait sou Traité d'architecture, Fila- rete faisait cadeau à Pierre de Médicis d'une réduction en bronze de la statue équestre de Marc Aurèlc, réduction qui se trouve aujourd'hui au Musée des Antiques de Dresde'. Un autre sculpteur toscan fixé à Rome, Isaïe de Pise, est placé par le poète Porcellio de' Pandoni à côté, sinon au-dessus, de Phidias, de Polyclète et de Praxitèle". Si nous en jugeons par le seul ouvrage authentique que nous possé- dions de lui, le Tombeau du Pape Eugène IV (gravé page 85), c'était tout sim- plement un sculpteur de quatrième ordre, familiarisé avec les pratiques de l'École florentine; les seules figures véritablement élégantes de ce monument, ce sont les deux anges, en bas-reliet, qui s'inclinent devant la Vierge. Quant à la statue du défunt, elle est de proportions trop trapues, reproche qui s'adresse égale- ment aux statuettes placées dans les niches. Je signalerai en outre, comme par- ticulièrement disgracieux, le couronnement du tombeau : une sorte de volute flanquée de deux antéfixes : nous avons affliire, on le sait (voy. page 374), à une des formes qui ont donné le plus de mal à la Première Renaissance, et qu'elle n'a jamais réussi à s'assimiler complètement. Isaïe de Pise a un titre de propriété sur deux autres monuments importants, l'Arc triomphal de Naples (145H) et le Tabernacle de Saint André, érigé par Fie II dans la basilique du Vatican (i4'i4); mais ce sont là droits encore indivis, car jusqu'ici aucun critique n'a pris la peine de déterminer la part d'un chacun dans ce vaste travail de collaboration. Parmi les ouvrages d'Isaïe, le poète Porcellio cite encore le Tombeau de sainte Monique, destiné à l'église Saint-Augustin à Rome (la reconstruction de cette église ayant commencé en I47<), l'exécution du tombeau est forcément posté- rieure), détruit en 1 7O0, et un groupe avec la l'ierge, F Enfant Jésus et des anges. 1. Publiée par M. CourajoJ dans la Galette arclicologiqnc, 188.S, p, 382-391. 2. Les Arts à la cour des Papes, t. I, p. 255-25?. ISAIA DA PISA. — GIO\AXM DAL.MATA. Pour prix de ses éloges Porcellio reçut deux statuettes qui témoignent chez l'artiste pisan d'un certain dérèglement d'esprit : AV/vh et Poppcc assis chacun sur un cheval. Et mihi quadrupcdcs quos dcdit illc duos In quibus iiisidcnt, liinc Poppca Ccsaris uxor. Inde i'crox animis turgidus ora Ncro. On ignore l'époque de la naissance et celle de la mort d'Isaie de Pise. Des découvertes récentes nous ont seulement appris qu'il appartenait, comme ses compatriotes du treizième siècle, à une dynastie de sculpteurs : son père, Pippo ou Filippo, travaillait en 14.^ 1 à des marbres destinés au palais du Vatican; quant à son fils, il ne fut autre que le célèbre statuaire et médailleur Gian Cristoforo Romano'. Mino de Fiesole, dont l'existence se partagea entre les bords de l'Arno et ceux du Tibre, peut passer pour le mieux partagé des sculpteurs toscans fixés à Rome. Aussi bien son st3-le élégant, châtié, un peu élégiaque, répondait-il merveilleu- sement à l'esprit de la cour pontificale. Mino a sculpté à Rome des bustes, — le plus ancien, celui de Nicolas 5/rL'-:^/, remonte .1 1454, — des ciboires, des tabernacles et des retables, pour les basiliques de Sainte-Marie Majeure, de Sainte-Marie du Transtevère, etc. Favorisé par le pape Piell, qui remplo3-a aux travaux de la loge pontificale de Saint-Pierre, par le cardinal d'Estouteville, qui lui confia le vaste retable de Sainte-Marie Majeure, il eut en outre l'hon- neur de sculpter, avec Jean Dalmate, le mausolée du Pape Paul II. Ce Giovanni Dalmata, un nom à ajouter à ceux des artistes dalmates que nous avons mentionnés ci-dessus (page i 74), n'est guère connu que par sa coopération au mausolée que je viens de mentionner, monument important, dont la majeure partie se trouve aujourd'hui reléguée dans les cryptes du Vatican, et dont deux fragments sont venus échouer au Musée du Louvre'. Il a signé le bas-reliet de V Espérance (gravé page 577), sage précaution sans laquelle son nom ne serait point parvenu jusqu'à nous. On reconnaît également sa main dans la Création d'Eve, la Résurrection, dans les Évangélistes saint Mathieu et saint Marc, dans les figures de Dieu le Père et du Pape. M. de Tschudi attribue en outre à Jean Dalmate les tombeaux du cardinal Roverella (f 1476), à Saint-Clément, et du cardinal Eroli (t 1470), dans les grottes du Vatican, ainsi que difii"érentes sculptures des églises romaines. Le même auteur oppose aux qualités et aux défauts de Mino le naturalisme de Giovanni Dalmata, l'animation de ses figures, ses plis boursouflés ou cassés. I. De Fabriczy : Courrier de l'Art; 1R88, p. ll.î-117. — Venturi : Acliivio slorico delt' Arie, 188S. I . Courajod, Deux fragments Jt's constructions de Pic II à Saint Pierre de Rome, aujonrd'lini au Musée du Louvre. Paris, Champion, 188J. .576 HISTOIRE DE LART 1'1:M)ANT LA RHXAISSAN'CE. Dans la série, si courte, des artistes romains du quinzième siècle, la première place revient au sculpteur Paolo Romano', comme pour le siècle suivant elle revient au peintre Giulio Romano. (Ne dirait-on pas que les contemporains, en donnant à ces maîtres pour surnom le nom de Romano, ont voulu mar- quer que c'était chose extraordinaire qu'un artiste de marque né à Rome!) Il tant absolument distinguer, de Paolo di Mariano di Tuccio Taccone, le « Paulus Romanus » qui a sculpté les tombeaux de B. Caraffa (1417), dans l'église des chevaliers de Malte, et du cardinal Stefaneschi, à Sainte-Marie du Transtevère (1.11)7). Notre Paolo Romano avait un autre sosie encore, un certain Paluzzo, sculpteur comme lui, massier ponti- fical comme lui, et qui, en possession de cette charge dès 1417, vivait encore en 14711. N'était cette der- nière circonstance, je serais disposé à attribuer à ce Paluzzo les tombeaux de Sainte-Marie du Transte- vère et de Sainte -Marie du Prieuré de Malte, qui sont, on \ient de le voir, l'œuvre de « magister Paulus ». Mais dans ce cas on serait obligé d'ad- mettre que Paluzzo est devenu centenaire. Paolo di Mariano di Tuccio Taccone, plus connu sous le nom de Paolo Romano , est de tous les sculpteurs de la Première Renaissance celui peut-être qui dans ses statues s'est le plus inspiré des modèles romains. Chez ses personnages la toge, étroite plutôt qu'ample, se développe en plis réguliers et parallèles. La recherche de la cor- rection, la raideur des attitudes, la maigreur des draperies et quelque chose d'impersonnel, d'abstrait et d'archaïque, tels sont les traits distinctifs de sa manière. Chez lui ni ambitions téméraires ni ardeurs généreuses, mais de la circonspection et de la science : ce n'était point assez pour faire revivre, à l'instar des Florentins, les chets-d'œuvre de la statuaire des anciens, unique préoccupation du brave sculpteur romain. Mariano, le père de Paolo, sculpteur comme lui, avait pour patrie Sezze, près de Velletri. On ignore la date de la naissance de Paolo : on sait seulement que dès 1451 il travaillait à Rome poiu' le compte du Pape. Saut un séjour à Naples, où nous le trouvons établi en 145B, occupé à l'arc de triomphe, il semble avoir concentré toute son activité sur la ^'ille éternelle. Il y mourut en 1470. L'ouvrage le plus célèbre de Paolo Romano, ce sont les deux statues de Saint Pierre et de Saint Paul (commencées en 14'M), autrefois placées sur les marches qui conduisent à la basilique de Saint-Pierre, aujourd'hui reléguées Porliail de Paolo Romano. D'après la gravure publiée par Wibari.i I. Les Ails à la cour des Papes, t. I. — Burtolotti : Ktfi'itoiiiiiii Jûr KiiitstieisseiischaJI , 1881, p. 426 ctsuiv., et Archivio... tklla cilla e provincia di Roiiia, t. IV, p. 291-317. PAOLO KoMAXO. 377 dans la sacristie. Les piédestaux de ces deux statues offrent, si je ne me trompe, la solution d'un problème qui a fort embarrassé les historiens mo- dernes. ^'asari raconte que, Paolo ayant reçu une commande du pape Pie IT, un certain Mino del Rcame, jaloux Je l'artiste romain, lui offrit de parier mille ducats qu'il ferait une statue de Saint Paul meilleure que la sienne : il espérait que Paolo , homme modeste et doux, soucieux avant tout de son repos, n'accepterait pas le défi. Mais Paolo releva le yant et triompha, au ju- gement de tous les con- naisseurs. Cette statue de Saint Paul, ajoute Vasari, est identique à celle qui orne aujourd'hui le pont Saint-Ange. — Or, si les deux statues de la sacris- tie de Saint-Pierre sont bien de la même main, il n'en est nullement ainsi des piédestaux : sur la statue de Saint Paul, les anges vêtus qui supportent les armoiries de Pie II se distinguent par un style fin et cadencé, se rappro- chant de celui de certains Florentins, tels que Mino de Fiesole; sur la statue de Saint Pierre, au contraire, ces anges, transformés en génies nus et inspirés de l'antique, trahissent une main plus rude et une ficture plus large. Ne serait-ce pas sur ces figures accessoires qu'aurait poi'té le défi de Mino del Reame? Je dois ajouter que les deux statues réunissent une telle masse de défauts, que j'ai hésité longtemps à les attribuer à Paolo : l'une d'elles lève la tète par le mouvement le plus disgracieux; les draperies sont collantes à l'excès, d'un style mesquin et grossier, tandis que le Saint Paul placé slu" le pont Saint-Ange a de la noblesse, sinon de la grandeur. E. .Munlz. — I. lialie Les Primilils. 73 L'Espérance, par (Jiovanni Dalmala. (GroUes de Saint-Pierre de Rome.) 5-8 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Ce n'est pas la seule fois du reste que Paolo semble avoir accepté de prendre part à une de ces joutes artistiques : à l'église San Giacomo degli Spagnuoli, située près de la place Navone, la frise qui surmonte une des portes extérieures nous montre deux anges habillés qui voltigent en tenant un écusson : sur l'un est écrit Opus Paiili, sous l'autre Opiis Mini '. Le sculpteur romain s'essaya dans les sujets profanes aussi bien que dans les sujets religieux. Un poète contemporain célèbre son Ctipidon en marbre, portant l'arc, le carquois et une torche. Il est question, d'autre part, de deux bustes de Jeunes Filles que Paolo oifrit, en 1461, à Pie IL Les registres comptables de la cour pontificale nous permettent de revendi- quer en faveur de Paolo Romano.la statue de Saint André (^\^hJ), placée sous un élégant édicule près du Ponte Molle (gravée page ()7) : c'est à lui que les documents en font honneur, et non à Varrone et à Niccolo de Florence (con- fondu à tort par M. Milanesi avec Niccolo Baroncelli), dont Vasari avait mis les noms en avant. L'œuvre est correcte et pure, mais froide. Sous le pape Paul II, Paolo Romano sculpta le tombeau du cardinal Sca- rampi, à San Lorenzo in Damaso, et l'autel de Sainte-Agnès hors les Murs '. Rien ne saurait montrer plus clairement que l'exemple de Paolo à quoi abou- tissait l'imitation de l'antique là où le génie faisait détaut. Vasari attribue une fois à Niccolo délia Guardia et à Pietro Paolo de Todi, élèves de Paolo Romano, une autre fois à Pasquino da Montepulciano et à Bernardo Ciuflagni, le tombeau du pape Pie II à Sant' Andréa délia Valle". Niccolo di Guardiagrele, célèbre sculpteur et orfèvre des Abruzzes*, travaillait effectivement à Rome, en 1 45 1 , époque à laquelle il cisela pour le Latran une croix processionnelle. Pasquino da Montepulciano (-[■ 1404) fut, on l'a vu, un des collaborateurs de Filarete. Quant à Pietro Paolo de Todi, j'ignore si quelque lien le rattache soit à Pietro Paolo degli Antonii, de Rome, soit à Pietro Paolo Cortese (f 1400), qui tous deux jouissaient d'une certaine répu- tation vers cette époque. A partir du pontificat de Paul II, les sculpteurs de la haute Italie commen- cent à tenir tète, dans la \'illc éternelle, aux sculpteurs toscans. Le maître pré- féré par ce pape, peut-être en raison de la perfection technique qu'il savait donner à ses fontes, fut Bellano ou \'elIano de Padoue, qui exécuta pour lui son 1. Li;t.irouilly, Edifices de Rouie iitoderiie, pi. 2.S4. 2. On plaçait sous le nom de Paolo Romano, jusqu'à ces dL-rnières années, le has-reliel funéraire de Robert Malatesta, au Musée du Louvre (gravé p. I2q). Mais les documents décou- verts par M. Bertolotti établissent que Paolo Romano était mort quelque douze ans avant le personnage dont il était censé avoir sculpté le mausolée. Le marbre du Louvre rentre donc, jusqu'à nouvel ordre, dans la catégorie des anonymes. — Cf. Courajod, lii SUitiie de Roheit Mcilaleslii. Paris, Champion, i8(S3 (extr. de la Ga:;etle des Beaux-Aris). 3. Le Cabinet des Estampes de Dresde possède (Portefeuille I, n° 61) un dessin ancien, qui semble être une esquisse pour ce monument. Le catalogue en fait honneur à Pietro Paolo da Todi. 4. Voy. sa biographie dans les Aitisti cibni:(^esi de M. Bindi, p. iiju-11^4. LES SCULPTEURS DE NAPLES. ,179 buste, conservé de nos jours encore au palais de Saint-Marc, et sa statue égale- ment en bronze, exposée jusqu'à la Révolution sur une des places de Pérouse. On manque de détails sur les travaux d'un autre sculpteur, que nous aurons en outre à présenter au lecteur comme médailleur : Cristoforo di Geremia, l'auteur de l'admirable médaille d'Alphonse de Naples. Nous savons seulement qu'en 14O8 il répara la statue équestre de Marc Aurèle, alors exposée près du Latran, et qu'il reçut pour ce travail une somme de r^oo florins. Nul doute que des documents d'archives ne viennent restituer à ce maître une série d'ouvrages jusqu'ici anonymes et lui donner une place qui, si nous en jugeons par le mérite exceptionnel de ses médailles, sera des plus honorables. La cohésion qui distingue le groupe des sculpteurs fixés à Rome fait défltut à leurs émules de Naples : ici Lombards, Florentins, Ombriens, Napolitains, travaillèrent côte à côte sans confondre leurs efforts ni élaborer un idéal commun. Comme pour entretenir la diversité des manières, les Florentins expé- diaient sans cesse à Naples des monuments exécutés de toutes pièces sur les bords de l'Arno, et par conséquent empreints du plus pur style toscan. De cette anarchie viennent peut-être la liberté et la magnificence qui distinguent les mausolées, encore à moitié gothiques, de Ladislas, de Jeanne II et du séné- chal Caracciolo (voy. page m^), avec leur réalisme, la rudesse de leurs figures, mais aussi leur grande allure. L'histoire de la sculpture dans le royaume de Naples est encore à écrire. On a lu plus haut (pages 10O-120) les noms des principaux sculpteurs qui illus- trèrent les règnes de Ladislas, de sa sœur Jeanne II, d'Alphonse V d'Aragon, de Ferdinand et d'Alphonse II. En dehors des mausolées élevés par Andréa dl Nofrio de Florence et par l'énigmatique Andréa di Ciccione-, le monument de sculpture le plus important dont s'enorgueillisse la ville de Naples est l'arc de triomphe du Château Neuf, commencé vers 1455 et terminé quelque dix années plus tard (voy. page 112). La diversité des mains explique la diversité des manières, ce mélange de réalisme et de classicisme, ces guerriers trapus et rudes, alternant avec des ornements d'une rare délicatesse, des divinités fluviales, des dauphins, des sirènes, des hippocampes, des « putti » qui tiennent des festons, des griffons affrontés, comme sur le temple d'Antonin et Faustine. Souhaitons que cette page importante fixe enfin l'attention d'un critique capable de discerner les différents maîtres qui ont concouru à son exécution et de taire le départ entre les parties sèches ou pauvres et d'autres véritablement libres, fières et inspirées. Guglielmo lo Monaco, né en Ombrie, fixé à Naples (1452-1405), semble avoir tenu de l'ingénieur plutôt que de l'artiste (voy. page 1 14). Les portes de bronze dont il orna le Ch.iteau Neuf constituent peut-être des récits très 1. Gravés dans l'Expédition ih Charks VIII i-ii Italie, par M. François Delaborde (Paris, Didot, 188H, p. ton. (01), et ci-dessus, p. 117. 58o HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. exacts de la Guerre des Barons, mais l'artiste n'a pas su les élever au niveau de la grande sculpture d'histoire. Nous ferons connaissance dans le second volume avec d'autres sculpteurs occupés dans le royaume de Naples, Silvcstro Ariscola d'Aquila, Andréa dell' Aquila, Francesco Laurana, etc. De Naples, nous pouvons remonter presque d'une traite à Venise, en sui- vant l'itinéraire que nous avons adopté pour la première partie de ce travail : dans les Marches, la Romagne, l'Emilie, ou la sculpture n'a pas produit de monuments hors ligne, ou elle n'y a compté pour principaux représentants que des Florentins; de loin en loin un Lombard, presque jamais un maître indi- gène de quelque valeur. Réduite, dans la ville d'Urbin, à foire de la décora- tion, la sculpture rencontre, au temple des Malatestaà Rimini, un théâtre plus digne d'elle j mais ce sont des élèves de Donatello uniquement — Agostino di Duccio, Simone Ferrucci et Bernardo Ciuflagni — qui se vouent à la décora- tion de ce sanctuaire. C'est un Florentin également, Niccolo Baroncelli, qui préside aux destinées de la sculpture à Ferrare. Parme, Modène, peut-être aussi Faenza, ont reçu des visites plus ou moins courtes de Donatello. A Bologne, il nous taut foire halte un instant : l'histoire de la sculpture y est marquée par l'arrivée de deux étrangers qui tous deux y font époque : Jacopo délia Qiiercia, auquel nous venons de consacrer une notice développée, et Nic- colo de Bari, surnommé Niccolo dell' Arca (7 1404), dont nous nous occuperons dans notre second volume. Sans fondre en un tout harmonieux les efforts des nombreux sculpteurs de talent, Toscans ou autres, qui avaient cherché fortune dans la capitale de l'Emilie, l'atmosphère de Bologne donna du moins à leurs productions un certain caractère de réalisme, que l'on ne saurait méconnaître. Prenons les mausolées : les souvenirs personnels, les accents intimes, y tiennent plus de place que dans n'importe quelle autre ville. A côté de bas-reliefs équestres, d'une fière tournure, tels que celui d'Annibal Bentioglio (1458), par Niccolo deir Arca, à S. Giacomo Maggiorc, nous rencontrons une longue série de mausolées de professeurs, tous traités dans une donnée essentiellement vivante et pittoresque : d'ordinaire le « magister » y est représenté en chaire, ayant autour de lui ses élèves attentifs à sa parole et empressés à suivre ses explications sur les livres placés devant eux ou à les transcrire sur leurs cahiers. Constatons à ce sujet que le mausolée du professeur Nicolas Fava, dans la même église, ne saurait être de délia Quercia, comme on l'a prétendu; celui-ci, en eftet, était mort le 20 octobre I4.^'">, près d'un an avant Fava, qui mourut le 14 août 14.19. Les sculpteurs florentins, négligés par les Bolonais, prirent une brillante re- vanche à Ferrare; on s'y croirait dans un des faubourgs de Florence. Dès 1427, Cristoforo et son fils Antonio di Cristoforo sculptaient une statue destinée à la LES SCULPTEURS DE FERRARE. .î8i loge de la cathédrale. En 1440, le même Antonio assisté de Niccolo di Giovanni Baroncelli y entreprit la fonte de la statue équestre du marquis Nicohis d'Esté : Antonio fit le cavalier et Niccolo le cheval. Mis en place en 14.^1, cet ouvrage fut transporté en 1472 près de l'entrée principale du château de Ferrarc; il fut détruit en 1496. Ces deux maîtres avaient pour collaborateurs Baccio de Netti et Meo di Cecco (Meo del Caprina?). En 14.^1, Baroncelli commença la sta- tue de Borso, qu'il repré- senta assis entre quatre gé- nies ailés tenant l'écu d'Esté; la statue, en bronze doré, avait pour piédestal une grosse colonne de marbre. Installé en 14.^4 sur une place de Ferra re, cet ou- vrage partagea le sort de la statue équestre du marquis Nicolas et périt en 1796. Une gravure ancienne pu- bliée par M. Heiss nous en f;tit connaître l'arrangement général. Baroncelli étant mort au mois d'octobre 14,^.1, avant la mise en place, son fils Giovanni, son gendre Domenico di Paris, de Padoue, Meo di Cecco, Niccolo de Florence, Giovanni de France et deux autres terminèrent la statue. Mieux partagées, les statues en bron;^e du maître autel de la cathédrale (145.I- 1466), le Christ enire la Vierge et Saint Jean, Saint Georges et SainI Manrelins', permettent d'apprécier aujourd'hui encore le mérite de Baroncelli, de son fils et de son gendre : leurs personnages sont correctement drapés, mais manquent de souffle. On rencontre encore à Ferrare les sculpteurs Domenico, Luca di Giacomo, Paolo di Luca, Sandro di Bartolo, tous de Florence. Parmi les ouvrages des ,\rtistes indigènes, accordons une mention au Calvaire en terre cuite polychrome, le Mortorio, comme disent les Italiens, modelé en 1458 par Lodovico Castellani pour la cathédrale. I. .\ntonelli, Leiteia... sopru le statue tli hroii;^o csisleuti ncUit cnttedralc di Ferrara. Bologne. 18-14. — Heiss, les MMiiilleiirs île la Renaissaïuv; Niccolo, p. 7-y, avec gravures. 50UEGENTI5HAIilBALWCS)TV4e.T , ,TiinMf;MPOV-J';'^AeX^'BiiET;lîAh\'M [t ('■-■0=>/GOSCIVtSR£;;riTVITVATaî f ? 'v;,'s incRA"E SŒLEK>>TA .^«..K ftatMPTt; ■EU t-rafTW SVM^T FACTlûSVT'ai'lVM Bas-relief équestre J'.\nnibal Benlivûglio m.-.;;;. par Niccolo deU' Arca. (Egli.se S. Giacomo .Maa^oriore à Boloofne.) .S82 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. A Venise, le style gothique resplendissait encore de vigueur et de grâce, lorsque In Renaissance vint 5- mêler un élément de trouble et de décadence irré- médiable, la Renaissance réduite, devant cette civilisation si artificielle et si into- lérante, à s'introduire subrepticement, au lieu de s'imposer par un coup d'éclat, comme celui qu'avait frappé Donatello à Padouc. Puis, lorsqu'il leur fut impos- sible de se soustraire à l'empire des idées nouvelles, les Vénitiens essayèrent de voler de leurs propres ailes, sans subir aveuglément, à l'instar des Padouans et des ^'éronais, le joug florentin : ils prirent de préférence pour modèles, et en cela ils suivirent une inspiration heureuse, les sculptures grecques, à commen- cer par les Chevaux de hnvi:^' placés sur la basilique de Saint-Marc; d'autre part, et en cela ils commirent une grave erreur, la richesse et plus encore la complication leur parurent préférables à la simplicité ainsi qu'à la logique im- placable des Florentins. Il arrive sans cesse que des ouvrages qui devraient rentrer dans le cadre de notre travail en tant que chronologie, nous échappent par leur style, étranger à toute notion de Renaissance. Cette exclusion est doublement regrettable en ce qui touche les charmants bas-reliefs sculptés, au début du quinzième siècle, sur les chapiteaux du palais ducal. Rien de plus frais ni de plus fin que ces scènes encore tout enveloppées de la poésie mystique du moyen âge, quoique les sou- venirs de l'antiquité commencent à se faire jour dans le choix des sujets : la Chastdc de Seipioii, la Justice de Tiajan, la Libcnililé de Kiniui Poiiipilius envers les Églises, s'y développent à côté de V Adoration des Mages; les portraits de Cicéron, de Pythagore, de Priscieii, d'Aristote, à'Euclide, de Piohinée, à côté des représen- tants des différentes races, telles que les concevait cette époque'. Le style de transition s'incarne dans la famille Bon ou Buon : Giovanni et ses fils Bartolommeo et Pantaleone (voy. page 41^0). Le principal ouvrage des Bon est la « Porta délia Carta » (ainsi appelée parce que l'on y afiichait les décrets publics) ou « Porta dorata », au Palais ducal. Commencé en I4.''f^, ce monument fameux semble n'avoir été terminé qu'a- près 1463. Encore aux trois quarts gothique (fenêtre ogivale à sept lobes, colonnettes torses, clochetons), rien n'y manque de ce qui caractérise les tradi- tions dans lesquelles Bon avait été élevé. On remarque surtout, non sans un sentiment de regret, le disgracieux baldaquin au sommet duquel l'artiste a placé une statue de l'eiiise ou de la Justice, qui l'écrase complètement. Quatre statues de J'ertus, debout dans des niches, des génies nus tenant un écusson, d'autres génies grimpant le long du feuillage qui garnit le baldaquin, un Saint Marc à mi-corps dans un médaillon soutenu par deux Victoire volant (imita- tion de l'antiquité), enfin la statue de J'enise, trônant dans le haut, le glaive dans une main, la balance dans l'autre, entre deux lions, telles sont les figures qui forment la décoration riche, mais nullement exubérante, de la « Porta délia 1. Vov. les Aiiiuili's arelh'otogiqihs Je Didroii, t. X\'I1, p. 84-85, 2o5. LES SCULPTEURS VENITIENS. 583 Carta'». « Les figures, déclare Perkins, y sont trapues, drapées classiquement. 'A.^- ". =a- = _s= J» "îr ■V^i'^J? , La Cl Porta délia Caila » (restaurée), au Palais Jucal de Venise. I. Le bas-relief qui représente un doge Ligenouillé devant le lion de s.iint Marc a été ajouté il y a peu d'années seulement. .584 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. mais avec lourdeur, et manquent complètement de l'élégance que réclamait le le caractère de rarchitecture. Froides, sans individualité aucune, il est impos- sible d'y retrouver la moindre trace de la main qui a exécuté, de l'esprit qui a conçu les sculptures du Palais ducal, si justement renommées. » Dans les tombeaux, la tradition du moyen âge se maintint plus longtemps que partout ailleurs : d'après Perkins, l'habitude de les couronner par la statue équestre du défunt tut en telle vogue, que l'on désigna les tombeaux ainsi déco- rés sous le nom de « alla veneziana ». (Le savant auteur des Sculpteurs italiens qualifie cet usage d' « absurde » : je. me permettrai d'émettre un avis diamé- tralement opposé.) Puis ce sont des accumulations bizarres de statues placées debout ou assises, de cariatides pliées en deux, comme dans le tombeau du doge J. Marcello (f 140.^), aux Frari, d'allégories prétentieuses, comme dans le tom- beau du doge N. Tron (f 1472), aux Frari, qu'Antonio Riccio décora de dix-neuf statues plus grandes que nature et d'une infinité de bas-reliefs. Alors même que les Florentins se mettent de la partie, ils se voient forcés de compter avec les scrupules de leurs commettants : ceci nous explique pourquoi deux sculpteurs, d'ailleurs médiocres, Pietro di Niccolô de Florence et Giovanni di Martino de Fiesole, conservèrent une telle quantité d'éléments gothiques dans le mausolée du doge Mocenigo (-j- 142.-5), à SS. Giovanni et Paolo, ouvrage indécis, sans accent. Le mausolée du doge F. Foscari (y 1457), aux Frari, fut, d'après Perkins, le premier spécimen important du stvle de la Renaissance à Venise. Le chef-d'œuvre d'Antonio Bregno surnommé Riccio, de Vérone, les sta- tues iïAilaiii et lïEir, placées dans les niches qui tont face à l'escalier des Géants, au Palais ducal (exécutées en \4>>-, mais mises en place en 1471 seule- ment), marquent une nouvelle évolution de la sculpture vénitienne : l'artiste véronais s'y attaqua hardiment au nu. Mais la véritable rénovation de la sculpture vénitienne date de l'arrivée de Verrocchio (1471)) et de ses travaux pour le modelage et la tonte de la statue équestre du Collcone. C'est là le moment auquel nous reprendrons, dans notre prochain volume, les annales de la sculpture vénitienne. En dehors de \'enise, depuis Padoue jusqu'à Milan, la sculpture sommeillait, presque sans avoir vécu, lorsque l'arrivée de Donatello, en 1444, fit courir dans ses membres engourdis un fluide magique. La dette contractée envers les Flo- rentins par les architectes et les peintres de la Lombardie peut paraître légère au prix de ce que leur doivent les sculpteurs de la même région : sans eux leur vocation se serait-elle jamais révélée? A Padoue le nom de Donatello, qui passa près de dix ans (i 444-1 453) dans cette cité vénérable, rayonnant de là dans les provinces voisines, éclipse tous les autres. La statue de Gatlainclata, les bronzes de la basilique de Saint-Antoine, fixèrent rapidement l'attention de tous les artistes de la haute ItaHe, les ébloui- LES SCULPTEURS PADOUANS ET VERONAIS. 5R5 rtiit, les fascintrcnt. A coté du niaitrc, plusieurs de ses disciples réussirent à se créer une situ:iticiii distincte : Giovanni de Pise modela pour une chapelle des Eremitani des reliefs en terre cuite, la Fit'i\^f et des Saints. De même que Padoue, ^'érone se rangea rapidement sous la bannière de Donatello et s'appliqua, avec plus d'ardeur certainement que les compatriotes mêmes du sculpteur florentin, à développer plusieurs points de sa doctrine. A ce stvle heurté, à ces attitudes prétentieuses, à l'abondance des réminiscences antiques, on reconnaît sans peine les leçons du maître vieillissant. Mais, si bon nombre d'ouvrages de la dernière période de Donatello ne se soutenaient que grâce à leur verve extraordinaire, que devait-il rester, ce facteur supprimé? Des pages maniérées et incohérentes, des gestes désordonnés, des corps sans âme. En attendant l'arrivée même du maître, ces défliuts furent révélés aux Véro- nais par son disciple Giovanni di Bartolo, surnommé il Rosso, dans l'étrange tombeau des Brenzoni (f 1420) à S. Fermo Maggiore, avec la Résurrection du Cljrist, traitée dans le stvle le plus tourmenté et le plus déclamatoire. Il n'est guère de composition de ce genre qui s'éloigne davantage de la pondération dont les Florentins s'étaient faits les champions. Du moins cet exemple pernicieux ne détourna-t-il pas de sa voie l'auteur de l'important monument de Sarego .(f 14.32), à Santa Anastasia : si le cheval qui porte ce guerrier rappelle les chevaux de bronze de Venise, et a peut-être attiré les regards de Donatello, à l'époque où celui-ci préparait sa statue équestre de Gattamelata, le reste du monument a une originalité et une saveur que l'on ne méconnaîtra pas : deux hommes armés, et non plus deux anges, écartent les coins du rideau qui encadre la scène. On dirait un dernier écho des mausolées grandioses élevés aux Scaliger. Donatello ayant travaillé de préférence le bronze pendant la dernière partie de sa carrière, les Véronais, aussi bien que les Padouans, auraient cru déchoir en ne cultivant pas exlusivement ce procédé : ils y atteignirent à une grande perfection technique, et ce n'est pas assurément offenser la mémoire des \'el- lano et des Riccio, avec lesquels nous ferons connaissance dans notre prochain volume, que de mettre sur le compte de leur habileté comme fondeurs l'admi- ration que leurs bronzes excitent de nos jours encore. Dans la Lombardie proprement dite, l'histoire de la sculpture est d'une pau- vreté insigne jusque vers le dernier tiers du quinzième siècle. Tandis qu'ailleurs les sculpteurs précèdent les peintres, ici ils semblent les suivre : les Besozzo, les Pisanello, les Stefano da Zevio, les Squarcione, les Mantegna, avaient depuis long- temps dit leur dernier mot, lorsque le groupe des sculpteurs de la Chartreuse de Pavie fît son apparition. C'est que la sculpture exigeait une autre préparation que la peinture, une science plus complète, plus de maturité. Jacopino da Tradate, connu surtout par la statue du Pape Martin J' (repro- duite ci-dessus, page 04), travaillait pour le dôme de Milan dès 1410 : il y EMiintz. — I. Italie. I-es Piiiiiitils. 7^ 586 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. exécuta en I4i5 une demi-figure en bronze de Dieu le Père ; on lui fait en outre honneur du tombeau de Pietro Torello (f I4i'>), à S. Eustorgio. Plus tard on le trouve à Mantoue, où il mourut en 144(1. C'était, si nous en jugeons par sa statue du Pape, un talent vigoureux, sinon très pur, nourri dans la meilleure tradition gothique, et sachant traiter les draperies avec tous les raffinements propres à cette Ecole '. Sans l'impulsion de Donatello, de Michelozzo, qui travailla à Milan à partir de 14.^'), et de Mantegna, dont l'infîuence fut aussi grande sur les sculpteurs que sur les peintres, l'École lombarde aurait pu tarder longtemps encore à prendre son essor. L'action de ces maîtres était d'ailleurs contrariée plutôt que secondée par les infiltrations germaniques, avec lesquelles l'historien des arts a plus d'une fois à compter dans ces parages. N'oublions pas que, les modèles antiques étant fort rares en Lombardie (voy. page 176), les artistes indigènes ne pouvaient qu'exceptionnellement remonter à la source première de la Renais- sance. Perkins a mis en lumière les points de contact entre les sculpteurs lom- bards et les peintres de l'iicole des Van Eyck : chez les uns et les autres, dit-il, même tendance accusée vers le réalisme, même indifférence quant à la beauté de la forme, de l'anatomie, même tendance à exagérer la longueur des membres et l'intensité de l'expression. Parmi les sculpteurs lombards qui ont marqué à l'époque de la Première Renaissance, Omodeo (1447-1522), Tommaso Rodari (f i."^20), Cristoforo Solari (-{-après i525), Tommaso da Cozzanigo, Bcnedetto Briosco(i 470-1 53 2), Caradosso (-[■ 1527), Andréa Fusina (vivait encore en i5i7), Andréa Bregno (v i5i>6), la plupart sont à cheval sur le quinzième et le seizième siècle et nous échappent par la date de leurs travaux. Seuls les frères Mantegazza rentrent, du moins par leurs débuts, dans le cadre du présent volume. Nous préférons néan- moins les étudier dans le volume suivant, pour ne pas scinder l'histoire d'une École somme toute si originale et si homogène. I. C.ilvi, .V(i//^/i'.... il,-i pn'ihipiili Aiihitetli, Scultori e Pitlori clic fioriroiw in Milaiio..., t. I, p. 1,35 et suiv., t. III, p. 20- Milan, if!5Q. — Perkins, les Sciilplcnrs italiens, t. II, p. 1.35- 1.17. ^^Sii. Génies tenant raigle des Montefeltro. (Cheminée du Palais ducal à Urbin.) l"lQ7 tours de force trop appréciés, à mon avis, de notre époque. Ce qui constitue en effet la grande supériorité des peintures du quinzième siècle, c'est leur clarté, leur limpidité et leur loyauté. Point de subterfuges, point d'escamotage. Si leurs auteurs ne savent pas encore distribuer leurs masses avec la même ha- bileté que leurs succes- seurs du siècle suivant, les noyer dans des effets de clair -obscur, en re- vanche quelle solidité dans leurs tableaux! On pour- rait y découper n'importe quel accessoire, détacher un vase, un tapis, une étoffe brochée, un poi- gnard : il garderait toute l'apparence de la réalité. Plus tard au contraire ces objets n'existeront que par juxtaposition; ôtez-les du tableau, vous n'aurez plus rien, ou bien regardez-les de près, vous n'apercevrez plus que quelques coups de pinceau , sans forme déterminée. La simplicité des cadres contraste avec la richesse du coloris. Dans l'enca- drement des retables, aussi bien que dans le plan des églises ou des palais, on s'attache aux formes les plus élémentaires, le carré, et plus fréquemment en- core le rectangle. Les ca- dres compliqués à pignons et .1 pinacles, coupant la composition en une infinité de morceaux, ont fait leur temps. Les volets mêmes disparaissent de plus en plus : le grand triptyque de Mantegna, dans l'église Saint-Zénon à \'érone, peut déjà passer pour une exception. Par contre, sous les tableaux d'ordinaire plus larges que hauts, la « predella » continue à se développer; semblable au Madone de Carlo Crivelli. (Musée du Lalran à Rome.) .îgS HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. commentaire placé au bas d'un texte, elle a pour mission de compléter le sujet principal par des épisodes. Parfois une lunette, qui a pris la place du pignon gothique, couronne le tout. Cette observation ne s'applique pas aux bordures peintes, qui affectèrent souvent une extrême magnificence (fresques de Fra Filippo Lippi, au dôme de Prato, de Ghirlandajo et de Filippino Lippi, de Pinturicchio, de Borgognone). .Au Campo Santo de Pise et à ]'« Opéra del duomo » dans la même ville, les bordures se composent de rinceaiix et de génies tenant des médaillons du milieu desquels surgissent des figures à mi-corps. Des conquêtes multiples faites par la peinture du quinzième siècle, aucune n'a eu l'importance de la perspective. Cette science permit, en disposant les figures sur plusieurs plans, de créer l'ordonnance, qui se développa surtout au seizième siècle par les efforts de Raphaël; elle donna en outre naissance au paysage, à peine entrevu par Giotto et son École (voy. page 2H-). Les quattro- centistes montrèrent un tel engouement pour la merveilleuse invention de Bru- nellesco (voy. page 292), qu'ils créèrent la profession spéciale de « prospetti- vista » (perspecteur), qui n'a cessé depuis lors de compter de nombreuses recrues. Jusqu'en plein seizième siècle, les motifs de perspective fournirent la matière des incrustations en bois de couleur, que cultivaient tant d'.u'tistes distingués. Mantegna, nous l'avons dit, abusa parfois de cette science, qu'il enrichit d'une découverte capitale, l'art de fiire plafonner les figures. Il s'en fallait que la science de l'ordonnance fût aussi avancée. Malgré tant d'efforts et tant de progrès, il subsistait chez les Primitifs un fonds considé- rable de naïveté, pour ne pas dire d'ignorance. Prenons, au Musée des Offices, un tableau de Fra Angelico (n" 1 294) : les personnages y sont plus grands que les maisons; ces maisons mêmes laissent passer par une fenêtre du premier étage une tête dont le possesseur, s'il était seulement assis, percerait de ses genoux le platond et dont les pieds, s'il était debout, toucheraient presque le sol du rez-de-chaussée; le Fra était plus familiarisé avec les mvstères divins, il connaissait mieux le paradis que cette vallée de misères. Ces fautes de proportion proviennent de l'antiquité, sur laquelle il est juste, une fois par exception, de faire peser quelque responsabilité; dans les peintures pompéiennes, par exemple, on remarque des figures les unes dix fois plus petites que les autres; de même dans certains sarcophages, tel que celui de sainte Agnès, près de Rome, où le sculpteur a employé trois dimensions différentes. Ht cependant c'est le sentiment pittoresque, par opposition au sentiment sculp- tural, qui a donné naissance à ces amoncellements. Les critiques que nous avons adressées à la sculpture du quinzième siècle s'appliquent en majeure partie à la peinture contemporaine. Les Primitifs ne savent qu'impartaitement représenter le nu'. J'ignore ce que pouvait être la I . Voy. p. 2u\. LA PRÉPARATION DES TABLEAUX. Se/) Chiiritc peinte, sans vêtement aucim, par Andréa del Castagno sur la porte du palais du ^'icaire de la « Scarperia » : elle a disparu depuis longtemps. Mais assez d'autres ouvrages contemporains nous répondent: s'agit-il d'elîets anatomiques, pour lesquels l'observation de la réalité suifit : oh ! les tours de force ne man- quent pas. Prenons les académies de Jacopo Bellini dans le recueil récemment acquis par le Louvre : nous y voyons (fol. q.^ verso) un homme nu (à l'excep- tion des pieds que recouvrent des brodequins), appuyé sur une balustrade, dans l'attitude d'un modèle posant dans un atelier. L'artiste }' semble complètement familiarisé avec les proportions, et, dans une certaine mesure aussi, avec le jeu des muscles; la précision des détails n'exclut d'ailleurs pas l'élégance de l'en- semble. Il y a plus de puissance dans le dessin, X la fois admirable et horrible, représentant un cadavre en décomposition (fol. i3). Cette page magistrale est digne de prendre place à côté d'un des chefs-d'œuvre de Holbein, le Christ mort, du musée de Bâie. De même Piero délia Francesca, dans la Mort ifAdani, dont un fragment a été reproduit ci-dessus (page 233), sait décomposer avec une netteté parfaite les diiférentes parties de la figure humaine et mettre en jeu le système musculaire. Mais demandez-leur de s'élever d'un degré et de peindre, non plus seulement une figure vraie, mais une figure belle. Quelle épreuve pour eux! Dans ce même cycle d'Arezzo, Piero délia Francesca, en voulant peindre un Cupidon nu, les }eux bandés, lançant un javelot, n'a réussi qu'à créer une figure timide, embarrassée, au modelé essentiellement rond et sommaire. Ici comme pour tant d'autres parties de la peinture, l'atfranchissement définitif viendra de Mantegna. La Madone avec l'Enfant reste, comme par le passé, le tableau de dévotion par excellence : autant dire le pivot même de la peinture sur panneau. Mais le cadre s'élargit : autour de la mère et du fils prennent place, qu'ils aient vécu ou non aux temps apostoliques, les saints auxquels les donateurs ont une vénéra- tion particulière; debout aux côtés du couple divin, ils viennent former une réunion idéale, imc Stuita coiivcrsa:^ioiic, comme disent les Italiens, scènes calmes de leur nature, admettant un fond de paysage, et convenant à merveille au tempérament des Primitifs : de là leur succès à Venise aussi bien qu'à Florence, chez les Bolonais aussi bien que chez les Lombards. Parfois la Vierge est rem- placée par un saint, comme dans les beaux tableaux du Borgognone, à la Chartreuse de Pavie. La préparation d'un tableau passait d'ordinaire par les mêmes étapes qu'au- jourd'hui : elle avait pour préliminaires des esquisses destinées à fixer la phy- sionomie et les attitudes des différents personnages, puis le carton, dont on transportait les contours sur le panneau ou la toile, à l'aide d'un poncis. Lorsqu'il s'agissait de compositions considérables, on les mettait au carreau. Ce procédé est décrit connue suit par Alberti : « Je tends sur un cadre lui voile de 6oo HISTOIRi: DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. til très tin et tisse très lâche, de n'importe quelle couleur, divisé en carrés éyaux parallèles au cadre par des lils plus gros; je l'interpose entre mon œil et ce que je veux représenter, de façon à ce que Li p\ramide visuelle pénètre au travers du voile par l'écartement des fils Le premier avantage sera de pouvoir établir à des places certaines, sur le tableau qu'on exécute, la position des con- tours et les limites des superficies. En efliet, considérant que le h'ont tient en lel carré, le nez dans celui en dessous, les joues dans les plus voisins, le men- ton dans le pkis bas et ainsi de suite pour toutes les parties, chacune à sa place, tu peux colloquer de nouveau ces parties sur le tableau ou sur la paroi, dans les divisions parallèles préalablement établies'. » Parmi les procédés de dessin empknés de son temps, Cennino Cennini men- tionne le charbon (« carbone »), la mine de plomb (« stile di piombo »), la mine d'argent (« stile di argento »), la plume (« penna ■>), la pierre de Pié- mont ou pierre d'Italie (« una pietra la quale è di natuia di carbon da dise- gnare »), l'aquarelle, ces divers procédés s'appliquant toiu' A toiu' au parche- min, ou à toutes sortes de papiers préparés. Si nous examinons les dessins eux-mêmes, nous relevons successivement es procédés suivants : mine d'argent, plume, gouache, gouache avec des tons bleus, brims, noirs et blancs sur papier verd.itre (dessin de Taddeo Gaddi, au Louvre); plume, lavé de bistre; dessin lavé et rehaussé de blanc (Fra Angelict)); mine d'argent avec des rehauts blancs (Fra Filippo Lippi); plume lavé de bistre (Mantegna) ; pierre noire avec des rehauts blancs (Lorenzo di Credi); pierre noire, crayon noir et blanc, cra\'on rouge, noir et blanc (Signorelli). Quant à la sanguine, elle ne tait son apparition que vers la lin du qLiinzième ou le commencement du seizième siècle: pour les Primitits, le procédé eut paru trop expéditif encore. Les fac-similés qui accompagnent ce vokmie prouvent avec quelle virtuosité certains maîtres savaient traiter leiu's dessins : dans les études d'animaux de Pisanello, dans les tètes d'adolescents et de vieillards de Loreiizo di Credi, dans les études de tètes ou de draperies de G. Peselli ou de Pesellino et de D. Ghirlandajo, la sobriété des moyens n'a d'égale que la sûreté de la tacture et la vi\acité de l'expression. Les \'énitiens apportent, cela va sans dire, plus de moelleux dans lein- lacture : Giovanni Bellini cependant n'a rien à enxier aux Florentins pour la précision des tormes. Il ne manquait pas de maîtres qui cultivaient dès lors le dessin pom' lui- même, comme un genre distinct, et non plus seulement connne im moyen de piéparer ime peinture. Dans ses études de tètes, Lorenzo di Credi n'a certai- nement pas eu d'autre ambition que de produire tin dessin aussi partait que possible : il nous y otfre une œuvre définitive, et non une esquisse, non un acheminement. 1. De lu t)laliici-l lA' Ut l'i-inluic, tr.id. Claudius l'oixtiii, i\ 140141. Étude pour un Apôtre. Fac-similé d'un dessin de Jean Bellin. (Musée des Offices.I LES PROCEDES DE DESSIN. 6oi Les quattrocentistcs ont connu toutes les formes de la peinture : la fresque, la peinture « a tempera » (à la colle et à l'œut), le graffitc; puis, à partir du milieu du siècle, la peinture à l'huile proprement dite, .wec le vernis siccatif. Ils veillaient avec un soin extrême à la préparation des couleurs, qu'ils faisaient broyer (« macinare ») sous leurs j-eux par leurs apprentis, au lieu de les acheter en tubes, comme l'on fait aujourd'hui. Les peintures en camaïeu (les Italiens disent « chiaro oscuro », clair-obscur), c'est-à-dire les peintures dans lesquelles une couleur unique, tour à tour claire ou foncée, produit par ses dégradations le dessin et le modelé, séduisirent quelques artistes, entre autres Paolo Uccello, qui se servit de préférence de terre verte, par exemple dans ses fameuses fresques du cloître vert de Sainte- Marie Nouvelle. Mantegna affectionnait une gamme qui, sans être absolument monochrome, était comme assourdie. On compte également quelques grisailles. Cependant la peinture noble, la peinture virile (on se rappelle le mot flétris- sant de Michel-Ange pour la peinture à l'huile), la peinture par excellence, c'est la fresque monumentale, procédé qui exige à la fois de la netteté et de la déci- sion. Point d'artiste supérieur qui n'y ait laissé son œuvre maîtresse, depuis Masaccio jusqu'à Signorelli; point de cycle fameux, depuis la chapelle des Brancacci au Carminé et la chapelle Sixtine jusqu'au Campo Santo de Pise, jusqu'au chœur de Sainte-Marie Nouvelle, qui ne lui doive sa réputation. La peinture « a tempera » et la peinture à l'huile étaient d'ordinaire réservées aux retables et aux tableaux de chevalet et s'appliquaient, sauf de rares excep- tions, sur des panneaux recouverts d'une couche depl.'ure. Je n'essaverai pas ici de retracer l'histoire, encore fort obscure, des débuts de la peinture à l'huile. Il suffira de rappeler que, les Flamands et les quelques Italiens qui les imitèrent, à commencer par Antonello de Messine, portèrent ce procédé à sa perfection. Leurs tableaux sont frais et brillants comme s'ils venaient de quitter le chevalet. L'encaustique ou peinture à la cire semble avoir été également connue des ar- tistes du quinzième siècle. Dès le siècle précédent, Buffalmacco,'au Campo Santo de Pise, appliquait ses peintures sur une couche de cire de l'épaisseur d'envi- ron une demi-ligne et fixait, selon toutes les apparences, cette cire avec une huile volatile sur un léger enduit composé d'une substance tenace soluble dans l'eau et colorée en jaune. L'or des peintures de Benozzo Gozzoli, au même Campo Santo, séparé des tonds par immersion dans l'eau bouillante distillée, laisse apparaître des pellicules de cire à la surface. M""' Merrifîeld ' cite, comme passant pour être peint à la cire, un Martyre de saint Simon le Jeune, par Andréa Mantegna (ancienne collection \'allardi à Milan). « La peinture, dit-elle, est parfoite, les couleurs claires et la touche aiguë; les ombres sont très épaisses, I. Original Ticatiscs on the Art of Paiuliiig, t. 1, p. xcvi et suiv. Londres, 1849. Voy. sur- tout Gros et Hcnrj-, l'Encaustique et les autres procédés de Peinture clie^ les anciens, p. 60. Paris, Rouam, i8t?^. E. -Miinlz. — I. Italie. Les Primilifs. 76 6l)2 IIIftTOlRi: DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. mais la peinture présente des raies comme si elle avait été touchée par quelque chose qui ait troublé la surExce. On dit pourtant que jamais elle n'a été réparée et que rauthenticité est indubitable » Les Primitifs pouvaient se flatter d'exceller à la tois dans des tableaux de chevalet, dont le fini n'a rien à envier à une miniature, et dans de grandes fresques monumentales, de nous avoir légué, à côté de vastes cycles tels que ceux du Carminé et de Santa Maria Novella à Florence, du Campo Santo à Pise, du palais de Schifimoja à Ferrare, de l'église des Eremitani à Padoue, des merveilles qui demandent à être étudiées à la loupe, — la Criicifixioii de Man- tegna, au Musée des Offices, — d'avoir su faire grand et large comme les Florentins, moelleux comme les Milanais, serré comme les Padouans, vibrant comme les Vénitiens. L'autorité et la vigueur de l'Ecole florentine de sculpture avaient imposé un style à peu près uniforme à toutes les parties de la Péninsule. En peinture, nulle dictature de ce genre : le nombre des Écoles égale, ou peu s'en fluit, celui des provinces : les Toscans, les Ombriens, les Ferrarais, les Vénitiens, les Padouans, les Lombards, entrent tour à tour en scène, révélant chacun des qualités distinctes. Ce n'est pas que les progrès réalisés par les Toscans ne s'imposent pas aux provinces voisines; mais du moins celles-ci les mélangent à une telle quantité d'éléments indigènes, que leur autonomie n'en est pas compromise. Oiseau et gerbe de ble ll'raymenll. Purles de GhiberU. Le Triomphe d'une Nymphe. D'après une gravure du Songe de Polyphilc (i499)- CHAPITRE II L ECOLE FLORENTINE. LES NOVATEURS. MASOLINO ET MASACCIO. PAOLO LCCELLO ET ANDREA DEL CASTAGNO. PIERO DELLA FRANCESCA. l'ÉCOLE LOMBARDE. PISANELLO. LE SaUARCIONE ET JACOPO BELLINI. abitués à "imposer leurs lois pour l.i sculpture, les Flo- rentins se virent plus d'une fois réduits pour ht peinture .'i subir celles de leurs rivaux : je gagerais que, lorsqu'un Gentile da Fabriano ou un Mantegna paraissait dans leur ville, les plus présomptueux s'inclinaient jusqu'à terre. Rien d'intéressant comme ces pénétrations réciproques, cet échange incessant où le même artiste figurait tour à tour comme débiteur et comme créancier. Au début du quinzième siècle, l'idéalisme ne compte plus que peu de fidèles à Florence, et il faut nous en féliciter; car sans les efforts des réalistes la pein- ture italienne eût-elle 'fait de si rapides progrès! Voici d'abord le camp des perspectivistes : Brunellesco et Masaccio, qui s'exercent à représenter les édi- fices les plus compliqués; Paolo Uccello, dont le nom dit tout; Andréa del Castagno, qui dans sa Prcseiilatioii de la Vierge au Temple, à Santa Maria Nuova, figure un temple octogonal d'une perspective achevée, avec des effets d'ombre des plus remarquables. fo4 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Masolino, Masaccio et Andréa del Castagno n'appréciaient pas moins quelque bel effet de raccourci. Gentile da Fabriano lui-même se laissa séduire par ces préoccupations lors de son séjour à Florence : dans la Prcscnlalion an Temple conservée au Louvre, il a pris à tâche de figurer un mendiant dans l'attitude la moins commode. Il vient de loin, le brave peintre ombrien; il a beaucoup à oublier et plus encore à apprendre; n'importe, il faut lui savoir gré de son eiîbrt. Quelle effervescence! tous les mo^yens paraissent bons aux novateurs; c'est à qui inventera un geste, un effet de perspective, ou de coloris ou de lumière nouveau, et de tant de progrès aucun ne sera perdu dans ce milieu surchauffé; chaque conquête taite sur l'inconnu, chaque secret dérobé à la nature, autant d'échelons pour monter plus haut. D'autres s'essa\'ent aux tronipe-l'œil : on admirait dans un tableau de Baldovinetti une chaumière peinte avec tant de soin que l'on pouvait compter jusqu'aux moindres brins de paille. Les traits de mœurs pris sur le vif, les épisodes comiques, les détails piquants n'obtiennent pas moins de succès. A Castiglione, Masolino s'évertue à peindre avec la plus grande fidélité les attitudes et les gestes des nouveaux baptisés qui sortent de l'eau et remettent leurs vêtements en grelottant. Andréa del Castagno, dans sa Présentation de la Vierge an. Temple, nous montre im mendiant qui, armé d'un pot, donne un coup sur la tête de son camarade. Un autre signe des temps, c'est l'abus des portraits dans les compositions religieuses. Inaugurée avec discrétion par Masaccio, qui, au Carminé, plaça sa propre effigie parmi les apôtres, cette innovation ne tarda pas à atteindre jus- qu'aux dernières limites de l'invraisemblance dans les peintures d'Andréa del Castagno (qui se peignit sous les traits de Judas Iscariote), de Domenico Veneziano, de Pesello, de Baldovinetti. Et que sera-ce quand les Benozzo Gozzoli, les Chirlandajo, les Filippino Lippi entreront en scène ! Domenico Veneziano et Gozzoli pousseront l'irrévérence jusqu'à introduire un nain parmi ies acteurs de l'histoire sainte, ouvrant ainsi un champ que leurs successeurs exploiteront avec délices, depuis les Carpaccio et les \'éronèse jusqu'aux Velaz- quez et aux Ribera. Les animaliers forment un groupe à part : Paolo Uccello et Pesello (« gran maestro di animali », d'après Filarete) entretiennent, pour les employer comme modèles, de véritables ménageries. Baldovinetti peint un mulet dont \'asari admire le pelage. Les septentrionaux ne demeureront pas en reste : Pisanello excelle à rendre la gent volatile aussi bien que les quadrupèdes, les animaux sauvages aussi bien que les animaux domestiques; Jacopo Bellini — pour ne point dépasser le cercle des ouvriers de la première heure — s'attaque avec la même virtuosité au cheval et au lion. Au fur et à mesure que les idéalistes disparaissent, les peintres de caractère se multiplient, j'entends ceux qui cherchent à se distinguer de la foule par quelque parti pris, ceux qui accentuent les qualités viriles, l'énergie, la fierté, parfois la férocité, les mines tour à tour ascétiques ou patibulaires, des bras LES NOVATEURS FLORENTINS. 6m musculeux, des barbes ébouriffées, dii^ncs émules du Donatello qui a créé les Prophètes. Notons que ceux qui s'attachent à l'expression de la douceur passent pour manquer de tempérament. Nous retrouvons ici une tendance commune h toute l'École florentine du quinzième siècle : subordonner à la solution de pro- blèmes purement techniques l'interprétation normale d'un sujet. Pour l'un, toute la peinture ne consiste que dans la perspective ; un autre ne se préoccupe que de faire montre de ses connaissances anatomiques; puis vient la recherche du caractère poussée jusqu'à la caricature. Mais combien peu, dans ce mouve- ment, scientifique pour le moins autant qu'artistique, songeront à provoquer le recueillement, la piété, à exalter de hautes et saintes passions, en un mot à donner aux représentations religieuses ou patriotiques le style qui leur convient! Les Florentins s'efforcent de prouver qu'on peut se montrer coloriste sans abuser des tons éclatants : toute une Ecole s'applique à battre en brèche le sys- tème de coloration des Ombriens, notamment de Gentile da Fabriano, et d'une manière plus générale le système de coloration des miniaturistes, en rompant les tons et en les assouplissant (voy. page Sçô). Pour le début du quinzième siècle comme pour celui du treizième, pour l'ère de Donatello comme pour celle de Niccolô et de Giovanni Pisano, la peinture est en retard sur la sculpture. Après avoir assisté avec cette der- nière à tous les triomphes de l'âge nouveau, triomphes tellement éclatants que seul un Michel-Ange pourra les éclipser, il nous faut, en abordant l'his- toire de la peinture contemporaine, singuHèrement rabattre de nos exigences. Les premiers symptômes de rénovation ne s'y font sentir que vingt ans après les débuts de Donatello, de Brunellesco et de Ghiberti, et, Masaccio mort, la peinture retombe de nouveau pour ne parvenir à son affranchissement définitif qu'à la fin du quinzième siècle." C'est que le secours de l'antique, qui favorisa si puissamment les efforts des architectes et des sculpteurs, faisait à peu près complètement défaut aux peintres, et que ceux-ci durent se borner longtemps à emprunter à l'antiquité des accessoires, tels que les ornements '. L'honneur d'avoir le premier rompu avec la tradition pour regarder en face la nature, l'honneur d'avoir porté ses impressions personnelles à un tel degré d'élévation qu'elles sont devenues le patrimoine commun de tout son siècle, l'honneur enfin d'avoir créé de toutes pièces un st3ie nouveau, revient à l'illustre et infortuné Masaccio. Quel effort cet esprit ingénieux et profond n'a-t-il pas dû déployer pour faire ainsi abstraction des habitudes qui lui avaient été inculquées par l'éducation, pour passer par-dessus l'échafaudage des subtilités d'école, pour puiser directement aux sources, sans se laisser troubler par n'importe quelle réminiscence M 1 . Vo\-. ci-dessus, p. 264. 2. BiBL. : Vasari, édit. Milanesi. — Crowe et Cavalcaselle. — Le Cicérone. — H. Layard, Thf Braticacci chapel. Londres, Arundel Socien-, 1868. — A. Je Zahn : Jahrbûcher jûr Kunshuis- 6o6 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Masaccio (augmentatif de Tomm.iso) naquit le 21 décembre 1401, à Castcllo San Giovanni di ^'alda^no, où Ton montre aujourd'hui encore sa maison paternelle'. Il était, comme Brunellesco, fils d'im notaire, mais d'un notaire qui n'avait pas eu le temps de foire fortune, car il était mort fort jeune ; dès 1427, en eflet, la mère de Masaccio était veuve d'un second mari. Un frère, plus jeune que Masaccio, Giovanni, se voua comme lui à l'étude de la pein- ture. ^'asari, au témoignage duquel les documents découverts dans les dernières années sont venus donner sur bien des points une éclatante confirmation, nous trace un portrait des plus bizarres du jeune Masaccio : « Il était, dit-il, distrait, capricieux, comme celui qui, ayant fixé tout son esprit et toute sa volonté sur les choses de l'art, se soucie médiocrement de lui-même et moins encore des autres. Et parce qu'il ne pouvait jamais se résoudre à penser aux affiiires de ce monde, et même pas aux soins de son habillement, et qu'il négligeait d'autre part de réclamer de l'argent à ses débiteurs, si ce n'est quand il se trouvait dans le plus grand besoin, pour ces motifs, au lieu de Tommaso, qui était son vrai prénom, tous l'appelèrent Masaccio', — non qu'il tût vicieux, c'était la bonté en personne, — mais à cause de sa bizarrerie qui ne l'empêchait pas de se montrer affectueux vis-à-vis d'autrui, prêt à rendre service et à faire plaisir plus qu'on ne saurait dire. » Pour la postérité, ce sobriquet de Masaccio rappelle un mélange de gloire et d'infortune, les luttes d'un artiste de génie qui eut à compter avec la 'pauvreté la plus amère, une fin prématurée et déplorable. Nous ne pouvons nous défendre d'une douloureuse émotion au souvenir de cet adolescent né pour les plus hautes destinées et qui, mort à l'âge de vingt-sept ans seulement, a laissé un nom impérissable. Vasari parle de l'amitié qui unissait Masaccio à Donatello et à Brunellesco. Nul doute que le jeune peintre n'ait été initié par Donatello aux lois des pro- portions et de la physionomie, et par Brunellesco, à qui il laut ajouter Ghiberti, aux lois de la perspective. Mais à côté des leçons données au jeune peintre par ces hommes de génie, il £iut signaler l'influence plus spéciale d'un habile peintre toscan, Masolino da Panicale; nous devons une notice développée à celui qui tut le maître direct de Masaccio. Né à Panicale di Wildesa, dans les environs de Florence, en i383, ainsi senschafl, i86g, p. l55-I70. — Thausing : Zàtschrijt fiir hihleiide Kiuisl. t. XI, p. 223-238. — Knudtzon, Masaccio og den Fhrmitinsh MalerkonsI paa haiis Ihi. Copenhague, 1873 (docu- ments intéressants, mais quelle idée de les commenter dans une langue aussi peu accessible!;. — Le vicomte Delaborde, Des œuvres et de la manière de Masaccio. Paris, 1876 (extr. de la Gaxetle des Beaux-Arts). 1. Marcantelli, la Casa paterna di Tommaso detto Masaccio Giiidi da Sait Giovanni. San Giovanni, 1873. 2. La terminaison « accio » comporte en italien un sens défavorable. MASOLINO. dix-huit avant Masaccio, mort une dizaine d'années après lui, Masolino (dimi- nutif de Tommaso, comme Masaccio en est l'augmentatif) put à la fois diriger les premières études de Masaccio, puis profiter à son tour des leçons de son élève. C'est ainsi que l'on voit Timoteo Viti, après avoir servi de précepteur à Raphaël, se glorifier de compter parmi ses disciples. Elève du Starnina, Masolino se fixa à Florence, où il se fit recevoir en 1420 membre de la corporation des médecins et droguistes ou épiciers (« speziali »), dont les peintres faisaient partie; c'est entre cette époque et les années 1425- 1426 qu'il travailla dans la chapelle du Carminé (église des Carmes), où les tresques de son élève ne devaient pas tarder à éclip- ser les siennes. A partir de ce moment il semble avoir quitté Florence sans esprit de retour. En 1427, nous le trouvons en Hongrie, au service du fomeux aventurier florentin Filippo Scolari (Pippo Spano); entre 1428 et i4-x^, à Castiglione d'Olona, où il peignit les fresques du Baptistère et celles de la Collégiale. Il mourut vers 1440, âgé non pas de trente-sept ans, comme le rapporte Vasari, mais de cinquante-sept. Le premier en date de ceux des ouvrages de Masolino qui nous sont conservés semble être la décoration d'une des chapelles de la basilique de Saint-Clément à Rome, dont on s'accorde aujour- d'hui à lui faire honneur, malgré l'assertion de Vasari, qui la donne à Masaccio'. Ce cycle représente, au fond de la chapelle, la Crucifixion; sur le côté droit, quatre Scènes de la vie d'un saint (inconnu), sa naissance, son apparition au milieu d'une troupe de guerriers, les services rendus par lui dans une inon- dation, et enfin sa mort; sur le côté gauche, l'artiste a figuré sainte Catherine d'Alexandrie triomphant des philosophes, la même sainte repoussant une idole, puis convertissant la reine, la tentative de supplice au moyen de la roue, la décapitation de la reine et de la sainte. Un sentiment plus vif de la réalité que chez les derniers adhérents de l'École de Giotto, moins de dureté dans les tètes et de raideur dans les mouvements, un coloris plus souple et plus harmonieux, tels sont les traits qui distinguent les fresques de Saint-Clément. Les figures séduisent par un air de candeur, l'action plaît par sa simplicité et son naturel; on n'admire pas moins l'art avec lequel l'artiste a ménagé les transitions d'un ton à l'autre. A Florence, Masolino se signala par les fresques de la chapelle des Brancacci Portrait de Masolino. (D'après la gravure publiét; par Vasari.) I. Voy. les articles de M. de Reumont et de M. LùbUe dans les Jahrbiicher fur Kimshi'is- seiischaft de Zahn, 1870, p. 75-79, 280-280. oo8 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. (consacrée en 1422; Masolino y travaillait notamment au mois de juillet 1425, ainsi que cela résulte d'un document découvert par M. Milanesi). ^'oici quelle est sa part dans ce cycle considérable, auquel prirent part plus tard Masaccio et Filippino Lippi : la Tentation d'Adam et d'Eve, la Predieatioa de saint Pierre, la Giiérison du Paraixtique, la Résurrection de Tahitha. La critique contemporaine l>LLi-\ I- lijielUilis du t|uin/-iL-nie biccle, j'ar ^ia^^_^llll:)4). Sa prédilection pour les scènes triviales ne l'empêchait pas d'exceller dans la peinture religieuse : il eut l'honneur en i4.'^4 d'être appelé à Rome par le pape Nicolas \' pour prendre part .'i la décoration des Stances du Vatican. Longtemps une sombre légeiide a pesé sur la mémoire d'Andréa. Trompé par on sait quelle similitude de noms, \'asari raconte , avec force détails, ■qu'Andréa, après avoir appris de Domenico Veneziano le secret delà peinture à l'huile, poussé par l'envie, guetta au coin d'une rue son malheureux cama- rade et le tua traîtreusement. Le coupable, ajoute Vasari, n'avoua son crime que sur son lit de mort. Or, en compulsant les registres des décès de la ville de Florence, M. Milanesi a trouvé qu'Andréa mourut en 1457 et Domenico en 1461 seulement, c'est-à-dire que le prétendu bourreau précéda dans la tombe de quatre années la prétendue victime. L'hospice de Santa-Maria Nuova à Florence conserve en magasin une Cnicijixion peinte à fresque par Andréa, page superbe comme vie et comme expression. Au centre le Christ en croix, sur les côtés la Vierge, saint Jean et deux saints vêtus de blanc. Le réalisme se fait surtout jour dans la figure de la Vierge, représentée sous les traits d'une vieille femme, comme chez Donatello et Mantegna. Dans la5(//;//(' Cèue peinte à Iresque au couvent de Sani' Aiiollonia à Florence, 024 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. le clicf-d'œuvrc du maître, la tendance au style — un style relatif — s'accentue davantage : les tètes ont un air de gravité sauvage et, la sobriété de l'enca- drement architectural aidant, l'ordonnance est à la fois très nette et très sai- sissante. A Santa Croce, un bout de fresque, avec Stiiiil Jcan-Baplisic c! Saint François d'Assise, tous deux debout, révèle la prédilection du maitre pour les types ascé- tiques : dans ces physionomies rudes, sans noblesse aucune, il n'a vu, prenant exemple sur Donatello, qu'une occasion de peindre des corps décharnés, sur lesquels les muscles seuls trahissent un reste de vigueur. Une Pictii, appartenant au Musée de Berlin, se distingue par sa fitcture serrée, sou style, écrit dans le genre de celui de Cosimo Tura, et la laideur de ses types. Andréa del Castagno s'est attaqué avec la même ardeur, on devrait dire avec la même brutalité, aux sujets profanes : il a peint tour à tour le condottiere Nicolas de Tolentino .'i cheval (dôme de Florence), les trois grands poètes toscans Dante, Pétrarque et Boccace, des hommes d'État tels que Niccolô Acciaj- uolo, Farinato degli Uberti et Pippo Spano, la Sibylle de Cumes, Esther et Thomyris (ancienne villa Pandolfino à Legnaja; aujourd'hui au Musée national de Florence), puis des SaiiiU's Càics, des Cnicifixioiis, se faisant remarquer sans cesse par son stvle dur et lier, qui tient du dessinateur plutôt que du peintre. Nous avons déjà apprécié en passant la statue équestre de Nicolas de Tolentino (page 041); arrêtons-nous un instant devant les fresques de la villa Pandoliini : ces évocations — on n'ose dire ces portraits — , quoique lourdes et trapues, s'imposent par l'ampleur des draperies non moins que par je ne sais quel air de conviction, « par une attitude résolue et une puissante allure qui en font des héros' ». Pippo Spano, les jambes écartées comme pour mieux asseoir l'équi- libre de son corps, tenant d'une main la poignée et de l'autre la pointe de son glaive, rend, non sans élévation, le courage calme et sûr de lui-même, le senti- ment de la force immanente'. — Rapprochons de ces ligures graves et un peu impersonnelles le très vigoureux portrait d'homme imberbe, vu de trois quarts (palais Pitti). Andréa del Castagno moLirut en 1457, de la peste, à ce que l'on croit. De Domenico di Bartolommeo Veneziano, le collaborateur et la prétendue victime d'Andréa del Castagno, et l'un des principaux propagateurs de la pein- ture à l'huile (s'il faut en croire Vasari), nous ne savons presque rien que les dates de son séjour à Pérouse (i4.i''0; '^^ ^'^ collaboration avec Andréa dans la 1. L.ilcncstiX', ta l'ciiilini- ilat'uiiiu-, p. 171. j. Botticelli, dans une dts niches peintes au fond do l.i Catoinnic d' Apcltvs, n'a pas dédaigné de s'inspirer de cette figure si caractéristique. — Un dessin moderne représentant l'ensemble de ces fresques avant leur mutilation nous apprend qu'ici encore Andréa del Castagno avait donné à sa composition un encadrement conçu dans les données classiques, avec des pilastres, une irise, des oves et, au-dessus, des génies nus tenant des festons. ANDREA DEL CASTAGNO. h2.T chapelle de Sant' Egidio ;i Santa-M.iria Xiiova (i4oo-i4_|5; ces fresques ont depuis longtemps disparu), de renluniiniire des deux coffres de mariage desti- nés à Marco Parenti (page oO), enfin de sa mort (i5 mai 1461). D'origine vénitienne, il aura peut-être connu Cosme de Médicis pendant son exil à \'enise : du moins le trouve-t-on de bonne heure en re- lations avec sa famille. Fixé à Florence , il y compta des collabora- teurs tels qu'Andréa del Castagno et Biccl di Lo- renzo, et y forma un élève de la valeur de Piero délia Francesca. De ses productions il ne reste que la Saiiile Con- versation du Musée des Offices (autrefois dans l'église Santa -Lucia de' Bardi à Florence), où l'influence de Castagno s'allie, par un rare phé- nomène, à celle de Gen- tile da Fahriano et aussi, dans une certaine me- sure, de Masolino, puis une Madone (collection Pio à Florence), dont un fragment, les têtes de deux moines béati- fiés, a trouvé un asile à la National Gallerv de Londres. Dans le ta- bleau des Offices, qui est d'une gamme claire, avec beaucoup de rose et de blanc, et d'un modelé un peu sommaire dans les extrémités, surtout dans les mains, la Vierge toute pimpante et sainte Lucie témoignent d'une certaine recherche de la beauté, tandis que Saint Jean-Baptiste, figure rabougrie, aux traits durs et pauvres, rappelle tous les excès du réalisme florentin. Poitrail lie Pippo Spanu, par Audrca Jcl Castagno. (Musée national de Fiorence.) Autour de Paolo Uccello et d'Andi'ea del Castagno s'agitent quelques artistes E. .Miiiilz. — 1. Italie. I-e.•^ l^riiiiili!^. 79 626 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. d'importance moindre, dont la mission a principalement consisté à creuser les problèmes de la technique et à instituer, dans le domaine restreint de la pein- ture de chevalet, toutes sortes d'expériences de chimie ou d'exercices de st\le; les Pesello, dont nous nous occuperons ici même, et Baldovinetti, que 'nous réservons pour notre second volume, n'ont pas peu contribué à fliirc faire un pas de plus à leur art. De Giuliano di Arrigo di Giuocolo Giuochi, surnommé Pesello, à la fois sculpteur et peintre, il ne nous reste aucune œuvre authentique. Par contre, les documents abondent : ils nous apprennent que, né à Flo- rence en 1. ■!()", cet artiste ne put se ranger en aucune façon, comme \'asari l'affirme, sous la discipline d'Andréa del Castagne, de vingt- trois ans plus jeune que lui ; ils nous montrent d'autre part dans Pe- sello le maître de Francesco Pesel- lino (son petit-lîls, et non son lils, conune on l'a longtemps cru); enfin ils nous tout connaître la date de s.i mort, arrivée en 144'). Le Catalogue du Musée des Offices' attribue à Giuliano Pesello un dessin que nous avons tait reproduire en photogra- vure, un Jciiiic Mailyr dchûid. Mais cette pièce, dont on admirera la facture énergique, pourrait tout aussi bien recevoir le nom de Pesellino. Francesco di Stefano Peselli ou Pesellino (ce dernier nom lui fut donné pour le distinguer de son grand-père) naquit à l'iorence vers 1422, et y mourut en 1457, âgé de trente-cinq ans seulement. Il imita d'abord Andréa del Casta- gno, puis Fra Filippo. Dans V Adoration des Mages, au Musée des Offices, il nous a laissé une page très voulue, très serrée, avec des personnages bien découplés, aux traits énergiques, aux costumes pittoresques, avec des chevaux qui, se montrant de dos, produisent des effets de torse hardis plutôt qu'heureux, enfin avec un fort joli paysage. Seule la tète de l'Enflint Jésus pèche par sa grosseur et sa vulgarité. Des fragments d'une prédelle destinée à prendre place sous lui tableau de Filippo Lippi (la Vierge et des saints, n" 411) du Musée des Offices) Sainte Lucie (frajjfmenl). Par Domeiiico Veiieziano. (.Musée des Offices.) I. Fi;rri, Ciilulogo lUIlc Slanipc c Jinviii i'.^Oili ni piéblico iwlla R. Ciilkiid ilcgli V[li:ii. Flo- rciicu; lofji. Un Jel-ne Martyr. Fac-similé d'un dessin de G. Pesello. (Musée des Offices.) Do.MENuo vr:Ni:zi.\NO. 627 se trouvent, les uns .'i l'Académie des beaux-arts de Florence, les autres au Musée du Louvre; ils nous retracent des scènes de mart3're traitées abso- lument comme des tableaux de genre. Saint Cosme et saint Damien y portent le costume du quinzième siècle; leur fière musculature n'a rien à envier à celle des athlètes ; ils ne le cèdent en vigueur qu'au bourreau qui s'apprête à leur trancher la tète : celui-ci peut passer pour un mor- ceau achevé comme anatomie et comme vivacité de mouvements. — Un autre tableau de Pesellino, une Triiiilc, orne la National Gallery de Londres. Le réalisme florentin de la première pé- riode, on l'a vu par les exemples rapportés ci-dessus (page .i-V)), pouvait se mesurer avec le réalisme flamand ; la laideur n'épouvan- tait pas plus les Paolo Uccello et les Andréa del Castagno que les Roger \'an der Weyde« et les Thiern.- Bouts. Mais cette laideur ita- lienne avait quelque chose de plus grandiose, de plus héroïque, tandis que chez les Fla- mands elle se pénétrait essentiellement de tendances à l'humilité et à la vulgarité. Le plus original à coup sûr des quattrocen- tistes, Piero délia Francesca, naquit vers 141C) à Borgo San Sepolcro, sur les confins de la Toscane et de l'Ombrie, près des sources du Tibre. Vasari raconte que Piero ne vit le jour qu'après la mort de son père et qu'on ajouta à son prénom, au lieu du prénom de son père, celui de sa mère qui s'appelait Francesca, en d'autres termes Piero délia Francesca. Mais les terribles docu- ments d'archives, qui viennent si souvent infliger des démentis au pauvre Vasari, nous apprennent que le père de Piero mourut vers 1465 seulement. Tout jeune, Piero étudia avec ardeur les mathématiques, et quoiqu'il eût em- brassé, dès l'âge de quinze ans, la carrière des arts, jamais il ne renonça à ses études de prédilection.- La géométrie et la perspective, telles furent les deux branches de cette science qu'il cultiva de préférence. Il composa même un traité de Ouinqiic Corporibiis', qui eut l'honneur d'être pillé par un de ses compa- triotes, le fameux Luca Pacioli, l'ami de Léonard de Vinci. A Florence, où nous le trouvons entre autres en 1409-1440, Piero s'inspira surtout des leçons de Paolo Uccello, auquel il prit son goût pour la perspec- l'n Bourreau (fragment). D'après une peinture de F. Pesellino (.académie de Florence). I. Vo\'. sur ce traité l'article de M. Winter : Rcperton'iiiii fi'ir Kiinstivisseiischafl , 1882. p. 33-42. 628 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. tive, ainsi que pour la représentation des chevaux. Mais il tempéra le natu- ralisme sjrossier du maitre florentin par sa distinction native, sa recherche de formes élancées, sinon touiours élégantes, enfin par un sentiment du coloris, dont les plus éminents d'entre les peintres flamands contemporains ont à peine su éa;aler la finesse. Dès cette époque, le jeune artiste de Borgo San Sepolcro avait acquis assez de réputation pour être jugé digne de collaborer avec Domc- nico \'eneziano aux flvsques de Santa-Maria Nuova. Un des premiers ouvrages originaux du maître est cette étrange Résurrection du Christ (1445), peinte à fresque à l'hôtel de ville de Borgo San Sepolcro, gravée et décrite ci-dessus (pages 342, .'^44). Quelques années plus tard, Piero, appelé à Rome par le pape Nicolas V, décora une partie des « Stances » du \\ttican ; il peignit deux composi- tions à l'endroit même où Raphaël représenta plus tard la Délivrance de saint Pierre et la Messe de Bol- scne. Lorsque Jules II donna l'ordre de détruire les peintures de Piero pour leur substituer celles de Raphaël, celui-ci voulut du moins sauver de la destruction un certain nombre de tètes, c'est-à dire de portraits. On remarquait dans le nombre les portraits de Charles Mil de France,, du cardinal Bessarion, de Nicolas Fortebraccio, etc. Donnés par Jules Romain à Paul Jove, ces fragments ont depuis longtemps disparu. A Rimini, au temple des Malatesta, Piero peignit, en 14.' i, à fresque éga- lement, Sigismond Malatesta agenouillé devant son patron saint Sigismond, composition que je ne puis m'empècher de trouver singulièrement froide, vide et insipide. Les fresques de l'église Saint-François d'Arezzo, l'ivuvre capitale de Piero délia Francesca, ont pris naissance postérieurement à 1450. Elles nous retra- cent, en douze compartiments, l'Histoire de nos premiers Parents (la Mort d'Adam^, la Visite de la reine de Saba à Salonion, VHistoire du triomphe du Chris- tianisme, le Songe de Constantin, Ylni'ention de la vraie croix, VErection de la croix en face de Jérusalem, scènes d'un caractère plus ou moins légendaire, aux- quelles font pendant V Annonciation, de?. Prophètes, la Victoire d'Héraclius sur les Persans, etc. Ces hautes conceptions, disons-le dès le début, ne sont point le fait de Piero délia Francesca. Observateur impeccable, sachant rendre avec une égale sûreté de main les moindres détails de la structure du corps humain et les jeux de lumière les plus fugitifs, l'artiste de Borgo San Sepolcro sacrifie à la recherche du naturalisme la beauté des types ou de l'ordonnance, la poésie de l'invention, la force dramatique. Comme Masaccio, il prend pour point de départ le portrait, Portrait de P. délia Francesca (D'après la gravure publiée par Vasari.) PIERO DELLA FRANCESCA. 629 qu'il substitue aux figures idéales de l'époque précédente; mais, dans sa passion pour la netteté et la précision, il oublie que la mission de l'artiste consiste à élever l'esprit autant qu'à satisfaire l'œil par la fidélité de la reproduction. De 1;\ les traits vulgaires ou choquants qui déparent bon nombre de ses composi- tions et qui obscurcissent trop souvent des beautés de premier ordre '. On a parfois attribué à Piero délia Francesca quel- ques-unes des fresques du palais de Schifanoja à Fer- rare. Mais si dans ce cyle certaines parties rappellent sa manière , aucune ne saurait lui être attribuée en propre. Les fresques de Borgo San Sepolcro et d'Arezzo nous ont montré Piero délia Francesca s'exerçant dans la peinture monu- mentale, et apportant dans ce genre, avec d'incontes- tables qualités, les dé- fauts qui en étaient insé- parables. Il est temps de nous occuper des tableaux de chevalet du maître. Son réalisme s'}' trouve plus à l'aise que dans des compositions intime- ment liées à l'architec- ture, comme le sont les fresques. Les collections parisiennes ne renferment qu'une seule peinture de Piero délia Francesca, et encore ne figure-t-elle pas dans une galerie publique. C'est une Madone qui, de la collection Duchcâtel, a passé, si je suis bien informé, dans celle du duc de la Trémouille. Le tableau, de dimensions assez grandes, représente la Vierge à mi-corps, les mains jointes, adorant l'Enfmt Jésus étendu l.e Sonffe de Constanlin. Fresque de Piero délia Francesca (Efîlise Sainl-François à .\rezzo.) 1. J'ai donné de ces fresques, dans le Tour du Moïkle, i883, t. I. p. 280 et suiv., une descrip- tion détaillée à laquelle je renvoie le lecteur. 63o HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. devant elle. Au fond, une plaine sillonnée par un ruisseau, et plus loin des montagnes. La composition et les types sont d'une originalité frappante; plus rien de traditionnel : Marie est quelque dame florentine du temps, maigre, pâle, aux traits irréguliers, offrant cependant un certain caractère de grandeur que l'on ne saurait nier. L'Enfant, au contraire, est véritablement mesquin. C'est que pour im sujet pareil le réalisme ne suffît pas : ce n'est point assez d'avoir observé scrupuleusement la nature et de savoir la rendre avec ses nuances les plus délicates, avec les jeux de lumière les plus fugitifs; il faut encore mettre dans l'œuvre un peu d'émotion, un peu d'âme, un peu de cœur, c'est-à-dire les qualités qui manquaient le plus à l'impassible peintre de Borgo San Sepolcro. Son œ-il est impeccable; mais jamais aucune fibre sensitive ne semble avoir tressailli en lui. A la National Gallery de Londres, le Baptême du Christ étourdit véritable- ment par l'extrême sincérité de l'observation, non moins que par l'élévation du style. On y remarque de ces motifs admirables que seuls les peintres de race ont su trouver, par exemple, l'ange appuyant la main sur l'épaule de son com- pagnon, puis des draperies aussi fouillées que celles de Mantegna, et enfin des colorations d'une finesse prodigieuse, de ces bleus clairs si légers et si vifs dont Piero a seul eu le secret au quinzième siècle, et dont il s'est plu à teinter les eaux des fleuves. Les portraits de Piero délia Francesca méritent une mention à part. Malgré le manque de variété — les personnages sont invariablement représentés de profil, comme dans les médailles de Pisanello, et à mi-corps, — le maître a su y serrer tellement le modelé, y rendre le caractère avec une telle précision, et en même temps donner au coloris tant de légèreté et de transparence, que ces effigies peuvent passer à la fois pour des chefs-d'œuvre de vérité et pour des chefs-d'œuvre de peinture. Par un artifice d'ailleurs tort loyal, Piero oppose la coloration blonde et transparente de la tête à l'éclat du costume; autant le visage est clair et uni, sans contraste d'ombre, autant le vêtement, par une opposition nécessaire, offre de richesse, qu'il s'agisse d'un justaucorps rouge, comme chez Frédéric d'Urbin, ou d'une robe de brocart, comme dans le por- trait de la collection Poldi Pezzoli à Milan (gravé page ](>). Les deux plus beaux de ces portraits, ceux du duc Frédéric d'Urbin et de son épouse Battista Sforza (gravés pages i.v2-i.'!3), ornent le Musée des Offices. Nulle part l'artiste n'a su fixer avec une telle netteté le caractère physique des personnages; nulle part sa gamme n'apparaît plus claire, plus limpide, avec plus de tenue. Il a modelé les têtes en pleine lumière, avec une variété de tons de nacre et d'opale propre à montrer combien les organes de la vision étaient délicats et perçants chez lui. Il n'a d'ailleurs pas fait grâce au couple ducal d'une ride, d'une verrue, d'une imperfection. Aussi quelle pauvreté dans le front bossue de la duchesse, quelle lourdeur dans ses traits osseux ! Tant pis pour l'original et tant mieux pour le peintre! Le portraitiste impitoyable aurait cru PIERO DELLA FRANCESCA. 63 1 commettre un crime de lèse-art en la flattant. Le revers des deux portraits montre deux chars allégoriques, dans un paysage fouillé et détaillé, comme 1 lyuro Je Pruphcle. l'reoque de Piero dclla l'ianccsca. (Eglise Saint-François à Arezzo.) l'est cette belle plaine de l'Arno, qui ressemble à un jardin. L'appareil pho- tographique n'a pas plus de vigueur, pas plus de netteté. Mais quel manque d'invention dans les tigures placées sur leb chars! quelle absence de st\le et t)32 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. même de signification ! On ne s'aperçoit que trop de l'insuffisance du réa- lisme, lorsqu'il est privé du secours de l'imagination. Dans un tableau considérable, une Sainte Famille, ou plutôt une Sainte Con- versation, comme on dit en Italie, conservée au Musée de Brera à Milan et attribuée jusqu'à ces derniers temps au peintre-architecte Fra Carnevale d'Ur- bin, Piero délia Francesca a essayé de combiner une composition religieuse avec une série de portraits : au centre, sous une voûte à caissons, la Vierge, grave, austère, les mains jointes, adorant l'Enfant endormi tout nu sur ses genoux; à ses côtés, des saints et des membres de la fomille ducale d'Urbin; au premier plan, le duc 1-rédéric agenouillé. Nulle part l'artiste n'a poussé aussi loin la science du clair-obscur. Vasari raconte que Piero délia Francesca devint aveugle à soixante ans, mais que,- malgré cette infirmité, il 'vécut encore vingt-six ans. Ainsi s'expliquerait l'inaction du peintre pendant toute la dernière partie de sa vie. Or voici que le notaire chargé de recevoir son testament déclare, en 14^7, le testateur « sanus mente, intellectu et corpore », sans la moindre allusion à sa cécité. Le bio- graphe aurait-il cette fois-ci encore péché par excès d'imagination ? Du moins connaissons-nous aujourd'hui la date exacte de la mort de Piero. M. Milanesi nous apprend que, d'après les recherches de M. Corazzini (un compatriote de Piero), l'artiste mourut dix-sept années plus tôt qu'on ne l'admettait, le 12 oc- tobre 1492. Piero semble avoir consacré ses dernières années aux études' théoriques dont nous avons déj.'r dit un mot. Il dédia le Traeltiliis île Oiiiiiqiie Corporibns au duc Guidobaldo d'Urbin, monté sur le trône en 1482. Cet ouvrage est donc postérieur de quatre ans au moins à la dernière mention que nous possé- dions d'une peinture de l'artiste (147°, d'après M. Milanesi); nous savons maintenant conin:ent celui-ci emplo}-a les longs loisirs auxquels le condanmait l'affaiblissement de sa vue. Piero délia Francesca s'était fait une manière si personnelle, si originale, que, semblable en ce point à plusieurs autres maîtres éminents du quinzième siècle, Mantegna par exemple, s'il eut la satisfaction de voir rayonner au loin son influence, il n'eut guère celle de former des disciples directs. Le seul que l'on cite d'ordinaire, Fra Carnevale d'Urbin, ne compte plus à son actif le moindre tableau, depuis que la critique lui a enlevé la Sainte Famille du Musée de Brera. Si, au moment de prendre congé de Piero délia Francesca, nous essayons de résumer les impressions diverses auxquelles donnent lieu ses productions, nous nous sentons partagé entre l'admiration due à ce dessin si savant et si précis, à ce coloris si frais, si clair, si transparent, et les justes critiques que sou- lève ce parti pris de sobriété, de froideur, on est tenté de dire de prosaïsme. Le jugement définitif, cependant, ne saurait que tourner à l'honneur de Piero : si la> passion et l'inspiration, si le culte de l'idéal lui ont manqué, en revanche sa PISANELLO. 6X1 peinture est profondément originale et attaciiante, grâce à l'absolue sincérité de ses observations et au charme qu'il a su donner à sa couleur. Mon regretté maître Charles Blanc ne s'est pas trompé lorsque, au moment de constituer le Musée des Copies, qu'on a pu voir un instant au Palais de l'Industrie, il a tenu à donner une place à Piero délia Francesca au milieu de tant de peintres éminents. Nous invitons nos lecteurs à contrôler son appréciation et la nôtre en allant examiner dans la chapelle de l'École des Beaux-Arts, où elles ont trouvé un asile, les copies de plusieurs des fresques d'Arezzo. Tandis que les Florentins s'efforçaient d'obtenir plus de précision, de vie et de vigueur, en s'aidant des procédés scientifiques récemment découverts , tels que l'anatomie et la perspective, certains maîtres de l'Italie du Nord s'attaquaient au même problème d'une façon tout empirique, à l'instar des Fla- mands. Dédaignant ou ignorant les méthodes fondées sur la raison pure, ils s'en remirent à l'inspiration du soin de leur faire voir et de leur taire peindre plus juste. Aussi n'allèrent-ils pas au fond des choses, comme les Florentins, ces dessinateurs incompa- rables, et auraient-ils essayé en vain de faire mouvoir le corps humain d'après les lois de l'anatomie : ils bornaient leur ambition à mettre la vérité (quel- quefois il serait plus juste de dire la variété) dans les costumes, dans les figures d'animaux, dans la végétation, dans le pa3'sage, en un mot dans ce que l'on pourrait appeler les accessoires; puis ils noyaient le tout dans une atmosphère plus fraîche et plus, humide, avec des effets de brume ou d'irisation inconnus aux Florentins. De même que les architectes de leur région, ils représentent donc l'École pittoresque opposée à l'École du style. Cette direction s'incarne dans un artiste de tout premier ordre, dont notre génération seulement a reconnu le mérite transcendant, le Véronais Vittore Pi- sano, plus généralement appelé Pisanello'. De sa vie on sait peu de chose : né vers 1 38o, ses efforts semblent s'être partagés entre sa ville natale, Venise, les cours de la haute Italie, — Milan, Ferrare, Mantoue, — la cour pontificale et I. BiBL. : Cavattoni, tre Canm latini... in Iode di Vittore Pisaiio. Vérone, 1861. — Bernas- • coni, // Pisanello. Vérone, 1862. — Heiss, les Mcdailkurs de la Renaissance. 1881. — Ephrussi, A propos de Vittore Pisano de M. Ahiss Heiss. Paris, Quantin, 1881. — Both de Tauzia : l'Art; 1882, t. I, p. 221. — Bode et Tscliudi : Annuaire des Musées de Berlin; i885. — Venturi, // Pisanello a Fcrrara. N'cnise, i885. (Extrait de YArchivio venclo.) — Der Kunstfreund; i885, p. 289-202. Médaille de Pisanello, par lui-même. 1;. .Muni/. — 1. Halle. Les l'iimilifs. Ho 634 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. la cour des rois de Naples. Chargé de terminer, au Palais ducal de Venise (1422), la décoration de la salle commencée par Gentile da Fabriano', il remplit la même mission à Rome, dans la basilique du Latran, où il travaillait en 1401 et i4.->2''. En 14.>5 il résidait à Ferrare, où il offrit à Lionel d'Esté un portrait de Jules César; il y reparut en 1441; vers 1408 il retrouva l'art du médailleur, si longtemps ignoré, invention appelée bientôt à une brillante fortune. Recherché des grands, chanté par les humanistes, il semble avoir mené une existence assez enviable, jusqu'à ce que la mort le surprit, .\ Rome peut-être, vers 1451. Pisanello forme un singulier agrégat de réminiscences gothiques, avec les- quelles il eut beaucoup de peine à rompre, de laborieuses études d'après l'antique, de recherches originales et indépendantes. Dans ses dessins nous le voyons à tout instant s'évertuer à copier les modèles romains, tâche dont il s'acquittait fort mal, imitant ici les Diosciires de Monte Cavallo (Bibliothèque Ambrosienne à Milan), là des médailles (recueil Vallardi au Louvre), ou encore des bas-reliefs avec des scènes mythologiques, quelque chose comme Hcrcidc hrandissanl sa iiiassiw (même recueil) ou une Divinité couchée , nue jusqu'à Li ceinture, tenant une corne d'abondance et ayant à côté d'elle un Eros appuyé sur son arc (Cabinet des estampes de Berlin), eniin prenant aux artistes de la Rome impériale l'idée de sa grande invention, les médaillons à efligies. Mais là n'est point le secret de sa supériorité : il réside tout entier dans son natura- lisme, dans cette vision fine et distinguée, dans cette taculté de discerner les formes les plus caractéristiques. D'où sortait ce novateur? Vasari, qui a tait des quiproquos sans nombre dans sa biographie, lui donne pour maître Andréa del Castagno. Mais rien de moins vraisemblable. D'autres ont tait de lui le disciple des Allemands ou des Fla- mands, si nombreux à Vérone ou à Padoue, et, de fait, il semble leur avoir pris, avec le goût pour les paysages fouillés et touffus, quelques-uns de ces costumes étranges. Ses contemporains déjà, et notamment son biographe Fazio, remar- quent l'abondance des types et des costumes germaniques dans sa fresque du Palais ducal de Venise représentant VEiiipcrciir Frédéric Barhfronsse : « magnum cœtum germanico corporis cultu oris atque habitu ». Mais nous avons vu ailleurs (page Sqo) combien de germes de cette nature se cachaient cliez les derniers Giottesques. Aussi recommandons-nous à toute l'attention de nos lecteurs l'hypothèse de MM. Crowe et Cavalcaselle, qui croient reconnaître en Pisanello l'imitateur de Lorenzo Monaco et de Pietro da Montepulciano, influencé plus tard par Gentile da Fabriano''. 1. Ci. ci-dessus, p. lOÔ-lOO. Le British Muséum possède plusieurs dessins se rapportante ces fresques. 2. C'est pendant ce séjour que Pisanello aurait écrit la lettre reproduite dans V Inventaire des autograplKS... de M. Benjamin Fitlon; Paris, 187Q, IX" série, p. I2I. Mais, selon toute vraisem- blance, il s'agit d'une mystification, car personne n'a jamais pu voir la lettre signalée par M. FiUon. 3. Pisanello s'est égalenienl inspirés de Don.Uello ni.iis d'une manière .ii.cidentelle. Un des PISANELLO. 635 Saim Georges (riagmenu. Fresque de Pisanello. iKglise S. Anaslasia à Vérone.) Parmi les nombreuses fresques de Pisanello (Palais ducal de Venise, chapelle de Mantoue, basilique de Saint-Jean de Latran à Rome), celles qu'il exécuta pour sa ville natale, Vérone, ont seules échappé à la destruction. L'église San Fermo contient, sur le sommet du monument funéraire des Brenzoni, une Annonciation dans laquelle l'artiste a mêlé aux personnages sacrés ces accessoires profanes qui lui tenaient tellement à cœur : des perdrix se pré- lassant, des édifices gothiques, des arbres, etc. On loue dans cette fresque la douceur des figures et la pureté de leurs traits. Dans l'église Santa Anastasia, également à Vé- rone, Pisanello décora la chapelle des Pellegrini. Il y peignit un Saint Eustache caressant un chien havane moucheté de brun et de blanc : l'intel- ligent quadrupède, les pattes de devant levées et appuyées sur la jambe du saint, retourne la tète comme pour découvrir d'où vient le bruit qu'il entend; telle est la vivacité de son attitude, ajoute Vasari, i qui j'emprunte ces détails, qu'un animal vivant ne saurait avoir plus de vérité. Sur la façade de la même chapelle, Pisanello peignit d'un côté le dragon, de l'autre saint Georges s'apprètant à monter à cheval pour combattre le monstre. La scène se passe au bord de la mer, sous les murs d'une ville fortifiée; « une multitude de per- sonnages, parmi lesquels des guerrier^ et des reli- gieux, entourent le saint; près de lui est la prin- cesse, vêtue d'une robe à ramages, vue de profil, et dont le front bombé rappelle celui d'Isotta de Rimini. On ne saurait trop admirer la facture des différents animaux qui peuplent cette composition : un cheval vu de face, en raccourci, et tenu par un écuyer la lance au poing, semble vivant; deux beaux lévriers (le dessin de l'un d'eux se trouve dans le recueil \'allardi) suivent saint Georges. Presque toute la partie gauche de la fresque a disparu : le monstre aux aguets devant les rochers, et les petits épisodes de la vie du saint, représentés sur les plans éloignés, se distinguent à peine. » A Milan, des fresques retrouvées sous le badigeon en 1868, et abîmées depuis par les restaurateurs, les Attributs des Évangélistcs avec des Saints ou Saintes (chapelle Torriani à Sant' Eustorgio), se rapprochent trop de certains dessins de Pisanello pour ne point devoir être revendiquées en sa faveur'. dessins du Cabinet des Estampes de Berlin (n° i3.5g) nous montre deux Enfants âa)isa>it copiés de la chaire extérieure de la cathédrale de Prato. 1. Tauzia, Notice îles itessins de h coUcctioii His de ht Salle, p. 61. — L'Art, 1882, t. I, p. 222. La princesse délivrée par saint Georgfes (fragment). Fresque de Pisanello. (Eglise S. Anastasia à Vérone ) 636 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Les hors-d'œuvre abondent dans les tableaux de chevalet aussi bien que dans les fresques du maître. Dans VAdoratitvi des Mages, qui de la collection Barker est entrée au Musée de Berlin, l'amour de l'artiste pour les costumes pittoresques, pour les motifs piquants, pour un paysage soigneusement fouillé et pour la représentation des animaux se donne librement carrière. Nous y remarquons, entre autres, un paon perché sur le toit de la masure qui abrite la Merge et, dans les- airs, un faucon luttant avec un héron. L'abus des portraits et des costumes contempo- rains, cet abus propre à la plupart de ses confrères italiens, comme à tous les Flamands sans exception, éclate de plus belle dans le tableau de la Galerie nationale de Londres : Saint Antoine el Saint Georges. Celui-ci y porte un feutre à larges bords, im pourpoint, des bras- sards, des cuissards, des éperons semblables à ceux des capitaines italiens du quinzième siècle ; n'é- taient certains attributs , on croirait avoir aflaire à Lionel d'Esté. Un Saint Hubert, de la collection Ashburnham, .i Londres, récemment revendiqué en faveur de Pisa- nello, nous montre le saint à cheval s'arrêtant à la vue du cerf portant la croix sur le front. L'intérêt principal de la scène consiste dans la variété des ani- maux qui peuplent le paysage boisé, un lévrier poursuivant un lièvre, des épagneuls, des caniches, des chiens d'arrêt, un ours, un héron, etc. La com- position en elle-même pèche par sa confusion. Un certain nombre d'autres tableaux figurent sous le nom de Pisanello. Citons, au Musée de Vérone, une llcrge avec l'Enfant (n" qn), tableau qui se rapproche à certains égards de la manière de Gentile da Fabriano, mais avec quelque chose de plus âpre, et qui se fltit en outre remarquer par l'incorrection dans le dessin des mains. Une Vierge au buisson de roses (n° 041), également au Musée de Vérone, nous offre un stvle indéterminé, et nous hésitons, malgré i-liide de télé. Fac-simile d'un dc^Mii tie Pi>aiieiii'. (Musée du Louvre.) 638 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. l'autorité de MM. Crowe et Cavalcaselle, h l'inscrire à l'actif du maître. Ce second tableau, qui est excessivement fatigué, pèche en outre par l'absence de toute perspective. Il n'y aurait guère intérêt à entrer dans la discussion des différentes autres Madones qui portent le nom de Pisanello : les unes ont été défigurées par des retouches, les autres révèlent uiu- main différente, comme ce tableau du Musée de Berlin que l'on revendique aujourd'hui en laveur de Bartolommeo \'ivariiii. Pisanello a également abordé la peinture de portrait. Celui de Lionel d'EsIe (collection de M. Morelli à Milan; ancienne collection Barker) ressemble à un camée par son modelé à la fois simple, savant et ferme. Les dessins de Pisanello, mieux partagés que ses peintures, se trouvent en séries plus ou moins considérables, au Louvre d'abord, où ils forment presque la totalité du célèbre recueil de Vallardi', puis à l'Ambrosienne de Milan, au Cabinet des Estampes de Berlin et dans diverses autres collections. Ils nous initient à la curiosité toujours en éveil de cet esprit si vif et si original, en même temps qu'à une science du dessin qui tient du prodige, toutes les fois que l'artiste ne se sent pas gêné par des réminiscences gothiques. Portraits, études d'animaux, de plantes, d'objets inanimés, esquisses de paysages, mytho- logie et tableaux de genre, compositions religieuses et compositions profanes, tout tente ce crayon si incisif. Voici une tête de jeune temme (reproduite par notre photogravure) lavée à l'aquarelle sur parchemin, d'une précision et en même temps d'une plénitude dont peut-être seules certaines gouaches de Durer approchent. Mais d'ordinaire ce procédé ne paraît pas assez expéditif au maître : la plume ou la mine d'argent lui suffisent pour fixer, avec une netteté qui ne laisse rien à désirer, les physionomies des hommes ou des bêtes : rien n'égale la distinction ou la fierté des contours, maigres plutôt qu'amples, la liberté et la sûreté des mouvements, la franchise de la caractéristique. Nous retrouverons Pisanello dans le paragraphe consacré aux médailleurs, car son existence, comme celle de beaucoup de ses contemporains, a été double; à côté des titres sérieux qu'il a conquis en peinture, il a trouvé le temps de se faire une réputation brillante comme modeleur de médailles, ou, pour mieux dire, comme créateur de l'art moderne du médailleur. La manière de Stefano de Zevio (né vers i.ii),!; serait distinct, d'après les recherches modernes, de Stefano de Vérone) offre de grandes analogies avec celle de son quasi-compatriote Pisanello. Le fini de ses peintures décèle, chez lui également, un artiste nourri à l'école des miniaturistes; comme Pisanello, I . Ces dessins ont longtemps passé pour l'œuvre de Léonard de Vinci : plusieurs d'entre eux figurent encore comme tels dans l'édition illustrée du livre de Charles Clément : Michel-Auge, Léonard de Vinci, Raphaël. — M. Reiset a le mérite d'avoir signalé le premier les rapports des dessins du recueil \'allardi avec les médailles de Pisanello : Une Visite À la Kaliona! Gallery en iSj6 ; Paris, 1877, p. 42, 4.Ï. Etude de tète. Fac-similé d'un dessin de Pisanello (Musée du Louvbe). 640 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. il s'inspira parfois de Gentile da Fabriano; aussi plusieurs de ses tableaux ont-ils figuré jusqu'à ces derniers temps sous le nom du maître ombrien. De ce nombre est une Madone avec des anges qui offrent des roses à l'Enfant Jésus (galerie Colonna h Rome). Une Adoration des Mages du Musée de Brera à Milan (signée « Stefanus pinxit 1435 ») ne témoigne pas moins de cette influence qui s'allie cependant à une certaine rudesse septentrionale et à je ne sais quelles réminis- cences gothiques ou germaniques (proportions élancées, draperies à longs plis). Un dernier point de contact entre Stefano de Zevio et Pisanello, c"e*it leur prédilection pour les animaux : comme son modèle, Stefano, artiste d'ailleurs infiniment moins bien doué, prodigue partout les oiseaux — surtout les paons — ou des quadrupèdes de petite taille'. Le Louvre possède plusieurs dessins de ce maître. Parmi les peintres véronais citons encore le médailleur Matteo de' Pasti, I auteur des 'l riouipbcs de Pélrarqiie peints sur le meuble exposé au Musée des Offices (voy. page 27."^). Ce maître y m(.)ntre de la vigueur et de l'indépen- dance, sinon dans le coloris, du moins dans les figures, notamment dans les chevaux, qui ne manquent nullement d'allure. A Milan, la famille des peintres de Besozzo (village qui appartenait .'i Facino Cane) poursuivit, mais avec infiniment moins de netteté et de distinction, une voie parallèle à celle que Pisanello avait inaugurée à Vérone. Michelino da Besbzzo, surnommé Molinari, travailla sous le duc Philippe- Marie V'isconti (un de ses tableaux, la Vierge leiiaiil l'Eiifniil Jésus et la Présen- tation de l'Enfant Jésus au vieillard Siniéon, avec la date 14 17, se trouve au dôme de Milan). Cet artiste mettait du réalisme dans le choix de ses sujets aussi bien que dans son interprétation. Il orna de fresques curieuses pour l'histoire des mœurs et pour l'histoire du costume un salon du palais Borromeo .'i Milan : des Seigneurs et daines jouant aux tarots et à la paume, des Divertissenwnts eimni- pètres^. Michelino, d'après Lomazzo, excellait à pourtraire les animaux; il s'essaya en outre dans des sujets plus ou moins libres : on connaît par des copies anciennes un tableau, assez indécent. Deux Paysans et deux Paysannes se tordant de rire, tableau auquel Léonard de Wnci fit l'honneur de l'imiter. Leonardo da Besozzo"', qui semble avoir quitté de bonne heure Milan pour chercher fortune à Naples (on l'y trouve dès le règne de la reine Jeanne II, et il y travaillait en 145^ encore), nous a laissé deux ouvrages importants, les miniatures d'une Chronique universelle, autrefois conservée dans la collection 1. V.isari, t. III, p. 628-629. — Crowe et Cavalcaselle, Histoire de la Peinture italienne, édit. ail., t. V. — Tauzia, Notice des dessins de ta collection His de ta Salle exposés an Louvre, p. 65. 2. Gravés dans l'Art, 1882, t. II, p. 8.>8o. 3. Le marquis d'Adda : l'Art, 1882, t. II, p. 81-91 suiv. — H. Brockhaus, Leonardo da Bisuccio (cxtr. des Spi ingei-Stndien. Leipzig, i88.^). LES BESOZZO. — FRANCESCO SQLARCIONE. ^ai Morbio à Milan ', et les fresques de la chapelle de Caracciolo, dans l'église San Giovanni a Carbonaro à Naples, des Scènes de la vie de la Vierge, et notamment un Couronuement de la Vierge, qui « rappelle un peu le style de Giotto, mais se rapproche davantage de Fra Angelico par le charme de l'expression, surtout dans les tètes d'anges (Rio) ». Ce cycle date, d'après le marquis d'Adda, de 14-7; d'après M. Brockhaus, de 1442 au plus tôt. Antérieurement, Leonardo avait peint sur le mausolée de Ladislas, dans la même église, Saint Jean-Bapliste et Saint Augustin. A la suite des Besozzo, il convient de citer les peintres Zavattari, Zanetto Bugatto, le portraitiste, Constantino Zenone da Vaprio et Leonardo Ponzani, qui travaillèrent à Milan pendant le règne de Philippe-Marie Visconti, puis, sous le règne de François Sforza, Bonifacio Bembo et Cristoforo Moretti de Crémone ■. De même que l'architecture lombarde^ se trouva absolument déséquilibrée, une fois Bramante fixé à Milan, de même la peinture de cette région se trans- forma complètement après l'arrivée de Léonard : il nous faut donc renvov er l'étude des ouvrages de Vincenzo Foppa, de Zenale, de Buttinone, de Borgo- gnone, au volume dans lequel nous nous occuperons de Léonard et de son entourage. Les novateurs florentins, ainsi que ceux du duciié de Milan et de la ville de \'érone, avaient pris pour point de départ de leurs réformes le naturalisme : le groupe si important des peintres padouans chercha au contraire le salut dans l'étude de l'antiquité, étude plus ou moins exclusive selon le tempérament et le talent de chaque maître. L'histoire de l'illustre Andréa Mantegaa, dont noLis avons dû réserver la biographie pour notre second volume, nous apprendra que, sans avoir peut-être la fraicheiu' et la spontanéité des naturalistes, les cham- pions du classicisme firent faire un pas non moins décisif à la grande pein- ture d'histoire et préparèrent sa suprême évolution avec Raphaël. Francesco Squarcione"', né à Padoue en iSc;^, mort dans la même ville en 1474, et surnommé le Père des peintres, parce qu'il avait formé cent trente-sept élèves, tel est le nom en qui s'incarne cette donnée si essentiellement artificielle. Ce maître s'adonnait surtout, à ce qu'il .semble, aux études théoriques. Les œuvres qu'on lui attribue sont en trop petit nombre et trop douteuses pour que nous puissions nous taire une idée exacte de son talent. Mais nous savons par des témoignages certains qu'il ne négligea rien pour réunir les nieilleiu-s 1. Vov. V. Gregoroviub. Uiiu Piaula di Roma deliiuata du Leonardo du foo^j^o Milaiiac. Rome, l883. — E. Mûntz, Etudes iconographiques et arcliéotogiqttes sur te moyen âge; Paris, Leroux, 1887, p. loô. — Une de nos gravures (p. 248) montre de quelle étrange façon Leo- nardo travestissait les héros de l'antiquité. 2. Voy. Lermolieff, die IVerke italienisclicr Meisicr, p. 4.52-4.Ï3. ('1. ci-dessus, p. 179 et suiv. .3. BiBL. : Selvatico, Il pittore Francesco Squarcione, Sludii slorico-crilici. Padoue, l83g. E. Miinlz. — I. Italie. Les Primilirs. Ui 64C HISTOIRE DE L"ART PENDANT LA RENAISSANCE. modèles d'enseignement. A\-ant parcouru l'Italie et la Grèce, il en avait rapporté de nombreux bustes, statues, bas-reliefs ou fragments d'architecture antiques; il compléta ces séries au moyen d'une collection de moulages, dans laquelle il semble d'ailleurs n'avoir vu, ainsi que la plupart de ses élèves, que le côté extérieur, non l'esprit qui animait ces chefs-d'œuvre. Il les employait comme éléments décoratifs, prodiguant les oves, les palmettes, les grecques, les sphinx, les cornes d'abondance, au lieu de s'inspirer des principes mêmes des anciens pour ennoblir son style. Parmi les innombrables élèves de Squarcione, le Dalmate Gregorio Schiavone (admis en 1441 dans la corporation des peintres de Padoue, mort en 1470) a développé avec le plus de rigueur peut-être et le plus d'étroitesse le programme du maître. Sa passion pour l'attirail archéologique détonne avec d'autant plus de force qu'elle s'exerce non sur des sujets antiques, où elle eût été parfiiite- ment à sa place, mais sur des tableaux de dévotion : Marie assise avec l'Hnfant sur un trône richement orné, voilà le thème qu'il a traité dans ses Madones du Musée de Berlin, de la National Gallery de Londres (où des saints ont pris place à côté de la Vierge de manière à former une Sainte Conversaliou'), du Musée de Turin et enfin du Musée du Louvre'. Dans tous ces ouvrages, Schiavone accumula les marbres précieux, les intailles, les camées, àxcc une prodigalité qui eût pu taire envie à Fra Francesco Colouna, l'auteur du Songe de Pohfhile (voyez page S06) ; tout au plus y mèle-t-il de loin en loin quelques festons de fleurs et de fruits naturels. On dirait des châsses composées par un joail- lier : les figures humaines comptent ,\ peine; le cadre est tout. Tout autre était le Vénitien Jacopo Bellini (né à la fin du quatorzième ou au commencement du quinzième siècle, mort vers 1464-), esprit vibrant, ouvert aux impressions les plus diverses. Le précieux recueil récemment acquis par le Louvre^ et le recueil du British Muséum nous permettent d'affirmer qu'.'i côté du Squarcione, Jacopo, le père des deux Bellini et le beau-père de Mantegna, exerça une influence prépondérante sur le développement de la peinture à Padoue. Attaché d'abord à Gentilc da Fabriano, qu'il suivit de Venise .'i Florence, Jacopo Bellini se tamiliarisa dans cette dernière ville, qu'il habita de \^2?< à 142.^ et qu'il dut quitter à la suite d'une rixe, avec les idées des novateurs, notamment de Paolo Uccello (ce qui ne l'empêcha pas à l'occasion de copier Fra Angelico : folios 58, 5y, Oo du recueil du Louvre). Nous le voyons surtout apporter un soin particulier à la représentation des animaux et à celle 1. Gravé dans la Renaissance an temps de Charles l'IIl, p. 287. Ce tahleaLi a ctO rcbtiuié à son véritable auteur par M. L. Cour»jod. 2. Voy. l'article de M. Meyerdans YAUgemeincs Kûnstler-Lcxikon (1882). 3. J'ai fait connaître le premier ce recueil dans deux articles de la Ga^elte des Beaux-Arts. auxquels je renvoie le lecteur (octobre et novembre 1884). Cf. les notices de MM. Courajod et HOrou de Villefosse dans \t Bulletin delà Société des Antiquaires de France , 1884. . ---.^■j-,ut.^--i^..r\-^-fy), a su s'élever plus haut dans son retaille de la cathédrale de Pienza (avec la signature Opiis Luurcnlii Pciri FRA AXGRLirO. 6.ÏI A Florence — en dehors du camaldule Dom Lorenzo Monaco (1370-1425), dont le chef-d'œuvre, le Coiironneiiieut de la Vierge (141.1, autrefois à l'abbaye de Cerreto, aujourd'hui au Musée des Offices), riche de plus de cent figures, se dis- tingue par une exécution un peu arriérée, la candeur du sentiment, le luxe des couleurs', — le champion principal de la vraie tradition reHgieuse est Fra Angelico. Le peintre auquel la suavité de son st3'le, non moins que la sainteté de sa vie, a valu le surnom d'Angélique et le titre de « Beato », ou Bienheureux'"', naquit près du château de Vicchio, dans la province de Mugello, à quelque distance de Florence. C'est donc à tort qu'on lui a donné pour patrie Fiesole; sa longue résidence dans le couvent de cette ville a seule pu provoquer cette erreur. Il n'est pas plus exact de dire qu'il s'appelait Gio- vanni. Ce prénom lui fut imposé lors de son entrée dans les ordres. Son vrai prénom était Guido ou Guidolino, et celui de son père, Pierre. Quant à son nom de famille, son « cognome », comme on dit de l'autre côté des monts, on l'ignore. Peut- être n'en avait-il pas. Rien de plus fréquent en Italie au quinzième siècle, surtout dans les classes inférieures. On se bornait à joindre au prénom du fils celui du père, et cette désignation suffisait. Pour les contemporains, je l'aflirmerais volontiers, Fra Angelico s'appelait tout simplement Guido di Pietro, Guido fils de Pierre. On s'accorde à placer la naissance de Fra Angelico en \?si'r. Ainsi, le futur peintre dominicain était plus jeune que la plupart des artistes qui arrivèrent à la célébrité en même temps que lui : Gentile da Fabriano (né vers 1.170), Ghi- berti (1.378), Brunellesco (1.179), Masolino (1.184), Donatello (i3H6). On ne sait rien de sa famille, ni de ses premières années. Vasari se borne .'i dire qu'il n'était pas sans fortune, et qu'il lui aurait été facile de mener une existence agréable. Admettons que son père fût lui riche laboureur. Cette hvpo- thè.se ne modifiera pas l'idée que l'on peut se faire du développement du jeune artiste; car chez lui le sentiment religieux prima de bonne heure, et sans doute dès la plus tendre enfonce, toutes les autres impressions. Ce qui importerait Portrait de Fra Angelicci. (D'après la gravure piihliée par Vasari.) sculloris df Senis). Il y a introduit la Vierge, un Christ, qui plane au-dessus de sa mère, sanite Agathe, sainte Catherine de Sienne, deux papes, enfin six saints, patriarches ou prophètes. Ces figures sereines ou recueillies, graves ou émues, sévères ou majestueuses, donnent à l'ensemble une élévation et une éloquence rares, et je n'hésite pas à déclarer que, pour une fois, le maître siennois a uni à la suavité traditionnelle de ses compatriotes une fierté de dessin et une force dramatique dignes des Florentins. 1. Voy. les Chefs-crivuvre ds la Pcinlure ilnlieiiii,-, par M. P. Mantz, p. f!."!. 2. BiBL. : Marchese, Mcmorie dci pin iiisigni Pillori, Scultori ed Arcltiltili doiiienitani. — Rio, di' l'Ail ihrélifii. — C'artier, Vi,' di' Fiti Angelico de Fii'sc; .1° à Florence, de 14.10 à 1445 environ; 4° à Rome, 1445-14.^5. Les fondations du couvent de Fiesole avaient été jetées en 1406 seulement; rédiflce était donc à peine achevé lorsque les deux frères prononcèrent leurs vœux. Ils ne devaient d'ailleurs pas v fiire, à ce moment du moins, un long séjour. Les troubles causés par le schisme forcèrent, dès 141X), la communauté tout entière à se réfugier à Foligno, dans un couvent de leur ordre; plus tard, en 1414, la peste la chassa de ce nouvel asile et la fit émigrer à Cortone. On ignore si Fra Angelico suivit ses collègues dans ces diverses pérégrinations, ou bien s'il se rendit directement de Fiesole à Cortone, où se trouvait une succur- sale de son couvent. Cette seconde hypothèse paraît la plus vraisemblable. Les savants historiens de la peinture italienne, MM. Crowe et Cavalcaselle, sont disposés à l'admettre. Cette ville a conservé quelques-unes des productions du jeune moine. L'une d'elles, un retable, dont la partie supérieure se trouve dans l'église de Saint- Dominique, et le socle dans l'église du Gesù, nous montre la Vierge trônant entre saint Jean-Baptiste, saint Jean l'Évangéliste, saint Marc et sainte Marie- Madeleine; on y remarque, en outre, la Cntcifixion, VAjinonciatioit^, enfin des Scènes de la vie de saint Dominique. L'autre, au Gesù, contient YAnnoneiation, avec des Scènes de la vie de la Vierge. Il est intéressant de rapprocher de cette Annonciation les tableaux similaires du Fra : l'inspiration y est la même, mais quelle différence dans la composition ! Ici, l'ange s'incline humblement devant la Vierge, les bras croisés sur la poitrine; ailleurs, il met un genou en terre; ailleurs encore, à Santa Maria Novella, il plane dans les airs, etc., etc. On observe des variantes non moins grandes dans l'attitude de la Vierge. Le séjour à Cortone et peut-être aussi à Foligno pouvait passer pour une sorte d'exil. Fra Angelico dut accueillir avec joie la nouvelle du retour de la com- munauté dans sa ciière Toscane. Les difficultés intérieures qui l'avaient forcé, 1. J'.ii pulilic une gnivurc de ce tableau dans le Tour ihi Monde, 188.1, t. I, p. .Viq. rR.\ AXGELICO. 653 lui et ses compagnons, a se réfugier dans l'Ombrie, étaient aplanies; en 1418, ils purent tous reprendre possession de leur couvent de Fiesole. C'est là que le frère Jean passa dix-huit années dans le calme le plus absolu, partageant son temps entre la prière et la peinture. Le plus important des ouvrages appartenant à cette période est le grand tri- pt\-que de la galerie des Ofîices (peint en 14-'Î3). Le compartiment central nous montre la Vierge, grandeur nature, tenant sur ses genoux l'Enfant Jésus. Douze anges, peints dans la bordure, célèbrent ses louanges, et témoignent de leur allégresse, les uns en chantant, les autres en jouant de divers instruments de musique (vo\-. la gravure de la page 65?). Malgré la célébrité de cette Madone, l'inexorable critique a le droit de faire entendre sa voix. Les formes, d'un dessin d'ailleurs juste et correct, ne sont pas assez « pleines », elles man- quent de force, et la tète de Marie n'est en réalité qu'une miniature agrandie. C'est que Fra Angelico, on ne saurait l'oublier, a eu pour maîtres des minia- turistes. De même que son contemporain Ghiberti procède avant tout de l'orfè- vrerie, dont il a parfois appliqué les règles à des statues colossales, comme celles d'Or San Michèle, de même le peintre dominicain a souvent traité ses tableaux comme une page de missel. Xo'ûh. pourquoi, ainsi que Rio en fait la remarque à propos du Jiii^fiiu'iil dciiiicr de l'Académie des beaux-arts de Florence, la perfection de ses ligures est souvent en raison inverse de leurs dimensions. Voilà encore pourquoi, pendant longtemps, l'artiste a cru que pour faire œuvre de coloriste il était indispensable d'employer des couleurs éclatantes, des fonds dorés et guillochés, etc. Dans les divers reliquaires qu'on lui commanda, précisément à cette époque, ces procédés pouvaient être de mise; -dans des tableaux proprement dits ils devaient paraître surannés, du moins aux yeux de la jeune école qui s'agitait alors à Florence et dans les environs. Fra Angelico le comprit. Dans ses dernières œuvres, et notamment dans la chapelle du pape Nicolas \ , nous avons affaire à un peintre, à un décorateur absolument maître de son art, sachant allier à la sévérité du dessin le sentiment le plus juste du coloris. Pendant son séjour à Fiesole, le Beato peignit encore une Annoiicialioii pour l'église Saint-Alexandre de Brescia (14.V2), ainsi que des Scènes de la vie du Christ (en trente-cinq tableaux) qui ornèrent primitivement l'armoire destinée à ren- fermer le trésor de l'Annunziata de Florence et qui se trouvent aujourd'hui à l'Académie des beaux-arts. Citons enfin parmi les productions de cette période le Coiiroiniciiieut de la Vierge (au Louvre), deux Madones entre des saints, et une Crucifixion peinte à fresque, acquise par le Louvre en 1880. Dans le Couronne- ment de la Vierge, du Louvre (voy. page 656), les corps sont presque diaphanes, les tètes éthérées, l'atmosphère et la lumière ont quelque chose de surnaturel. Jamais la matière n'a été subjuguée au même point. Les couleurs, vives et entières, — parmi elles le bleu et le carmin dominent, — brillent d'un éclat particulier. En I4."i6, Fra Angelico quitta Fiesole pour Florence. Il allait donc se trouver 654 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. directement mêlé aux luttes artistiques dont la capitale de la Toscane était le théâtre. Tout autre aurait éprouvé quelque hésitation au moment de descendre dans une arène occupée par des champions tels que Brunellesco, qui travaillait alors à la coupole du dôme, Ghiberti, dont les portes n'étaient pas encore terminées, et le grand Donatello. Mais l'humble moine avait foulé aux pieds toute vanité humaine, et on peut dire que s'il rivalisa avec ces cor3-phées de l'art florentin, ce fut bien malgré lui. Nul ne connut à un moindre degré l'ambition, voire l'effort. Vasari ne nous affirme-t-il pas que jamais il ne retou- clia une de ses peintures? Il s'en remettait à la Providence, d'après le biographe, du soin de guider son pinceau. Néanmoins il fit des tentatives pour se familia- riser avec la perspective et avec la physionomie; quelquefois il consentit même à placer des portraits, mais des portraits idéalisés, dans ses compositions, notam- ment dans sa Descente de croix. Le séjour au couvent de Saint-Marc est sans contredit la période la plus féconde dans la carrière du maître. Nous ne saurions avoir ici la prétention de décrire ni même de mentionner les innombrables ouvrages exécutés par lui depuis son arrivée à Florence jusqu'à son départ pour Rome. Cette liste a d'ailleurs été dressée bien souvent; le lecteur la trouvera dans les publications du P. Marchese, de Rio, de M. Cartier, de MM. Crowe et Cavalcaselle, etc. Il nous suffira de rechercher l'esprit dans lequel ces œuvres ont été conçues et de passer en revue les plus caractéristiques d'entre elles. Les peintures exécutées à Saint-Marc appartiennent exclusivement au cycle religieux, et dans ce cycle même c'est l'élément mystique qui domine. Le retable destiné au maître autel marque probablement le début des travaux entrepris par Fra Angelico dans sa nouvelle résidence : cet ouvrage, commencé en 14.18, représente la Vierge entourée de saints. Puis viennent les fresques du premier cloître ^Crucifixion, Portraits de saints, etc.), la grande Crucifixion de la salle capitulaire, les fresques des cellules, etc., etc. Ces diverses productions, qui auraient suffi à remplir la vie d'un artiste moins laborieux, prirent à peine . à Fra Angelico une dizaine d'années, et encore ne cessa-t-il dans ses moments de loisir de fournir des tableaux de chevalet à beaucoup d'églises de Florence et des environs. Les peintures de Saint-Marc nous montrent le Fra dans tout l'éclat de son talent, disons mieux, de son génie, — le terme n'a rien d'excessif. Peu de couvents, à coup sûr, peuvent s'enorgueillir d'une décoration aussi vaste, aussi harmonieu.se, aussi splendide. Pendant son séjour au couvent de Saint-Marc, durant ces dix années, il est peu de scènes de l'Lvangile que le Fra n'ait illustrées, et en quelque sorte renouvelées. Nous avons montré plus haut avec quelle originalité il repré- senta V Annonciation. \J Adoration des Mages aussi tenta plus d'une fois son pinceau, quoique ce sujet comportât une mise en scène moins en rapport avec ses aptitudes. Loin de s'attacher, comme ses confrères, à couvrir les trois mo- narques orientaux des plus riches étoffes, à leur donner une brillante escorte, ANOli bOXNANT IIE LA TRO.MHETTE (FRAGMENT), 1>AK Fk.\ AxGELlCO. (Mlsée des Okkices a Florence.) 65f) HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. il chercha surtout à exprimer leur humilité profonde, leur vénération sans égale pour l'Enfant divin. * Une autre de ses compositions, dont il emprunta également le sujet à l'Evangile, la Siiiiili' Cciic, se distingue par une innovation qui est un véritable trait de génie. Huit des disciples se sont levés de leurs sièges au moment où leur maître s'approche d'eux pour leur donner le pain consacré. Quant aux quatre autres, ils croiraient ne pas reconnaître suffisamment dans cette attitude la grâce qui leur est foite, et c'est à genoux, les mains jointes, qu'ils attendent que Jésus vienne à eux. Les Crucifixions forment, comme les Adorations des Mages, un groupe distinct dans l'œuvre du Beato. L'artiste a souvent traité ce thème, mais jamais avec autant d'élévation que dans la grande fresque de la salle capitulaire. Cette com- position bien connue (notre Ecole des Beaux-Arts en possède une bonne copie moderne) est moitié historique, moitié symbolique. A quelques-uns des acteurs ou des spectateurs ordinaires de la scène traditionnelle, la Vierge, les saintes femmes, saint Jean l'Évangéliste, qui forment un groupe admirable au pied du crucifix central supportant le divin supplicié, Fra Angelico a joint des apôtres, des évangélistes, des saints, des Pères de l'Église, des fondateurs d'ordres : les uns debout, revêtus de leurs ornements sacerdotaux, les autres agenouillés. Dans cette page monumentale, l'artiste a parcouru toute l'échelle des senti- ments, depuis la douleur la plus poignante jusqu'à l'espérance la plus sereine, la plus inaltérable. Il y a mis des gestes, des attitudes dignes du dramaturge par excellence, Giotto. Un acteur presse ses mains contre sa poitrine pour marquer sa douleur; un autre les étend pour proclamer sa vénération; un troisième se couvre la face et pleure à chaudes larmes; celui-ci est perdu dans la contemplation du crucifix; celui-l.l se détourne, ne pouvant supporter un spectacle si cruel. On remarquera surtout saint François d'Assise appuyant sa joue contre sa paume, par un geste d'une douceur et d'une mélancolie indéfinissables. Une autre fresque du couvent de Saint-Marc unit, comme la Cciie décrite ci-dessus, le plus puissant pathétique à une extrême simplicité de mo3'ens : Les saintes femmes se sont approchées du tombeau; en voyant qu'il est vide, elles se laissent aller à leur afiliction. Le geste de l'ange, si clair pour le spectateur, est un mystère pour elles, car elles ne savent pas que celui qu'elles cherchent est ressuscité, qu'il plane au-dessus d'elles dans une gloire céleste. Le contraste entre cette douleur humaine et la radieuse apparition du Christ est à coup sûr im des plus beaux traits dti génie du Fra. Le plus célèbre des Cotironneiucnts exécutés dans les dimensions restreintes si propres à faire éclater la grandeur du style de Fra Angelico est celui du Louvre. On connaît cette œuvre magistrale. Le centre de la composition se trouve au second plan : sous un riche baldaquin, dont les colonnes incrustées et les tentures de brocart rappellent les peintures les plus somptueuses du moyen âge, le Christ assis sur son trône pose la couronne siu^ la tète de sa mère âge- E. Munlz. — I. Italie. Le» Hiiniiui ti.S8 HISTOIRE DE L'AKT 1'J;NDANT LA REXAISSAN'CE. nouillée devant lui. Autour du couple divin, des anges font retentir l'air du son des instruments les plus divers; puis, en se rapprochant du premier plan, un cercle de saints et de saintes, les uns debout, les autres agenouillés, expri- ment par leurs gestes la joie que leur cause ce spectacle. Aux martyrs, aux témoins de la primitive Église, sont mêlés les fondateurs d'ordres religieux, saint Dominique, saint François, des évèques, des monarques. On remarquera sur- tout, à droite, le charmant groupe des saintes, toutes à genoux : sainte Agnès serrant avec tendresse son agneau contre son cœur, sainte Catherine tenant la roue, instrument de son supplice, etc., etc. C'est une composition savante, admirablement pondérée, dans laquelle la solennité du style n'exclut nullement l'exubérance de la vie, ni l'infinie variété des idées. Comparé au tableau du Louvre, le Coinviniciiiciil de hi A'/Vr^v de la Galerie des Offices nous montre une composition vraiment aérienne. Au centre, le Christ, tenant de la main gauche le globe, avance la droite pour ajouter quelque riche joyau à la couronne de Marie assise (et non plus agenouillée) à côté de lui. Un chœur d'anges célèbre les louanges de la mère et du fils. Du milieu de cette scène partent des rayons dorés qui sont gravés dans le panneau même, et qui forment comme une vaste nappe de lumière. Sur ce fond éblouissant se détachent des saints et des saintes, les traits resplendissant de bonheur. Le bas de la composition est occupé par des anges agenouillés et tenant des instruments de musique; ces figures sont placées en dehors du cercle radié et paraissent se trouver à une distance incommensurable du Christ : on dirait qu'un abîme les sépare de lui. Rarement effet plus grandiose a été obtenu avec des moyens plus simples. Prises individuellement, les figures paraissent vraiment trans- figurées; l'âme perce à travers l'enveloppe terrestre. Les têtes blondes, ron- delettes, d'une grâce et d'une fraicheiu- indicibles, font penser à la primitive Ecole de Cologne. Ne serait-ce pas devant elles que Michel-Ange a formulé cette belle pensée : « Il faut que ce bon moine ait visité le Paradis et qu'il lui ait été permis d'y choisir ses modèles » ? Chez les saintes, le type atteint à la perfection; chez les saints, il manque peut-être un peu de force. La transpa- rence et l'éclat de l'atmosphère qui enveloppe la scène ont quelque chose de magique; c'est bien là cet « éther « dont Virgile parle dans sa description des champs Elysées : « Là uij air plus pur est répandu sur les campagnes, et les revêt d'une couleur de pourpre. » Largior hic canipos LVthcr et luniiiif vcstit Piirpuix'o. Le Jtigcincnl dcniicr devint pour Fra Angelico un motit de prédilec- tion, comme l'était le Coitronnciiicnl de la J'icrgc, et ses contemporains, de leur côté, ne se lassèrent pas de lui demander des répétitions de cette compo- sition; nous le savons par les tableaux de la galerie Corsini à Rome, de FRA ANGELICO. 65q l'église des Capucins de Leonforte en Sicile, de la galerie Dudley à Londres. Le plus beau de ces Jugements derniers est celui qu'il exécuta pour le cou- vent de Sainte-Marie des Anges, de Florence (celui-là même où vivait l'ami de Fra Angelico, le mi Lorenzo), et qui se l'Académie des beauy- La composition parties princi- met, le Christ niaturiste camaldule Dom trouve aujourd'hui à arts de la même ville. se divise en trois pales : au som- trônant au Le Couronnement de la Viersre, par Fra Antrelico. (Musie du Louvre.) milieu des prophètes, des apôtres, des docteurs; dans le bas, à droite, l'enfer, à gauche, le séjour des élus. C'est dans cette dernière partie que l'artiste a condensé toute la poésie du tableau : « Ces tètes tendues avec amour vers le Rédempteur, dit Rio, ces effusions de joyeuse tendresse entre les anges gar- diens et les justes, cette danse mvstique des uns et des autres sur un gazon émaillé de fleurs, cette légère flamme sur le front des uns, ces roses rouges et blanches sur la tète des autres, la ténuité croissante de leurs corps sveltes et lumineux en approchant de la Jérusalem céleste dans laquelle ils s'élancent 660 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. deux a deux en se tenant p.ir la main, tout cela jette le spectateur dans une sorte d'ébahissement dont il faut qu'il revienne avant de pouvoir analyser tant de beautés, si toutefois des beautés de cet ordre peuvent se prêter à l'analyse. » Le pape Eugène IV, pendant son long exil à Florence, avait eu bien des occa- sions de connaître et d'apprécier le talent du peintre dominicain. Ne savons- nous pas, entre autres, qu'en 1442, lors de l'inauguration de Saint-Marc, le pape passa la nuit dans la cellule décorée par Fra Angelico pour Cosme de Médicis, celle-là même où l'on voit aujourd'hui encore V Ailoiatioit des Mages} Un de ses premiers soins, après son retour à Rome, tut d'appeler auprès de lui l'artiste toscan. On ignore l'époque précise du départ de Fra Angelico pour la Ville éternelle. Il est probable qu'il s'y installa en 1445, c'est-à-dire un an ou dix-huit mois avant la mort d'Eugène IV. Les travaux ne devaient donc pas être très avancés lorsque Nicolas V monta sur le trône, le 0 mars 1447. Le premier ouvrage que Fra Angelico exécuta au Vatican fut la décoration de la chapelle du Saint-Sacrement. L'artiste y peignit à fresque des Scènes de la vie du ChrisI, entre autres le Criicifieiueul. Il y ajouta les portraits de plusieurs personnages vivants : Nicolas ^', l'empereur Frédéric, l'archevêque Antonin de Florence, l'historien Biondo de Forli, Ferdinand d'Aragon, agenouillés au pied de la croix. C'était là, ou nous nous trompons fort, une concession feite au goût du temps, aux désirs du pape. Il était bien arrivé parfois à Fra Angelico d'Introduire quelqu'un de ses amis parmi les spectateurs ou acteurs des grands drames religieux qu'il peignait : c'est ainsi qu'il avait donné place à l'architecte Michelozzo dans sa célèbre Descente de croix de l'Académie des beaux-arts, la plus réaliste peut-être de ses peintures; mais il n'avait jamais jusqu'alors con- sacré son pinceau aux grands de ce monde, et il ne le fit certes pas sans répu- gnance secrète. — La chapelle du Saint-Sacrement a disparu au seizième siècle, sous Paul III, ainsi que les portraits qui firent partie du Musée de Paul Jove, et rien ne nous reste de cet ensemble à coup sûr si curieux'. Dans l'intervalle se placent les peintures du dôme d'Orvieto. On a déployé beaucoup d'imagination pour découvrir les causes du départ de Fra Angelico de Rome. Il n'était pas nécessaire de chercher si loin. Interrogeons le contrat signé par le peintre avec l'œuvre du dôme. Qu'y voyons-nous? Fra Angelico s'engage à travailler chaque année à Orvieto pendant les mois de juin, de juillet, d'août et de septembre, c'est-à-dire pendant la saison où le climat de Rome est le plus dangereux. Son séjour à Orvieto n'était donc pour lui qu'une sorte de villégiature, et cette villégiature il comptait la renouveler chaque année. 1 . Cette Lh.ipclle ct.iit-ellc Liistinctc du cellu qui est .ippL-lOc Capelhi di San Piclro et dans laquelle Fra .\ngelico travaillait en 1447, en 1448, en i44i-("'' M. Faucon affirme que, quoique mentionné par les contemporains comme se trouvant à l'intérieur du palais du Vatican, ce sanc- tuaire en miniature est bien le même que celui dont on parle comme se trouvant à Saint- Pierre. (L'.-^r/, i883. t. III, p. 144). FRA AXGELICO. 66i Ce fut, selon toute vraisemblance, au mois de juin 1447 que le maître partit pour Orvieto; il emmenait avec lui ses élèves Benozzo Gozzoli, Giovanni d'An- tonio de Florence, et Giacomo d'Antonio de Poli. Les conditions de ce nouvel engagement ne différaient pas sensiblement de celles qui lui avaient été foites à Rome. Il recevait par mois environ lO ducats de 7 livres chacun pour ses hono- raires, et :;o livres pour son entretien. On lui fournissait en outre le vin, le pain et les couleurs. Le salaire de Benozzo Gozzoli s'élevait à 7 ducats par mois, celui de Giovani d'Antonio à 2, celui de Giacomo de Poli à 1 ducat. Fra Angelico se mit à l'œuvre sur-le-champ, et lorsqu'il repartit pour Rome, à la fin du mois de septembre 1447, son travail était déjà fort avancé. Le thème qu'il devait traiter était le Jugement dentier. Les Prophètes sont encore là pour témoigner de la grandeur de la conception (gravés page 81). Le maître ne revint pas à Or\'ieto, malgré l'invitation qui lui fut adressée l'année suivante. Peut-être les embarras financiers de l'œuvre du dôme furent-ils pour quelque chose dans son refus. Un des premiers actes de Nicolas V fut de régulariser (peut-être seulement de confirmer) la situation de Fra Angelico. Thomas de Sarzane avait été élu pape le 0 mars 1447 ; dès le i .i du même mois, le Frère Jean, fils de Pierre, de l'ordre de Saint-Dominique, pour parler comme les comptables de la cour pontificale, avait repris ses travaux. Nous apprenons à la même occasion que son traite- ment s'élevait à 200 ducats d'or. Cette somme, énorme pour le temps (l'archi- tecte en chef de Saint-Pierre, Bernard Rossellino, n'en recevait que 180), montre le cas que le pape fltisait de lui. En 144Q, nous trouvons Fra Angelico occupé à la décoration de l'oratoire privé du pape, ou, pour nous servir des expressions de documents récemment découverts, de son studio (cabinet de travail), véritable sanctuaire de l'art : aux peintures du frère Jean de Florence se joignaient les sculptures et marque- teries du frère Antoine de Viterbe, les vitraux peints du frère Jean de Rome, ces derniers représentant, l'un Saint Etienne et Saint Laurent, l'autre la Madone. Les actes des deux saints dont nous venons de prononcer les noms, tel est le sujet des peintures de l'oratoire. La composition se divise en deux séries : la partie supérieure nous retrace, en six compartiments, la J'ie et la Mort de saint Etienne; la partie inférieure, la Vie et la Mort de saint Laurent. Les figures des quatre Évangélistes et celles de huit Docteurs de F Eglise complètent la décoration. La Prédication de saint Etienne mérite un éloge tout spécial. Le groupe- ment y est à la fois naturel, harmonieux et vivant; il témoigne non seulement d'une science consommée, mais encore d'un talent d'observation peu commun : l'expression du recueillement, de la ferveur, y est saisie sur le vif. Se rappelant la simplicité de la primitive Église, simplicité qui contrastait si fort avec le bruit et l'éclat des prédications populaires du quinzième siècle, l'artiste a borné à un petit nombre de personnages l'assemblée rangée autour du saint. A droite, le prédicateur debout expliquant les Écritures; devant lui une dizaine de femmes 662 HIST01RI-; HE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. assises à terre, les unes priant avec ferveur, les autres recueillant avec avidité les paroles tombées des lèvres de Torateur; plus loin, quelques hommes debout, les uns attentifs, les autres émus. Un palais-forteresse, dans le c;enre de ceux ïzr^: La Priidication de saint Hlienne. Fresque de Fia .\ngelico. (Palais du Vatican.) de Florence, occupe le tond de la composition. C'est une des concessions faites par le Fva aux principes de son compatriote Masaccio. Dans le Suint hticnne devant le grand pirtir, h grandeur, la sévérité de cer- taines figures rappellent Giotto. Dans la Lapidation de saint Etienne, le paysage du fond fait penser aux collines qui entourent Florence. Le Pape Martin I" FRA ANGELICO. 663 coiifcnint If diaioihil à saint Laiiinit nous ramène aux types si tendres, si suaves, si véritablement chrétiens de la période florentine du maitre. La Distribution des aumônes nous montre, au centre, devant la porte d'une basilique, revêtu d'un costume somptueux parsemé de flammes (allusion à son Le pape iMarlin 1" conléraiU le diaconat à saint Laurent. Fresque de Fra An!,'elico. (Palais du Vatican.) martyre), saint Laurent distribuant des pièces de monnaie aux malhetu-eux rangés autour de lui : aveugles, estropiés, boiteux, veuves, orphelins, toutes les infirmités sont représentées dans ce groupe, et cependant la scène n'a rien de repoussant : la résignation ennoblit les traits de tous ces êtres si cruellement frappés. Un épisode d'une traicheur, d'une grâce exquise, fait d'ailleurs diver- sion au spectacle de tant de misères, de douleurs : deux enfirnts, un petit gar- çon et une petite fille, viennent de recevoir leur part des aumônes; ils s'en vont r>64 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. tout joyeux. On admirera surtout l'attitude de la petite fille qui a passé un bras autour du cou de son frère, tandis que, de la main restée libre, elle plonge dans celle des mains de son frère qui contient l'argent. Le Martxir de saint Laurent est du plus haut pathétique ; la figure du saint étendu sans vêtements sur le gril exprime .'i la fois la douleur et la résignation. \'ers 14?! Fra Angelico retourna en Toscane, où il séjourna près de deux années. M. Faucon place avant ce voyage les fresques de l'Histoire de sain! Etienne, et après, celles de YHistoire de saint Laurent, oi\ il constate l'inter- vention plus considérable des élèves, notamment de Benozzo Gozzoli'. L'artiste dominicain avait plus de soixante ans quand il commença les pein- tures de l'Oratoire de Nicolas V. Jamais il n'avait montré une fermeté de main, une élévation de pensée aussi grandes que dans cet ouvrage, qui tut comme son testament artistique. Ses forces n'avaient pas diminué, et les contemporains se croyaient en droit d'attendre de lui plus d'un chef-d'œuvre encore. Telle fut la conviction des administrateurs de la cathédrale de Prato, lorsqu'ils l'invitèrent, en 14."^;, à peindre le chœur de leur sanctuaire. Mais Fra Angelico, qui avait sans doute des travaux à terminer à Rome, n'accepta pas. Nous apprenons à cette occasion que l'artiste se trouvait à Fiesole pendant l'année en question. Il avait donc voulu revoir une fois encore sa chère Toscane. Ce tait, déjà soupçonné par Rio, vient d'être établi de la manière la plus formelle par un document publié par le P. Marchese. Un peu plus tard, Fra Angelico retournait à Rome : il y mourut le 18 mars I455, et fut enterré au couvent dominicain de la Minerve. « Ne me louez pas », lui fait dire l'auteur de l'épi- taphe, « d'avoir égalé Apelle, mais bien d'avoir consacré tous mes efforts à soulager tes serviteurs, ô Christ ! C'est ainsi que la terre possède une partie de mes œuvres, et que les autres se trouvent dans le ciel. Mon nom est Jean; pour patrie, j'ai eu la ville qui est la fleur de la Toscane. » Résumons-nous. Le secret de l'originalité du Fra ne réside pas dans telle ou telle découverte technique, dans tel ou tel changement de style, mais bien dans l'intensité du sentiment religieux, dans la vivacité des impressions, la délicatesse du goût. A une époque moins avide d'action ou d'innovations, de pareilles qu.a- lités auraient permis au frère Jean d'exercer une influence considérable sur la marche de l'art. Au quinzième siècle elles ont pu sulfire à taire du moine dominicain un maître digne de marcher de pair avec les plus grands, mais un maître isolé, un maitre en retard, comme l'a dit un fin critique', un maître ayant prolongé en pleine Renaissance les méthodes de l'âge antérieur. Devant la tension d'esprit qui caractérise la plupart des peintres florentins, 1. L'Art, i883, t. III, p. 167. ;. P.iul Mantz, hs Clk-fi-d'œiivre de la Peinture italienne, p. 8:. FR.\ I-ILII'PO LiPPI 665 on éprouve une .sorte de délassement à retroii\ei' des artistes aux aspirations moins transcendantes, mais plus aimables, se laissant aller sans parti pris aux impressions du moment, pleins de respect pour la tradition, mais accessibles également à la nouveauté. A Cette seconde catégorie appartient le peintre capricieux, bizarre, irrégulier, capable de s'élever très liaut et risquant parfois de tomber fort bas, qui s'appelle Fra Filippo Lippi'. Vers 1406 naissait à Florence, dans la via Ardiglione, près du couvent des Carmes, un entant qui reçut le nom de Filippo. Sa mère ne survécut guère à sa naissance, et son père, qui était boucher, la suivit de près : Filippo n'avait pas deux ans quand il se trouva orphelin. Une tante prit soin de lui; mais, comme elle était i'ort pauvre, dès ou'il eut atteint Tàge de huit ans elle le mit au couvent des Carmes. Là l'enfant se distingua à la fois par sa dextérité manuelle et par la paresse de son esprit., A peine put-il apprendre ce qu'il lui fallait de lettres pour fltire son noviciat. Il ne cessait, par contre, de couvrir de dessins ses livres et ceux des autres. Aussi le prieur, loin de contrarier sa vocation, comme le tai- saient tant de pères, lui accorda-t-il toutes les tacilités. Masaccio venait de terminer, au couvent même des Carmes, ses immortelles fresques : la chapelle peinte par lui devint l'école du jeune Filippo; celui-ci ne tarda pas, dans ses copies, à l'emporter sur la jeunesse artiste de Florence, qui dès lors se pressait devant ces chefs-d'œuvre. L'âme de Masaccio, disait-on, était entrée en lui. Le premier ouvrage qui mit Filippo Lippi en vue fut une peinture en camaïeu, en « terra verde », exécutée dans le cloître du couvent. Un pape confirmant la règle des Carmes. 11 enrichit de différentes autres compositions, qu'il serait trop long d'énumérer ici, la maison où il reçut si longtemps l'hospitahté. En 1431 il quitta le couvent et, ce semble, l'ordre des Carmes, pour des raisons que l'on ignore. On ne saurait doiitei' cependant qu'il n'ait été ordonné prêtre, car il ne cessa de porter l'habit ecclésiastique, même dans les périodes les plus profanes d'une existence passablement aventureuse; on le voit en outre remplir les fonc- tions de prieur ou de chapelain, soit à Florence, soit dans les environs. Mal Portrait de Fra F. Lippi. rapres un tableau du maître. (.Vcadéniie de Florence.) I . BiBL. : Baldauzi, délie Pittiire di Fin Filippo Lippi . . . l'rato, 1 W?,?,. — Crowc et CavalcascUc. — G. Milanesi : l'Art, ,3' année, t. IV; 4= annce, t. I. E. Miiniz. — I. Italie. Les Primitil». ai 666 HISTOIRE UE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. lui cil prit de courir le niDiulc : Wisari raconte que l'ilippo, se promenant im jour dans une barque sur les bords de la mer, fut fait prisonnier par des cor- saires moresques et emmené en esclavage. Dix-huit mois durant, il eut à subir les plus mauvais traitements. F.nfm, a_yant fait de mémoire le portrait de son maître, il attira sur lui son attention et finit par obtenir sa liberté. De retour à Florence, Filippo ne tarda pas à entrer en relations avec les Médicis, et bientôt il compta en eux les amis les plus dévoués, acquéreurs d'une grande partie de ses tableaux. Malheureusement son ardeur au travail n'avait d'égale que son ardeur au plaisir : il fallait que Cosme de Médicis renferni.it sous clet pour rempèclier de quitter l'ouvrage commencé. Précaution inutile : l'artiste, ayant découpé les draps de son lit, les noua ensemble et s'en servit pour se sauver par la fenêtre. Cosme, le voyant incorrigible, lui laissa désor- mais une entière liberté. A Prato, une aventure extraordinaire marqua cette existence peu édifiante : Fra Filippo Lippi, que l'on admettait sans trop de défiance dans les couvents de femmes, eu égard à sa qualité de prêtre, fut chargé par les nonnes de Sainte- Marguerite, auxquelles il servait de chapelain, de peindre im retable pour le maître autel. Un jour il aperçut par hasard une nonne florentine nommée Lucrèce Buti, d'une beauté remarquable. Aussitôt il en devint amoureux, et pour obtenir le moyen de la voir aussi souvent qu'il souhaitait, il prétexta qu'il avait 'tiesoin d'elle pour modèle de la figure de la Vierge. Il fit tant et si bien qu'un jour — cela se passait en 1456 — Lucrèce, peu fidèle au souvenir du nom qu'elle portait, se sauva avec lui. On juge de l'indignation générale. Fra Filippo cependant obtint du pape d'être libéré de ses vœux, ainsi que Lucrèce, et de l'épouser, faculté dont, d'après des documents récemment découverts, il se garda bien de profiter. De cette liaison naquit un peintre non moins fameux que son père, Filippino Lippi. C'est dans cette même ville de Prato que Fra Filippo laissa son ouvrage le plus considérable, les fresques de la l'ir de siiiiil Jùiii-Baptisic, commencées en 1456, et les fresques de la /'/V ch' saiiil liliciiiu', terminées en 1464. Dans le premier c_\cle, qui comprend la N^ii/ssiiinr, la PrctliiUlioii, le Buplcine lie sailli Jcdii, le Irsiiii iPHàvdc et la Dciollalioii de Saint Jean, l'avant-dernière de ces compositions peut passer pour une des pages les plus spirituelles, les plus séduisantes du quinzième siècle. Une belle cour, bordée d'édifices en style de la Renaissance, abrite des convives joyeux assis à une table en fer à cheval. A gauche derrière eux, un groupe de musiciens; puis, au premier plan, Flérode debout contemplant Salomé qui danse. L'artiste, malheureusement, a dédou- blé l'action. Erreur regrettable, mais qui ne suffit pas pour obscurcir le charme de la scène ni pour masquer cette vivacité, cette coquetterie et cette verve mon- daines et profanes plutôt que sacrées dans lesquelles excellait le Fra. Celui-ci a donné à ses héroïnes des traits et une attitude d'une grcîce parfaite; puis, réaliste par accident, sinon par vocation, il a revêtu Flérode et ses courtisans des cos- FRA FILIPPO LIPPI. (-.6- tûmes du quinzième siècle, et représenté le festin comine un festin des Médicis ou des Ruccellaï, sans nul essai de restitution archéologique. Il s'est plu à placer La Vierge avec PEnlant soulemi par deux anges. Tableau de Fra Filippo l.ippi. ( Musée des Offices.) les convives dans un « cortile » non moins moderne : on remarquera sur une sorte de console une belle série d'aiguières en or, et au fond un écusson entouré de feuillages et de fleurs. Les Funérailles de saint Etienne forment, dans le style grave et «tilennel, le 66R IlISTi^IRE DE L'ART PENDANT LA J^ENAISSANCE. pendant du Festin iTHérode dans le st3'le spirituel et léger. Une superbe basi- lique supportée par des colonnes corinthiennes, dont le dessin n'est d'ailleurs pas irréprochable, et par des pilastres imités de ceux de Brunellesco, avec un magnifique soffite à caisson, sert de cadre à la scène. Dans celle-ci, Fra Filippo a pris pour modèle ces fresques de Masaccio au Carminé de Florence, .'i coté desquelles s'était passée son enflmce. Même ordonnance simple et sévère, des groupes animés, sans être mouvementés, des phvsionomies calmes et sérieuses, presque toutes des portraits — on a reconnu dans le personnage debout .\ droite au premier plan Charles de Médicis, fils naturel du vieux Cosme et prévôt de la cathédrale de Prato; — enfin mêmes costumes amples et graves. Sans le manque de fermeté dans le dessin et je ne sais quelle absence de con- viction, je ne sais quel excès de facilité, la page serait digne de Masaccio'. L'ensemble des fresques de Prato se distingue, je le répète, par un grou- pement plein d'aisance et de naturel, par des t3'pes tour à tour graves ou spiri- tuels, par un coloris harmonieux, mais un peu mou; leur auteur, s'il avait eu autant de conviction qLie de facilité, aurait compté parmi les premiers artistes de son siècle. Un tableau de chevalet, la Vierge avec rEiifitii! soiileini par ileux autres, au Musée des Oflices, charme par sa nan'eté et sa iraicheur, malgré l'irrégularité des traits. Le Coiirninieiiiei:! de la l'ienje (1441), à IWcadémie des beaux-arts de Flo- rence — tableau horriblement malmené par les restaurateurs modernes, — abonde en motifs gracieux et respire, sinon de la solennité, du moins une grande sérénité. Les têtes cependant y sont un peu uniformes; on remarquera parti- culièrement leur galbe défectueux, d\uc leurs mâchoires proéminentes, leur menton écrasé, leur front aplati. Dans un angle, l'artiste s'est représenté à genoux, les mains jointes : on retrouve bien la figure sensuelle et passablement vulgaire que nous dépeignent les biographes. Le dernier ouvrage de Fra Filippo fut la décoration du chœm- de la cathé- drale de Spolète. Il y peignit Wdinioiieiiilioii, la Nalii'ilc, la MorI de la J'iert^e, son Assomption et son (^oiiroinieiiieiil. Le couronnement, sujet familier à l'artiste, se distingue par la profusion des saints et des anges, fort habilement groupés. La mort le surprit au milieu du travail, en 14O9; Vasari prétend que les parents d'une fennne qu'il aimait le firent empoisonner, mais rien ne confirme cette version. Le I-ra confia par son testament l'éducation du petit Filippino à son disciple et collaborateur Fra Diamante. Laurent le Magnifique, fidèle au souvenir de l'artiste qui avait été pour la famille des Médicis un véritable ami de cœur, lui fit élever dans la cathédrale de Spolète un mausolée digne de lui. Fra Filippo a laissé un œuvre fort considérable et a marqué sa place dans 1. Un m.iîtrc cminent, D. Ghirkind.ijo. n'a pas dédaigne de s'inspirer des ligures de femmes assises ou plutôt accroupies à côte' du cadavre de saint Etienne, dans sa Vision di' Saiilii Fina à San Geniignano. 670 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. la plupart des galeries publiques. La Vierge avec l'Enfant Jésus, tel était le sujet qu'il traitait de préférence, dans des données d'ordinaire passablement profanes. A en croire les historiens, il se serait appliqué le premier à peindre de ces tableaux circulaires, de ces médaillons, qui devaient jouer un rôle si considérable dans les fastes de l'art italien du quinzième siècle, et qui, en forçant l'artiste à enfermer sa composition dans un cadre moins commode que le rectangle, firent ftire un si grand pas à la science du groupement et de l'ordonnance. Le Louvre expose également un certain nombre de dessins du Fra. Ces des- sins, d'une tacture en général fort libre, trop libre même, parce que l'on n'y sent plus d'intimité, se reconnaissent aux rehauts blancs, dont Lippi, un des premiers, a fait usage, et à leur style guindé; ce qui ne doit pas nous étonner, car le Fra a le droit de revendiquer une place parmi les ancêtres du maniérisme. Son fils Filippino se montra en cela son digne héritier, comme nous le verrons dans la suite. Etant donnés le tempérament et l'humeur de Fra Filippo, ne lui demandons pas l'élévation de la pensée ou du style. Ce maître s'est fait une manière piquante, spirituelle, remarquable par la vivacité du coloris, non moins que par un fond de motifs très heureusement observés ou inventés. Il se rapproche des réalistes en ce qu'il substitue parfois aux types traditionnels les portraits de ses contemporains (dans le retable de Prato, on l'a vu, il a pris pour modèle de la Vierge son amante Lucrèce Buti) et qu'il ne dédaigne pas de faire des emprunts aux costumes de son temps. Mais moins acharné .i la précision que Paolo Uccello et Andréa del Castagno, ainsi que l'a fort bien dit M. Lafenestre, s'il atteint rarement leur âpre grandeur, il déploie, en revanche, des séductions qu'ils ignorent et ne tombe jamais dans leur sécheresse pédante. Il a surtout fait faire de grands progrès au coloris et lui a donné une morbidesse inconnue avant lui. Fra Diamante, que nous retrouverons, n'est pas le seul élève formé par Fra Filippo. Pesellino, Botticelli et d'autres encore reçurent ses leçons, profitèrent de ses progrès. Ses types, parfois soufreteux, servirent de modèle à Botticelli, qui érigea en règle ce que le maître n'avait guère considéré que connue une fantaisie, et qui, à force d'irrégularité naïve, sut se faire pardonner le manque de beauté : on en jugera par la figure reproduite ci-contre, d'après un dessin du Louvre. Un mot encore, avant de prendre congé des Florentins, sur la dynastie des Bicci (Lorenzo di Bicci, né vers i35o, morten 1427; Bicci di Lorenzo, son fils, né en i^~?>, mort en 1452; Neri, son petit-fils, né en 1410, mort en 14Q1) : elle porta surtout loin le génie industriel et organisa une véritable fabrique de pein- tures (on prêtait au vieux Lorenzo ce mot caractéristique : « Sers toujours le potage, je vais en attendant peindre encore une figure de saint et viendrai ensuite »). L'œuvre la plus caractéristique peut-être de Bicci di Lorenzo, le Saint Cosine et saint Damien du Musée des Offices (vers 1429), montre deux per- 6-2 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. sonnages debout, tii costume du temps, avec un mélant;e de réminiscenses gothiques (fond doré, draperies à ondulations, nez un peu court, teint terreux) et de tendances réalistes, qu'il serait injuste de méconnaître. Bicci y a renoncé aux types de convention, plus impersonnels encore que beaux, et s'est efforcé de peindre des figures vues, vécues. Si ce n'est point encore l'expression de la vie. du moins est-ce un acheminement. Signalons, à côté des Bicci, Pietro Chelini, qui termina en 1444 les curieuses fresques de V Histoire de saint Pierre Martyr, sur la façade du charmant petit édifice appelé // Bi^allo, à côté du Baptistère de Florence '. A \'enise, deux peintres médiocres, Jacohello de! Piore (y 14-''Q?) et Michèle Giambono, personnifièrent l'esprit de routine, sans atteindre au fini par lequel letn-s compatriotes, en dignes héritiers des Bvzantins, s'eflorçaient d'ordinaire de masquer le manque d'inspiration. Prenons, à l'Académie des beaux-arts, la Vierge entre deux saints (14.%) de Jacobello : c'est un mélange de minutie et d'ignorance; des ornements en relief plaqués sur une robe que l'artiste n'a même pas essayé de modeler, des fraisiers et des tougères sans précision et sans fraîcheur, des visages sans expression, des membres lourds et informes. L'entraî- nement que provoque un milieu artiste et le talent personnel y ont défliut à la fois. A partir de 144", l'alliance des représentants du byzantinisme'" avec un transfuge de l'Hcole de Cologne, ou, pour parler plus clairement, l'association d'un membre de la famille des Muranistes, Antonio Vivarini de Murano, avec Jean d'Allemagne, « Johannes de Alemania », donna naissairce à une série de peintures aussi solennelles que traiches et printanières. Les brocarts d'or, les baldaquins et les trônes couverts de joyaux alternent dans leurs peintures avec les buissons de roses, le gazon émaillé de pâquerettes, les oiseaux qui chantent dans le feuillage; le luxe des vêtements se marie à la candeur des traits et aux formes un peu estompées de maître Stephan Lochner. Nul doute que le séjour à Venise de Gentile da babriano n'ait préparé les voies à ce rapprochement, qui, sans son intervention, semblerait véritablement trop brusque et trop forcé. Les plus anciens produits de cette collaboration remontent à l'année 1440, les plus récents à 1446 : ils se composent généralement de Madones (musées et églises de Venise, Musée de Brera) se détachant soit sur un paysage riant, soit sur un encadrement architectural qui brille de tout le luxe de l'Orient. Des types tour à tour germaniques ou vénitiens, tour l\ tour empreints de gravité ou de sérénité, im modelé assez flou, surtout dans les parties nues, une coloration 1. Voy. KLiniohr, lUilicm'sclic Forscliiiuufii, t. II, p. i(k) ft suiv. — Rio, di' i'Jjl cliviiicii, t. I, p. .^,.^7. 2. Vers hi fin du quinzième siècle encore, Jean Bellin s'inspirait de modèles byzantins dans la Madone conservée au Musée de Brera à Milan, et, en i5o6, l'un des mosaïstes de la basilique de Saint-Marc donnait au Ctirist colossal, qu'il incrustait sur l'abside de la basilique, des traits que n'eût pas désavoués le rédacteur du Manuel Je la Pcinlni c du Mont Atlios. LES PEINTRES DE \ENISE. 673 limpide, caractérisent le Counvincincnt de la Vierge (1440) et la Madom entre les Docteurs de l'Eglise (1446), tous deux à l'Académie de Venise'. On ignore Saint Jérôme et Saint Grégoire (fragment), par Johannes de Alemania et Antonius de Murano. (Académie des Beaux-Arts de Venise.) comment prit tin l'association si intéressante entre l'artiste de Murano et l'artiste allemand, comme aussi ce que devint ce dernier; son souvenir semble toutefois être resté assez vivace : en 1462 encore, un certain Quirico 1 . Nous donnons ci-contrc le côté gauchu de ce tableau ; quant .m centre, il a été reproduit ci-dessus, p. .H-!. E. MUntz — I. Italie. Les Primitils. S 6-4 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. se proclamait son disciple dans un tableau de la galerie de Rovigo'. Bartolommeo Vivarini, le frère et le collaborateur d'Antonio, et plus encore Luigi Vivarini, puis Carlo Crivelli, Antonello de Messine et enfin les tils de Jacopo Bellini (voy. pages 642-O44), Giovanni et Gentile Bellini, appartiennent à une période déjà plus avancée et représentent un nouvel effort de l'Hcole véni- tienne. Nous avons cru devoir leur réserver, dans notre second volume, un chapitre à part, où ils figureront à côté de Cima da Conegliano, de Vittore Carpaccio et de plusieurs autres coryphées de cette Ecole dés lors si profondé- ment coloriste. A l'extrémité opposée de l'Italie, à Gènes, c'est un ultramontain également. Juste d'Allemagne (Juste de Ravensbourg), qui représente l'essai de conciliation entre les éléments mystiques, chers au moven âge, et les conquêtes du natura- lisme. Dans YAunoncialion, peinte à fresque sous une loge du vieux couvent dominicain de Santa Maria di Castello (1451), ce peintre mystérieux (qu'il faut bien se garder de confondre avec son homonyme Justus de Gand, fixé à Urbin) s'efforce d'allier la suavité de l'expression et la richesse des accessoires .\ la pré- cision des formes, qu'il tient, non des Florentins, mais des Flamands, ainsi qu'à l'originalité du coloris, pour lequel il s'inspire des miniaturistes. On trouve plus d'harmonie, je veux dire une fusion plus complète de la poésie septentrio- nale et de la correction classique, dans VAiiiwiiciation du même artiste, aujour- d'hui un des jovaux de l'École flamande primitive au Musée du Louvre". 1. D'après les recherches de M. Cecchetti, « Giovanni d'Alemagna » cuhivait également la sculpture (probablement la sculpture en bois) : un document le qualifie de « intaiator » (inta- gliatore). (Aichivio vfiiclo, 1887, t. XXXIII, p. 11.) 2. J'ai publié une description détaillée de la fresque de Gênes et une gravure du tableau du Louvre dans la Renaissance au temps Je Charles VIII, p. 277-279. — Cf. Alizeri, Noli'xie dei Professùii del disegiio in Ligiiria, t. I, p. 017, 407-411. 1^ /;^'' ^., \ ■ ■■^4^^'ïv'^;"--. Le l'erc l-aerncl (IVaymenl de rAiiiKinciaUun). l'ar L. délia Rubbia (Vcriiiai. i miÊf^ Ju.^ (-***. li , -l. I4im m %\ H^*- I ->. ^ ; LIVRE VI LA GRAVURE I LES ARTS DÉCORATIFS '11^ if#^ Encadrement composé de fragments de la bordure de la 2* porte de Ghiberti. (Baptistère de Florence.) ?*^ia^^;.'g.^j'^^»y:-■,.■^'^w^:^■Ti^*^r' . ":.?Miî^ fl^i r""^"^ ' "^ :! . îœfxlfiŒGGXYliHXI -■ -, ;.^ ; - _L _^-.._ — ■<-->aËr - '^^^^ ■1-«mVU«rre»II\_Matteo di Giovanni Dei (l4,5ô). Vov. aussi le travail, malheureusement inachevé, de M. Milanesi dans l'Art (i88.'5, t. I, p. 221-220). 3. On sait en quoi consiste la niellure : l'artiste, après avoir creusé au burin son dessin sur une plaque d'argent, de cuivre ou d'un autre métal, remplit ces creux avec une matière noire fusible, une sorte d"éniail, le nielle. LA GR.WURE. 679 estampes en miniature, que l'on couvre aujourd'hui d'or, se distinguent d'iia- bitude par la netteté du travail, la naïveté et la fraîcheur. Le lecteur a déjà pu juger de leur mérite par les spécimens que nous avons reproduits (voy. pages 104, 174, etc.). Nous donnons ci-contre deux beaux nielles florentins exécutés au temps de Finiguerra, VAdonilion des Mages, et la Vierge el FEiifaiil Jésus eiiloiircs d'anges et de saiiils. La gravure au burin proprement dite, en d'autres termes la mise en état d'une planche de cui- vre n'a\'ant d'autre destination que de fournir un nombre in- déterminé d'épreuves sur papier, cet art ap- pelé à de si hautes destinées, se développa lentement en Italie. Abstraction taite des douze sujets placés au milieu du Calendrier de 146), ouvrage ano- nyme , il nous faut aller jusqu'aux débuts de Baccio Baldini et de Botticelli, vers 1470, pour trouver des preu- ves d'une production régulière, suivie. Les estampes de Mantegna, qui marquèrent une nouvelle phase de la gravure au burin, semblent avoir pris naissance plus tard. Je range sous une rubrique à part la gravure sur bois, non pas seulement à cause de la diff"érence des résultats qu'elle présente avec la gravure sur cuivre, mais aussi et surtout à cause de la différence d'origine. Là nous avons vu le plus souvent l'œuvre du dessinateur interprétée par lui-même; ici l'intermé- diaire entre le dessinateur et le public est de rigueur : ce n'est plus la pensée originale que nous possédons, c'est cette pensée traduite et souvent, hélas ! altérée. En outre, l'impression des gravures sur bois ne présentant pas les mêmes difficultés que celle des estampes proprement dites, et ces épreuves pou- vant être multipliées à l'infini sans que le cliché lut ruiné, ce procédé s'adres- sait à un public plus nombreux et affectait par suite un caractère plus populaire. En étudiant les vicissitudes de la gravure sur bois italienne, nous y consta- tons les tendances aristocratiques qui signalent toutes les branches de la Renais- L'Adoration des Mages. (Duchesne, n° 32.) Nielle tlorentin anonyme de Tépoque de Finiyuena. f.Ro ISTOlRb: DE l.ART l^ENDANT LA RENAISSANCE. sance. « L'Italie, dit à ce sujet M. Lippmann, directeur du Cabinet des Estampes de Berlin, ne connaît presque pas du tout, au début du quinzième siècle, h gravure sur bois populaire; plus tard même elle ne la connut que dans une mcsiu'e restreinte. Les images de sainteté, gravées d'une façon informe, mal imprimées et grossièrement coloriées, qu'en Allemagne l'on mettait à cette époque partout en vente, sur les marchés et aux portes des églises, n'avaient pas cours en Italie. Dans l'Italie supérieure seule, oii l'influence allemande se ht toujours plus ou moins sentir, la production d'images gravées destinées au peuple semble avoir pris un certain développement avant la fin du siècle On ne connaît en outre pour le quinzième siècle aucun ouvrage xylographie d'ori- gine italienne. Cette diffé- rence, ajoute M. Lippmann, vient de ce qu'en Italie les \astes superficies couvertes de peintures répondaient in- finiment mieux à l'expression des sentiments religieux et que l'Italien n'éprouvait pas le besoin d'emporter dans son intérieiu', connue l'Alle- mand, des images de sain- teté.. . . » L'imagerie religieuse ne joua un rôle appréciable que dans les tentatives de réforme provoquées par Savonarole. De la gravure sur bois, nous pouvons à peine en parler ici, ses débuts ne remontant qu'au dernier tiers du quinzième siècle. On s'accorde à considérer comme les plus anciens bois italiens à date certaine ceux des Mcâitationcs de Torquemada, imprimées à Rome en 1407 par Ulrich Hahn, qui a peut-être gravé lui-même les illustrations, encore toutes tudesques, de ce volume; aux Mcâitationcs font suite les Mirahiiia iirhis Roiiue, qui comptent de nombreuses éditions dans la Ville éternelle jusqu'à la fin du siècle, le Ploiéiucc, la CI)iro- mantia, et les Opiiscula Philippi de Bailnvis (avec les figures des Prophètes et des Sibylles), tous imprimés à Rome, le premier en 1477, les deux autres en 1481. Foligno entre en scène avec les Conteinplationcs de Torquemada (1479); Flo- rence, avec le Monte Satito di Dio de Bettini (1477), les Scite Giornatc délia Geographia de Berlinghieri (1480), le Dante (1482); Vérone, avec le de Rc militari de Valturio (1472) et l'Ésope (1470); ^'enise, avec le Caleiidariitin de Regiomontanus (147C)), le Fascicitliis Teiiiporinii (14811), les Décrctales d'Inno- cent IV (1481); Milan enfin, avec la SiiDiiiinla de pacifiea consciencia de Fra Pacifico de Novare (1 17<)). l-a plub ancienne gravure sur bois ilalienne à dale certaine. LWdoration des Maires. D'après les Me.HLilionfs de Torquemada (Rome, m'j7I. LA GR.UURE. 68i Si l.i plupart de ces productions sont étrangères à toute notion d'art et ne se La Viergu cl l'Enfanl Jusus enlourcs d'anycb cl ilc saints. Nielle florentin anonyme. recommandent à notre attention que par leur antiquité, plusieurs montrent au contraire avec quelle netteté les Italiens du temps se rendaient compte des règles de la gravure sur bois : les illustrations du de Rc militari de Valturio, publié à E. Munlz. — I. Italie. Le» Primitifs. ^ m82 H1ST0IR1-: 1)1-: L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Vérone en 1472, comme il vient d'être dit, celles des Dccrétaks d'Innocent IV, des Opuscules de Philippe de Barbari, brillent par une précision et une sobriété qu'on n'eût pu souhaiter plus grandes. A la pureté du trait se mêle déjà je ne sais quelle distinction tout italienne. La Renaissance n'avait donc pas tardé à s'assi- miler le procédé qui promettait à l'art tant de triomphes, ainsi que l'incompa- rable moyen di? propagande. \'is-.'i-vis de la Renaissance, plus que vis-à-vis de n'importe quelle autre période, l'histoire a le devoir, le strict devoir, de venger d'un inqualifiable dé- dain ce que l'on est convenu d'appeler les IXDUSTRIKS d'art, leS ARTS DÉCOR.ATIFS ', CeS manifestations si importantes, qui n'ont d'autre tort que de ne s'être pas produites au moyen d'un des procédés officiellement reconnus par l'esthétique du siècle de Louis XR'. C'est à cette époque, en effet, c'est à cette évolution qui a détourné si loin de sa donnée primordiale l'ancien génie tranco-gaulois, qu'il faut faire re- I I QX *^^ monter la proscription de tout ouvrage de "•^v^ ~ \j=\^-^\\\ peinture qui n'était pas exécuté soit à la fresque, soit à l'huile, de toute sculpture qui n'avait pas pour matière constituante le marbre ou le bronze, de toute gravure obtenue autrement qu'à l'aide du burin ou de l'eau-forte. Un modeleur en terre cuite de la valeur de Luca délia Robbia, un verrier tel que Guillaume de Marcillat ou Jean Cousin, un orfèvre de génie — et nous avons vu que la plupart des artistes supérieurs du quin- zième siècle débutaient par l'apprentissage de l'orfèvrerie, — eussent frappé en vain, pendant tout le règne du roi-soleil, à la porte de l'Académie royale de peinture et de sculpture ou de l'Académie royale d'architecture, ces com- pagnies illustres en qui se personnifiaient l'étroitesse l'esprit et l'intolérance de la nouvelle esthétique. Aveuglement plaisant, en vérité : l'idée ne comptera pour rien, la matière pour tout; la même figure peinte sur panneau obtiendra les suffrages les plus flatteurs, tandis que peinte sur verre elle sera reléguée dans la catégorie des productions industrielles : contradictions d'autant plus inexplicables que Charles Soldat cherchant à enfoncer une porte. (D'après Touvrage de ValtiiriM.) I. BiBL. : Lab.irte. h-s Ails industrich au moyen âge et à l'époque de la Renaissance, 2' édit., 3 voL in-4', pL Paris, 1872-187.Ï. — Bûcher, Geschichte der technischen Kûnste. Stutt- gard, Spemann, t. I, 187.5. — Urbani de Ghelthof, tes Arts industriels à Venise. Venise, i885. — Les catalogues du Musée de S. Kensington, à Londres. LES ARTS DECORATIFS. 683 Le Brun', le corj'phée de l'Académie de peinture et de sculpture, a créé par centaines ces modèles de tapisserie, de mobilier, d'orfèvrerie, qui, quoi qu'ait pu en penser la critique académique d'alors, forment un des plus brillants jo^-aux de la couronne dont s'est paré Louis le Grand. Au quinzième siècle, il ne manque pas d'artistes spécialement voués à telle ou telle branche de l'art décoratif; mais l'intervention de maîtres supérieurs, les Brunellesco, les Donatello, les Ghiberti, relève sans cesse le niveau du goût dans chacune d'entre elles. Une circonstance digne de remarque, c'est la confiscation, par des membres du clergé, de plusieurs industries d'art, surtout de celles qui ne paraissaient pas aux laïques assez rémunératrices, la peinture sur verre, et, un peu plus tard, la marqueterie sur bois (voy. page .-15-4) : cette continuité de traditions chez des hommes élevés dans le même milieu et se succédant d'ordinaire dans les mêmes centres, je veux dire dans les mêmes couvents, devait avoir pour résultat de maintenir le style ancien. La pein- ture sur verre ne s'associa en effet que lentement .1 l'évo- lution des autres arts. Les arts décoratifs, que tant de liens rattachaient à l'ar- chitecture, ne pouvaient que suivre les progrès de celle-ci : c'est-à-dire, d'une part, au point de vue du st\le, substi- tuer la netteté et l'élégance des formes classiques aux formes si touffues du moyen âge; de l'autre, au point de vue des motifs, remettre en honneur les ornements de l'antiquité. Dans le mobilier ecclésiastique ou civil, dans les différents arts qui découlent de la sculpture ou de la peinture, dans le costume, -dans les moindres ustensiles, cette tendance alla s'accentuant de jour en jour ' (dans la cuve baptismale gravée page 6H4, le sculpteur a pris pour modèle quelque amphore romaine). Il s'en fallait cependant de beaucoup que le style nouveau pénétrât partout avec une égale rapidité, que la contagion gagnât indifféremment toutes les couches de l'art. Si les ouvrages en bronze"' — c'était, on s'en souvient, la matière que les novateurs chérissaient par-dessus tout, — suivirent de bonne heure le courant, quelle que fût leur destination, les ouvrages en bois opposèrent une longue résistance. Puis nous avons toute la série des industries qui restent fidèles. Figure tirée des Dcin'tjlc. d'Innocent IV. (Venise, 1481.) 1. Voy. rouvr,ige de M. Gciiovay : le Slyir Louis XI F. Charles Le Brun iJccorati'iir. Paris, Rouam, 1886. 2. 'Voyez plus haut p. 4I.^--)2I. 2. Drury Fortnuni, A descriptive Cttlahgiie of Ihe hroii~es... Londres, l8"6. — De Cliani- pcaux, Diclioniiaire des Fondeurs, Ciseleurs, Modeleurs eu hroii:ie et Doreurs depuis le uioven âge jusqu'à Vépoque actuelle, t. L Paris, Rouam, 188O. 684 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. jusqu'aux approches du seizième siècle, à ce que l'on pourrait appeler les traditions et les habitudes d'atelier : la céramique, inféodée, pour le coloris comme pour le dessin, au style arabe; la mosaïque de marbre, attachée aux erre- ments du style byzantin; les étoiles brochées, qui répétèrent indéfiniment des motifs orientaux. Je n'irai pas jusqu'à prétendre que la Renaissance a surpassé le moyen âge par la richesse ou par le fini des bijoux, des costumes, des ornements de toute sorte, à l'aide desquels elle se plaisait à embellir l'existence, à masquer le spec- tacle du « struggle for lite » : du moins le goût et la passion des [lelles choses se répandirent-ils ra- pidement dans toutes les classes de la société, s'étendirent-ils jusqu'aux meubles, jusqu'aux armes, instru- ments, outils et ustensiles les plus humbles, tandis que, par contre- coup, amateurs et décorateurs s'ef- forçaient de fondre en un tout harmonieux ces productions si mul- tiples et si rallinées. Tel salon du palais des Médicis, meublé sous la direction de Pierre, fils de Cosmc, tormait l'idéal du luxe discret, sobre et fin. Ailleurs on pouvait trouver plus d'éclat , une profusion plus grande de dorures, Je glaces, d'as- tragales-; nulle part, je l'affirme formellement, la pensée, — une pensée intime et caressante, — ne pénétrait et n'animait aussi complètement que chez les Médicis, et chaque fragment du mobilier — il n'en était aucun qui n'eût sa signification et sa raison d'être, — et l'ensemble même de cette réu- nion extraordinaire de chefs-d'œuvre, agencés non comme dans un musée, mais comme dans un salon de bonne compagnie. Cuve baptismale en marbre. Ecole de Donatello. (Dôme d'Empoli.) Désireux de multiplier toutes les formes d'expression pour le beau, le quin- zième siècle s'efforce, avec un égal empressement, de perfectionner les procédés que lui transmettait le mo3-en âge, de remettre en honneur ceux de l'antiquité classique ou de l'Orient,' — glyptique, art du médailleur, damasquinerie, céra- mique, verrerie, — d'en inventer de nouveaux : la gravure, la niellure, l'émail peint, la terre cuite polvchrome vernissée, etc. Néanmoins il est une matière et une technique qui à ce moment priment toutes les autres : on pourrait appeler la Première Renaissance I'age du broxzr, car c'était bien la matière LES OUVRAGES EX BRONZE. 685 Encrier en bronze au chilïre de SigismonJ Malatesla. (Collection P'i'lî'^ul'ère à Rimini. D'après M. Yriarle.) qu'elle se plaisait par-dessus tout à mettre en œuvre : elle ne le recherchait pas seulement pour les grandes sculptures monumentales (voy. page :^o8), elle le taisait intervenir -~~^ sans cesse dans la vie jour- nalière. Le bronze lui te- nait lieu d'ustensiles en faïence, en verre, en ivoire, en bois, en fer. Aussi, par une réaction flitale, son rôle diminua- t-il au fur et à mesure que celui de la céramique, par exemple, grandissait. Encriers , coffrets , mor- tiers, candélabres, armes, bénitiers , fonts baptis- maux , canons historiés , grilles monumentales, il n'était instrument ou ornement petit ou grand que le bronze ne s'enorgueillît de fournir. Dans l'impossibilité où nous nous trou- vons de citer, ne fût-ce que quelques types, ac- cordons du moins une mention à la merveille des merveilles, à la grille de la chapelle « délia Cin- tola » (la ceinture de la Vierge), au dôme de Pra- to : cet admirable mélange de feuillage, d'oiseaux, de génies, tous pleins à la fois de vivacité et de style, fut commencé en 1408 par le sculpteur florentin Tommaso di Bartolom- meo , surnommé Masac- cio, continué en I 444 par AlorUer en brunze. (.Musée du Luuvre.) l'orfèvre Bruno di ser Lapo Mazzei, et terminé de 1461 à i4')4 par Pasquino di Matteo de Montepulciano'. Nous commencerons notre esquisse par les arts du métal, autant dire par les 1. La frise gravée en tète du chapitre premier (p. 47) reproduit une partie de la grille de Prato, avec un léger changement toutefois, l'addition des armoiries des Médicis. 686 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. arts qui dérivent de la sculpture, car les médailleurs, les graveurs de sceaux, les orfèvres, les serruriers, sont-ils autre chose que des sculpteurs en petit! Nous aurons souvent, au cours de ces études, à insister sur l'action exercée, non par telle ou telle direction de style, mais par telle ou telle technique. L'influence bvzantine au moven âge n'a pas d'autre raison que l'habileté atteinte par les Grecs du Bas-Empire dans les branches spéciales. L'Italie de la Renaissance remit en honneur, je ne dirai pas un style, mais un ordre de représentations inconnu au moven âge. S'inspirant de l'exemple des Romains, Pisanello s'efforça de lixer sur des bas-reliefs circulaires — des médaillons ou des MÉD.AiLT.Es — les portraits de ses principaux contemporains, y compris le sien propre, ainsi que des emblèmes, des allégories, des devises, résumant tout un monde d'impressions dans ce cadre restreint'. Rectifions , tout d'abord , une [SffA erreur fort répandue : les mé- dailles du quinzième siècle sont coulées, non frappées; elles ren- trent par conséquent dans l'art du .sculpteur (qui procédait exacte- Modèle tie canon en bronze. (D'.-,rrés un des^in du Cabinet des Estampes Je Paris.) ment COmme pOUr la fonte d Un bas-relief), et non dans l'art du graveur en médailles, en monnaies ou en sceaux. C'est ce qui explique com- ment des peintres tels que le Pisanello ont pu exceller si rapidement dans cet art : il leur suffisait de savoir modeler; point n'était besoin de se familiariser avec le travail si long et si compliqué de la gravure. Je me hâte d'ajouter qu'un certain nombre de graveurs de monnaies cumulaient cette profession avec celle de médailleur, si tant est que l'on puisse appliquer le terme de pro- fession à ce qui n'était souvent qu'un délassement intellectuel, un exercice presque fortuit : à cette catégorie appartiennent Lodovico de Foligno, Enzola, Orfini, etc. Les Lombards, qui s'étaient si lentement mis â la sculpture monumentale, prirent leur revanche dans certaines branches accessoires, parmi lesquelles l'art du médailleur figure au premier rang. On ne saurait plus douter aujourd'hui que cet art, remis en honneur chez eux par le Pisanello, n'ait compté ses pre- miers et ses pitis vaillants champions parmi les artistes de la haute Italie, à Vérone, à Padoue, à \\'nise, à Mantoue, en Dalmatie, à Milan". Les Toscans 1. BiBL. : Annan J, les M{\laiUcurs ilciVu-us il-i qiiiniihue cl si'i\u'iih' siirks. 2'cdit., 3 voL in-8", Paris, Pion. 1883-1887 (catalogue excellent). — Heiss, ks Mcdailhurs de h Renaissance. Paris, Rothschild, 1881-1887, 7 voL in-ibl., pi. — Friedlander, die italienischen Schatimiiuien des Jûnfxehnien Jahrhunderts (i4,3o-l.S3o). Berlin, Weidmann, 1882, in-4", pi. 2. Voy. les Précurseurs de la Renaissance, p. 43. J'ai montré, à la même place, le cas qu'il faut faire d'une hypothèse de M. Friedl.xnder, d'après laquelle des monn.ayeurs du nom de Sesto auraient gravé (non modelé) à Venise, en I.i03 et en 1417, des médailles représentant Galba et Alexandre. L'ancien directeur du Cabinet des médailles de Berlin s'est également LARI" Dr MKDAILLELR. 687 ionné à L \ j^\'- oire que fts,. "? V -%[tt, a ' \ Le marquis J.-F. Gonza{,'iie. Revers d'une médaille de Pisanello. (Armand, n° 11.) ne se mirent i l'œuvre qu'assez tardivement. Le plus ancien médailleur origi- naire de cette province, Petrecini, apparaît en 14O0 seulement. Quant à Guac- cialotti, quoiqu'une de ses médailles, celle du pape Nicolas V, porte la date de 1455, on peut croire qu'elle n'a été exécutée que longtemps après, car à la mort du pape l'ar- ^'"fc,' .?Jmu\ tiste (né en 1435) ne comptait que vingt ans. Z^-- *t'''MS^*''Vi Le surnom d' « Andréa Cremonese » di Guaccialotti tendrait en outre à foire croire cet artiste séjourna quelque temps dans 1 Italie. Les médailles à date certaine de Pisanello, le rénovateur de cet art, se trouvent comprises entre les années 14.18 et 144g; elles forment un ensemble de 24 pièces signées et d'une dizaine de pièces simplement attribuées. La plus ancienne semble être celle de l'empereur Jean VII Paléologue, que l'artiste a vu soit au Concile de l'errare (1438), soit au Concile de Florence (14.1i)). Bientôt il n'y eut plus de souverain, de condottiere, d'humaniste, qui n'ambitionnât de voir son effigie passer à la postérité, sous cette forme si réduite, il est vrai, mais si vive et si nette, si précise et si suave : le duc Philippe-Marie \is- conti, les marquis Nicolas et Lionel d'Esté, Jean -François et Louis de Gonzague, le roi Alphonse V d'Aragon, les condottières Sigis- mond Malatesta, Malatesta Novello, Nicolas Piccinino, les humanistes p. C. Decembrio, \"ic- torin de Feltre, Aurispa, détilèrent à tour de rôle devant le restaurateur de l'art du médail- leur. Pisanello n'eut garde de s'oublier : son effigie (gravée page 633) frappe par l'expres- sion de la vivacité et de l'esprit, autant que par celle de la bonhomie. Avec quelle précision et quelle souplesse Pisanello n'a-t-il pas réussi à fixer, ici la stupidité sanguinaire de ce t\-ran au regard hébété qui s'appelait Philippe-Marie \'isconti, ailleurs la noblesse géné- reuse d'Alphonse d'Aragon, ou l'élégance des princes de la maison d'Esté, ou la grâce touchante de Cécile Gonzague ! Ces premiers en date des médaillons modernes sont en même temps les plus parfoits, ainsi qu'il en a été de beaucoup de choses au quinzième siècle et proba- II M 1 10 'î^ï^^' Jeune Fille et Licorne. Revers d'une médaille de Pisanello. (Armand, n" 12.) trompe un attribuant au coninienccmcnt du quinzième siècle les médailles des Carrare, sei- gneurs de Padoue. Ces médailles sont au plus tôt du siècle suivant. 088 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. blement à d'autres époques aussi : riniprinicrie, qui du premier bond atteignit à la perfection, la peinture à riuiile, que nul maître depuis n'a portée plus haut que ses glorieux inventeurs les Van E3-ck, ou encore le réalisme d'un Donatello qui défie toute imitation. , '*^'!; -v^rT-^ Par rang de mérite comme par rang d'âge, Matteo de' Pasti de Vérone vient immédiatement après son compatriote Pisanello. A la fois architecte, peintre et miniaturiste', il semble, comme d'ailleurs la plupart de ses contemporains, n'avoir cultivé l'art du niédaillcur qu'accidentellement. La cour de Rimini, tel est le cercle dans lequel il tourne presque exclusivement : il représenta tour à tour Sigismondo Malatesta, Isotta, puis L.-B. Al- berti, l'architecte du temple des Malatesta. Parmi ses autres médailles, accordons une mention à celles de ses compatriotes Guarino, le fameux humaniste, et Timoteo Maflei, pré- dicateur célèbre, enfin à celle de Mahomet II, qui l'avait appelé à Constantinople. Comme pour racheter tant de compositions profanes, l'artiste jugea convenable de consacrer une médaille à Jésus-Christ : on me croira sur parole quand j'affirmerai qu'aucune image ne détonne davantage dans la longue suite des bronzes de la Renaissance. — Les médailles es de Pisanello, se distinguent par leur facture Revers de la médaille d'isolta. Par Matteo de' Pasti. de Matteo, moins fines que ce large et grasse. On manque de détails sur la vie de Matteo : en relations dès 1441 avec Pierre de Médicis, auquel il envoya les Trioii/phcs de Pétrarque, dont nous avons repro- duit plus haut un fragment, il se fixa vers 1446 à Rimini, où il séjournait encore en \ \(^. Cristoforo di Geremia de Mantoue, que nous avons déj.'i signalé comme sculpteur (page .^71»)-, n'a laissé que deux médailles; je me hâte d'ajouter que ce sont deux chefs-d'œuvre. L'une, celle d'Alphonse V (reproduite page 108), brille par la science des raccourcis, par une haute distinction, une liberté, une souplesse et ime suavité inexprimables, qui semblent trahir un artiste fomilia- risé avec de plus hautes tâches; l'autre, celle de l'empereur Auguste, d'une facture très serrée, mais d'un st\"le moins pur, moins généreux, nous montre l'invasion des souvenirs classiques : les figures d'Auguste et de l'Abondance, qui se tendent la main sur le revers avec l'inscription Concordia Avgvsta, 1. Voy. p. 27S, 464. 2. Dans la Couronne Margariliquc, coiiiposOe au dtbut du sei/.icme siècle, Jean Lemaire des Belges fait de Cristoforo un enfant de la Ville éternelle et le range parmi les orfèvres : « Lt to)', Romain Christophe Hiérémie. » L'ART DU MEDAILLELR. 689 reproduisent un motif très fréquent sur les monnaies de l'Empire romain. Le Vénitien Giovanni Boldu, qui se qualifie lui-même de « pictor », s'est assuré un rang honorable parmi les médailleurs par sept pièces exécutées entre les années 1457 et 1406 : son propre portrait, ceux des musiciens Pietro Bono, Bruzelli de Ferrare et Niccolo Schlifer d'Allemagne, du poète vénitien Filippo Maserano et du médecin pisan Filippo Vadi, enfin de l'empereur Caracalla, dont il se crut obligé, par une inspiration bizarre, d'éveiller le peu sympathique sou- venir. Ces médailles, d'une facture excessivement simple, ont la grande tour- nure indéfinissable que plus tard certains maîtres vénitiens, le Giorgione en tète, sauront donner à leurs créations : je ne connais rien de plus noblement conçu, ni de plus largement rendu que cet enfant nu assis à terre, et s'appuyant sur une tète de mort (revers du portrait de Boldu). Il n'}' a que les artistes supérieurs pour produire une impression si profonde avec des moyens aussi élémentaires. Andréa Guaccialotti ou Guazzalotti, né à Prato en 1435, aussi appelé Andréa de Crémone, était curé d'Aiolo, chanoine et collecteur des dîmes ecclésiastiques à Prato'. Ses médailles s'échelonnent de 1455 à 1481 ; parmi elles, celles des papes Nicolas V, Calixte III (gravées pages 89, 91), Sixte IV, du duc de Ca- libre et de l'évèque Nicolas Palmieri, tiennent le rang principal. Ce maître avait une tendance à exagérer le caractère de ses personnages : le Nicolas ^' et le Calixte III sont de véritables caricatures. Sa facture est d'ailleurs large, parfois brutale. — Guaccialotti mourut en 1496 ou en 1496. A la suite de ces maîtres hors ligne se présente devant nous une phalange d'artistes de second ordre, plus ou moins habiles. Ne pouvant décrire ou appré- cier leur œuvre, je veux du moins rappeler les noms des principaux d'entre eux : Niccolo (BaronceUi?), Amadio de Milan, Paolo de Raguse, Pietro de Fano, Antonio Marescotti de Ferrare, Jacopo LLxignolo et Baldassare Estense (voy. page 141), ces deux-ci également de Ferrare, Petrecini de Florence, M. Guidizani, originaire, à ce que l'on croit, de Venise, Gian Francesco Enzola de Parme, Clémente d'Urbin, Lodovico de Foligno, puis Pietro de Milan et Francesco Laurana, dont nous aurons plus d'une fois l'occasion de reparler. L. B. Alberti, Michelozzo et Filarete semblent aussi s'être essayés, à leurs heures perdues, dans la fonte des médailles. l'ortrait de Boklu. par lui-même. Bien distincte de l'art du médailleur est la gk.wuiœ des .monnaies : là un Fricdlxiidcr et Guasti, Andréa Giianalolti scullore pnitcnse. Prato, 1862 E. .Munlz. — I. Italie. Les Primitifs. 87 690 HISTOIRE DE E'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Sceau de Thomas Jamet. moule dont on tire des épreuves en y versant du métal en fusion ; ici un coin dont on se sert pour frapper. Jusque vers le dernier tiers du quin- zième siècle, les monnaies italiennes n'ol- frent encore qu'un intérêt assez restreint, les effigies en étant d'ordinaire bannies (voy. page .■îi). Cependant, dès 1427, on voit des maîtres de la valeur de Michelozzo graver les coins des monnaies de la Répu- blique Florentine'. La GRAVURE DE SCEAUX, Confiée d'or- dinaire à des orfèvres, jouait dès lors un rôle important, quoique ses compositions n'eussent pas encore la richesse, ni son style la suavité que leur donnèrent au siècle suivant Lautizio de Pérouse et Ben- venuto Cellini. Notre gravure reproduit le sceau gravé à Rome, en 1470, par quelque orfèvre florentin , pour Thomas James, évèque de Saint-Pol de Léon en Bretagne'. On .ippelle PLAQUETTES les petits bas-reliefs en bronze, rec- tangulaires, ovales ou ronds, vé- ritables moulages destinés d'or- dinaire à conserver le souvenir de pièces d'orfèvrerie, tels que baisers de paix , boutons de chape, agrafes, « imprcse » (em- blèmes), que l'on fixait sur les chapeaux, boucles de ceinturon, ponmieatix d'épée, pièces de har- nachement, garnitures de col- frets, de salières, d'encriers, etc. L'importance de cette série ines- timable, reconstituée de nos jours seulement par les efforts des amateurs parisiens, a été indiquée dans un de nos précédents chapitres (page :()2) : nous nous bornerons ici à renvoyer à la monographie véritablement définitive de M. Emile Molinier''. Deux persunnages alliontes. Plaijuetle anonyme du tiuinzième siècle. I. G.iye, Carteggio, t. I, p. 117. de Thomus James, cvcque de Léon cl de Dol. P.iris. l883 (cxtr. du ::. Ramt, Notes sur le sceau Bulletin des Travaux historiques), .3. Les Bronzes de la Renaissance : La Plaquettes. Catalogue laiscnné. ï\\ù^. Rou.uii, 1886, L'ORFEVRERIE. 691 L'histoire de la vie publique et privée de l'Itilic au quinzième siècle tien- drait à la rigueur dans l'histoire de l'oRFiiVREUiE '. C'est à cet art, qui admet la plus grande richesse et le plus grand fini", qu'était dévolue la tàclie de per- pétuer le souvenir des évé- nements les plus impor- tants de la vie intime (fiançailles, mariages, bap- têmes , banquets ) , aussi bien que des exploits des guerriers, ou des grandes manifestations de la vie religieuse. Prenons le rôle de l'orfèvrerie à la cour de Rome. A cette époque, le pèlerin qui s'apprêtait à pénétrer dans la basilique de Saint-Pierre remarquait dès l'entrée six boutiques d'orfèvres , remplies de tous les objets de dévo- tion qu'un fidèle pût sou- Il^iter d'emporter dans sa patrie : médailles, chape- lets, crucifix. Le trésor de la basilique, nous le sa- vons par les inventaires, regorgeait des ornements sacrés les plus précieux : crosses, paix, patènes, ca- 2 vol. in-8° grav. Vo\'. aussi l'article de M. Piot dans la Ga- ~ette des Beaux-Arts, 1878, t. II, p. 1067. 1. BiBL. : Labarte, Histoire des Arts industriels. 2' édit. — Galette des Beaux- Arts, mai et juin i883. 2. Sur les artistes du quinzième siècle qui ont traversé les boutiques d'orfèvres avant de devenir des architectes, des sculpteurs ou des peintres célèbres, je renverrai le lecteur à un chapitre précédent (Cf. p. 352). Statue en argent de saint Jean-Baptiste, par Michelozzo (1452). (« Opéra del duomo • à Florence.) 6q2 HISTOTRF- \W. l.".\RT PENDANT LA RENAISSANCE. y h; ^■^'[jl1^^ôl ii?0 lices, cnndéLibres, ostensoirs, de chapes, tiares, bijoux de en argent massif. Dans le palais resse des pièces comptables, on de colliers, d'anneaux, d'armes et d'ustensiles, dans lesquels la le dispute à la richesse de la vrerie s'étend jusqu'au sceau, qu'aux reliures dont Nicolas A' qu'aux rosettes incrustées dans ordre de Sixte lY, jusqu'au liar- porte le sou- Deux fois par de kl rose d'or l'épée d'hon- lieu à d'imposantes cérémonies; titure aux cardinaux ou évèques truction de l'anneau du pécheur tiennent également leur place romaine. Bon nombre de villes un tribut annuel sous forme gent. S'agit- il de têtes d'un représentations théâtrales , de papes ou leurs courtisans touche vaisselle surtout, on n'avait la prodigalité aussi loin ; lors cardinal Pierre Riario à Hléo- la salle à manger, indépendam- affectée au service des convives, qui supportait une intermi- argent massif, ornés de pierres Lors du mariage de Nannina vingt-six bagues; lors de celui quante. Et quel luxe, quels rai- Médicis, depuis les couteaux, entaillés, ciselés, damasquinés, lazuli, depuis les salières, les sins, les aiguières, les candé- numentaux ' et aux .:s-t' m reliquaires , pectoraux , agrafes toute sorte et jusqu'à des autels du A'atican, à travers la séche- entrevoit des amoncellements artistement ciselées, de meubles délicatesse de la main-d'œuvre matière. Le domaine de l'orfè- indispensable à tout prélat, jus- tait orner ses manuscrits, jus- les portes de la bibliothèque par nachement de la haquenée qui verain pontite. ■^■■"■^^^i^fX an , la remise «W^ et celle de neur donnaient la remise de l'anneau d'inves- nouvellement nommés, la des- au moment de la mort du pape, dans le cérémonial de la cour soumises au Saint-Siège payent d'aiguières ou de plats d'ar- ordre profane, de tournois, de festins, le luxe déployé par les à l'invraisemblance ; pour la plus, depuis l'antiquité, poussé du fameux festin oflert par le nore d'Aragon, on admira dans ment de la splendide vaisselle une crédence à douze gradins, nable série de vases en or ou précieuses. de Médicis, la fiancée reçut de Laurent de Médicis, cin- hnements dans la vaisselle des les fourchettes , les cuillers incrustés de nacre ou de lapis- compotiers, les flacons, les bas- labres, jusqu'aux surtouts mo- seaux à refroidir ! V.pée d'honneur dccerncc; par le pape Innocent \'III au lanJsjrave de liesse. 1. \'oy- /t'.< CoUcctioiis iks MnUcis au qnhiiihiie siirli'. Publié par Rouaiii. Paris, 1888. L'ORFÈVRERIE. 6q3 Dresser l'inventaire des bi- que nous a légués le quin- broches, pendants d'o- tons de chapes et boucles de ceintures, livres ou d'auniônières, res , miroirs , paix , lices, vaisselle de toute etc., serait une tâche nous à détacher inépuisable un ou d'une importance table ( il « dos- gent émaillé ou le l'œuvre du dôme ouvrage précieux tôt que beau, avec sa forêt de quées à fond de paysage, ses mais dont les statuettes ou les maîtres de la valeur de Miche- Prenons maintenant l'épée Innocent MIT au landgrave de cette pièce précieuse m'a été j'en dois la description à M. A. Elle mesure i '",.>" de long; la dans sa partie supérieure, 33 chaque côté du pommeau- se ries pontificales d'Innocent VIII; l'inscription : inxocen. cibo. ge- ANNO. vm. ; de l'autre, celle épis). CIBO (un épi). GENven. S.\L. MCCCCLXXXX [ll|. CcS dcuX garde se compose de deux de 55 millimètres de large. La les images de saint Pierre, de 9 centimètres. Au-dessous de DIVM + AD DEFENSIONEM + CHRIS- IXNOCEN + CIBO + GENVEN + PP. \iii, avec dcLix médaillons reilles , bagues , bou- anneaux cardinalices , joux ou des pièces d'orfèvrerie zième siècle, guirlandes, colliers, ■'^ \ \é:. agrafes, fermoirs de poignées d'épées, tia- ostensoirs, châsses, ca- nature, horloges, etc., chimérique. Bornons- de ce trésor deux morceaux capitale : le re- sale ») en ar- candélabre de de Florence , et curieux plu- clochetons, ses scènes compli- lignes hachées et discordantes, bas-reliefs ont pour auteurs des lozzo, Verrocchio, Pollajuolo'. d'honneur donnée par le pape Hesse (au musée de Cassel; signalée par M. L. Courajod; Lenz, inspecteur du Musée), lame a 47 millimètres de large dans sa partie inférieure. De trouvent, en relief, les armoi- la poignée contient, d'un côté, NVEN. PAPA. VIII. PONTIFICA. SVI. de : (une fleur), innocen. (trois (une fleur) pont. .m.\x. anno. inscriptions sont gravées. La teuilles en forme de coquilles, lame offre, près de la poignée, saint Paul, d'une hauteur de saint Pierre on lit : ecce. + gla- TIANEM (sic) + VERE + FIDEl + Il + vm + PONTIFICA + SVI + anno ornés, l'un des armoiries pon- l'ounoaii Je l'cpce ci-contre. I. A. Gruyer : les Œuvres d'art de lu Renaissance au temple de Saint-Jean. Paris, 187.5. 694 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. tificales, l'autre d'un paon et de l'inscription : lf.avte passe tout. Au-dessous de l'image de saint Paul sont tracées les paroles suivantes : innocen •+ cibo + C;HN\EN' -I- PONT + MAX + ANNO + SAL + MCCCCLXXXX II ECCE + GLADIVM + AD DEFENSiONEM + CHRISTIANEM (.f/c) -'r VERE + FiDEi. Le fourreau se distingue par des ornements de fleurs et de feuillages à jour, avec des médaillons émaillés, contenant, dans la partie supérieure, les clefs en sautoir; dans le bas, un paon également émaillé, avec la devise : leavte passe tout. Le ceinturon enfin, autrefois décoré de perles et de pierres précieuses, nous oflre sur sa boucle les armoiries pontificales émaillées. On voit par ce qui pré- cède que l'épée d'honneur, le « stoc- co benedetto » , comptait pai'mi les merveilles de l'orfèvrerie. La FERROWERiE, si florissante au moyen âge, pâlit au quinzième siècle devant la sculpture en bronze, en attendant que l'habile forgeron flo- rentin Niccolo Grosso, surnommé Caparra, relève cette industrie et crée dans les lanternes et porte-torches du palais Strozzi le modèle de la vé- ritable ferronnerie de la Renaissance. Nos gravures reproduisent des porte- torches et des porte-étendards fixés sur des palais de Sienne, et d'un stvle encore quelque peu attardé. Nous n'ouvrirons pas de section spéciale pour I'armurerie, les produits ressortissant à cette industrie pouvant être classés, les uns dans la sculp- ture, d'autres dans l'orfèvrerie, les derniers enfin dans la ferronnerie. Pour indiquer en peu de lignes l'importance que les armes et engins militaires de toutes sortes offrent pendant le quinzième siècle au point de vue de l'his- toire de l'art, il suffit de rappeler que Pisanello fournit au roi Alphonse de Naples des modèles de canons richement sculptés, qu'Aristote Fior.i- vanti, Augustin de Plaisance et tant d'autres sculpteurs ou orfèvres éminents dirigèrent la fonte des canons, que Donatello modela et cisela une poignée d'épée dont une épreuve se trouve aujourd'hui au Musée d'artillerie de Turin et une autre chez M. Arthur Rhoné, que \'errocchio, Pollajuolo et leurs émules ciselèrent des casques d'honneur, que la remise de l'épée d'honneur constituait chaque année une des grandes solennités de la cour romaine. Porte-fcirche d'un palais de Sienne. LA GLYPTIQUE. 695 Parmi les innombrables catégories de chefs-d'œuvre légués par l'antiquité, aucune ne fut plus ardemment recherchée que les productions de la GLVPTiauK, les pierres gravées. L'admiration ici se développait en raison inverse des dimen- sions; les Barbares avaient renversé sans scrupules un colosse, ils avaient respecté ces mer\-eilles de fini ' : c'est qu'il faut un degré de culture bien plus avancé pour produire une miniature que pour élever quelque tour de Babel. Quoique le secret de la gh'ptique ne fût pas entièrement perdu en Occident, comme l'a prétendu Labarte (on peut notam- ment citer pour le quatorzième siècle le graveur florentin Benedetto Pe- ruzzi), il est certain néanmoins que les amateurs du moyen âge étaient réduits, quand ils voulaient se servir d'un cachet à figures, à collection- ner les camées ou intailles antiques, désespérant de les faire copier ou imiter par les inhabiles artistes de leur temps'. Vasari affirme que la gravure en pierres dures recommença de fleurir sous le règne du pape Martin ^' (1 4 1 7- -14.-! 1). Mais aucun texte ancien, au- cune intaille, aucun camée à date certaine, n'est venu confirmer cette assertion. Il nous faut descendre en effet jusque vers le milieu du quin- zième siècle pour trouver un jiom de graveur. L'initiateur de cet art n'au- rait été autre, au témoignage de Filarete, que le grand Donatello. Nous con- naissons, en outre, Antonio de Pise, qui florissait à Foligno en I4'ii, et le Florentin Piero di Neri de' Razanti, qui fut exempté des taxes en 1477, dans sa ville natale. Le pape Paul II (1464-1471), si passionné pour les gemmes, est certainement le Mécène qui a le plus fait pour relever cet art intéressant. Nous trouvons à son service un graveur nommé Giuliano di Scipione Amici de Rome. Quant à un autre personnage employé par le même pape, Gaspare de' Tozoli, nous ignorons s'il était artiste ou simplement marchand". En 14M7 et en i4i'^>'!, deux autres graveurs, Andréa di Alesnage' et « maestro Battistino Porle-lorche d'un palais de Sienne. 1. Voy. p. 218. 2. Voyez les différents témoignages réunis dans les Ails à lu Cour des Papes, t. I, p. 6-7, t. II, p. Il3 et suivantes. .5. Ce nom rappelle celui du sculpteur « Johannes .\ndrea di Mesnagho », qui travaillait à Rome en 1461 (Les Arts à lu Cour des Papes, t. I, p. 2.59). 696 HISTOIRE DE L ART PENDANT I.A RENAISSANCE. Taglia » de Gènes, « maestro di far canimei », travaillaient pour la cour de Naples (voy. page 11')). Les dates et les noms qui viennent d'être cités prouvent jusqu'à l'éxidenceque Laurent le Magnifique' n'a pas été, connue on l'a prétendu, le restaurateur de la gh'ptique italienne : l'illustre amateur florentin s'est assuré assez de titres de gloire pour renoncer à celui-là. Il est surtout inexact d'avancer qu'il aurait tonde en \Ji?l'> une école de gravure en pierres dures : à ce moment Laurent n'avait que dix ans, et, malgré sa précocité, j'affirme que s'il s'intéressait alors aux écoles, c'était pour les fréquenter en qualité d'élève, et non pour les diriger en qualité de Mécène. Dans le dernier tiers du siècle, deux personnalités se dégagent enfin de la foule. L'une, Giovanni délie Corniole, a pour patrie Florence; l'autre, Dome- nico dei Cammei, Milan. Nous aurons à étudier leur œuvre dans notre second La MENUISERIE et . l'ÉBENisTERiE Suivent, cela va sans dire, les errements de l'architecture, mais avec plus d'indépendance qu'au moven âge, époque à la- quelle un tauteinl, un bahut, un dressoir, ressemblaient souvent à une cathédrale en miniature. Elles acceptent, en outre, avec plus d'empressement, quoiqu'elles mettent en œuvre les matières les plus rares, — l'ébène, l'ivoire, la nacre, — le concours des autres arts, et se recouvrent tantôt d'étoffes, tantôt de marque- teries, tantôt de peintures, ouvrant ainsi un nouv<;au domaine à la polychro- mie. Comme modèle de cette association discrète du tapissier avec le menuisier, on peut citer le fouteuil qui sert de siège au pape Sixte IV dans la fresque de Melozzo de Forli, reproduite ci-dessus; il a pour ornements du velours rouge, des franges mi-or, mi-rouge, et des rosettes d'or. Quant aux meubles à pein- tures, on sait quelle importance ils prirent, grâce principalement aux eftbrts du Florentin Dello ' (page ''122), à côté duquel il faut citer Domenico Vene- ziano (page .16), Neri di Bicci, et bien d'autres. C'étaient de véritables tableaux que les faces des armoires, des pupitres, des lits, des coffres de mariage (les cassonî), des paravents, auxquels on petit adjoindre les boîtes et étuis de toutes sortes, les « deschi da parto », les boucliers de bois, et jusqu'aux tabourets des- tinés aux cardinaux dans les cérémonies de la cour pontificale. L'interven- 1 . .\ propos de hi coupe Farnèse acquise par Laurent le Magnifique et aujourd'hui conservée au Musée de Naples, il n'est pas sans intérêt de rappeler que plusieurs archéologues, entre autres Brunn, la considèrent comme exécutée à l'époque de la Renaissance, et non pas comme antique. Mais nous savons que cette coupe fut apportée de Rome par Laurent en 14"! : il faudrait donc que la glyptique eut été singulièrement en avance dès lors {Sil:^iingshciichle dcr K. Akademie der iVissenscbaften in Mûncheii, iS^S). 2. Voy. Kinkel, Mosaïk ^ur Kuiislgeschichle, p. 368--10I. — Duc de Rivoli, Elude sur 1,-i Triomphes de Pétrarque. Paris, 1887 (extr. de la Gaictle des Beaux-JrL). — Voy. aussi J. H. Pollen, Aucieiit and iiioderii Furuiturc and IFoodtivrk in Ihc Soûl!) Keusiuglon Muséum. Londres, Chapnian et Hall, 1874. — A. de Chanipeaux, le Meuble. Paris, Quantin, t. I.(i888). LE MOBILIER. 697 tion du peintre rédui- sait, en proportion in- verse, celle du « hu- chier»; celui-ci régnait surtout en maître dans le mobilier religieux : stalles, tribunes d'or- gLies, lutrins, etc., et encore le marbre v pre- nait-il à tout instant la place du bois. Aux ornements en peintiu'e on ajoutait souvent des ornements en stuc ou en carton-pierre doré. \'asari raconte que Do- natello, dans sa jeu- nesse, enrichit de bas- reliefs en stuc, plâtre, colle et brique pilée les meubles peints par Dello. La miniature du qumzieme siècle em- brasse un domaine non moins vaste que celui de la peinture pro- prement dite, et nous offre des productions non moins nombreu- ses , non moins va- riées : scènes religieu- ses, tableaux d'histoire, tableaux de mœurs , compositions allégo- riques, portraits, pa\- sages, natures mortes'. I . BlbL. ; MilaiiL-bi i;l Fini, dans le 1. VI (p. ihi L't suiv.) de leur édition de Vasaii (Florence, I.cnionnier, 1! F E. .MuMlz I. llalie. !.. ).S(j). — Labarte, Hisloirc des Arts iiuiuslrich, 2'édit. t. l'rimilil's 098 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. Quoiqu'elle formât dès lors une profession distincte, des peintres d'histoire de la valeur de Lorenzo Monaco, de CosimoTura, de Libérale de Vérone, l'ont cultivée avec passion : pour ne point parler de ces grands miniaturistes qui s'appellent Gherardo, Attavante, Antonio da Monza. Dùt-on m'accuser de rechercher le paradoxe, je serais tenté de mettre ces compositions infiniment petites au rang des grandes pages monumentales, si je n'étais arrêté par une considération en quelque sorte extrinsèque : prenons la miniature la plus belle, signée du nom le plus fameux; par cela seul qu'elle est de dimensions microscopiques et que sa place est dans un livre destiné seulement à quelques amateurs, elle ne frappera point la foule et n'aura en conséquence aucune importance historique. Voyez, en effet, quelle rare contradiction : les grands couvraient d'or les miniatu- ristes (un missel finement enluminé coûtait autant qu'un retable monumental)', et le peuple se doutait .'i peine de leur existence. Dans ce concours extraor- dinaire, les fabriques des églises le disputaient aux bibliophiles couronnés : de 1440 à i5(i8 environ, le dôme de Florence fit copier et enluminer 2U livres de choeur, et le dôme de Sienne, dans un intervalle moindre, 21 ) livres, tandis que les Médicis, les Papes, les rois de Naples, les ducs d'Urbin, les marquis de Ferrare, et jusqu'au Hongrois Mathias Corvin, improvisaient des biblio- thèques qui n'ont cessé depuis quatre siècles de taire par la richesse de leurs ornements l'admiration des connaisseurs. Du moins cet art a-t-il profité dans une large mesure des avantages d'ime situation essentiellement aristocratique : ses productions se présentent à nous brillantes et fraîches comme au premier jour, tandis qu'il n'est guère de fresque ou de tableau qui n'ait plus ou moins souffert de mutilations ou de restau- rations. Le berceau de la nouvelle École de unniature se trouve, est-il nécessaire de l'apprendre à mes lecteurs ? dans la capitale de la Toscane. Florence formait, depuis le commencement du siècle, le grand marché international de la librairie, grâce, d'une part, à l'ardeur de bibliophiles tels que Niccolô Niccoli, Ambroise le Camaldule, Bruni, le Pogge, les Médicis, grâce en outre â la supériorité des copistes élevés sous la discipline de ces philologues si sagaces ", grâce aussi à 27K. — Beaucoup du ruproductions figurent dans les Èviiiigiks ilcs dimanches et jiies de Curnier. — Woltniann et Wœrniann, Geschichlc dcr Mahni, t. II, p. 201-209, 348-.3.S2. — D'Adda, VArlc ikl Minio ncl ducah di Mihiiio dal secolo XIII al XVl. Milan, 1886. — J. W. Bradley, a Dictio- nary of Minialiniits, Illiiiniimlors , Calligraphcrs aiid Copyisis. Londres, Quaritch, 1887-180B, t. I, IL — Les règles du Traité de Miniature publié par M. Salazaro {l'Artc délia Miniatiira ncl secolo .XIV. Naples. Detken. 1877) et M. Lecoy de la Marche {l'Art d'enluminer, maïuicl technique du qiialoriiéiiie siècle. Paris, 1887, extr. des Mémoires de la Suciélé nationale des Anti- quaires de France), étaient certainement encore en usage au quinzième siècle, quoique ce Traité datât du siècle précédent. — Je suis redevable de précieuses notes manuscrites à l'obligeance de M. de Champeaux, le savant bibliothécaire de l'Union centrale des Arts décoratifs. 1. Attavante estimait à plus de 160 ducats (environ 80CO francs) ses honoraires pour l'enluminure du Missel de l'évèque de Dol (L. Delisle). 2. Wattenbach, das ichrijlivesen im Mittclaller, p. 410, édil. de 107.5. — La réforme de la LA .MINIATURE. 6qq l'initiative de libraires, parmi lesquels il suffit de citer Vespasiano de' Bisticci, le fournisseur attitré des Médicis, des Papes, du duc d'Urbin, du roi de Hongrie. Les amateurs italiens ou étrangers prirent sans peine l'habitude de faire enlu- miner leurs manuscrits là où ils les faisaient copier, d'autant plus que depuis longtemps le couvent florentin des Camaldules ou des Anges avait conquis une réputation européenne par l'iiabileté de ses miniaturistes, en tète desquels brillait le fameux Dom Lorenzo Monaco. Il faut que les enlumineurs des bords de l'Arno aient été surchargés de besogne pour que si peu d'entre eux aient songé à s'expatrier. A peine quelque trois ou quatre consentirent-ils à travailler à Sienne, c'est-à-dire à deux pas de Florence (Giacomo Torelli, 1466; Francesco di Lorenzo RosselH, 1470; Litti Corbizzi, I494-I40()). Quant aux princes étran- gers, ils se vo3'aient réduits à faire enluminer leurs manuscrits à Florence même, sans réussir à s'attacher ces enfants gâtés. Seul le pape Pie II put s'enor- gueillir un instant de compter à son service le miniaturiste florentin Andréa Voilà donc une exception à la règle, mais une exception qui la confirme éloquemment : alors que les architectes, les peintres, les sculpteurs, les orfèvres florentins pullulent dans les cours de Rome, de Naples, d'Urbin, de Ferrare, de Mantoue, de Milan, leurs compatriotes les miniaturistes 3' brillent par leur absence. Ne proclamaient-ils point par là que, sentant tout le prix de leurs eflbrts, ils entendaient les consacrer à leur ville natale? Leurs miniatures d'ailleurs voyageaient et portaient au loin la bonne semence. A côté des enlumineurs sortis de la pépinière du couvent des Camaldules, artistes consciencieux, un peu lourds', attachés à la tradition du moyen âge, et qui avaient à leur actif l'extrême fini de leurs miniatures, non moins que la poésie sentimentale de leurs compositions, prit naissance une phalange de déco- rateurs incomparables, élevée, dans le giron des Médicis, et brûlant d'appli- quer à l'ornementation des manuscrits toutes les ressources que mettait à leur service la découverte du monde classique (voy. pages 268-270) : d'élégantes arabesques, entremêlées de camées, d'intailles, de médailles, de candélabres, de vases de fleurs, se substituèrent, sous leur pinceau, au feuillage si touff'u de l'âge précédent. Celui-ci cependant tint bon longtemps encore : nous le rencon- trons jusque sur certains manuscrits exécutés pour le duc Frédéric de Montefeltro (Bibliothèque du \'atican, fonds d'Urbin, n" 9.1), jusque sur le livre d'heures de la bibliothèque de Sienne, enluminé en 1494 par Litti Corbizzi. A un certain moment les bibliophiles se passionnèrent pour les entrelacs blancs s'enlevant calligraphie précéda celle de l'enluminure. Dans l'entourage des Médicis on entend parler à tout instant de lettres romaines, « antico more ». Niccolô Niccoli, l'ardent collectionneur florentin (1363-1437), semble avoir déjà orné d'initiales de ce genre les manuscrits qu'il copiait (les Précurseurs de la Renaissance, p. 107). 1. La miniature, comme la peinture sur verre, trouva surtout des recrues dans les couvents. Longue est la liste des Franciscains, des Dominicains et surtout des Camaldules qui la cultivèrent. 7m HISTOIRE \W. L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. sur lin fond bleu et rouge (dans le genre de l'initiale reproduite page 2o5), d'abord à Florence, puis à Rome, à Naples et à Urbin. je citerai la traduction de la Guerre de Jus^urlba et de la Conspiration de Ciitilina, par L. Carbone', la traduction des Pdiiégyrigues de ¥lmc, par Lippo Brandolini, dédiée au roi Ferdi- nand d'Aragon", la Défense de Platon, par Contrarius ', les Discours de Cieéron', le Traité de Sans; ni ne Christ i, par François délia Rovere '. Le plus éminent des miniaturistes florentins de la première génération, Fran- cesco d'Antonio del Cherico, élève de Doni I.orenzo Monaco, travailla tour à tour pour le dôme de Florence et pour les Médicis. Pour le dôme, il enlumina, de 14().*!;\ 1470 environ, une série d'antiphonaires (« libri corali »), aujourd'iiui conservés à la Bibliothèque Laurentienne. Pour les Médicis, il orna de minia- tures diverses traductions d'Aristote par Jean Argyropoulos (égalemeiu conservées à la Laurentienne). Cesdernières miniatures, commandées par Pierre de Médicis, sont par conséquent antérieures à la mort de ce Mécène (1 4')()). A la richesse d'imagination de l'ancienne Fcole, Francesco préfère la pureté du goût : s'il lui emprunte ses semis de fleurs, il introduit dans ceux-ci, au moven de grilles, de médaillons, de candélabres, d'écussons, de génies nus, une netteté qui charme et repose tout ensemble. Il brille avant tout par la distinction du dessin, l'harmonie et la richesse du coloris, par l'art exquis avec lequel il marie les figures les unes aux autres, par sa science consommée des transitions. Zanobi Strozzi (14 1 2-i4(ifi) illumina un certain nombre d'antiphonaires appartenant aujourd'hui à la bibliothèque du couvent de Saint-Marc à Florence (taussement attribués à Fra Benedetto, frère de Fra Angelico). }e serais tenté d'opposer ces novateurs florentins, qui se piquaient surtout d'être des ornemanistes, et qui portaient leur eflort sur les bordures, aux fai- seurs de tableaux proprement dits, en d'autres termes aux adeptes de la \ieille école : pour ceux-ci, le comble de l'art consistait à inscrire dans quelque initiale, plus ou moins gothique, c'est-à-dire aux contours plus ou moins compliqués, de nombreux personnages, une scène en raccourci, ime miniature en un mot, préoccupation qui éclate, entre autres, dans la longue série des livres de cJKVur du dôme de Sienne. Ce n'est pas que ces retardataires songeassent à copier des tableaux célèbres, comme le firent leurs successeurs du seizième siècle, ni à entrer en lutte avec les peintres d'histoire. Ils vivaient tranquillement dans lem- coin, s'occupant de creuser plutôt que d'étendre, accessibles, dans certaines villes, aux idées nouvelles, leur fermant résolument la porte dans d'autres : de là vient que l'écart entre les différentes écoles d'enlumineurs se chiflre par un demi-siècle au moins : les uns n'ont plus de secrets à arracher à l'ornemen- 1. Bibliothèque nationale de Paris, fonds italien, n" 125, 1:6. 2. Même fonds, n" 12g. ."i. Bibliotlièque nationale, fonds latin, n" 12047. 4. Bibliothèque Laurentienne. plut. XLVIII, n° ti. 5. Bibliothèque du Vatican, fonds d'Urbin, n° 2.TI. i.A MiNiATrRr;. 701 tntion des anciens, alors que les autres végètent encore en plein moyen âge. PraïFATIO lOHANNIS A RO 1 ROPyLI BIZA 1 11 IN PHI S1CORV.VVARI STOT'-^'IS IIBROVAD PRESTANTl S S IMV^VNVl RVM.PETRVM avF.DI C hM .-^i, W^ %'^ si^; OH ANNES .AKGl KO PILV S.BIZATS TIVS.MAGNIFIG ^.M'>'^ VI KO PETPvO.MtW' s:^ i ICI S P- «^icit.C^'tï Afi tluiiiorum pnfKnjin ml^hiutioticm - sia 3vi l>unc ■^V^^î^r^^'- -î- --' <^^^'^/» !ibn.tTn t.-.nafii tr^aucomlinn ut.iiofVnl placuit jmnioni app^liilôm niai;^ '^•''^^^ii^^^X^-'ii'^^^'''J^''^'''-'' aitucncilTnnc' pctir"- non >i>inoTCTn .înimo ccpi dolorein : q acorbinimo ''-i^CïrP' ~~^^^-^^^' fuTiTfna uirUifpT«fflabili(ïuT«, patrirnon iînf' omnium Jcirunenio e^:i cii cft-N*»m û^ li cîutivvniîartç»nponrreci.»ie' talcf rtoiorcftanueni mti (jarx-b. fclet ■ fit t3iT>^n intcrJuni .uî attreilationeTi-runi c3»"uin qui* Jtt *.Aj "^£5^, --.»,-^ £um lUo crjur romimiTwr-. uciul \\W oxAjov qiifni lUiuf obuu ce ?'"■ .f- .i^^ m ^^ »?% Q. niolcrtia. renouctur'. Vi enwi niCsd in ncç^c» iurruli ; lonoo "iti?ru.ii I3 lt> TTiiorïr lUiuf duum bommil inUrrmtlIÙTiï . «um ad cjik-m oinnirmciià -M Ijboi- oiTinil aviio/onmifioftnulio uir^n-Ttrflutuf'; aMiiiT>oi> mciiî*.^' H^jfi aîQ, ar»mO Tcciturun . tt ^cu Td-'ouif n-prltto- uti cft noiîcr' pàTf ni -ubi *i'^^T.'^v": ^^ ''^-.'.''-^iil V** Iwx noftra tiDt fliifliorum T>ofir«Tum prnïCrtif ac coicitator': ufci au^îo ^^^? ;''-- ^^^i^.^'^i^-r^é'^: ^v? '^^■^ rii^lMU l'urm»**».: itcTum ata ilcnom CTclamam.Et quîacuam ^me^lV ^■•^^j^'C^'- -'''■^^\r *->^3ÂV%* pwffïunc m«um ipt" mmccuin iiccflïantr commune omniu^i inccMno i!^^" ^ ....-'-- >j- Jiini dcirniKnîumo df ficui 1 iamrn auAf» tum ar illiuf ob>t« mini pruTiiT '^^ cllÎT iïnunti.\uinï ■ npiio miodam itolorc'ucKcTnciKer'ptrfulfuf .^îCLCpintno v>' l\J iiCM fmr'plurmiif lacTrtTitf orbiiâicm con-nnmieni Twlirum onmiuiiv -ijif (ict-ibiiïinîdm dfpltTâiu Sv^"t'"»>^t''3T niiKi cUoKi»^ bàrivn pTvtcritoru* "♦p^^ î*mr>oTum f^liciuTn TtconUuo intlc «a'.im cnjcrl» ■ pa»-t»nï reruiri pKÛiitiù Frontispice d'une traduction J'Aristotc par Jean Argjropoulos. Miniature d'Antonio del Cherico. (Florence, Bibliothèque Laurentienne.) Les miniaturistes Je la haute Italie n'ont pas l'élégance de ceux de la Tos- cane; mais ils ne laissent pas de briller par d'autres qualités fort appréciées des "02 HISTOIRE DR L'ART PENDANT I.A RENAISSANCE. contemporains. Nous le voyons par l'affluence des Milanais, des Lombards et des \'énitiens, appelés à Sienne vers le milieu du siècle, afin d'enluminer les livres de chœur du dôme : citons Stefano di Luigi de Milan (1451), Girolamo de Crémone (1 4b''"i- 147-^), Giovanni de" Pantaleoni d'Udine (14(1(1), Libérale de Vérone (i407-i47()), Carlo de Venise (1473), \'enturino d'Andréa de' Mercati de Milan (T475-1 47'))'. A Vérone, une famille, une dvnastie d'enlu- mineurs, sur laquelle nous reviendrons dans notre second volume, rendit célèbre ce surnom de « dai Libri » qu'elle avait reçu en souvenir de sa pro- fession : Stefano dai Libri (né vers 1420), son fils Fran- à' ^r'-'-rJi^ '^'^sco (né vers 14.^4), ses petits-fils Calisto et Girolamo, et son arrière -petit -fils Francesco (né vers i5oo). A la Bibliothèque natio- nale de Paris, une série de miniatures de la première moitié du quinzième siècle rend témoignage de la len- teur avec laquelle le stvle nouveau pénétra en Lom- bardie. C'est d'abord une Histoire d'Anocra, dédiée au duc Philippe-Marie \'is- conti (f 1447) par son auteur, le comte Galeaz de Correggio". Tout 3' con- serve le caractère gothique, les initiales comme la miniature qui nous montre le duc, — tète ronde, imberbe, nez court, cou long, assez différent de la médaille de Pisanello, — assis dans un fmteuil aux formes archaïques et recevant l'hommage du volume que l'auteur lui présente à genoux. Les Vies des Empereurs romains (datées de 1431'') constituent un progrès; si les couleurs vives et crues du frontispice orné de feuillage, d'armoiries et d'emblèmes sentent encore le moven âge, les initiales, contenant chacune un personnage ou une scène de l'histoire de l'Empire romain, ont déjà la netteté italienne. Mais quel manque de couleur historique dans ces figures d'empereurs ! En dehors de la couronne de laurier qui ceint invariablement leur front, rien, ni dans leurs traits, ni dans leur accoutrement, ne rappelle l'antiquité : ils portent tout simplement le costume italien de l'époque. Marc-Aurèle, couché dans son lit, tend aux assistants InilLilc d'un Antiplinnaire. (Dôme de Sienne.) 1. Milanesi, Dociinifnli jur servire alla sUvia ih-ll' Artc senesc, X. II, p. 382 et 5uiv. ci-dessus, p. 187. 2. Fonds l:itin, n" 6041. 3. Fonds italien, n° i3i. — Cl". LA MINIATURE. 700 un phylactère semblable à ceux des prophètes; Vitellius, représenté comme une sorte d'ogre, s'attable devant un maigre poulet; Héliogabale, debout entre deux femmes, tire des fils d'une quenouille. Mais si, laissant de côté les ana- chronismes, nous nous attachons à la faculté de rendre les personnages du temps, ainsi qu'à la technique, nous relevons des qualités sérieuses : des car- nations fines, transparentes et qui témoignent d'une véritable habileté, puis de charmantes tètes de femmes, un peu rondes, aux traiches couleurs (par exemple fol. lx.vxvh). Je ne serais pas éloigné d'at- tribuer ces figures à a même main que le Ditla- inondo dont il sera question tout à l'heure : l'inspiration et la facture otirent une singulière analogie, quoi- que le dessin ait moins de liberté. Le DitUiiiioiulo de Fazio degli Uherti (écrit en 1447 par « Andréas Morena Lau- densis »)' montre (fol. 1) Fazio vêtu d'une longue tu- nique bleue, ainsi que d'un manteau rouge; le poète contemple une femme ailée et couronnée qui porte une robe blanche parsemée de fleurs d'or. L'obligation de représenter les signes des planètes a mis l'artiste en présence de niotils antiques. Voici Pégase (fol. 174 V"); voici Hercule nu et barbu, à genoux, le bras droit recouvert de la peau de lion sur laquelle est figurée une tête humaine, et brandissant de la gauche le glaive contre l'hydre de Lerne (fol. 175); voici Persée tenant la tête de Méduse (fol. 17O v"). Le « Cen- thaurus » (fol. 178 v") a le corps d'un taureau et le buste d'une femme; Ganymède, dans la constellation du « Wiltur cadens », se fait remarquer par son nimbe et par son manteau bleu flottant (fol. 177, gravé ci-dessus); Pline (fol. 170), vêtu d'un costume du moyen âge, siège dans un fauteuil qui n'a rien, lui non plus, de classique. Cet enlumineur, si indécis ou si ignorant vis-à-vis de l'antiquité, recouvre toute son assurance lorsqu'il se trouve en face de la nature. Dans les corps L'Enlèvemenl de Ganymède. iMinialure lombarde du quinzième siècle. (Bibliothèque nationale, fonds italien. n° lii. 1 . BibliothcquL- ii.ition.ilc, fonds it.iiicti, n° o] . 704 HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. nus, il modèle avec ternietc et sûreté. Ses temmes sont charmantes, avec leur tète ronde, leur bouche mignonne, leur nez légèrement retroussé, leurs cheveux blonds, leur type légèrement flamand (ibl. 172). J'en dirai autant de leurs toi- lettes. La « Paura » (gravée page 107) présente une rare animation. Les animaux sont supérieurement dessinés et révèlent l'inHuence de Pisanello. Je citerai les lévriers, cygnes, dauphins, ours, lièvres, etc. (fol. 174, 17'^!). Lt quelle délicatesse dans le coloris! — c'est de l'aquarelle plutck que de la gouache ; — quel art dans ces lumières, obtenues en réservant le fond blanc du parchemin, dans ces cou- leurs si vives et si gaies, du bleu, du rouge! Brei, il reste lui léi^er accent yo- iliique, c'est-.'i-dire de la sévérité et de la vivacité, tandis que d'auti'e part on cher- clierait en vain l'art consommé des enlumineurs florentins, les riches initiales, le Irontispice couvert d'or, connue sur la planche placée ci-contre. Le « SGR.Aiirro » (de « sgrafKare «, égratigner) ou sgrafhte (le terme a obtenu ses lettres de naturalisation en France) avait sur ces différents procédés un avantage considérable : il permettait de décorer rapidement, sans grande dé- pense, de vastes surfitces, telles que des façades, et ouvrait ainsi à la poly- chromie jusqu'aux demeures les plus humbles. Après avoir recouvert une paroi d'une double couche de mortier, la première colorée en noir ou en vert, la seconde blanche ou jaiuie, il suffisait de gratter la couche supérieure, en sui- vant certains contours, pour mettre à nu les parties correspondantes de la couche inférieure et pour obtenir ainsi des ornements s'enlevant en clair sur un fond sombre, quelque chose connue une gravure .'1 deux tons. — La Renaissance a fait du sgrafhte un usage constant; d'innombrables palais lui ont dû leiu' prin- cipale décoration. Si peu de monuments du quinzième siècle sont parvenus jusqu'à nous (en plein air le sgrafhte ne résiste pas plus que la fresque aux intempéries), en revanche le seizième siècle nous en a légué une longue série : nous les retrouverons dans la suite de ce travail. De nos jours le sgraftite, procédé aussi e.xpéditif qu'économique, et qui peut produire les effets décoratifs les plus heureux, pour peu qu'il soit traité large- ment, a repris faveur, non seulement en Italie, mais encore en Suisse, en .\Litriche, en Allemagne : il mériterait de trouver également des champions dans notre pays. Des différentes formes solis lesquelles se présente l'i.MAU,, l'Italie cultive avec lirédilection l'émail translucide ou de basse taille. Cet émail, connue on sait, s'obtient en gravant ou en ciselant en relief slu- tine plaque d'or ou d'.u'gent l.i composition avec toutes les finesses du modelé; puis en étendant sur cette sculptiu'e de la poudre de cristal nuancé, par grandes teintes plates, de vert et de rouge poiu' les vêtements, de bleu poui' les ciels, de violacé pour les carna- tions. La chalem' du four fait entrer ces niét.uix en fusion, et Iclu' domie le brillant, la transparence de la glace. Les saillies de la sculpture laissent .'i l'émail ««T I^Ay.< t^k ([iliioic di'u. jncipiro;TO+- in.iiiccii;ico:diiue fininilxic |imr.i2ii.|n pmo filfeTc .id ncnni. A c\ ncft-rijJ cicinilii. fc^ci.itrô C'a» ^—.1.1111 noei TXiopiio fiinq^ciiiK .n'irivi nnxrmtinç ottiiii c.iplo;!:to miô.iiiiiuv.£ondiro:.ilmc fv. -i'- ?>s pt.1 rc ccli p: Ajp 1 mi tes pln.iiiruifhi.iN.7u-.unir naigcimcrfiihinrccc.^'^' -i^- •inr. ^cciioiii driiucinr'DC loiiginû.i cUiJiDô aitplcr Oîbcin munin- ^Mno. eXciM q'ô cliic votciitti . ni.i'ilicmair.ibilmncn biiô p:ccoîinîo2:piciih&tc n'iciimirptcgaitc cupi.tc U hn^iitc ûuwn.îD-in imuô- Tlb iffo dic iifq?^ cccmi qn plMincT .1 çimc.i Tx p.iflionc iifqî.idccdini pair.non fîr onnx .ipTie nccrcbro jugii Ihiio nccTX .ilii^ cmmb* iicq> Tc p.Kc.ii ifrlhuianfo fccoif .iiimbiii firlbi- dnpUm'i.iî xnin axis cii:- ncc Inflbgu iiifci.ihb'_dicb.\!^c offibcô plctoni T pnic .K )!v nccfiiii^ crdiii:nis.r.idriicccj?fcnc. ô]V uipt^p'Vccûin cpï?ic. '^ma pnuTx .idiicm.rtt» immrjmiir,:/^cgc_iiçiini:ii dnuijVcmn: .iTO!:ciii'.V^-^Am K.)VXXTbi'i fitpiuiiii j" P'".'-'' il.-i-Vvncrcccc.c"'^iûain hb.i ii«i.'i^''ipl"nt>-e>Mirdi dtic vTmi xpc pccô ^^lOî^ mon. ctimi'ar iiob.qiu cii pic cr fp 11 fcaiiuiiô 1 itgii.iô m fcti rcVoi.jN-7liii-/'^F" - îuhrTO pncbiidicc.'-""'i"Ondicnonc Vtcni.1 biidiGir iioe pj c6niï->^^ Tliil.' ll^iicncctcvbinr^'UV.V |-pl?a.alcgir'irrqî iid mr ■oin. ''a m diucili qî ifatili officio. èrfciaidii q»^-» totii .lunt'i.pr q'î imdno .iii y>^Cc^ lUcbntb Txfucto::-.ifiiic cimiflibr IcbK dicidatoii^n .lûrdncinifê' iiQb ■^Ni€ta,giaô.l"cipirlib vi.iK,}:plx.T'Ci)\:fnii;nii(».qii.i j ilidirTupiiuiiiiniaTm. ■ i dicb? ccic.io.ithl .icImç.i c^c cbic itgiiin uid.i./1iiditcccU.cr .luîibjjtipc th.qih diiô locnni' c.«PJic6 ciiiiniimrçY.ilcuu.tp'- jiirfp:ciiciir nic.Çogiur b» p?frdto:c run.T .ifin pTcp: diii rv'. ^ 1 L ^If^^ pRONTlbPlCE I>"UN MANUSCRIT ITALIEN DE LA FIN DU XV' OU DU COMMENCEMENT DU XVI' SIÈCLE, (Collection de M. E. MCntz.) L'EMAIL. ro5 peu d'épaisseur. Les fonds, au contraire, leur en donnant beaucoup, il se pro- duit une échelle infinie de tons différents dans la même nuance d'émail. On comprend aussi, ajoute le marquis de Laborde, à qui j'emprunte les détails qui précèdent', comment les orfèvres, sans être peintres, pouvaient, par l'habileté et la perfection du modelé de leurs ciselures, produire de véritables peintures, tout en n'étendant que des teintes plates sur leur travail de basse-taille. S'il n'est point démontré que Jean de Pise, comme le rapporte le marquis de Laborde", ait exécuté lui-même les émaux du maître autel de la cathédrale d'Arezzo, en 1286, il est du moins constant que Finiguerra, Pollajuolo, Francia et un nombre inirni de leurs contemporains excellèrent dans cette ciselure pol3xhrome, riche et chatoyante entre toutes. L'émail peint semble avoir été cultivé de fort bonne heure en Italie. Dans les derniers temps, on a même essayé d'en revendiquer l'invention en faveur de la Péninsule''. La doctrine jusqu'ici reçue, doctrine notamment défendue par Labarte, dont les observations et conclusions doivent être accueillies avec la plus vive défiance, consistait à représenter les Italiens comme ayant copié les émaux de Limoges. Or M. Courajod a démontré que dès 1465 Filarete ornait d'émaux peints une statuette équestre copiée du Marc-Aiirclc du Capitole et aujourd'hui conservée à 1' « Antiquarium » de Dresde, puis, que le seul émail peint français connu, appartenant à la seconde moitié du quinzième siècle, le portrait de Jean Fouquet par lui-même, au Musée du Louvre, peut parfai- tement se rattacher au vovage de cet artiste en Italie et vraisemblablement à ses relations avec Filarete. L'émail champlevé fleurit principalement à Sienne, la ville la plus attachée à la tradition du moven âge. Au quinzième siècle, il y a pour principal représen- tant Giovanni Turini (né vers 13^4; voy. page S'jo'). On doit à cet artiste, outre le bénitier de la cathédrale de Sienne, la porte du tabernacle du baptistère de la même ville, aujourd'hui conservée à Vienne, dans la collection d'Ambras. Cette porte représente au centre le Christ tenant la croix, au-dessus la Trinité figurée par trois têtes accolées, et aux côtés la Vierge et VAnge de l'Annoncia- tion'. Les deux ouvrages se distinguent par un émail bleu d'un ton particuliè- rement doux et profond". Au nombre des émailleurs italiens du quinzième siècle, citons, cà Florence, Bartoluccio, Ghiberti, Amerighi, Betto, Matteo Dei et Antonio del Pollajuolo, qui exécutèrent à eux trois la grande croix du Baptistère, Filarete, Finiguerra, Francesco di Betto, iMiliano di Domenico Dei, Piero di Bartolommeo, Guidino 1. Notice des Émaux..... du Musée du Louvre, t. I, p. lOO. 2. Notice des Emaux, t. I, p. 108. 3. L. Courajod : Gaïetle arc!)é4}logique, i885, p. 382 et suiv. 4. Courajod : Gabelle arcl)èologiqiic, 1886, p. 3l3-3l6. 5. Voir sur tous ces noms le Dicliouuairc des Euiaillcurs depuis le moyen âge jusqu'il lu fin du dix-Imitiéme siècle, de M. Moliiiier ; Paris, Rouam, i83.ï. et les notes de M. Frothingham, dans llie American Journal of Arclieology, l88.î, p. 41 1 et suiv. 7o6 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. di Guido, Giuliano surnommé il Facchino, Mazzinghi di Sali, Pinzidimonte, Michèle Angelo di \'iviano, frère de Baccio Baiidinelli et premier maitre de Cellini, Simone di Giovanni Ghini, Jacopo d'Andreuccio. A Sienne, nous relevons les noms de Giovanni Turini et de son collabora- teur Ambrogio, de Niccolo di Treguanuccio, Francesco d'Antonio, \'ico di Domenico del A'ecchio, Tommaso di Paolo Montauri, Giovanni di Guido, Lorenzo di Pietro, surnommé le Vecchietta. A Arezzo, cet art avait pou rrepré- sentant Spinelli (f 1420); à Rome, A'elo (1419), Nardo Corbolini (1465); à Bologne, Francesco Francia; dans l'Italie du Nord, Daniel Arcioni et Caradosso; puis, à Plaisance, Antonio del Mezzano, l'auteur de la croix émaillée exécutée entre i388 et 1416 poiu' la cathédrale de cette ville. La peinture sur verre, si intimement liée aux vicissitudes de l'art du moyen âge, qui l'avait inventée, peut passer en thèse générale pour un procédé suranné, quoique plusieurs artistes supérieurs — Ghiberti, Donatello, Uccello, Andréa del Castagno, Bartolommeo Vivarini, Francesco Cossa, Filippino Lippi, le Pérugin et d'autres encore — l'aient défra\ée de cartons. Aussi la vovons- nous cultivée, d'un côté par des religieux (pages .i?4-355), de l'autre surtout par des artistes originaires de villes attardées, telles que Sienne, Pérouse, Orviéto, ou encore de la haute Italie et de l'étranger (tels que ce Francesco di Livi de Gambassi, prés de A'olterra, que les Florentins firent revenir en 1400 de Lubeck, où il s'était fixé) '. L'histoire de la peinture sur verre italienne est encore à écrire : je me bor- nerai dans ce volume à constater qu'au quinzième siècle les auteurs des cartons, tout comme les verriers, ne savent guère résister au désir de traiter les verrières comme des tableaux de chevalet; ils se jouent des sévères règles architecto- niques auxquelles leurs confrères septentrionaux n'auraient osé déroger. Des tons moins francs, moins pleins et moins nourris (on voit déjà apparaître de loin en loin des parties traitées en grisaille), une composition plus libre et partant moins rigoureusement décorative, caractérisent les vitraux du dôme de Florence, aussi bien que ceux du dôme de Pérouse, de l'église Saint-Dominique dans la même ville, de San Petronio de Bologne, et du dôme de Milan. D'après \'asari, Baldovlnetti, un des restaurateurs de la MOSAi'auE d'hmaii,, aurait été réduit à se faire initier aux secrets de cet art par un Allemand de pas- sage à Florence, comme si la mosaïque avait été absolument délaissée en Italie. I. Partout perce le besoin de consigner par écrit les conquêtes techniques : pour la peinture sur verre aussi bien que pour la sculpture, !a peinture et l'architecture, on s'efforce, sous l'empire des leçons de l'antiquité et des tendances scientifiques nouvelles, de formuler du moins les procédés principaux. M. Lisinio de Sienne a découvert et publié récemment un traité de la fin du quartorzième siècle qui contient, sur la peinture et la cuisson des vitraux, les détails les plus circonstanciés (Délia Pralica ai coiiipivre finesire e veiri colorati. Tnitlntello ch- secolo XV. Sienne. Lazzeri, iSR.S). LA mosaïque. 707 Cela est-il croyable? Les ateliers de Venise n'avaient pas chômé un seul instant depuis le moyen âge, et nul doute que les Florentins, désireux de se familiariser de nouveau avec une technique longtemps si florissante dans leur cité, s'adres- sassent à IcLU's compatriotes vénitiens et non à des étrangers. A Orvieto, l'œuvre du dôme ne cessa, pendant tout le cours du quinzième siècle, de foire exécuter de nouvelles peintures en mosaïque ou de foire réparer les anciennes. Nous y rencontrons, en 14112, le mosaïste Fra Francesco di Antonio d'Orvieto, puis, en 142S, un certain Bartolommeo di Pic- tro; en 1447, un mosaïste fixé à Rome offre de se mettre au service du dôme'. Néanmoins, la véritable Renaissance de la mosaïque en cubes d'émail ne date que du temps de Laurent le Magnifique : nous en reparlerons ailleurs. Pour la MOSAïdUE de marbre, destinée surtout aux pavements, on s'en tint long- temps aux dessins géométriques inventés par les Byzantins et connus sous le nom d'OpKS Alexandriiiiiin. Nous trouvons ces incrustations formées d'étoiles, de losanges, de disques, jusque dans les chapelles du palais des Médicis à Flo- rence et du cardinal de Portugal à San Miniato, jusque dans la Chambre de la Signature, au palais du Vatican (con- struite sous Nicolas V), jusque dans la chapelle Sixtine, où elles font pendant aux productions déjà si libres de la nou- velle École de sculpture et de peinture. A ces dernières réminiscences d'un luxe froid et vide, qui jure si étrange- ment avec les ardeurs généreuses de la Renaissance, opposons le pavement en marbres de différentes nuances, avec des hachures remplies de mastic, du dôme de Sienne, sorte de marqueterie gigantesque, aux figures amples et graves. Longtemps avant que Beccafumi eût exécuté la partie qui lui a valu l'immorta- lité, des artistes plus modestes, mais doués d'un sentiment plus juste de la décoration, avaient commencé cet ouvrage monumental, unique en Europe, et dont l'achèvement exigea près de deux siècles. Retenons du moins parmi leurs FragmcMil du pavement de la chapcll du cardinal de Portugal. I. Luzi, il Diioiiio di Oi'i'iclo, p. ,3f'r, 406, 402. :o8 HISTOIRE DK LART PENDANT LA RENAISSANCE. créations les figures de la Fonr (1400), le Moïse de Paolo di Martino (1426), l'Histoire d'Al'salon (1477), d'après les cartons de Pietro del Minella, le Sacrifice de Jepbtc, d'après Benvenuto di Giovanni (1485), puis la Parabole des Deux Aveujyles, la Sibylle d' Erythrée, les Vertus tlkvlogales et les Sept Ages de rHoiiiiiie, tous d'après Antonio Federighi. Une branche importante de l'art décoratif italien, à peine soupçonnée dans notre pays, où les inscrustations sur meubles n'ont reçu le droit de cité que sous la forme que leur a donnée Boulle, je veux parler de la MARauHTERiE en BOIS ( « tarsia, intarsiatura in legno » ), dut au concours d'une foule d'archi- tectes éniinents (voy. page ."Î70) de suivre de bonne heure le courant de la Re- naissance'. Tandis que la mosaïque de marbre conserva si longtemps les motifs chers aux Byzantins, étoiles, damiers, etc., la marqueterie monumentale s'aflVan- chit rapidement de ces entraves : dans une partie des stalles de la cathédrale d'Orvieto, l'artiste n'a encore fait usage que de figures géométriques; bientôt des motifs plus libres et plus gracieux, des vases, des candélabres, des fleurs, des arabesques, puis des vues d'édifices, prirent la place de ces ornements timides; on n'attendit même pas que l'art de colorer les bois et d'assembler les fragments fût plus perfectionné, pour s'attaquer à la figure humaine, voire à des scènes compliquées, en un mot pour essayer de rivaliser avec la peinture proprement dite. Erreur capitale, que les tours de torce même d'un Fra Damiano de Ber- game et d'un Fra Giovanni de \'érone ne sauraient excuser. C'est ainsi que dès 1429, dans les stalles du Palais public de Sienne', un incrustateur s'efl^orça de créer avec des lamelles de bois de véritables tableaux, tels que Y Annonciation et l'Adoration des Bergers. Mais laissons ces erreurs, pom' lesquelles la critique a de tout temps montré trop d'indulgence, et détachons quelques pages plus pures de cet album incom- parable, dont les auteurs, en se bornant à deux tons, l'un clair, l'autre toncé, ont doté tant d'églises italiennes d'une décoration capable de rivaliser avec les plus riches produits de l'art textile, sinon par la richesse du coloris, du moins par la rare élégance du dessin. Les stalles de la basilique inférieure d'Assise, terminées en 1451 par Apollonio de Ripatransone, brillent entre toutes parla iranchise et la distinction de leurs contours : l'artiste a choisi et développé avec un goût exquis un des motifs fltvoris de la Première Renaissance : des fleurs s'échappant d'im vase et formant des bouquets. Il y a moins de pureté, mais 1 . BiliL. : Burckhardt. — Tcirich, Onuwienlc ans der Bliithcieil ilalienisclKr Renaissance : Intarsien. Vienne, 1870. — Finocchetti, Delta Scuttura e Tarsia in legno. Florence, Barbera, 1873. — La Revue critique d'tiistoire et de littérature, 1874, 24 et 3o octobre. — Les Arts il la Cour des Papes, t. I, p. 7.1. — La Renaissance au temps de Charles J'Ill, p. iyg-2o5. 2. En 1408, le duc de Berry, cet amateur hors ligne, correspondait avec un artiste de Sienne, qui faisait des « ymaiges de merqueterie tant belles et bien vestues de diverses couleurs de boys que onques homme ne fu veu mieulx ouvrant que lui de celle science » (de Champeaux : Gabelle des Beaux-Arts, 1888, t. II. p. 4K1). LA CERAMIQUE. 709 plus de vivacité dans les stalles de la sacristie de l'église Saiiit-Pierrc à Pé- rouse (datées de 1472) : des lis, des pivoines, des œillets en font les frais. Ils alternent avec quelques scènes (l'Annonciation, la Crucifixion, etc.) qui, une fois que Ton a passé condamnation sur le choix de sujets relevant de la peinture, non de la marqueterie, se recommandent par la simplicité du travail (des linéaments noirs indiquant les plis des draperies). Les incrustations en ivoire ou en os (le « lavoro alla certosa », procédé d'ori- gine orientale, ainsi appelé parce qu'il florissait surtout dans les couvents de cliartreux de la haute Italie)' perdent du terrain devant la vogue de jour en jour croissante de la marqueterie en bois : l'Italie du quinzième siècle n'a pas de monument à opposer au fameux retable de Poissy, commandé de l'autre côté des monts par le duc de Berrv (aujourd'hui au Louvre), ni au retable de la chartreuse de Pavie, attribué à Fra Bernardo degU Ubriacchi de Florence. Les Italiens ont connu l'émail stannifére, base de la cèk.\mique de la Renais- sance, par leurs relations avec l'Orient, où cette matière était employée dès la plus haute antiquité. Nous savons notamment qu'au quinzième siècle les faïences de Majorque, c'est-à-dire les faïences hispano-moresques, formaient un article d'importation assez considérable. Peu de fitïences italiennes de cette époque peuvent d'ailleurs être rapportées à un centre de £ibrication déterminé, les potiers n'a_\ant pas pris la précaution de signer leurs produits, et tout ce que l'on a avancé jusqu'ici sur les fabriques de Caffaggiuolo, d'Urbin, de Castel Dm'ante, manque le plus souvent de fondement. On a toutefois le droit d'athrmer qu'outre Faenza, Venise, Pesaro, Forli, et probablement beaucoup d'autres villes, possédaient dès lors des ateliers'. Peu de taïences du quinzième siècle sont parvenues jusqu'à nous, à l'exception de plaques de revêtement et.de pavements en terre émaillée: on sait cepen- dant que les plats, écuelles et vases de cette époque avaient des parois épaisses, 1 . Vov. de Chanipeaux, le Mi'uhle, t. I, p. 264-2Ô.S. 2. BiBL. : Darcel et Delange, Recueil ik Faïences italiennes des qtiin:^icmc, seij^iéine et dix-septième siècles. Paris, iS'i", in-fol., pi. — Darcel, Nolice des terres cuites et faïences émailUes du Louvre. Paris, 1867. — Labarte, Histoire des Arts industriels. — Campori, Nûti:^ie... délia Majolica e dnUa Porcellana di Ferrara dei secoli XV° e XVI\ 3' édit. Pesaro, Nobili, 1879. — Corona, lu Ccramica. Milan, Hœpli. 1H79. — Malagola, Meniorie storiche suite Majolicbe di Facu^a. Bologne, Romagnoli, 1880. — Drury Fortnum, Catalogue of ihe Maiolica in the South Kcnsington Muséum. Londres, 1873. — E. Piot : Ga:(etle des Beaux-Arts, 1881, t. II, p. 36g et suiv. — De Mély, la Céramique italienne. Paris, Didot, 1884. — Meurer, Carreaux en faïence italienne de la fin du quinzième et du commencement du seizième siècle. Paris, Quantin, 1888, in fol. (reproductions en couleur). Nous avons pris pour base de notre résumé les différents travaux de M. Emile Molinier, le savant attaché à la Conservation du Musée du Louvre : les Majoliques italiennes en Italie. Paris, Picard, i883 (gravures); la Céramique italienne au quinzième siècle. Paris, Leroux, 1888 (grav.), et l'article sur la céramique à Venise dans l'^rt du i" novembre 1887. Nous devons en outre à l'obligeance de M. Molinier les dessins de faïences italiennes qui lîgurent d.uis notre volume (p. 247, 34'.)) et ci-contre. :io HISTOIRE DE LART PENDANT LA RENAISSANCE. n'étaient d'ordinaire émaillés que d'un côté et offraient un aspect assez rudimentaire. Pour tout décor, des enluminures naïves, dans une gamme d'une extrême pauvreté : c'était, en un mot, l'enfonce de l'art. Jetons un coup d'œil sur le pavement de la chapelle de Caracciolo, dans Fragments divers du pavcmcnl de San Giovanni a Carbonara (Naplesj l'église de San Giovanni a Carbonara, à Naples : il se compose de pièces hexagonales et de pièces rectangulaires, servant à relier entre elles les précé- dentes. Un émail blanc assez grossier les recouvre, et alterne .wcc des dessins en bleu foncé, en vert et en violet. Le décor comprend des pièces d'armoiries ou des emblèmes se rapportant au fondateur de la cliapclle, un lion héral- l'avement Je San Giovanni a Carbonara. dique, la lettre M, des soleils, des lièvres, des oiseaux, de lai'ges feuilles d'érable, et surtout de grosses fleurs à demi ouvertes, dans le genre des arti- chauts et dans le goût oriental. Moins décoratifs sont les bustes d'hommes et de fennnes, avec la coiffure du temps; ils n'ont rien à envier, affirme M. Molinier, à qui j'emprunte tous ces détails, aux produits que l'on fabrique aujourd'hui un \ue des foires de village. Le tout semble avoir pour auteur quelque potier napolitain, aux environs de 1440. Au Musée de Cluny, une plaque en forme d'écusson, représentant un coq LA CERAMIQUE. tenant dans son hec une fleur de lis, date de l'année 1466. Une autre plaque, avec la date de 1475, au même musée, provient de Faenza, et nous offre en conséquence un des plus anciens produits de cette ville. A coté des plats, il faut mentionner les vases dits de pharmacie : un certain nombre de ces pièces, qui ont tenu jusqu'au dix-huitième siècle une si large place dans les annales de la céramique italienne, sont décrites dans le volume de M. Molinier (pages 78 et suivantes). Accordons encore un souvenir aux productions de Georges \'asari, le grand- père du biographe des artistes : ce maître, mort à Arezzo en 14°4, prit à tâche d'imiter les poteries antiques trouvées dans les environs de sa ville natale, les vasa Aretiiia : il en fabriquait qui mesuraient une brasse et demie de haut et qui avaient probablement pour ornements des figures en relief. La conclusion qui s'impose à nous est d'une extrême netteté : grâce à la connexité de sa technique avec les produits orientaux, la céramique ita- lienne du quinzième siècle échappe, sauf de rares exceptions, à l'action de la Renaissance : nouvelle preuve que les traditions d'atelier sont plus puis- santes que les principes de style. Rien de plus rare, pendant toute la période dont nous venons de nous occuper, que d'y découvrir, je ne dirai pas un ornement antique, mais mên>e la manière de dessiner les ornements, qui était propre aux anciens, leurs silhouettes si franches et si élégantes. Le quinzième siècle a également connu la fabrication de la porcelaine. Dès 1470, il était question à Venise d'un alchimiste, du nom d'Antonio ', qui fibri- quait une porcelaine transparente très belle. La VERRERIE, dont Venise avait dès le quatorzième siècle accaparé le mono- pole, en s'inspirant des vases émaillés de l'Orient, s'affirme dans une série passablement riche de coupes ou de buires émaillées. Nous devons une men- tion particulière au verre du Musée national de Florence, qui représente, sur un fond bleu, des femmes conduisant un char traîné par deux lions, et d'autres femmes jouant avec un loup, au hanap de l'ancienne coll,ection Debruge Duménil : un chevalier (Hercule?) donnant la main à un centaure (Nessiis?) 1. Urbani de Glicltof, Uiia Fahhrica Uuste de Piene de Mc-dicis. par iMiiio 5- Medaille de Laurent le Maiinifique 5!'. Tombeau de Pierre el de Cosme de Mèdicis, par Verrocchio 59 Médailles de la Conjuralion des Pazzi, r-"' A. Pollajuolo.. . . ■ 'jo L'Adoration des Mages, par Benozzo Cîozzoll. oi Médaille de Pic de la Mirandole 'ô Médaille de Marsile Ficin ''.^ Buste de Ph. Slrozzi. par B. da Majano.. . . 05 Médaille de Jean Tomabuoni. par le méJail- leur " à l'Espérance ■ 'T Rencontre de saint l)oniinit;uc cl de saiiu François. (.Mlribué à Andréa délia Kobbia.). i<) Portique de Sainte-Marie des (iràces, près d'Arezzo. par Benedello da -Majano. ... 71 Statue funéraire d'.Xragazzi, par Michelozzo. . 7: La découverte de la vraie croi.x, par 1'. délia Francesca 7-' Le tombeau d'ilaria. par délia Quercia. . . 7? Vue de Sienne 77 Chœur de Prophètes, par Fra .\ngelico. . . . :ii Saint Jérôme. (Atelier d'Andréa délia Kobbia.) m Chasse de saint Zanobi, par Ghiberti i'-' Initiale A (d'après une gravure sur bois des ateliers de Ottaviano Scoto et J. Tacuino à Vcni.se (i4i>i-i5iol "■? Statue du pape Martin V. par J. da Tradale. iM Tombeau du pape Eugène IV "5 Vue de Rome en 1400 '>7 Médaille du cardinal Scaianipi '■>> Médaille du pape Nicolas V. par (.iiac.iah.lli. ''11 Fourreau d'une èpée donnée p:ir Nicolas V. . '/' Médaille du pape Calixte III. par fluaccialotti. oi Médaille du pape Pie II '12 Le palais Piccolomini à Pienza

7 Médaille d'Alphonse d'.Vragon, par Cristoforo di Geremia i""' Revers d'une médaille d'.V.phonso, par Pisa- nello ">' Sculptures de l'.Vrc de Triomphe de Naples. nom L'Arc de Triomphe du Château-Neuf à Naples. 1 14 Buste de Ferdinand d'Aragon ii5 La Guerre des Barons, parGuglielmo -Monaco. 117 Médaille du duc de Calabre, par GuaccialoUi.. 121 La planète Mercure, d'après Baccio Baidini. . i:c Frises d'enfants, par Donatello i:.' Initiale S (d'après une gravure sur bois des ateliers des hères Bernardino et .Matteo Ve- neti. Venise et Rome, i4g2-i5io) i2i Médaille de Sig. .Malatesta, par Pisanello. . 124 Intérieur du Temple des Malatesta i25 La forteresse des -Malatesta au XV* siècle . . . 126 La forteresse des -Malatesta au XIX" siècle.. . . 127 Médaille de .Malatesta Novello. par Pisanello. . 12» Bas-relief funéraire de Robert Malatesta. . . . i2y Vue d'Urbin i3i Batlista Sfoiza, par P. délia Francesca. ... i32 V''rédéric d'L'rbin, par le même i33 .\nge. par .Melozzo da Forli 137 lUie Sirène. (D'après le Songe de l'otyfhik.). i38 Têtes d'Anges, par \. Duccio i3y Inilialc F (reproduction d'une lettre tirée du frontispice d'un manuscrit de Tive Live. Florence. Bibl. Laurenlienne, pi. .^3, n° 2).. . i.'îij .Médaille de Nicolas III d'Esté, par Pisanello. 141 .Médaille de Lionel d'Esle, par le même. ... iq3 l^n des emblèmes de Lionel d'Esté 144 .Médaille de Borso d'Esté, par Petrecini. . . . M-^i Borso d'Esté partant pour la chasse 147 Jean-François de (ionzague, par Pisanello.. . i5i Cécile de Gonzague, par le même i5i Le marquis Louis de Gonzague, par le même. i52 Le marquis Louis et la marquise Barbe de Gonzague, par .Mantegna i53 Génies jouant dans une balustrade, par le , même 1.S4 Equipage de chasse du marquis Louis de Gon- zague, parle même !55 Suivante et Esclave de la Cour de .Mantoue, par le même i50 La famille Benlivoglio, par Lorenzo Costa. . 157 .Médaille de Jean Bentivoglio i58 La Création d'Eve, par J. délia Quercia. . . i5t) Thésée el Ariadne, d'après Baccio Baidini. . . lûo Fragment d'une frise de (i. da San Galle. . . lOi Initiale V (d'après une gravure sur bois des ateliers d'Ottaviano Scoto el J. Tacuino à Venise, iqrp-iSio) ilti Vue du pont .Saint-Jean à Venise io3 Le doge François Foscari 1Ô4 Le doge Pascal Maligiero 164 I,e doge Christophe .Mauro 165 Le doge Nicolas Marcello i65 Le doge Jean .Mocenigo 166 Le doge -Marc Barbarigo 166 Tombeau du doge Pierre .Mocenigo 167 Le doge Augustin Barbarigo 169 Vue de Padoue 170 Le Martyre de saint Jacques, par .Mantegna. . 171 Vue de Vérone I73 Nielle italien du xv siècle 174 Frise en terre cuite de la Charlreuse de Pavie. 175 Initiale C (reproduction d'une lettre tirée du frontispice de la deuxième partie du Traité d'Alexandre de Halès. Fonds d'Urbin, n" 124. Bibliothèque du Vatican) 173 .Médaille de Ph.-.Marie Visconti. par Pisanello. 17Ù .Médaille de P.-C. Decembrio, par le même . . 177 Portrait du duc François Sforza sur le palais Vimercati i&i Saint Pierre martyr guérissant un jeune homme de Narni. par V. Foppa 181 La duchesse Blanche-.Marie Visconti-Sforza, fac-similé d'une gravure de 1497 182 Le duc Galéas-.Marie Sforza, d'après une mé- daille attribuée â Caradosso i83 La duchesse Bonne de Savoie i85 La Peur. .Miniature lombarde du xv siècle. . 187 Vue de la Chartreuse de Pavie 189 Porte du palais Stanga à Crémone l'ragmenl. 192 Le tombeau du Colleone I93 Vue de Gênes 197 Une tapisserie lombarde au xV siècle 301 Fragment d'un bas-relief de Civitale 202 Frontispice du jDécameroK de Boccace 2o3 Le sarcophage de F, Sassetti, par G. da San Gallo =o5 TABLE DES GRAVIRES INSEREES DANS LE TEXTE. Initiale E (d'après un manusciitdu tonds d'Ur- bin. bibliothèque du Vatican) 2o5 La destruction di>s Idoles 209 La destruction des Idoles, fac-similé d'une gravure de la Bible de Malermi 2i3 Dessin d'un camée antique, d'après un manus- crit de .Mathieu Paris 217 Au^uslale de l'empereur Frédéric II 221 La Nativité, par Niccolô Pisano 223 La Visitation, par Fra Guiilielmo 224 Copie de la Vénus de .Médicis. par Jean de Pise. 225 Prophète et Sibylle. Bas-reliefs du dôme d'Or- vieto 225 Copie d'une statue antique, par Giotto. ... 226 Copie d'un des chevaux de Venise, par Giotto. 22- Génies nus tenant des festons. Fresque de 1'^ • Incoronala • à Naples 227 L'Eté. Fresque d'Ambrogio Lorenzetti. . . . 22!! Frontispice du manuscrit de YEpiloine rirorum illustrium de Pétrarque 229 Génies tenant un cartouche. Fragment du Triomphe de la .Mort 2.V1 Frise d'une porte, par Benedelto da .Majano. . 2,^1 Initiale C (d'après une gravure sur bois des ateliers de Peter Lichtenstein. Venise. 141/J). 2,'i L'étude du nu au xv* siècle. La Mort d'.\dam, par Piero délia Francesca 2.v Bordure composée de fruits indigènes. Bas- relief de l'atelier de Giovanni délia Rnbbia. . 2.^5 Croquis du Théâtre d'Orange 23r) Fac-similé d'une gravure des Fables d'Esope. 241 Le Triomphe de Jules César, par Mantegna. . 243 Le Jugement de Paris. Parement en faïence du dôme de Parme 247 Orphée, Hercule et Thésée, d'après une minia- ture de Leonardo da Besozzo 24O Jupiter et .Mars. Fresque de Taddeo di Bartolo 241; .Médaillon de Romulus et de Rénius 25i La mort d'Orphée. d'aprè.s une gravure ano- nyme du nord de l'Italie 2.S2 Combat de deux Centaures, fac-similé d'une gravure de Pollajuolo 253 Ornements antiques sur un frontispice du xv siècle 2,^5 L'Enlèvement du Palladium. Revers d'une mé- daille de Niccolo Fiorentino _. . . . 25- Composiiion mythologique. .Médaille attribuée à Bertoldo 258 Fragment des portes de Saint-Pierre de Rome, parFilarete 2S; Adam et Eve chassés du Paradis. Bas-relief de Jacopo délia Quercia 261 Le combat des Centaures et des Lapithes. Plaquette de Caradosso 263 Le Festin d'Hérode. Fresque de .Masolino. . . 265 Saint Cosme et saint Damien devant le juge Lysia, par Fra Angelico 267 Combat de dieux marins, par .Mantegna. . . . 2(19 Portrait de poète costumé a l'antique, par An- tonello de .Messine 270 Saint Jérôme dans sa cellule, d'après une mi- niature 271 Interprétation d'un sujet antique au xv" siècle. -Mercure. Bas-relief d'Agostino di Duccio. . 273 Le Triomphe de l'.Xmour, d'après Matteo de" Pasti 275 Spécimen des illustrations d'une édition de Dante au xv* siècle. (Venise, 1491.) 276 Frontispice du Décaméron de Boccace (1492). 277 Cérès, fac-similé d'une gravure du Songe de Polyphile 278 Saint Eloi ferrant un cheval. Bas-relief de Nanni di Banco 279 Initiale E (d'après une gravure sur bois des ateliers des frères Bernardino et .Matteo Ve- neti. Venise et Rome, 1492-1510.) 27g Types de Nubiens, d'après Giotto 283 Lévrier couché. Bas-relief de Fra Guglielmo. . 285 Levrette s'èlançant. Fresque de Giotto. ... 285 Ane allant au p.as. Fresque de Giotto. . . 286 Bœuls labourant. Bas-relief d'.Andrea Pisano.. 287 Cheval au galop. Bas-relief d'.\ndrea Pisano. . 287 Vue du Colisée 289 Vue du chéteau Saint-.\nge 289 La Perspective au xv* siècle. Le Christ à la colonne, par Mantegna 293 Nielle italien du xv siècle (Duchesne, n° 347). . 294 Enfants musiciens. Frise en terre cuite par Caradosso 295 Initiale P (d'après une gravure sur bois des atehers de Peter Lichtenstein. Venise, 149O). 295 La .Alort dé la femme de Jean Tornabuoni. par Verrocchio 297 Prophète, par Niccolô deU'Aica 298 Buste du Zuccone, par Donatello 299 La Vierge et l'Enfant Jésus, par .Mantegna. , . 3oo La Prédication de saint Jean-Baptiste, par Lo- renzo et Jacopo da San Séverine 3oi La Présentation de la tète de saint Jean-Bap- tiste à Hérode. Bas-rehef de Civitale 3a3 Effigie d'un conspirateur, par Léonard de Vinci 3154 Deux Gueux, par Mantegna 3n5 Combat pour la possession du haut-de-chaus- ses, d'après une gravure italienne anonyme. 307 Costumes italiens du xV siècle, d'après les peintures d'un coffre de mariage 3io-3ii Costumes italiens du xv siècle, d'après V. Foppa 3i3 Laurent de Médicis en guerrier 314 Jeune archer vénitien, d'après Carpaccio. . . 314 Costumes de dames italiennes au xV siècle, d'après une fresque du palais de Schifanoja. 3i5 Costume italien du xv siècle, d'après .Man- tegna 317 Coiffure italienne du .xv siècle. Pierre de .Mé- dicis le Jeune 3i7 Coiffure italienne du xv siècle, d'après Be- nozzo Gozzoli 3i3 Coiffure italienne du xv siècle, d'après une plaquette en bronze 3i8 Coiffures italiennes du xv siècle, d'après des médailles de Pisanello 3i9 Coiffures italiennes du xv siècle, d'après des médailles 320 Un Elégant italien au xv siècle 32i Un atelier de chaussures en Italie au xV siècle. 322 Dame italienne du .XV siècle 322 Coiffures de dames italiennes au xv siècle. . . 324 Dame italienne du xv" siècle. D'après Mino de Fiesole 325 Devise italienne du xv* siècle, d'après un pa- vement en faïence (dessin communiqué par M. E. .Molinier) 326 Armoiries de Sigismond .Malatesta 326 Le ■ .Marzocco •, par Donatello 327 La Vierge et l'Enfant Jésus, par J. de Alemania et .\. de -Murano 333 Portrait d'un Sénateur vénitien, par Solario. . 335 Le Portier des Carmes, attribué à Masaccio. . 337 Le Christ, par Quentin Metsys 338 Le Christ, par Antonello de Messine 339 Le Sentiment du Paysage au xv siècle, d'après le Songe de Polyphile 340 Le Déluge, par Paolo Uccello 341 Chien coiffant un sangher. .Médaille de Pisanello 342 724 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. ÉtuJe d'aprùs un sanijUer Dessin de Pisanello. 3+^ La RcsLirrection du Christ, par Piero délia Francesca 3+4 Le Christ mort, par .Mantef;na 3+S l'n Chevalier au XV siècle Faïencei .î4'J l'n Atelier de sculpture, parNanni di Banco. . -m; Initiale M (d'après le frontispice du manuscrit de Vllistoirc de Frédéric de Montefeltro. par Porciello. Fonds d'Urbin, n" .3-3. Bibliothè- que du Vatican ^A7 Peintres, Sculpteurs et Orfèvres du .w siècle, d'après Baccio Baldiiii .3.S3 .Médaille de Filarete, par lui-même .303 Gravure tirée du iioM^e lie Po/.K/'/ii/e 365 Tète de moine, par B. Gozzoli 368 La Porte de Crémone 369 Fragment d'une corniche de T. Lombardo.. . 3^1 Initiale C (d'après le frontispice de la Défense de Pljlon par .\.Contrarius. Exemplaire exé- cuté pour Ferdinand de Naples. Paris, Biblio- thèque nationale, f. latin, n" 1:947) •'r' Couronnement d'un tabernacle de Donatello. . .17$ Modèle de bossages rustiques 38i .Modèle de colonne historiée ■ . . . . .^B3 Cul-de-lampe historié aux armes des Monte- feltro .3Hq Chapiteau orné de dauphins -'84 Portique de la chapelle des Pazzi 385 Colonnes à entablement et .à arc 386 .Médaillon dans un ecoinçon. . . . • 387 Escalier du palais .Minelli à Venise 38.1 Porte ■ délia .Mandorla ■, au dôme de Florence 38o Porte du palais des Médicis à .Milan 3qi Fenêtre hilobèe à encadrement rectangulaire.. 3q2 Fenêtre bilobée et détail de son chambranle. . 3g3 Corniche du palais des Médicis à Florence. . . .395 Corniche du palais Piccolomini à Sienne. . . . 3o5 Bordure des portes de Ghiberti 3i« Génies nus grimpant autour d'une guirlande. 401 l'n panier. Fragment d'un bas-relief de Rimini. 402 Initiale V (tirée d'un ouvrage de Petrus Léo. Milan, xv siècle) ^ 402 Plan dit de la croix latine. Eglise de S. Spirito à Rome 404 Plan de l'église S.-Laurent à ^Florence. . . . 404 Plan dit de la croix grecque. Eglise de S. Sé- bastien 4o5 Plan de l'église des Anges à Florence. . . . 4o5 Façade de l'église S.-.\ugustin à Rome. . , . 400 Façade du temple des Malatesta. Projet d'Al- bert! 4"r Façade du temple des Malatesta 4< '7 Façade de l'église S.-André à Mantoue. . . . 4r« Façade de l'église S. -Marc à Rome 4t)8 Façade de la ■ Madona di Galliera • à Bo- logne 409 Façade de l'église S.-Zacharie à Venise. ... 409 Façade de l'oratoire S.-Bernardin à Pérouse. 410 Coupe de l'église S.-Laurent à Florence. . . . 411 Plan de l'abside de 1' > .\nnun7.iata « à Flo- rence 4" Vue intérieure de l'église S.-.\ugustin à Rome. 412 Sacristie de S.-Laurent à Florence 4i3 Cuve baptismale de Pienza 410 Bénitier en marbre par A. Federighi 417 Chaire de la cathédrale de Prato 418 Armoire aux saintes huiles 419 Lavabo de la sacristie de S.-Laurent .... 420 Coupe des st,alles de la basilique d'.\ssise. . . 421 Tombeau de Roland de Médicis 424 Tombeau de M. .\. .Mbertini 425 "Tombeau de Salutati, par Mino 426 Eléphants employés comme supports 427 Tombeau de Jean de .Médicis, par Donatello. 429 r-'ontaine de la place de Pienza 430 La Porte S.-Pierre à Pérouse 431 Targe placée à l'angle d'un p.ilais 435 Chérubin attribué h A. délia Robbia 43B Balustrade du temple des Malatesta 439 Initiale F (d'après une gravure sur bois du XV* siècle) 439 -Masque funéraire de Brunellesco 441 La coupole de la cathédrale de Florence. . . 445 Echafaud.ige imaginé par Brunellesco. . . . 447 .Modèle de la lanterne du Dôme de Florence. 449 Intérieur de Saint-Laurent de Florence ... 451 Plan de la chapelle des Pazzi 452 Intérieur du portique de la chapelle des Pazzi. 453 L'Hospice des Enfants trouvés à Florence. . 455 Portrait de .Michelozzo 459 Portrait de L. B. Alberti 461 Façade du palais Ruccellaï à Florence 465 F.açade de Sainte-.Marie-Nouvelle à Florence. 467 Plan de l'église S. -.André à .Mantoue 468 Plan du palais Piccolomini à Sienne 400 Palais de la • Misericordia V à Arezzo 471 Étude d'aigle couronnée, d'après Pisanello. 472 F'rise d'une cheminée du palais ducal d'Urbin. 473 Intiale A (tirée de la Bible de iMalermil. . . 473 Essai de reconstitution du projet d'.\lberli et de Rossellino pour la basilique du Vatican. 474 La cour du Palais de S. -.Marc à Rome 475 Le jardin du petit palais de S. -.Marc 475 Cul-de-lampe du palais d'Urbin 477 Cortile du palais d'Urbin 479 La ■ Ca d'Oro » à Venise. 481 Modèle d'une église milanaise, d'après une mé- daille de P. de .Milan 483 Plan du Grand Hospice de Milan 484 Projet de palais, d'après un dessin de Filarete. 485 La chapelle des Portinari 485 La prison de Brescia 487 Sujet allégorigue. d'après le Songe de Poly- phile.. " 488 Frontispice tiré des Triomphes de Pétrarque. 480 Ornements en bois sculpte, attribués à Dona- tello 491 Initiale N (tirée du Saint Jérôme, \enise, 1497-14081 491 La Madone et l'Enfant Jésus, par J. délia Quercia 497 Buste du prophète Jérémie, par Donatello . . 498 Sainte Cécile, par Donatello 499 .■\nge de Verrocchio 5oo Enfants tenant des bouquets, attribués a Si- mone Ferrucci 5oi Statuette de Prophétesse 5o2-5o3 Buste d'.\. .Malatesta, par le Vecchietta. . . . 5o4 Buste de Salutati. par .Mino 5o5 Fragment d'un bas-relief de marbre 5io Un Miracle de saint Antoine de Padoue. ... 5ii Initiale F icomposée d'après une lettre ornée des ateliers des Aide Manuce. Venise, 1499). 5ii Bas-relief de Niccolô d'.\rezzo 514 l^ortrait de Donatello 5:5 Buste de N. da Uzzano, par Donatello 520 Enfant musicien, par le même 52i Enfants dansant, par le même 522 Buste de saint Jean-Baptiste, par le même. . 523 Portrait de Nanni di Banco 525 La planète Diane, par Agostino di Duccio. . 527 Enfants dansant, par Ferrucci S28 Anges musiciens, par A. di Duccio 52g Saturne dévorant un de ses enfants, par A. di Duccio 53o Frise du tombeau du pape Paul II 53i taiuj: des CiR.wlres insérées dans le texte. 72.1 Iniliale L (lirie des Fables d'Ésope. Venise, 149}) 53i Le Sacrifice d'Abraham, par Branellesco. . . . 532 Le Sacrifice d'Abraham, par Ghiberli 5.33 Buste de Prophète, par le même 534 Buste de Prophète, par le même 535 Portrait de Bartoluccio, par le même 536 Portrait de Ghiberti 53- Statuette de Prophète, par Ghiberti 538 Histoire d'Ifaac et de Jacob, par le même. . .\3g Un .Miracle de saint Zanobi. parle même. . . 5^1 Tombeaude laBeala Villana.parB. Rossellino. .^^14 Statue funéraire de Bnini. par le même. . . . 5^5 Portrait d'Antonio Rossellino 5^6 Madone d'Antonio Kosselhno 547 Génie tenant un écusson, par Desiderio. ... 548 Portrait de Desiderio 548 La .Madone et l'Enfant Jésus, par Desiderio. 549 Portrait de .Mino 3Jo La Vierge. l'Enfant Jésus et des Saints. Bas- relief de .Mino • . . 55i La Vierge en Adoration. Bas-relief de .Mino. ,S53 Portrait de Luca délia Robbia .^4 Enfants dansant, par Luca délia Robbia.. . . 555 La Vierge, par le même ^^> L'évangéliste Saint Jean, par le même. . . . .V7 Buste d'enfant isaint Jean-Baptiste "-1. Atelier des délia Robbia SSo L'Ange de l'.Xnnonciation. par Luca délia » Robbia 56o Fragment d'un tabernacle par D. de Selli- gnano .%i Initiale E. d'après d'après une gravure sur bois des ateliers des frères Bernardini iVenise 14k)) H'i Portrait de G. délia Quercia 563 Le retable des Trenla. par délia Quercia.. . ."^6? Adam bêchant et Eve filant, par le même. . . . 56) La Vierge et l'Enfant Jésus. Bas-relief ano- nyme de l'Ecole siennoise. 5-i Portrait de Paolo Romano 576 L'Espérance, par Giovanni Dalniata 577 Bas-relief équestre d'.\nnibal Bentivoglio (1458). par Niccolô dell' Arca 58i La ■ Porta .iella Carta • (restaurée), au Palais ducal de Venise 583 Génies tenant l'aigle des Montefeltro." . . . . 586 Frontispice d'une édition de Térence publiée à Venise en 1499 5- Sixte IV conférant a Platina les fonctions de Préfet de la Vaticane. Fresque de Melozzo da Forli 100 La descente aux Limbes. F'ac-similé d'un , dessin de Mantegna i5o Étude de tète. Fac-similé d'un dessin de Mantegna lî- Vue de Venise en i5oo (fragment), par Jacopo de Barbari 104 Façade de la Chartreuse de Pavie 190 Étude pour deux Prophètes. Fac-similé d'un dessin de Filippino Lippi 206 .\pollon ou Hercule tirant de l'arc. Fac-similé d'un dessin attribué à Jean Bellin 2^2 Fac-similé d'un dessin de Giuliano da San Gallo, d'après un relief antique 238 Le Christ, un Apùtre et des Personnages en costumes du xv siècle, d'après un dessin P.-iges. de Pisanello 298 Janissaire. Fac-similé d'un dessin de Gentil Bellin 3o2 Femme turque. Fac-similé d'un dessin de Gentil Bellin 3o2 Groupe de cavaliers. Fac-similé d'un dessin ^ de Pinturicchio 3o8 Etude de Costumes. Fac-similé d'un dessin de Pisanello (Collection -Malcolm) 3i2 Tète de vieillard. Fac-similé d'un dessin de ^ Lorenzo di Credi 336 Etude de tête. Fac-similé d'un dessin de Pollajuolo 342 Portrait de femme. Fac-similé d'un dessin de r>. Ghirlandajo 344 Etude pour la Vierge du tableau du Louvre. Fac-similé d'un dessin de D. Ghirlandajo. . 5o2 La Vierge et l'Enfant Jésus. Sculpture ita- lienne polychrome 5o8 Porte de la sacristie de Saint-Laurent, par Donatello (F"ragment) 52o La Deuxième Porte de Ghibeiti. Baptistère de Florence. Fragment 540 Etude pour un .Vpôtre. Fac-similé d'un dessin de Jean Bellin 600 Un Jeune .Martyr. Fac-similé d'un dessin de , G. Pesello 626 Étude de tête. Fac-similé d'un dessin de Pi- sanello 638 La Descente de Croix. Fac-similé d'un dessin de Jacopo Bellini 642 Frontispice d'un manuscrit itahen de la fin du XV siècle. (Collection E. .Mûntz) 704 TABLE ALPHABÉTIQUE DES .MATIÈRES ET DES NOMS CONTENUS DANS CE VOLUME'. Abruczes (les), 121, 578. Absides, 411. Académies, 349-35o, 36o, 452, 682- 683. Acciajuoli (les), 32, 63, 65, 422, 624. Accorso, 32. , Acqiii, np. Acuto (Hawkood), 3o, 341, 622. Aélion, 244. Afrique {('), 211. Agnello (Fra Guglielnio d'), 222, 224-225, 229, 281. 285 (G), 324 (G). Agni(Zanino de Normandie), 186. Adèle (la comtesse), 219. Adorno (les), 198. Adria, !()8. Agostino di Duccio, 68, 79. 126, i39 (G), 149, 527-530 (G),58o. Aigueperse, i56. Aiolo, 68g. Aix, 238. Aix-Li-Chapeile, 2i5. Alaric. 210. AWa, 10. — (Macrino d'), Kp, 196. Alberti (Ant.), k3o. — (L. B.), 10, 22, 26, 34, .35, So, 52, 56, 60, 63, 64, (:6, 89, 124, 143, 144, i5i, i55, 236, 238, 23g, 243, 273 (G), 276, 2g3 ,293, 326, 329, 353, 354, 35g-364, 368, 373, 374, 377, 378, 379, 3a3, 384, 387, 388, 390, 394, 396, 404, 406, 408, 410, 411, 425, 43o, 432, 457, 460-468 (G), 472, 473, 474, 481, 482, 492, 493, 499, 5o3, 5o6, 527, 596, 599, 688. (Hk). Albertinelli (.Mar.), 616. Albizzi (les), 5i, 69, 35, 12!, 133, 188, 3o5. Beccafumi, 334, 70~- Belferdeli (Varrone), 90, 53>o, 573. Belgrade, 87. Beliano. Voy. Vellano. Bellini (Gentile), 144, i65, i(j6, 172, 268, 3o2 (G), 674. — (Giov.), 5, 40, 144. 154, i65, 168, 172 (G), 206 (G), 268, 276, 20, 336, 344, 357, 600, 672. — (Jacopo), 140, 144, 166, 16S, 172, 25 I, 268. 5g9, 604, 642-644 (G), 647, 674, 680. Bellincona, 191. Bellune. 173, 25o. Bellunello. 174. Bembo. i36. 154, 461. — (Bonif.), 191, 641. Benedetto (Fra). 3o6, 652, 700. BÉNÉDICTINS (LES), 354. Bénevenl. ii8, 121. Benintendi (les), 5io. BÉNITIERS, 416-417 (G). Benivieni, 509. Benti (Dom.), ii;8. Bentivoglio (les). 10, (p (G). 128. i3g, i56, i58, 100, 3io, 425, 58o. 58i (G). Bergame, 175, 192-194(0), 252, 263. 414. 422, 427, 428. 439, 480, 484- 486. — (Fra Damiano de). 195, 355, 708. Bergomensis (Phil.). 10, 255 (G), 323 (G). Berlin (.Musée de). 88. 267. 270. 271 (G). 323, 334. 336, 507, 5o8, 5io, 548. 5.5o, 552. 624, û34-036, 638, 642. 05o. 077. Beriinghieri. (jlJu. Bernardin (saint), 3. 3o5, 529. Berry (le duc*de). 234, 289,338,708, 700. Bertharith. 216. Bertino di Giovanni. 463. 470. Bertoldo, 57, 2S1, 256, 258 (G), 417, 526. Bessarion (le card.), 26, 98, 164, 32 1 , 628. Besozzo (les da), 106. 112. 179. 187. 247. 248 (G). 5oo. 585, 040-641. Betto (Fr.), 7o5. BitHena, 63, 74, i36. BlULlOTlIÉyUES, 62. 88, 98, 109-110, 114. 122, i33, 148,- 164, 166, 182, 303, 436-437. 698. Bicci (les), 67, 35 1, 5o9, 625, 670, 071. (»/i. 718. Biduinus. 281. Binasco (Fr.). i83. Birgières (les), 718. Birich (Giov.), 186. Bissone, 191. Voy. Gagini. Bisantius, 2i5. Bisticci (Vespasiano de'). 12, 14, 55, 60. 62, tiù, 108, 124, 128, i3o, i32-i34, 172, 227, 292, 3i6, 322, 324, 373, 379, 699. Blois. 263, 388. Blondel (Fr.). 4.56 Boccace, o, 10, 21, 32, i33, i5i, i56, 277 (G), 280. 3io, Ô24. Boccacino, 192, 199. Boccador, 120. Boccati. I146. Bohême, 334- — (Wenceslas de), 114 Bois (Sculpture en), 421, 5oi3-5io Bojardo, 64. Boldu, 166, 257, 277, 689 (G). Bologne, 6, 40, ç6, 121, 139, i56, i58, 175, 275, 3o5, 376, 379, 382, 424, 440, 460, 5ii, .%!, 563, 564, 568, 58o, 599, 706, 718. — Cathédrale, 376. — Corpus domini, 160, 410. — S. Domenico. 159. 281. — S. Giacomo Maggiore. 127 (G), i58. 425. 568, 58o. — iMadonna di GaUiera, 160, 392, 3'>4. 40!V4io (G). — S. Petronio, i58, 159, 26» (G), 262, 290, 375, 497 (G), 5ii, 567, 5ôq, 706. — S. Spirito, 392. — Foro dei Mercanti, 428. TABLE ALPnA151-;TIQLE DES NOMS ET DES MATIÈRES. 729 Boloi;}ic. Musée civiquo, 568. — Palais Bevilacqua, 382. — ~ Fava, i(<>..)i«).^rp. ^nii. — — du Podestat, ().1(»1. .4:8. — — des ■ Stracciajuoli ., iCo, ^.^î. — (.\lberto de), 1+^. — (.\rduino de), i,)3. Bon (Jean), uil — Voy. Buini. Bonfigli (Ben.l. 79. ijo. (,46. Bonfini (Ant.). ,'60. Bonnanus. 281. Bono (P.), 689. Borgia (les), 10, 91, i^. i^o, ,^I!!. 322, 325. Vov. Papes : .Mexan- dre VI. liargo S. Sepolcro. 72, 74, 336, 342. 344, 424, 627-629, 642. Boigognone (A.), 187, 188, 190, 3i6, 48ÏÎ, 5(>'î, 599,641. Boleiam (R.), 717. Botticelli, 3i. 41 (G), 57, 38, «î, <». roo, 242, 244, 246, 25i , 257, 278, 291 , 2(>8. 304, 35, 328, 33o. — ijean de), 718. Bouts ( l'h.), 627. Bradant (Coppino de), 71,^. Bracciano, un. Braccio di .Monlone, 2, 43. Bracciolini. Voy. Pogge. Bramante (l'ancien), 187. — (Donato), 49, 80, 100, 102, 127, 128, 1,35, 137, 140, i!15, 188- 195, 329, 3(Jo, 3fK), 378, 404, 410, 412, 432, 438, 443, 45o, 457, 458, 46-, 468, 477, 478, 485, 486, 48!!. 641. Brancacci (les), 106. 357, 426, 428, 517, ,S3o, 6i5, 616. Voy. Florence : Carminé. Hrancaleoni (Gent.), i3o. Branda (le card.), 88, 191. Brandebourg (Jean de), 154. — (Barbe de). Voy. Gonzague. Brandolini (.\ur.), 43ii. — (Lip.), 7f». Brave (le card. de), 224. Brea (Lod.), 199-200. Bregno (les) 167, 195, 415. 480, ,'^72. .584, 586. Brenzoni, 427, 526, 585, 635. Brescia. 175, 187, 190, 199,278, 35o. .3li6, 384, 401, 410, 428, 433, 439. 4S8, 4!%, 487,653(G). — (.Vntonio de), i56. — (Arnoldo de), 214. - (Gratiadei de), 473. — (.VIezzo de), 160; Bretagne, 104. Brinilisi. 121, 476. Briosco (Ben.), 186, 190, 5tt6. Brivio. 257. Broderie (la), 86.93, 121-122, 7i3- 714 (G). Bronze (le), 5o8-5o9, 683-684 (G)- Bronzino, 717. Bruges. 55, 114, 121, 142, 257, .328,» 332, 334. 340. — (.Me.Kandre de), 199. — (Jean de), 717, — (Liévin de),68, 717, 71S. — (Roland de), 212. Brunellesco. 7, 39, .xi, 52, ,54, 55, fn). 71,84, 127, 128, 140, 142, i5i, 176, laS, 221, 222, 226, 2.38, 239, 2.S4, 264, 272. 292. 329, .33i, 349, 352, 354, 359, 36i, 369, 373, 374, .378. .382, 383, 387, 388, 392, 394. 395, .3 Û84, 686. -07, 708. Cadore. 174. Cadres (les). 597-598. Caetani (les), loi. Caffaggiuolo. 54, 4,^!i. 4.58, 7(»,. C.igli. 1.^4, i36. Cain. 5n5. Caire (le), 55. CiLibre (la), 48, 5i. 121. Calabre (duc de). Voy. .Aragon ; .'\lphonse II. Calandrini (Phil.), 200. Ç.\LLiGR-\piiiE (la), 402, 699. Camaldoli, 421. Camaldules (lesL 74. 699. Cambridge. 210. Camerino, 137. — (Giov. Ang. de). 56. — (Rod. de).'.?( .4. C'ammei. Voy. Dumenico. Campagnols, 174. Campano, i32. Campaniles, 410. Campione ou Campiglione. un. Cane (Fac), 196. 640. Canobia (Fr. de), iWi. C.\X0N (.Artillerie), 086 (G). — (Esthétique), 2l^^, 49'i-4cx). Canova, 492. Canozzi. Voy. Lendinara. Capace (A.). 116. Capanna (Pue). 2*!0. Caparra. 70. Capodislria (Domenico de), 104. Capone, 118, 121. Capponi (Neri), 425. Capranica (les), loi, .\2(i. Caprina (.Meo del), 100, 14S, 196, 407, 470, .581 . Caraccioli (R.), ic/j. -5 |G\. .562' 3(.)3-3oo (G). 354, E. MUntz. — 1. Italie. Les Primilils. Caracciolo (SergiannI), 106, 10- (G), 579, 710 (G)-. Caradosso. i83 (G), 188. 194, 195, 263 (G), 295 (G), 492, 5l.i6, 706. Carafl'a (les), 102, 120, 476, 576. Careggi, .54, 55, 60, .379, 432, 437, 4.«,+58, Caretto (Uaria del). - 1. .%3. Cariatides, 428. Caricature (la), 295 Carlo di Niccolo, 91. Carloman. 212. Carniagnola. 2, i5o. Carnevale (Fra), i36, 354, 632. Carona, i(J8, 191, 480. Carpaccio, 174. 268, .3o2, 3o;l, 314 (G),3i5,32r., .3.57, rx,4, 674. Carpi (les Pic de), 149. Carraches (les). 40. Carrare (les), 172, 687. Carrare, 200, 380,422,448, 5i>), .504. Cariîelaoes. Voy. Céramique et Mosaïque. Casale, up. Casentin {le), 74, 549, 019. Caserte, 432. Casetta. 122. Cassin [le Mont), 121. Castagno (.A. del) 32. 42, 5. 200, 264, ,3o4, 340-.?42, 344, 594, 599, 0, r;!), 110, ,i85 (G). 41 2 414, 4.53 (G). 485 (G). Chapiteaux. .'îf'q-386 (G). Charlemagne, 207, 211, 212. 24O. Charles le Chauve, 212. — le Téméraire, i55. — V. .VX). -- VI. 3i2. — VIII, 20. 10 ), 119, 1:», 438, 458, 02ti. 204- HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAIS&.\NCE. Charpentiers, 378. Clurlres, 263, î3o. Chartreuse. Voy. Val d'Enia. Chasses, m" (G). i55 (G). Chelini (P.). ù:2. Cheminées, 4.>3-435. Cherico {F. del), 56, 700-701 (G). 706. Chiararalle. 4113. Cliiavcs (le card.l, 574. Chicsa (les), igo. Chicli. m. 'Chisfi (Ag.) 70. Chimcnli (Cam.i. 47c 1. Chinon. .îi!l. Chio. 4.'ii). Chiiisiiri, 74. Cliivasso, ii/j. Chixel (.\.), 1*. ChrisUis (Pelrus). 5H. 1:1. Chiysulciras (Man.), 12, 1»'.. CiBORiu.M, 417. Ciccione [A. di), 106, 107 (G). 470. 576. Cicéron. m'i. i35, 2.S0, 700. Clniahué, 205, 289, 591. Cione. 53i. Cire (Sculpture en), 5io. Cirques,. 380. Citrini (Marino), i36. Città di Castello, 80, 82, 314, 38i, 3a:>, (>5o. CiulTafini. 357. 525-526, 528, 578, 58o. ( 'i\ urcliio. i!îî^. CiriJalc, 174. — (Bertolotti de). 174. Cività Castellaii.!, !to. — l'ecdiij, 104. Civitale (.M.), 74. i'>3. 202 (G), ,v)2, 3o3,3oO(G),40i,4i6. 492,41/). 5(>'i. Clergé (le), g. .34, (jq, 104. 344-347, 354-355, «33, 706. Voy. Papes. Clivate (MalTeo de), i85. Clochers, 410. Cloîtres. 412. Coffres de ^L\RL\GE, 17 (G), 35-.^7. Z'Tl<. 3iO-3i7(G),697(G). Coiffures. Voy. costumes. Colantonio. Voy. Flore. Colle in val d'Eisa, 532. Collections d'antiquités. Voy. Antiques. CoUenuccio (P.), 114. Colleone, 2, 3o, 32, 149. i(j5, 166. 102-11)4 (G), 2t)6, 414, 422, 427, 4^,49.5,511. Cologne (Ecole de), 257, 334, 658, 672. — (Bartolommeo de), 186. — IBernardode), 186. — (Pietro de), 186-187. Colonna (les), 8.Î, 36, loi. — (Fra Francesco), i7o(G), 17.', 278, 354, 360-368 (G), 373, 4m (G). -i9i, 194. 252, .\j(j, 359, .■584, 386, 3go, 5tA. Commines, 24. 118. 161, 162, 1O4. Comtat l'enaissin, q5. Concha (le card.), i3-. Concordia, 149. Concours, .35, 70, 378-380. Condottieri, 6, 7, 687, Condulmer(lc card.). Voy. l'apes : Eugène IV. CoKe^/taHO(Ciniade), 108. 173,208, 67-4- Conrad 1, 212. - III. ai. i'onstance. 94. Constantin le Grand, 92, 109, 2fj8, 217. Const.^nlinople. 26, 39,92. i6!i. 208, 216, 219, 242, 255, 304, 321, 68!!. Contarini (les), 166. Contrarius. 700. Conireforts,4II. Corbizzi (Lilti), 6(/> Corliolini (N.), 706. Cordons, .395. Cordone (cuirs de), 58. Corio, 178, i83, 324, 716. Cornaro (les). i6f). Cornélius (médailleur), 1O6. Cornelo, t!6, 104, ."92, 394 (G), 472. Corniches. 395 (G). Corniole (Giov. délie). 70, 64. Cyriaque dWncone, 87. i.n8. 144, 2.SO, .VI. Cythérc. 141. D Dalniata (Giovanni), loi, 375. 53o, 549, ,^72, .575, 577 (G). nalmatie (la), 174, 080. Da.masquinerie (la), 58, 6<;2. Dandolo, 256. Danses des morts, 276-277. Danemark (Christian, roi de), i55. Dante. 8. 11, 21.27, 02, 5o, 5i, 55. 64, (.p8, 128, i33, 1.39, 170, 173, 197, 23i. 272, 276 (G). 277, 2V,x 3in. 441. 5o3. 624, 680. David (Gérard). 257. — (Louis. 346. Decembrio. 24. 177 (G), 087. Dei (Matteo). 678,705. Delacroix (Eugène). 522, Dello, 55, 622, 623, 696, (x)-. Delphes, 208. Dessins, 378-379, 507, 6*xi 'G). Devises. 324-326. Diamante (Fia), 82, 670, 688 •Dijon. i6i3. 263, 427, 519. Dioscoride, 257. Dol. 104, 690. Dolcebuono(Giov. Giac). 18(1, 18-. 387. Dolci (Giov. dei). laj. 104. 377, 378. 47-?, 476- Domenico dei Cammei. 187, (tp. Domenico di Bartolo, 6.S1. Domenico di Paris (Padoue), 58i. DôjiES. Voy. Eglises et Coupoles. Dominicains (les), i59, 164, 354-355, 6c». Dominici. 11. Dominique (saint), 529. Donatello, 8 (G). 21. 28, 33, 39, 41, 48. 5o. 52-55. 57, 58, 64. 66-69, 7'- 78, 84, iû6, 123 (G), 128, 140, 144, 146, 149, i5i, i6(.i, 205, 226, 241, 247, 25 1, 256, 259, 273-275, 28Û, 2911, 292. 21)8-299 (Ciii 3o2, 3i4, 320, 327 (G), 331-332, 336, 352, .3.57. 374-375 (G), 387, 392, 397, 413- 419, 424, 426-428, 43o, 432-433, 442-443, 458, 460-461, 481;, 491, 493-4()6, 499-5o8 (G), 5io-5i2, 5i5- 528 (G), 530-534, 535, 537-549,551- 552, 554. 558, 56o, 56i, 563, 566. .568, ,•^69, .572, 573, 58(j, 582, 584- 586, 51.8, 591, 6o5, 606, 616, 619, 620, 622-624, 634, 647, 65 1, 654, 677 (G), 683, 684 (G), (K34- 695, 697, 7''J- — de Trevise. 173. Donizetti. 139. Donzello. iiû. 295. Douai (musée de), 432. Draperies. 291, 494-495, 5o2-5o3(G). Dresde (musées de), 245, 259, 5gi, -(.5. Duprc, .341. Durand (Guillaume), 348. Durer (A), 52, 044,319, 638, 677. Duro (Aiil.), i5o. TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS ET DES MATIÈRES. Eeénisterie, 696 (G). Eccellino de Romagne, 4. Ecoles. Voy. Brugres, Byzance. Cologne. Flandre.Florence.Mu- rano. Ombrie, Padoue, Pise, , Rome. Venise, etc. EdITS SO.MPTL'AIRES, II, l62-l63. , Voy. Luxe. Edouard I" d'Angleterre, 217. r.ORITS THÉORIQUES. S^S-?tii. Edilité, tjr. Voy. Voirie. Eglises. 373-428 (G) et passim. Egypte il ).a54. Elia (Battista). 198. Éloi (saint), J4S. Ely, 210. E.MAIL, Jli, .x)6, 705. E.MBLÈ.MES, 32^-326, .3ç)8. Emilie {!'), 4g, i5o,i56-i6o(G), 380. 58o. Empoli, 71, 406, 546, 607. ExcACSTiQDE (peinlurc à 1), coi- 602. EXTREPREXEIRS, 37q. Enzio. 142. Enzola, 686. 689. Épees. 90 (G), 092-5, 2iX), 325. — Hercule, I. 141. — Hippolyte. 139. — Isabelle, 154. — Lionel, 26, 3i, 139-143 (G), Kp, 320, 33i, 36i, 634, 636, 643, 647. — Meliaduce, 142. — Nicolas, 3o. 139-149(0, 354. S)i,6!Î7. — Parisina. i3<)-i42. — Ligo. 139-142. Esthétkjce (!'), .35<)-,V)8. Estouteville (Guillaume d'). 100- . 101 (G). Établissements hospitaliers . 4.%. Étals .le l'Église, 120, 4.^9. Ethelried (l'abbesse). 210. Ethnographie (1'), 49. Voy. Pein- , ture ethnographique. Etiquette (1*). 3. Etoffes. Voy. .\rt textile et Cos- tumes. Étrurie et Étrusques, 5o, 374, 38i, 440, 482. Euclide, 620. Expertises. 70, 378. Ex-voto, 493. 5io. Eyck (les Van). Voy. Van Eyck. Fabius Pictor, 359. Fabriano, 80, 436. 646. — (Gentile de), 66, 79, 80, a?, 137, i65, 166, igo, 296, 3i3, 32i, 334, 337, 36o, 6o3-6o5, 610, 612, 625. 634, 636. 6140, 642. 64- (.André de), 219. Flore ornemest-kle (la), 398-401. Florence, 2, 6, 8, 12, 14, 16, 26, 3o, 32, 39, 42, 48, 50-75 (G), 79. 84, 87, 89, 90, 98, io3, 106, 126, 127, i32, i.i), 143, 149, 162- 166. 171, i83, 187, 194. 198, 200, 206, 214, 229, 2.3o, 235. 238, 242, 260, 261, 283. 287-289, 292, 297, 304, 309, 3ii, 3i2, 322, 325, 334, 340, 348, 349. 352, 355, 357, 359, 374-376, 378, 38o, 382, 386, 388, 392, 3g6, 397, 401 (G), 4^-426, 428, 432, 436, 438-440. 442, 443, 444, 448, 452, 454, 456, 458, 46rj, 461, 466, 468, 470, 474. 477, 478, 482, 483, 485, 492, 493, 499, 5o2, 5o3, 5o4, 5o9, 5i2, 5i3, 514, 52o, 521, 526, 527. 53(3, 532, 5.33, 544, 548, 549 (G), 56i, 562, 573, 576. 579-582, 584, 585, 596, 599, 602. 6o3, 6o5, 606, 607, 610, 622-627, 633, 642, 643, 646-651, 652, 654, 660, 662, 665, 674, 677-680, 6!Î7, 698. 7a5, 706, 707, 713. 718. — Cathédrale, 4, 21. 35. 48, 67, 83 (G), i85. 216, 225, 232, 276, 283. 286. 287 (G). 299 (G). 3o6, 332, 341, 374, 376, .378, 383, 384, 389 (G), 390, 396, 410, 412, 4i5y 420, 427, 441, (G), 443, 445 (G), 448, 449 (G). 466, 481, (Cî), 495, 498,. 5o8, 5i4 (G). 517, 521. 524. 525, 526, 539-541 (G), .553, ,554, 556, 558, 624., 693. 698, 700. 700. — Anges (Eglise des). Voy Florence : Canialdules. — Annonciation, 69, 378, 411 424-425. 466. 470, 653. — Apollonia (S.). 266, 623. — Badia. 4 (G), 69, 103 (G), loS (G), 400. 425, 55o. — Baptistère, 35, 124, 216, 221 225, 254, 2>\5, 292, 357, 391, .399 (G), 406, 426, 442, 446, 447, 450, 458. 483, 493, 495, 5o6, 5o8, .V19, 517; 532-542 (G), 573, 602 (G), 607. 6.52. 672, 674 (G), 677 (G), 678. 705, 714-715 (G). — Camaldules, 63, 66, 493 (G), 451, 659, 699. — Carminé, 3i, 291, 421, 592, 602, 604, 606-619 (G), 647, 608. -3c HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Florence. Cioce (S.), et chapelle des Pazzi, 25. M), 07, 68, 6ç), 22Ô ((i). 227, 283 (G), 28f.i, 3oo. 383, 385 (G), 38-, 3g2, itfo, 405. 411, 412, 414, 41O, 419, 421, 423, 424, 428, 449-454 (G), 457, 458, 485, 5i8. 543, 545 (G). 547, 558. 624. — Félicité (Ste), 446. — François (S.), .376, .38i, 386, 404. — François (S.) de Paule. 5.15- 557 (G). — Laurent (S.). 54 (G), 55, 5o, 59 (G), 68, 2.=;6. 376. 38i, 3!Î3, 3f» (G), 387. 390-392, 403-404 (G), 41 1-429 (G), 44y--l52 (G), 457, 485, ,=;o8, 52 1 (G) , 523. 548. 554. 56i , 663. — Léonard (S.) 280. — Lucie (Ste). 625. — .Marc (S.), église et cou- vent, 34, 54. 62. 68. .3o6, ,176, 412. 421, 436, 456, 458. 4.59, 654, 700- — Maria Novella (S.), 66, i65, 264. 274, 2IIS, 3n, 326, .339, 341, 374, .376, 390, .394, .3(/j, 404, 406, 407, 420, 426, 442, 452, 458, 461, 463, 4Û4, 466, 4(>7 (G), 470, 4^1. 5o2, 5o(), .S09. 543, 544, 589, 592, 601. 602, 616. 617. 621, 623, 625, 652. — Maria Nuova (S.). 266, 6o3, 623, 625, 028. — Niccolô (S.). 648. — Ognisanti, 53o. — Or S. Michèle. « (G), 67, 69, 2ï5, 279 (G), 3o2, .347, 408, 4'fi, 423, 481, 5o2, 5i2, 5i8, 5ig, 523, 524, 535, 538, 653. — Pancrace (S.), 66, 461, 466. — Spirito (S.). 57, 376, 383, 387, 3g2, 404 (G). 411. 4.5o, 452, 457. — Trinité. 20.^ (G), 424. 648. — Académie des Beaux-.\rts, 41 ((i). 227, 284, np, 3.38, 627, 048, 053, 668. — Bargello. Voy. Musée na- tional. — Bibliothèques. 44, 356, 257, 368,483, 7a-)-7oi (G). — Hospice des Enfants trou- vés, 69, 383, 38-, .394, 396, 4.30, 452. 455, 5o3, 5o6. — Loge des Lanzi. 408, 428, 470. — LogedeS.Paul.i»). 428,452. — ■ Loge des Peruzzi. .to5, 620. — .Musée national, 5- (G), 123 (G). 25o. 258, 259, 266, 296, 297 (G). 325 (G), 327, 3.36. 33-, 341, 358, 38i, 382, 4.V>, 5o2 (G), 5o4, 5i7, 519. 520, 522 (G), 52.3, .532. 533 (G). .540, 546, .547 (G), 552. 5.54, 555, 559, 56.3. .57(1, 600 (G), 62.3, 624, 626 (G), 078. 711. — Musée des Otfices. i33 (G). 242, 275 (G), 296, 29!!, 3o6. 342 (G), 378, 447 (G), 5(53, 519, 590, 598, 613, 614, 616, 622, 625, 626, 6.3<), 640, 65i. 653, 658, 670. — Palais Giugni - Canigiani , .386. — Palais Larione. 454. — Palais Médicis, .53 (G), 54, 61 (G). 241. 242, 2.58, 376, 382. .3fi.3, .392, 393. 395 (G), 396, 433, 458. 459. 466. 517, C&), 707. — Palais Pazzi, 6(). .376, .382- 387 (G). .393. 400, 435 CG), 454, — Palais PiUi. -. .3-6. .!i!i-.3a^ (G), 395, 450. 454. 457, 624. Florence. Palais Porta Guelfa, 4.54. — Palais Quaratesi . Voy. Palais Pazzi. — Palais Ruccellaï, 66, 236, 329, 3-6, .383, ,393, 394, 437, 461, 463, 465-466 (G), 470. — Palais Strozzi, 7,57,379,382, .392, 393, 432. — Palais Vieux, 68, 222, 227, 23i (G), 327, .381, 386, 390, .30, 432, 458, 504. — (.\gnolo de), .573. — (.\ndiea de), 428, 579, (xy). — (.\ntonio di Francesco de), a). 4:-?- — (.\ntonio di (iiovanni). 715. — (Fra Bernardo de), 355, 474. — (Bernardo di Lorenzo de). 473-474. — (Carlo di Niccolo de). Voy Carlo. — (Fra Cristofano de). 355. — (Giacomo de), i.35, 573. — (Giovanni de). ."-73. — (Giovanni d'.Xntonio de) Vov. Giovanni. — " (Nicrolo de), 58 (G), 257 (G). 5.38.581. — (Piero di Niccolo de). i6(j. — (Pietro de), no. 42(1. — Pietro. Voy. Donzello. — (Polito de). Voy. Donzello. — (Sebastiano de).4i2, 473. — (Stel'ani de), 3.54. — (Varrone de). Voy. Belfer- deli. Luca di Giacomo, 58i. Floris (Fr.). Oio. 616. Focus (Petrus), if%. Fo^^ia, 121. Foiingo. 8o-i)i, 86, 25o, 652, 680. — (Bartolommeo de), 81, oi!6, a\). — (Lodovico de), 79, 81. ■ — (Niccolô de), 79, 81, 1.37, 646. — (Tommaso de), «p. FoKTAiNES, 430 (G). Voy. Sienne : Fonte Gaja. Fontana (C). 485. Fonts b.\ptism.m'X, 4i5. Foppa (V.), 181 (G), 188, 190, 194, 199, 25o, 268,3i3 (G), 316,360,641. Fora, 106, 112. Forli, 10, 123. 1.36, 41x1, 42O, 427, 70g. — (.Melozzo de). 100 (G), io3, 1.34. i3o, i37 (G), 319, 437, 696. Fornari (.\nselmo). 199. Fornoiie, 04. Fortebraccio (Nie), 628. Forteguerra. Voy. Verrocchio. Foscari (les). 164, iWj, 427, .584. Fossombrone. 1.^4. Fouquet (Jean). .3,34. 705. Fra .\ngelico. Voy. .Vngelico. France {Li}. 42, i)3. 148-149. 168, 186 U}4. 20(). 221, 2.35. 246, 327, .329 367, 420. 421, 490. .552, .S04. 713 7'4, rc-'i". — (Adaniantel. 717. — (..\gni). i8(j. — (Bart.), i!fc. — (Bartolommeo), liïl-igii. — (Giannino), 148. — (Guidone). 717. — (Jacopo di Niccolo). 715. — (Jean), .=^)i. 71.8. — (Jean). 14:'.. France (Ij). (Jean, fils de Félix). 718. — (Jeanne), 718. — (Johannes Thoma;), -I-. — (.Mat.), 186. — (Nicolas). 718. — ( - )->7--i8. — (Pietro di Gualtieri). 148. Voy. en outre .Mont. Ban"ère. Beaufort. Birgières. Bon. Bour- gogne, Burdeo. Charles. Fran- çois. Jenson. Louis. .Maincourt, Navarre, Paris. Perpignan, Phi- hppe le Bel. S.-Omer. Vignon. Francesca (Piero délia), i5. i6(G), 28, 3i, .5o, 72-74, go, 126, i33-i34 (G), i36, 13-, i38, 140, 144, 146, 233 (G). 266, 391-293. 202, 3o8, 3n, 3i3. 323. 334. 330, 341, 342, 344 (G), 36o, 367, 368, 433, 594, 596, 599, 625, 62-, 628 (G), 629 (G), 63o, 63 1 (G),' 632, 633. Francesco d'.Vnlonio. Voy. Che- rico. — di Livi, 706. — di Simone, 160. — (Fra), 3o(j. Francfort (musée de), 257. Franck (Fr.), 127, 134, 157, i58. 314, 35o, 705, 700. Franciabigio, 610. Francione.68, 200, 378, 470, 473. Franciscains (les). 354, 699. Franciscus Gentilis, 65o. François (S.) d'.\ssise. 284. 385. François I"7 roi de France, 185. 321,' .346. 4?7. 4.=^8- Frédéric 1 d'empereur), 164. .3o5. Frédéric II d'empereur), 143. 214, 321-222 (G). Frédéric III (l'empereur), 148. 660. Frédénc II (roi de Prusse), 10!!. Fregoso (les), ig'i Fribonrg. 5i3. Frioul (le), 174. Froissart, 24. Frontons, 394. Fuensalida (G. de), .57:. Fulcoius. 229. Fur (V.), 186. Fusina {.\. de), 586. Gaddi (.\ngelo), .3c«. 590. — (Tad'deo). 227, 323. 368, foc. Gadio (Bart.), 178, 191. Gaéte, loS. Gagini (les), 191, 122, 195. Galasso, gS. Galilée, 68. Gallicus (A.). Vov. Beaufort. Gallo (.Mar.). 116. Gambaia (les), 190. Gambarelli. Voy. Rossellino. Gamtassi, 706. Gand, 338. 6i3. — (Justus de), i.M- 1.3(1. 074. Garofalo, 717. Gatta (Bart. délia), 74, 100, .354. Gattamelata, 3, 3o, .33 (G). Voy. aussi Donatello. Gavi (Agostino de), 3.55. Gaza (Théod.), log.' GcVie.f, 6, ,3i!, 48. 9(1. 101. 121, 16:. TAiîiJ-: ALi'iiAr,i-:Ti(jri-: des noms i:t des matières. 70.-. i(«, 175, iR), 197- MO (Ci),3ii, 2.%, 3-19, 3.X), 355, 3qo, ^22, 07^, 7i3 (Ci). GÉNIES (LES), 399-401 (G). Genseiic, 210. Ge/iiJHo, 84. Gerardo, 149. Geremia. Voy. Ciistoforo. Geronimo, ;90. Gesta Romanoium, 23i, 244-247. GherarJo, 57, 70 317 (G), 698. Ghiberti, 35, 55, 64, 66, 67, 69, 70, 78. 83 (G), 84, 123, Î24, 144, ;35, 238. 247, 254, 257, 2.S9, 260. 272, 286. 288, 291-293. 33i, 332. 352. 356, 357, 359, 36o, .^68, 379, 392, 396, SçS. 399. 415, 427. 442, 446, 447, 458, 4a (G), 492-509 (G), 5i2, 513, 517, 521, 525,531-542 (G), 552, 554, 5.=*, 5.58-562, 56g, 573, 591, 602 (G), 6o5, 600, 620, 65i, 653, 654, '>75 (G). 683. 705, 706. — (Vittorio), 538, 718. Ghini (les), 355, 356, 5ig, 528. 5.Vj. 572. 573. 706. (ihirlandajo (Dav.), 70, 7S, 100, lOI. — (Dom.), 35, 40, 57, 66, 68, 70, 72, 74, 99, 100, 104. i65. 25o-25i. 272, 2t^, 322, 334, 344 (G), 352, .%o, 437, 464. 5o2 (G|, 592, 593. .S95, Sgïi, 600, 604. 616, 668. — (Rid.). (J12, 616. — d'Andreuccio. 706. Giacomo di Angelo. 148. 717. — d'Antonio de Poli. 'j<)i. — di Bedo. 274. Giambono f.VIich.). 67:. (iianelli. 57.'. Giocondo (Fra). 117. i ili. 120. 107, 174. 194. 195, 2.^0, 354, 37g. Giorgio di Domenico de Hongrie, 140. (iiorgione, 39, 346. 689. GioUino, 368. Giolto, 32, 5o. 52. 66, 168, 226-230 (G), 255, 274, 277, 279, 280, 2a) (G), 289-291, 3oo, 3o5, 3io, 322. 33 1, 3.34, 336, 353, 354. 36o, 36i, 368, 456, 554, 589. 590, 5gi. 5g6. 59'!. 607, 610, 614, 6i5, 622, 625. 656,662. Giovanni (calligraphe), 114. — (frère de .Masacciol. («/). — di Apdrea, 91. — d'.Vntonio. 661. — di Bartolo. 585. — di Bartolommeo, 148. — di Benvenulo, -d^. — di Gherardo, .378. — di Giusto, 114. Girodet-Trioson. 339. Giulin Roniano. Voy. Pippi. Giustiniani (Andr.), ig7. Gi.\ler (A.), i36. Glyptique (la),57, 99, 198,695-696. Gonzague (les), 5, 26, 116, i3o, 139, i5o-i.^). 184,359. 466.717. — (Barbe), 11, i3 (G), i39, i5.V i56 (G). 296, 321, 717. — (C."écile). i5i. — (Claire). i.S5, 687. — (Elisabeth). 154. — (François), 3i. 101. i5:. i.nj. 296. — (Frédéric), rS5. — (Gianlucido), i5i, 256. — (J. F.). X\. .So-153,687. — (Isabelle). 11. Gonz.igue (Louis), 3, 34, 140, i5i- ■ i.=^4 (Gl. 296, 321, 452, 464, 687. — (Paule), 11. 154. I Goritz (comte de). i55. Gosselin de Fleury, 219. GoTiiiQCE. Voy. style gothique. Cioths (les), 40, 128, 209. Gozzoli (B.), 14, 23, 3i, 36, .■Î7, 5o, 54. .56 (G). 61 (G), 70. 72, 90, 100, 247, 272, 293, 3o5, 3i5, 3i8 (G), 344, 357, 362, .368 (G), 429, 519, 595, 601, 604, 646, 661, 664. Gradara. i36. Grado, 168. Gr,3H, 5io. Granaccio,6i6. Graz, 186. Grosso (Nie), 70, 694. Gravure (la), 29 (G), 36, 169-170, 241 (G). 243 (G), 252-255 (G), 209 (G), 276-277 (G), 293 (G), 294 (G), 3oo (G), 353 (G), 414, 677-682 (G), 684, 719 (G), Voy. également, à la table des gravures, la descrip- tion des initiales. — EX M0NN.\1ES. ^iig. — EN SCEAUX, (190 (G). Grèce {la), 43, 207, 2i3, 2i5, 219, .374, 496, 49}^, 517, 540-541, 642. Gruamons, 281. Grue (Rin.), 149. Guaccialotti, 57,91 (G), 120, 121 (G). 3oO-3o7 (G), 687, 689. Gtulfoiida. 622. Guarces (Giov. de), 1 14. Guardia (Nie. délia), 578. Guarino, 24, 20, 142-144. 24.'. Guarnieri (P.), 5(ii. Guasta (F. del), 407. Guazzalotti. Voy. Guaccialotti. GtibHo. 14, 134. 1.36. 274, 640. 65o. Guglielmo (Fra). Voy. Agnello. Guidino di Guido,7o, 68g. Guido, 717. Guigni (B.), 69. Guillaume le (Conquérant, 219. Guinigi (les), 74. 143. 354. 562. H Hahn (U.). 680. Ilalberstadt. 221. Hais (Fr.), .346. Hahmonie (l'i, .366. Heim, .v«). Henri IV, roi de France, Mi': HcrcuUniim. 254. HÉRÉDITÉ (!'), 49-52, 5ll-5l2. Hildeslicim. 24O. — (liernvvard de), 348. Hobbéma, 594. Hohenzollern (Barbe de). Voy. Gonzague. Holbein (.\mbr.), 244-245. — (Hans), 245, 099. Hollande (ij).Voy. Flandre. Homère. 218. Hnngrie (la), 2i3, .326-328, 607. — ((;iovanni de). 199. — (Michèle de), 148. — Voy. Corvin et Giorgio. Honnecourt (Villard de). 21).?. Hook (Piètre de). :3o. Horace, 219. HoRLoiiEs et Horlogers, 5-, 78. Hospices. 99, la?, 394, 396. Hotels de Ville, 164,376,428. HuciiiERS, 91, 697. Hujunisme et Humanistes, i, 20- 32, 48. 55, .58-65. 84. i(X>, i3i-i.33, 149-158, 172, 190, 277-278 358-.î59, 495, 687. Huster (Jean). 186. Iconographie sacrée. 102-103, 274-276, 2g5, .3o2 (G), 5oo, 599. I.MPR1MER1E (1'). 6, 62. 82, 149, 173, 688. Inghirami (Fil.). 425. Ingres. .^46, 618. Ingrim (Giov.). iWi. Isotta degli Atti. 10, ii (G), 124, 323. 425, 528, 6.^. Islrie. 162. 174, 477, 5<>> 567. Ivoire (sculpture en). 5 10. Ivrée, 10. hvan III, tzar de Moscovie, ii5. Jacopo. Voy. Giacomo. lames (l'évèque Thomas). 104, 690, " (G), 698. Jardins. 5, 66, 4.37, 4,38. Jeanne. Voy. Anjou. Jenson (Nie). 16!!. Jérôme (saint). 6. Jdnisalcm, .54, 141,466, 648,659. Jesi, i38, 3i>3. 428. Jo.mllerie (la). Voy. Obiévrerie. Johannes. Voy. Giovanni. Jours fériés. .14!'- Joutes, 6, 7, 3iii. jove (Paul), 154,628, (i(<). Jules Romain. Voy. Pippi. juste (Jean), 104. Kerlch. .^7. Ketham. 170. Krall't (A.). 329. Ladislas. Voy. Anjou. Lagrange (le card. de), 33o. Lamberti (N.). (x). 74, ^p, A2, 702. Lombardo. Voy. Lonibardi. I.'iihircs, 372, 636, 639, 043. — (British Muséum), 23i (G). 25i, 256.344 (G), 634. 642, 643,678. — (Collection .Malcolm), 3i2. — (Nat. Gallery), 247, 296, 319, 334, 336 (G), 344 (G), 3.38, 339, 591, 622, 625, 627, 63o, 642. — (S. Kensington Muséum). 9. 17 (G), 202 (G)'. 320, 321 (G), 358, 504, .5o!^, 610, 558, 568. Lorenzetti (A), 227-230 (G). 2-4. 289, 3it6, 36o, 368. Lorenzo (tapissier). i36 718. — di Bicci. Voy. Bicci. Lorcln, 34. 1,^7. Lorrain (Claude). .594. Lolhaire 1". 212. Louis le Débonnaire, 212, 196. — (saint), 207. Louis XL 4. i83. — Xn, i85, 19.8. 458. — XIII, 341. — XIV. 309. ,3jT. 4,y. 456. Û82- (Ji3. — XV. 309. — XVI. 309. Lorcre, 643. Lovi. Voy. Lupi. Lovrana. Voy. Laurana. l.ubcck. 70(1. Luc (saint), .348. Luca di Giacomo. 58:. Luccruf, 2J7. Lucien de Saniosate, 23i, 242-244. Liicques. 6, 47. 74-76 (G), 254, 262. 281, .3o2, 3o3 (G), 3ii, 356, 400, 406. 4C9. 410, 424,456, 561-565 (G), 507, .508,713. Lucrèce (le poète). 2, 37. Ludovic le More. Voy. Sforza. Ltigcinn, 104. i«i, 187, 191. — (Dom. de), 104. Lulli. .5.1. Liini, 200. Lmiigiaiin (la), 200. Lupi (Bongiovanni dei). 190. Luther, 55. Lu.XE (le), II, ,37, 146. 162. 181-183, 198-31»!. Voy. Costumes, Edits soinptuaires. Orfèvrerie. Luzzi (Pietro), 173, .597, Lyra (Nie. de), 6, 108. Lysippe. 401. M Maccagnino (A.), 144. Maccinghi. Voy. Strozzi. Macemta, 137. Machiavel, 5o, 5i, 68. MalTei (Tim.),6.88. Magdebourg, US4. Magliana (/.t). 437. Mahomet II, 126. 088, Maincourt (R. de), 718. Maine (le) .3,io. Miijjiio, 194, 200. — (.\nlonio de). 2o(j. — (Benedetto de) 37, 5o.,57, 05 (G), 6(,. 6!1-72 (G), 74, 79, 1 16, 1 18. 119, 128, 1.17, 178, 200, 23i (G), 377, 378, 382, 401, 416.417, 418, 432. 476, 477, 493, Soi, 5i2, 546. — (Giuliano de). 57. (J8. 70, 1 16, 118. 5i2. 119, 137. 200. .178,476. Majolique (la). Voy. Céramique, Majorque, 216, 70g. Malagiste, i52. i53. Malatesta (les), 10, 123-128, (G). 143, i5i, 325, 326, 407, 464, 432, 58o, 647, ().5o. Voy. aussi Rimini. — (Annalena), 504 (G). — (Novello), 127, (G), 4:16, 687. — (Robert), 126, 129 (G), 571. — (Siglsmond), 10, 23, 108, 124 (G), 12b, 127, 129, 190, 260, 3a3, 320 (G). 462". 4O4. 495, 528. 028, 687,688. Maleguzzi. 572. Malermi (Bible de). 170. Malevolti. 562. Malities, 71 5, .Malipieri (les), 1Û4 (G), 426. Malpaga. 21)6. Manetti (Ant.), 410, 414, 442, 446, 470, 5i8. — (Gianozzo), 52, 89. 109. i32. 376, 461, 464, 620. — (Giov.), 622. Manetto, 456. Manfredi (les), 10, 128. i.'6. 4ro, 463, 427. Mans (le). 120, 219. .Mantegazza (les). i35. 187, 188, 586, .Mantegna (Andréa). i3, 19. 29. 34, 26, 40, 41, 57. >ii^. 10(1, 101, 1 16. 140. 144. 146. i5o-i56(G), 16-, 1-1-1-2 (G), 2.36. 242-248 (G), '252', 2.=^'4. 2.56. 208. 2(>9 (G), 270. 274. 284. 291-293 (G), 290, 21/), 3(x) (G), 3o2. 3o5 (G), 3o6, 314, oiO (G),3i9, 323, 33i, 336, 337, 344, 345 (G), 354, 357-358, 359, 3()9, 401, 5ii.5-,587, 591, 594, 595, 597, 598, Ofjo-tioi, Oci3. 622, 023, 63o, 632, 641, O42, 643 (G), O79, 717. Mantoue, 32, 94. i3o, 1.39, 148, i5o- i56 (G). 175-183, 198, 292, 323,359, 4Û2-464, 470, 5i!, 585, 633, 635, 080, 699, 717. Voy. Gonzague. — S. André. i5i, 375, 400. 406, 408 (G), 46O, 46>J (G). — S. Sébastien. i5i, .388, 404, 4o5 (G). — Bibliothèque, 11, 209 (G). — Château, i3 (G), 119, 154-150 (G), 296. — Musée, 5io (G). .Marc-Antoine Raimondi. 157. Marcello de Venise (les), i65 (G). M.,\RciiEs (LES), 123-128 (G), 388. 58o, û5o. Marchestem, liïi. .Marcillat- (Guil. de), 355, 682. Marescotti. 146, 6,S<). .Marpach (A. de), 1816. .Marpurg (O. de), iS!û. .Marqueterie (la). 82, 190, 191,(63, 708. .Marseille, 120. .Marsuppini (G). 55. 58, 6.8, 309. 424, 456, 548 (G), 55o, .572. Martelli (les). 66. .Martial, 359, .^Lirliiieiiao, 192. iMartini (Francesco di Giorgio). 74, 70, 78, 116, 118, 1.34-136, i38, 2,i8,'3io, 36o, 374, 377, .378, 407. .Martino di Paolo. 708. .Marzi,ile, 168. .Masaccio, 37, 39, 5o, 52, 58, a?, 191, 226, 264, 272, 290-292, 307. .331, 336, 337 (G), .348, 53o, 555, 587, ,591, 595, Ooi, 603-Û19 (G), 628, 647. 665, 608, 7fi8. .Maserano (Fil,), a^i- .Maso di Barlolommeo, i.35, 53o, 493, 555. Masolino, 5o, 88. 191, 2O4, 265 (G), 290,311, 319, 604-019 (G) 625, 647, 65i. Massa, 200. .Masuccio, 22, 121, 170, .322. M,\TÈRIAUX DE CONSTRUCTION. 380- 38i. Matteo di Giovanni (de Sienne), 65o. — di Giovanni Dei. 678, 705. .Mauro iCris.). i65 (G). TABLE ALl'llAlsETiqrE DES NOMS ET DES MATIÈRES. 7o5 Mausolées. Voy. Tombeaux. .Ma.\inie Valère. 245, .^59. .Maver (A.), liîo. — (J.). lai. .Mazzoni. 117. 149. Mazzei (Bruno), W!5. iv\azzin!,'lii. 7(36. .MÉCÈNES, +4-202,296, ,^58, 359, 492, ^p, 0-)!) et passim. .MÈD.ULLES et .Vrt du .Médailleur. 3o-3i, .34-35, 81, 88, 91, 92, loS, 162, i56, 1.S8, 160, ili3, 195-19!!. 358380. 594686-690 (G), et />JMim. -Médias (les). 4, 5, 12, 24. 26, 3i, 36- .17 (G). 47-67 (G),69,;«,83,a4. loi, 166, 242, 248, 25o, 25i, 254, 297, .^14, 3i5, 317. 325, 326, 328, 340, 380, 432, 438. 448. 449. 458, 459. 4:14,512,623. — (Charles de), 668. — (Cosme de), 7, 12, 14. 04, 35. .=^4-04 (G), i66. 179, 297, 325, 37i> 414, 421, 436, 43iî, 448, 449, 45îî. 460, 485, 5o8, 5 16. 540, 625, 660, «0, 6(j2, 6q!î-7oi (G). — (Jean de), 54, 56, 414, 427, 448, 5ia, 540. 616. — (Julien de), 23, 60 (G), 63, I.Vi. 3ln. 3l2. — (Laurent de), 5, 6, 10, 19. 26, 3i, 47-64 (G), 70, 78, 82, 87, 100, 102, 116, 126, i35, 145, 256, 257, 012, 314, (G). 325, 33i, 377, .379, 461, 477, 5io, 668, 692, Û96, 707. — (Pierre de) . 55-57 (G) , 59, 62. (J4. 2.56.3:2, 317, 363, 414, 461, .=hj8, 574, 684, 688. — (Roland de), 424, 425 (G). .Melesolo. 190. -Melide. 191. -Melioli. 1,56. .Melzi. .'54. .Memling. .1.^4. .Memmi (Simone), 5o, 226, 2:8, 289, 3 10, 368. ménageries, 5, 326-327. .Meseaix..^. .Menuiserie. Voy. Ebénislerii;. -Meo di Cecco. Voy. Caprina. Mercatdlo (.Vntonio de), i,3o. 47-. -1:8. -Mercati (Venturino de), 702. -Meruia, it«. Mesnasje (.A. de), 116, 6ij5. — (Joh. de), 695. Messine, 122, — (Antonello de), 118. 127. lUi. 268, 270 (G), 3o2, 337,339( G), 357. 601, 674. Métaponte, 237. iMetsys (Q.). 33--338 (G). Melz, 212. Meutes, 5, i55 (G), i83. -Mezzano (.\. de), 706. Michel-.\nire, 27, 39, 5i, 52, 57. 64, (j8, kN), 234, 242, 244, 272, 275, 290, 3o8, 33o, 332, 346, 352, 353, 3.54, 358, 362, 404, 412, 440, 443, 457. 492. 494- 49?. 5o2, 507, 5i2, 522, 523, 536, .546, .552, 564, 566, 5oiï, 601, Oo5, 610, (n6, 658, 719. .Michelozzo, 5o, 54, .55, 71, 72 (G), 74, Iù6, 166, 179, 198, 320, 357, 378, 382, 383, 386-3ai, 391, 395, 396, 421, 426, 428, 432,436, 458- 459 (G), 464, 466, 468, 4-7, 480, 481, 485, 493, 5i6-5i9, 526, .544, 555, 570, .586, 660, 677, (G). 689- (xji (G), 69.Î. .MichieK.M.A.). 106,332. Milan, 3o, 34. 48, 54, 76, 79. 104, 112, 134, i5o, 166, 175-199(6), 228, 3o5, 3 1 1 , 3i6, 3 1 7, 324, .348, 374-376, 378, 379,390,422,43<),4,58,45iA4!B, 484. 41)6, 520, 552, 573, 584. 586, 633, 655, 640,641,680,686.698,699,702,718. — Dôme, 84 (Gl, 175, 177, 180, 185-187, 3io, .376,514,585,640,706. — S. .Vmbroise. 176. 217. -■ S. Eustorpre, 179, 181 (G). 2.=;7. 3i3 (G), 394, 414, 459483, 485 (G), .586, 602, 635. — S. Satiro, 176, 295 (G), 394. — Bibl..\mbrosienne. 228. 2.50. 2(xi. 321, 034. — S. Gothard. 483. — S. Laurent. 176, 2.37, 450. — Ste -Marie des Grâces, 263, 376. — Château. \~ù, 178, i83, 296. .376, 385. 432. — Collection .Morbio. 247 (G), 641. — Collection .Morelli. 638. — Collection Tiivulce. 201 (G). — Forum Bonaparte, 25o. — Hôpital, 179, 33i, 393, 394, 400, 436. 4!Î4. (G. — Lazareth.4.%. — .Musée de Brera, 5 (G), 256, 268, 283, 3tp (G), 391 (G), 344, 345, 4 19, 632, 640, 647, 672. — Musée municipal, 270 (G). — .Musée Poldi Pezzoli, 16 (G). 245. 323. 6.V1. — Palais Borromée, 29Ô, 640. — Palais Marliano, 394, 400. — Palais des Médicis, 25o, 391 (G). — Palais Vimercati, 1-^9-180 (G), 25o. — Palais Vismara, 559. — Porta Romana, 280. — .\madio de. 146, 689. — .\mbrogio de. Voy. Ba- roccio. — (Andréa de), 187, 437. — (Giorgio de). 122. — (Giovanni de). 178, 180, 195. — (Pietro de), médailleur, 483 (G), 689. — (Pietro di .Martinodc), 112- 114 (G), 195. 476. — (Venturino de), 702. — Voy. Sforza et Visconti. .Viiliano I)ei. 705. .Milieux (les). 48-52, 205-206. .Mille (G:ov.). 149. .Minella (P. del), 708. .Miniato. Voy. Fora. .Miniature (la). 44 (G). 91. 114. 142. 148, 179, 187 (G). 248 (G). 270 (G). 326, 645, (G), 'x)7-704 (G). Voy. égralement, à la table des gra- vures, ladescription des initiales du présent volume. -Mino. Voy. Fiesole. Miî\ïn.if)ta, 149. -Miiandole (Pic de la). .5.1, 63 (Ci). 139, 149, 256. Mirialelli, 200. MouiLiER(le), 58, 162. 414-417, 6- 697 (G). Voy. Coffres, Ebénis- teiie. Moccio, 5i3. Mocenigo (les), 166-167 (G), 426, 584. .Mocetlo, 36. 252. .Modanino. Voy. -Mazzoni. .Modèles en bois, 3j9. 447 (G). .yfojéne, 6, 139, 149, 521, 52^, 5»). .Moderno. 26.Î. .Modes. Voy. Costumes. Molinari. Voy. Besozzo. .Monaco (Gugl.), 114, 117 (G), 495, 569. — Lorenzo), 70, 354, 596, 634, 65 1, 659, 698-700. .Monastères. Voy. Couvents. Mondovi, 190. .Monich (\V.). 186. .Monnaies. Voy. Médailles. -Montagna (Bait.), lyu, 245. — (Jac). 2.X1. .Montaigne. \-n, 171, 1-2. .303. Moiitauri (Toni.), 71/.. Mont Cjssin, 121. -Monte di Giovanni. 71). -Montefeltro (les). 11, 4:;. i2o-i.\j. .107, .385, 586, 698-700. — (Battistade),i27, i3o-i36(G), 323, 6.^). — (Frédéric de). 2, 3, 4. 5. 23, 26, 34. 47. 48, 108, 1 1 1 , 1 13, 1 27-i36 (G), i55, 3i6, 325,326, 33i, 3-3,476, 6.3o,632. — Voy. Urbin. Monlefiascone, 100. .Montelpare (Giov. de), 137. Montcliice. 35î!. .Monte -Mignano (Dom. de). 112. Monte OUveto Maggiore, 74, 386, 3g3, 412. 421. 476, 616. Montepulciano, 72 (G),74, 410,517, 526. — (Pasquino de), 530,5-^3,678, 585. — (Pietro de), O.^. Monte San Oiuliano. 122. .Monte Vidtme (Bat. de). 137. Moniferral (le), 184. .Montone (Braccio de), 143. -Montpensier (Gilbert de). i55. jVoh/jvj/, 281,421. Mont Ventnux, 94. -Monza (.Vntonio de), 187, 698. -Morale (Giov.), 715. .Morena de Lodi (A.), 703. Moret, 437. .Moretto (C'rist.), 191.641. Mormanno (Giov.), 116, 117, 476. ■Morosini (les), 166. 425. .Morto (P.), 173, 397. MosAïguE (la), 58, 170, 412, 684 706. -Moschino, 190. Moscou,lk), ii5. .Mottis (Crist. de), iiS6. -Moulage (le), 291-292, 358, 5o3- 504. .Moyen ace (le). Voy. Style Go- thique. .Mozart, 329. .Mugetlo, 65. — Voy. Benedetto. Miinieli, 212. 266, 267 (G). Murann (École de), 168, 169, 333- 3.34 (G), 672-674 (G). .Musées et cabinets d'antiques Voy. Antiques. -MvsTicis.ME (le), 55, 3i6. -36 HISTOIRE DE LWRT PENDANT LA RENAISSANCE N Nanni ili Bani;o, ^ (G), 67. bg, 279 (G), 3(12, iia, 347 (G), 390, 5»), 514. 5ifi, 524. 525 (G). Xjples. 16. 3fl, 48. 5o, 64, 76, io5- 121 (G), iM, 192, 195, 197-199. 210, 2,^7, 2», 270, .loi!, 324, 32H, 363, 3î!2, 387, 426, 428, 437, 439, 476, 477, 5ii, 517. 544, ?52, 57(1. 579, 5rto, 034, tx;J_î-7(>>. — S. Angelo a Nilo, 106,112. — S. Giovanni a Carbonaro. 106, 107 (G), 422; 428, 641. 710 (G). — Incoronata. 227 (G). — Monte Oliveto, 11". 350. 546. — Cliapclle de l'onlano. 120. 414. 476. — Bibl. nationale, 317 (G). — Castel Nuovo, io5, 110-11- (G), 254-255. 296, 376, 476. 495. 574, 579. — Musée. 116 (G), 126, 257, 60. — Palais (-'olobrano, 3O2, 4-6. 272, 3.34. 612. — Poggio Reale. u5,iii).2ip. 3-6, 43-, 4-7. — Porta ("apuaiia, io5. 112. 116. .^76. 4,30,476. (Fra Giovanni de). 121. — (Giovanni di Giusto). 1 14. — Voj-. Anjou et .\ragon. Narni. 104. — (Nie de). 379. Narthex, 405. N.\TORAi,isME. Voy. Réalisme. Nature morte (la). 3o2, 336, 5i)4. (.,7. Njvarre (Sansicuro de). -1. Nelli (O.), 80, i3o, 646. Neri.670. Neroccio di Bartolomnieo, 570. A'ctluiw. 12(1. Ne.xeniperger (J.), iSj. Niccoli (Nie), 55, 60, 62. 64.66.87, Niccoli) (tapissier), 717. — dell'Arca. 121. 145. i5S. i,5(). 298, 492, .568, 58o. — di Magio. 76. — (mêdailleur). 144 idi. 744(G). Nice, 200. Nielles, 104 (G), 174 ((i). 21^ (G). 677-W!i (C!), 6fi4, (xfo. Voy. aussi Ciravure. Nigrus (Simonetus), iiJ6. Nitucs. 238. Noceto (P. de), 400. Nogarolo, 178. NO.MS DE BAPTË.ME ANTKJL'ES, 32. Noymandic (.Agni de), 186. Nntn, 122. Novare. ic/>. — (Pacifico de), 6O0. NOVELLIERI (lef),8, 9, II. Nu (Etude du). 232-233, 283, 291, ■kx). 5oo, 5i-)8-599. AXiircmberg, 329. — (Pierre de), 186. Nuli Matteo), 127, 357, 3i/), 4.^6. 463, 464. Nuzi (Allegretto). 646. 0 Oddi (les). 79. Ombrie (i'). 38. 42. 47. 48, -(y%2 (G), 90, ia3, 104, 141,324, 3!S), .396,439, 499,579. .594, 596, 602, 6o5, 627, 644, 6,5o, 653, 718. Omodeo. 186, 18'), 190-195 (G)., 387, 488, 586. Opus .\lexandrixum. 412. 423. ror (Ci)- Opus rusticum. ,'8i-3.'l2. Orange, 238, 229. Oravia (Johannes). 3ii'>. Orcagna. 3o, 5a. 52, 222, 225, 277, 3io, 327. 353, 423. 470, 491, 492. Orfèvrerie et Orfèvres, 58. 70-72. 79, 81, 84, 86, 90 (G), 102, 16.^. 194-195, 234, 352- 3.53, 355-356, 535, ,540-541, 6-8.691-.594. (G), 705. Orfiiii (Kniiliano), 79. Cil^i. Organi (Filippino degli), lifc. Orient (i'), 101, io3, '3o2 (G), 672, dM, 709-713, 719. Orléi^ns (les ducs d'). 182. 196, 33o. Ornementation, 2.35. 2.% 240. 258- 272 (G), 324-326, 396-402 (G), 538, 595, 6()cr70i. Orsini (les). 76. 101. 104. — Voy. Benintendi. Orrieto, 34, 47, 70, 76, 77, 80, 8i (G), lœ, Kp, 2i5, 224-226 (G), 229, 282, 283, .3.57, .3-8. 423, 425, 5i3, 5i5. 649. (. — (Francesco de), ^r. Orzinovi, 190. Ostie. 100, loi. Othon (l'empereur), 212. Otrjnte. 118. 121. Ovide, 242. Oxfiir,1, 1.33. 270. Paccicili (Luca). ifiO. .3()o, 4(^.627. l^jAoue. 6. 14. ,3o.32, 33 (G), 48, 5o,86. 143, i(yj-i72 (G), 198. 255, 2.57.208. 284, 326, ,349, 35o, 352, .^65, 401, 424, 427, 482, 5o8, 5ii, 5i6-5i7, 521, 584, 602, 622,634,0141-644,686. — S. Antoine, ,34, i.52. 171:1 (G). 172, 228, 2iî6. 292, 3o2, 314, 422. 427. 493, 5o8,5ii (G), 521 (G), 523. 584. — Amphithéâtre. 88. 2,37. — Eremitani, 171 (Ci), 314,319, .585. 602. — Maison de TiteLive, 482. — Palais Cicogna. 482. — Palais Vitaliani. 622. ~ fCalvano de). 1 16. — (Uonienico di Paris de). Voy. Domenico. — (Giovanni de). i52. — (Nerito de), 65o. — (Tito Livio de), 146. Voy. Carrare , Donatello . Vellano. Pagagnotti. ,^8o. Paganino. Voy. .Mazzoni. Pagno d'Antonio, 53o. — di Lapo, 519, 53o. Pagny, 263. Palais, 53 (G), 93 (G), i3i (G), i-t!- iti), 432-4.38 (G), 465, (G), 4iii (G). 485 (G), 487 (G), et passim. Palladio. 172, .375. Paléologue (les), 143, up, 087. l'.ilerme. 42. 76, ii5, 122, lyi, 216. P,ilestrine, .%, 219. Palma (le jeune). 40. Palmieri (Nie). 6lin. l'andino (Stef. de). 180. Pandolrini. ,594. 024. Pandolfino (G.), 425. Pandoni (Porcellio de'), 23, 24, n«;, 121, ,=^74, .S75. Panicale. Voy. Masolinu. Paolo di Luca. .S'il. Paolo Romano. Vov. Rumano. Papa (Fr.), i.35. — (Sim.). 3.34. Papes. 60, 83- 104 (G), 100,422,61/!, — .\drien VI. 1)1. — Alexandre 111. ii.), — Alexandre VI, 91, 94, 101, io3, 1 12, 1 18, 1.38, 430, 476, 5o5. — Boniface VIII, 3o, 221, 282, 3oo. — Calixte III,9i(G),ç6, ii2,6ii9, — Eugène IV, 10, 83-87 (G). 92, 98, 122, 1.38. 3.34, 374, 097, 483, 5o9, .540. ,573, ibo. — Félix V. 195. — Grégoire XII, i,58. — Honorius IV. 2i5. — lnnucentlV.68o,6ii2,683(G). — Innocent VIII, 83, ioi-io3 (G), i53, i9ii, 3o6, 437,473, 5o8, 572. — Jean XXIII. Voy. Donatello. — .Iules II. .'Vj. I;*). KKl, 120, 146, i58, 195, u^. 321, 437, 443, 628, — Léon X, 63, 86, laj, 256, 4,37. — Libère, 612. — Martin V, 3n, 83-84 (G), 98, i85, 355, 514, 519, 572, 573, 596, 612, 649, 6(>5. — Nicolas V, 3, 10, 47. 02. 81. 83, 88-91 (G), 99, icq,' in8. ii5, 1.35, 140, 200, 2(A, .3o2, 317, 321, 379, 412, 429, 430, 437, 462, 464, 468, 474, 477, 484, 623, 628, 653. Wjo. 661. 664. 687, 6!S9, 692, 707, 716. -17. — Paul II, .3o. 58. 83, 87, 98-101 (G), ii5. 146, 227, 256, .379. 380, 38i. 421). 476. 53 1. 549, 578, 695. — Paul III, »!, 660. — Paul IV. 9- — Pie II, 10, 21, 22. 24,47, 78, a3, 87, 91-96 (G). 109, 114, i32, 145, 146, i56, 3o3, 317, 321, 332. 373, 377, 410, 416, 4.34, 435, 437, 4O1, 468, 469, 476, 477, 549, 574. .575. .577. 578. 691;. 710. — pie III. 78, 'loi. — Pie IV, 9. — Pie V. 9. — Sixte IV. 10. 31. Ub, !I3. !Si, t>9, 99-104 (G), 122, 137, 146, i56, 188, 198, 199, 276, 296, 3i4, 319, 320, 349, 075, 410, 415, 429, 430, 436-437, 484, 5o8, 572, 595, 6«9, t)92, 6i)6, 7(X). — Urbain V. 4. 214. — l'rbain VI. 4. TABLE ALPHABETIQUE DES NOMS ET DES MATIÈRES. Parenti (Marco), i6, i8, 36, 3-, 63. 3io, 323, 625. Paris. 5.4. 7.). 1», 114. 142, i5o, i."!!. 174, .^J>. ^.'^J. 7i3, 71». — Bibliothèque nationale, 179. 187 (G). 221, 228, 229, 275, 289. 35o, 367, 678, 686 (G), 702- 7o3(G). — Collection Baudreuil, fron- tispice, 718. — — Bonnat. 3o4 (G). — — Cernuschi.3io-3ii(G). 097 (G). . — — G. Dreyfus, 461 (G). — — Duchàtel, 62<). — — E. de Rottischild,678. — — Rathier. 2». — — Rhonë. 697. — ,— Spitzer. 7i2,7!3(G). — École des Beaux- Arts. 80 (G), i.îolG), 2116 (G), 363, 3(8. 466, 633. 652. -- ETliNOGR.\PlllQUE . 2'!.' (G). .^OO, .Vj2. — SUR VERRE, 91. I 411,083,699, 706. Pela, 5i3. < Pénicaud (Jean), 245. Peniscola 2.^i, Pépin, 212. Péroiise, 6, 3o, 47. 76-80. 164, 194. 212, 224, 276, 286, 358. 5ii, 527. 529, 53o, 579, 595, 624, 6x>, 706, 709, 718. — S. Bernardin, 79, 1.39 (G), 276, 407, 410 (G), 472, 4(>3, 5ii. 527, 529 (G). — Porte S. -Pierre, 79, 37^). 430-431 (G). 472. 53o. — (Lautizio de), 690. — Vov. Baglione . Barone . Oddi. ' Perpignan ((iiovanni de). -1". Perrino (Colanlonio). Perspective (la), :; 5o6, 535, 5, 5i2. — (Giacomu de), 89, 100, 377. 4"2. 4r'- •):"• — (Leouaido de), ii>i, 200. — (I.orenzo de), 200. 473. — Voy. Benti. Pilastres. 386, 411. Piliers. !S6. E. .Mûntz. — I. Italie. Les Primitifs. Pinturicchio, 70, 79, 100, io3, 107, 3o8 (G), 338, 362, 386, 429, S91, 5fp, .V38. Pinzidimonte. 706. Piombo (Sebastiano del). 39. 1.S4. Pippi (Giulio). 40. 576, 628, 717. Pippo d"Antonio, 82. — Spano. Voy. Scolari. Pisanello, 24, 83, irj8, 109 ((i). 1:1 I (G), 127, 140. 141 (G), 142-144 (G), j 146, i5i (G), i52(G), i56, iCô, 167, j 173. 176 (G), 177 (G). 179, 256, 267, I 268, 296,293(G),.^>5,3ii,3i2(G), I 3i4, 319 (G), .?.34. .338. .541-343 (G), I 357, 38i. 401, 472 (G), 493. 585, ,594. ,596, COO, 604. 610, 6.50, 6.V1 640 (G), 643, 644 (G), 686-688 (G), 694, 702, 704. Pisano. Voy. Pise (.Andréa, Gio- vanni, Niccolo, Nino de) et Pisa- nello. Pise. 4. 42, 47, 5o, 72, 106, 198, 200, 2o5, 216, 221, 23o, 254, 279, 289, 2ç6, 348, 396, 406, 472, 492, 499, 5i3, 5i5. — Cathédrale. 72, 220, 224, 225 (G), 254, 280, 2)!7. 598. — Baptistère. 72, 223 (G). — Campo Santo. 14, 3i, .36-37 (G), 54, 72, 227, 2.3o (G), 259, 275, 277, 283, 286, 288, 422, 589, 5go. 5fè, 601. 602. — (.Andréa de). 224, 225, 283, 285-287 (G), 353, 368, 491, 532, 534, 538, 554. — (Antonio de). 112, 695. — (Filippo de). 575. — (Giovanni de), 222, 227 (G), 234, 280. 282, 285, 33i, 353,522, 5.S5. 6o5. 705. — (Isaiade), 84(6), 112,495,572, 574, 575. — (Niccolo de), 39, 5o, 159, 217, 222-230 (G), 254, 277, 280-282, 285, 287, 3o5, 33i,;353, 368, 492, .590, 6o5. — (Nino de). 491. — (Raniero de), 379. Pistoja. 71, 224-225 (G), 235 (G), 285, 358,426.441,500-501(0.544. Pitti (les), 7, 18, 66, 452, 454. Voy. Florence : Palais Pitti. Plaisance. i5o, 199, 706. — lAgostino de), i5o, 199, 694. Plantins (les). 137. Plaquettes (les). 262-263 (G), 290 (G), 3i8(G), 690(0. Platina, 10, 24, 100 (G), i56, 256, 320, 38o, 461. Platon, I, 6, 22, 26, 55, 58, 60, 64, i35, 232, 234, 26^, 36i. 554, 700. Pléthon (Gèm.), 26. 124. Pline (les), 32. 191. .^66. MU. 700. Plutarque, i35, 246. Pœstum. 2i5, 237. Poffge (le), 10, 21, 22, 24, 34, 55, .58, 60, 63, 64, 66, 197, 2i5, 238, 254, 461, 519, 698. Poggio a Cajano, 57. 438. Poggio Rcale.Xoy. Naples. Pola, 141, 237.382. Poiitien, 10, 23, 58, 63,64, i52,256, 280.312. Pollajuolo (A.), 34, 40, 42, 5-, 58, 60 (G), 70, 72, 100, 102-103 (G), 206, 252, 253(G).256, 276, 290,291, 296, 334, 342 (G), 492-494. 5oo, 504, 5o8, .=«9, 572 (G), 704. HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Pollajuolo (P.), «'• Pologne (/j), 246. Polychromie (la). iitz.^ip-.'ijK.^ii, 432. 42.\ 5oC>-$fir, 69.?, 694, 705, 714-71(1 (G). Polyclès r.\draniitain, Mr. Polycléte, 2.Sg. 574. Polypliile (Songe de). Voy. Co- lonna. l'nmpci, 227, 25o, 2.S4. Pontaiiû ((iiov.), 24, 114, 120. Pontelli (Baccio). 70, îtt), 99, 104, 134-1.%, 378, 406, 47.% 476. 477. Pontormo, OiO. Ponts, 429-4.30. Ponzani (L.).64i. l'opf'i. 74, .S 12, 540, 619. Porcari. 4. Porcelaine (la). Voy. ('LTamiquc. Poicellio. Voy. Paiuloni. PoRCMi:s, 40.^. Porphyre (le), (38, Sog. Portes, Mi-^/> (G), ^ki-^ii (G). Porlinari (les).Voy. Milan ; S.Eus- torgio. Portiques, 71 (G), 74, 405. PûRTR.\iT (le), 3o-3i, 0, 146, 21» ,3oo (G). 336, 5o3, 591-594. Portui^al [le). 327. — (le cardinal de). Voy. San .Miniato. Pose de l.\ i'Re.miére pierre. .14. 379-.ii-!o. Pouille (ij). 121. 11/). Poussin, 275, ,146. Potizzolcs, I iS, 237. Prato. 4- (G), 71. 120, lOi, 3.56- 357 (G)i 376, 3tto, 3i!0, .587, 404, 4i6-4ii) (G), 425, Soi, 517, 519, 520, 523, 53o, 547, 549, Up, 664, 666-609, 6B5, 689. PmtovccchiO; 619. Praxitèle, 6, 217, 218, 359, 574- Previtali. il«. Primatice. 40. PROPRiiiTi; artistique, .V^7. Prudence, 211, 221. Ptolémée, OHo. Puget, 522. Puici (L.),64. Pl-TTI, 38ti, ?"/)■ (,)uailaraici (Rizzardo), 114-iKi. Quarto (Otlone). 114. Queicia (jacopo délia), .3o, 32, 74. 76 (G), 7(1, 142, 145, 1.5H, 261-203 (G), 290, 291, 33o, 41S, 425, 43o. ' 492, 496, 498, 499, 5o2, 5o8, 532. 5.59, 561-570 (G), 5to, 591. Quirico, 673-674. R Raguse, 45(). — (Paolo de), 109, 166, 174, to;. Uaibolini.Voy. Francia. Harliael. 27. M), 40. 49, 79, 88, i35, l.^(J, 134, 157, 234, 2.%. 244, 245, 247, 252, 2,54, 256, 257, 268, 272, 275, 284, 287, 294, .3o5, 307, 3o8, 320, 33 1, .346, 353, .3.56, .3.5!!, ,¥», .363, 372, 375, 3O2, 398, 478, 494, 304, Sgi, 592, 598, 607, 616, 628, 641, 646. 717, 719. Ravello. 121. Ravennc, 128, 2fX).2io, 2 16, 2.55, 450. Rjvenshourg (Juste de), 199, 674. Razanti, (xp. HÉALis.ME (le), 42-43, 279-.346, 362. 4<)4, 504. Reame (Mino del), 577. Recanali, 1,37. RÉFORMATION (la), 9. Reggio. 572. — (Piero de), i36. Roims, 94. .33o. Regiomontanus. Cîto. Rembrandt, .^46. ,594. René d'Anjou. VoY. Anjou. Rho (G. P. de). i8!3. Riario (les), in. 100. 1,^7, 238, 026. 572. 61)2. Riccardi (les), 459-4O0. Riccliini, 485. Riccio. i65, 167, 169, 2.58. — (les), 85-86. 174,480.492, 5(3o. 526, 584, 585. Voy. aussi Bregno. Riccommani (Fr.), 2rKi.5i2. Voy. Pietrasanta. Ricinier. 210. Rido. 571. Ridolli, 616. Rienzi, 214, 278. Rigo de Flandre, 148. Rimiiii. ii>. 12. 123-126 (G), 2.37. 266, 276, 326 (G), 376,.384, 39!!, 401, 402, 406-408 (G) , 41 1 , 425, 426, 43o, 432. 4.^ (G). 462, 463.476, .5oi,5ii. 526. ,53o (G), 5.S4, 628, 685 (C;), 6i«. — (Françoise de), i23, 1.39. — (Isotta de). Voy. Isotta. Rinuccini (.\.). 63. Ripanda (J. de). i58. Ripatransone (.\. de), !i2, 7(;8. Ristoro (Sel), 220. Rizzo. Voy. Riccio. Robetta, 70. Robbia (les délia), 9, 55,69. 74. 75, 80,82 (G), 121. 1.35, 235 (G), 261- 262, 276, 358. 390, 392, .396-398, 4(X), 4i5, 423, 438, 432, 492, 494, 5oi, .5o3, 5o6, 5o8. 309. 5 12, 521. .53 1. 542, 346, 553 (G), 555-.560 (G), .591, ()74 (G), 682. Robert Guiscard. 2i5, 216, 220. Rocchi (Crist.), 374. Rodari. 191. .3i!7, 586. Ko;)j,jç;7ie(/.!), 48.51, i2.3-i30(G), 580. Rotiunn. 192. Romano (Cristoforo). i.56. — (Giac. ('rislolbro),575. — ((iiulio). Voy. Pippi. - (Paluzzo). 576. — (Paolo), 87, 90, 91 (G), 97 (G). 112, 3, 464, 577, 578. — Porles, Sî::. ^.V). — Septi'/.onium, 2.^7. — Statues des Dioscurcs. r/(. 217, 250, (v4 ; — lie .Marc-Auicle. 254. 257. 40. .^73, 574, 623. 7fô; — de Marforio, 2.Î4; — du Tireur d'épines, 254. — (Fra Giovanni de), .355, (/il. Rose d'or, 692. Roselle (A. de), 199. Roselli (Cosimo), 75, 99, i34, 28i. 298, 320, 5<^. — (Francesco). 699. Rossellino l.\.|, 5o, 71, i36, 195. 260, 277, 320. .^58, 377, 401, 417, 418, 421, 423, 426, 43o, 494, 5oi, .''43, 544, 546-547 (G), 549, 591. — (B.), 25, 5o, 71, 74. 78. 82. 89, 92-93 (G), 104, 37«, 388, 396, 407, 423-427 (G), 463, 4Û4, 468- 470, 47.3. 474, 481 , 494. 5ciî, 343- 547 (G). Rossini. 49, 5i6. Rossis (Jac. de), 186. Rosso (le), 40, 427, 5oo, 526, SÎ5. O16. Rotharis (le roi). 95. Jioucn. 93. Rovere (les délia), 76,99, 100, 120, Vf}. 325. Roverella. .571, 572, 575. Rovezzano (B. de). 19R. Rmigo. 674 Rubens, 34O, 622. Ruberto, i.56. Rubinetlo, 149. Ruccellaî (les), 26, 3i, 63, 66, i65, 2.36. 326. 464, 4^/1. ar. Voy. Flo- rence : Palais .Mberti. Rugoiero, i.V». 7i!t. Ruisdael. .^^4. VJh.s.'.'iV (/a).!V). Sacchetli, 9, i5i, 323. Sacristies. 412, 414. Sadolet. 461. Sagondino (N.). 96. Saint- Apollinaiie, 168. — Denis, 21 5. — Gall, 212. 2.^. — Orner (Jean de). 186. — Pe/eritOMr^(>luséede),245, 358. — Voy. aussi San. Salaires, i52, i65, 352. Sjlerne 121, 2i5. Salluste, 242, 700. ' Saluces (marquis de), 196. Salutati (Coluccio), i33, 461. — (l'évêque), 425, 5o5 (G). Salviati d'archevêque), 304. San Casciano, 35!^. I — Daniele (Pellegrino de), 174. | — Donalo, 82. 1 — Gemio^Huno. 72. 77, 414, 417. ! — Lorenzo a Tignano, 509. ! — Miniato, 70, 292, 400, 406, ' 414. 422. 426, 544. 558. 619, 707 (G). ! San Gallo (.\nt.), 5o, 378. i — (Giul), 5o, 57, 71, 99, 100 I ii6, 118, 120, 137, 161, 199, 2o5 (G), 338-240 (G), 377, 3:«, 404. 473. a:''- Sandro di B.trtolo, 58i. Sannazar. 1 14. 1 18. I Sano di Piero. 79, Sanomerus (Joh.), if!6. Sansererino, 82, 106, i3o, 137, 298. 3(>i (G), 428. 476, 646. Sansovino (A.), 1.37, 198, 354. •- 425. - U-), 572. SanI' Angelo in i'ado. i.\>. Santi (Giôv.), i34-i36, 33i. Sarego, 422, 427, 585. Sartè (A. del), .V), 353, 616. Sarzane, 200. Sassari, 326. Savelli (les), 86. loi. 2i5. Savello, 88. Savoie (ducs de), 195-196. Voy. aussi : Papes : Félix V, et Sforza : Bonne. — (.Meimetus de), 186. Savonarole, 3, 291, 296, 3i2, 392, oiio. Sarone, 199. Saxe (Barbe de), 154. Scala (délia) et Scaliger. .'xi. i-3. 422, 585. " Scandinavie, 43, 327. Scarampi (le card.), 32 (ii), ■:<>, ■-.■, (G), 102. 172. Scarperia, 599. Sceaux, 690 (G). Schedel, 197 (G). Schiavo (Paolo). Voy. Badolini. Scliiavone (Greg.). 174, 21)8.6142. Schlifer (Nie), 257, 6!i9. Scolari (Fil. degli), 66. 431, 607, 624. Scozioli (Fil.)," 178. Sculpture (la), 44, 491-586 (G), et passim. Ségesle, 237. Séïinonle. 2,17. Sénèque, i35, 221, 359. Sentiment religieux (le), 1-2, 27- 28, 5i, loit, 273-274, 595. Seravezza, 200. Ser Giovanni, 9. i5i. SerliO, 119, 375. Sesto. 686. Seta (L. délia), 143. Setle (P.), 161). Sellignano, 547. — (Antonio de), 1 16. — (Desiderio de), 58, 66, 1^2, i36, i5i, 260, .^)7, 400, 401, 418, 419, 424, 425, 428, 443, 492, 494, ^99, Soi, 504. 5o8, 5i2, 543, 547- 549 (G), 5.%. S(>i (G), 572. — Voy. Fancelli. Sezze, 576. Sforza (les), 5, 11, 23, ii5, 166, 175- 191 (G). 25o, 257, 270, 291, .3o3, 317, .^'5. 39n. — (.\lexaiidre), 123, 127, i35. — (Baptistal.Voy.Montefeltro. — (Blanche), 184. - (Blanche-Marie), 191, 323. — (Bonne), i8Vi85 (G). — (Catherine, 10, 137. — (Constant), 127. — (François), 2, 31,34,54, 120, 127, 175, 177-185 (G), 190, 25o, 325, 363, 390, 458, 4a3-485, 641, 718. — (Galéas-.Marie), 170, 177 183-186 (G), 25o, 3i-, 438. Sforza (Ilippolyte). Voy. Aragon — (Jean-Galéas), 76, 188, 25o. — (I-udovic le .More), .?5, 48, 140, i85, 2.V1, 317, 325, .V4. — Voy. Riario Sforza. SiiRAFFiTE (le), 704. Sicile (la), 96. Sienne, 3, 6, ?o. 42, 47, 48, 76-78 (G), 90-92, 95, 104, 118, 164, 194, 19!), :i4. 227, 2^, 23ïi(G), 254, 263, 283, ■), 324, 325, .348, .35o, 354, 375, 7'i, .393, 407, 429, 400, 436, 4618, 470, 492, 5o6, 5o8, 5 16, 521, 56i- 563, 567-370, 596, 612, 614, 616, . 65o, 604-695 (G), 705, 706. 717. — cathédrale, 78, 195, 252, 256, 260, 264, 281, 282, 287, 413- 417 (G), 428, 538, 563, 564, 566, 570, 571 (G), 698-702 (G), 7o5, 707. — Ste-Catherine, 78, 407. — S. Dominique, 418. — Fonte Gaja, 430, 56i, SÛ4, 570. — Loges, 37, 78, 376, 429, 470, 570. — Palais . del Diavolo ■, 470. — Palais Nerucci, 78, 395,470. — Palais Piccolomini, 78, 92. -I, 3<>5 (G), 468, 469 (G), 470. Palais public, 228 (G). 247. 249 (G), 25o, 274, 288. 570, 708. — (.\gnolo de), 428. — (Agostino de), 428. — (.\inbrogio de), 706. — (Francesco de), 76, 114. — (Maccagnino de), 144. — (Pielro de), 76. Sigismond (l'empereur), 18, 397- 519. Signatures d'artistes, 357-358. Signorelli, 74. 80, 99, 100, 1.37, 244, 25i, 275, 278, 291, .^o5, 3i3, 314, 601, 616. Simone dei Bronzi. 532. — (prétendu frère de Dona- tello), i,%. Voy. Ferrucci. — di Giovanni. Voy. Ghini. Simonetta (lesi, 121, 177. — (la belle), 499-500. Sinigaalia, iMi. Sirceriïs (Pet. Joh.), 148. Slaves. 1O8. Sluler (Cl.), 43, 298, 346. 427, 519, 591. Sodoma (le), 32, 79, 194-196, 244, 353, 616, 62». Solari (Boniforte), 186, 484. — (Cristoforo), 187, 586. I Solario (les), i85, 334. — (.\ndrea). 187, 190, 194, 335. — (.\ntonio), 122. Solmona, 121. Soufflets a vapeur, 4.^4. Spagnolo (Filippo), i3o. Spani (Bart.),572. Spannocchi (les), 78, 393, 470. Spano. Voy. Scolari. Sperandio. 146. i5o. i50, i58 (G). Spinelli (Nie), .532. —Voy. Arezzo. Spinola (Eliano), 197. Spoléte, 77, 80, 82, 668, 671. Squarcialupi, 112. Squarcione. 172, 174, 237, 268, 350, 5ii5, 641-643 (G). Stagi, 200. Starnina, 296, 590, 596, 607. Stefaneschi (Card.), 576. 740 HISTOIRE DE L'ART PENDANT LA RENAISSANCE. Stefano di Francesco, 3;. — di Luigi, de Milan. 70:. — (Polidoro). -|3o, .172. Sténo (M.). i63. S/1.1, -A. Storebecher (Tli.). 186. Strada (T. délia). i2. SIrjsboiirg, ej2, 328, 33o, 374. Slrozzi (les), 7, 12, i.), ig, 23, 36, 57, 03, 05-07 (fi), 127, ii>5, 172, 323, 38o, 424, 5oi, 507, 6.iH. — (Zanobi), 700. Stucs (les), .S07, 5io, 697. Style gothique, 4043, 76-70, 107. 235, 32g, 373-377, .382-3!W, 491-403. 49.S-4g6. û!i4. 700-702. — RO.MAN, 280. Suaidi (Bram.), 201 (G). Siil^ijco, 101. 277, 421. Sui>er, 2i5. 348. Suisse il.ilieniie{la), 175, 704. Sujets ANTIQUES, 78, 80, 124, 141, 144, 149, 160 (G), 173, 20O-274, 2gi-2g8 (G), 397, 4g5, 40, 702- 704 (G), 711-712. Sujets profanes, i5i,i8.Vi84,2o6. 526. — (saint Nicolas de), 3("i, .341. — (Nicolas de), 624. Tolniezzo (G. F. de). 174. Tolomei. Vov. Federighi. Tombeau.k. 25 (G), 35'; 58 (G), 72 (G), 75 (G), 85 (G), io3 (G). 107 (G), 167 (G), 544-545 (G), 5.50- 557 (G). Tommaso. Voy. .Maso. Tornabuoni (les), 10, Û4, 66. 67 (G), loi. io5. 256, 317, 458. 571. Torclli-((;.). 60. TorcUo (Pietro), 5!lo. Torquemada, 680 (Ci). Torre (.M. \. délia), i!9i. Torregiani. Oio. Torrila. 2m. Toscane (/.?). 47-79, 120, 224, 324, 378, .380-382, .«6, 30, 439, 440 . 483, 492, 5o6, Su, 549, 572, 579, .58o, 602. 5io, 627. 65o, 652. 054, 04,6!î6.Voy. en outre Florence. — (Hugues, marquis de), 0, 400, 427. Tournai, 149, 3.to. Tournois. Voy. Joutes. Tours, 263. Tozzoli (Ciasp. de). 05. Tradate (Jac. de), 84 (G), 505. Trajan, 197, 211. Trani, 121. Travaux d'utilité publique, 3, 429-4.^. Traversari. Voy. .\mbroise le Ca- maldule. Trebtw. 54. Treguanuccio (Nic.1. 71V1. Trenta (les), 564. Treviglio, 190. Trévise, 168, 172-173, 365, .^66. — (Tionatello de), 173. Tribolo, i.?7. Tribunes de chanteurs. 415. Trinci (les), 80, 86. Trivulce (les), i85, 201, 326. Troia, 121, 216. Tron (Nie), 584. Troycs, 257. Tubingen. i55. Tuccio d'.\ndrea di Pugha. i0. Tuiles, 38i. Tunisie [la), 5, 214, 320. Tara (C), 146, 148, 149, 624, 698. Turin, h», i0, 376, 407, 642, 694, 7'7- Turini (les), 415, 570. 70. Tutilo, 2i3. Types (les), 498-500, Sgi. u Ubaldini, 562. Uberti (Farinato degli). 624. — (Fazio 'degli), 1S7 (G), 2.37. 280, 28g, 700. Ubriacchi (Fra Bernardo degli), 70. Uccello (Paolo), 40, 42, 5o, 55, 58, 136, 172, 242, 2Û4, 292, 20, 3o5, 320, 339-342 (G), 357, 456, 5i6, 50, 01, 03, 04, 616, 618-Û23 (G), 623. 627. 642, 670, 70. l'dinc, 174. — (Battista d'), 174. — (Giovanni de, Panlaleonid'). 710. — (.Martiiio d'). 174. Ugolino (Ferrare), 717. Ulm, 92. 159, 355. — (Niccolo d'), 92. Urbin, 49, 0. 64, 77, 78, 80, 121, 123, 128-137 (G), 140, 148, 195, 198, 25o, 20, 270, 298, 3oi (G), 326, .328, 329, 376, 377, 384-385 (G), 30, 393. 400, 402 (G), 4.33, 4.34, 437, 473 (G). 47fr-479 (G), 58o, 586 (G). 589 (G), 645 (G), O74-698 700, 7(19. 718. — (Clémente d'), 689. — Voy. aussi .Montefeltro et Carnevale. Uzzano (NMccolô da), 67, 33o, Sig, 520 (G). 616. V Vadi (F.), 68g. Vaga (Perino del). O16. 717. Valdambrini iF.), 532. \'al d'Eisa, >rj. Val d'Ema, 05, 416, 420-422. Valla (L.), 21, 109, 188, 461. Vallombrosa, 421. Valori (B.). 616. Valturio. (i'a-iiii (G). Vandales et vandalisme, 67-68, 20. Van der Meer, 336. Van der Weyden, 43, 121, 140, 144, .33i, 334, 6,5o. Van Eyck (les). 43, 58, 121, 298, 33O-330, iXi, .346. 5So. .Soi. 6i3. 688. Vaprio, 641. Varallo (Nie), ifJ6. Varano, 137. Varchi. 137. 375. ^'arese, igi. Varrone. Voy. Florence. Vasari (Georges; l'ancien), 711. — (le jeune), passim. — (Lazzaro), 74. Vecchietta (le), 78, 104. 504 (G), 570. 05o, 7cX). Vecchio (Vico del), 70. Vegio (.Maffeo), 188. Velasquez, 342. Velchirch. 186. Vellano, 258, 526, 578, 585. Vdletri, 576. Vélo, 706, Vénétie (la). Voy. Venise. Veneziano. Voy. Venise. Venier (.•\.), 425. Venise, 6, 3o, 40, 42, 45, 48, 54, 55, 74,79, 0, 98, Ile, 120, 121, i35, iSg, 161-170 (G), 194, 197, 198, 2o3 (G), 2i3 (G),2i5, 216, 241 (G), 252, 256, 268, 276 (G), 278, 3o2, .V,.5, ,349, 365 (G), 372, 376, 377, .380, 388, 3g3, 3g4, 30, 401, 41g, 422, 424-428, 430, 43g, 458, 40, 476, 480, 482, 5ii, 521, 567, 572, 5ito, 582, 584, 585, 58? (G), 594, TARLI-: ALPFI ABllTIQUE DES .NOMS ET DES MATIÈRES. 741 5qQ, 600, 602, 625, 633, 642, 6^3, 6^7, 672-674 (G), 6!)o, 686, 680, 702, 707, 709, 711, 713 (G), 717, ]'cnisc. S. Marc. i«!, 226 (G), 255, 522, 672. — Corpus Domini. ii. — Frari, K*, 160, 426, 428, .584. — S. Giovanni Crisostomo, 169. 404. — S. Giovanni Evang;e!ista. 169. — S. Giovanni e Paolo , 164, 166, 167 (G), i6g, 425, 426, 481. — S. Marco; Scuola, iôq. 3!:!4, 410,481. — S. Maria dei .Miracoli, 161. 169, 371, 392, 3g4, 410. 481. — S. Michèle. 169, 382. — S. Rocco, 392. — S. Zaccaria, i6<;, 392, .''94, 409 (G), 480. — Églises diverses, 26!.!, 385, 410, 4.36. — Académie, 2.%. 276, 314 (G), ,3.33 (G), 420, 673 (G). — Ca d'Oro, 168, 396, 432, 481 (G). — Musée Correr, 142, 257, 434. — Palais Corner Spinelli, .382, .V3, -(33. — Palais ducal, 164, i65, 169, 220, 296, 3o2, 376, 388, 394, 396, 400, 5oo, 583-5a4 (G), 614, 635, 647. — Palais .Minelli, .388 (G), 482. — Palais Vendramin Calergi . 3<)3, 433. — Palais divers, 142, 1O9, 482. — (.■\ntonio de), 590, 596. — (Carlo de), 702. — (Donienicode),36, 56,58, 137. 166, 604. 623, 624. 626 (G), 628, 696. — (Fra Giovanni de). 70O. — (Fra Jacopode), i3(j. — (Giorifio de). i.36. — (Pier .\ntonio de). 118. — (Piero di Giovanni de). 71. — (Paolo di Bartolommeo de). 71.5. Verceil, 196. Vernia (,1a), 74, 421, 558-560, 674. l'eroMi;, 6, 3o, 48, 5o, 1.39, 142, 166- 168, 173-174 (G), 198, 237, 256, .382, 393, 422, 427, 428, 482, 5o8, 5^)7, 582, 585, 597, 6.34-630 (G), 63iî, 640, 641, 643, 6iîo, 086. — (Fra Giovanni de), 355, 708. — (Libérale de). 174, 698, 702. — Voy. Libri et Scala. Véronèse (Paul), 346, 604. Verri£rie (la), 107, 711-712 (G). Verbikrs. Voy. Peinture sur VERRE. Verrocchio (.\.), 35, 40, 5o, 37-59 (G), 67-71, 100, 101, 160, i65. 166, 192, 280, 286, 290, 292, 296- 297 (G), 323, 358, 432, 489, 492, 49.3, 5oo-5io, 5i2, 543, 546, 548, .571, .572, 504, 616, 693, 694. VcrsjUtes, i8tî, 432. l'ersilie {la), 175, 200. Verulanus (Joh- Sulp.), 238. Vespasiano. Voy. Bisticci. Vicdiio, 651-652. l'icence, 172, 190, 482. — (Gerardo de), 717. Vkovaro, 70. 100, 104, 376, 405. V'ic«He(.\utriche), 7, 241, 257, 259, i 328, 36!!, 613, 705. Vigevaiio, 190, 376. 486, 718. Visrne (.\ndré de la), 4.38. Vignon (Louis). 148. Viïlalbra(F. de). 144. ViUana (la Beala). \'ov. Rossc'.- lino (B.). Villani, 21, 24. 67. ViLL.\s. 54. .57, io5, 119, 437. Vitkrs-Colterels, 263. Vinci (Léonard de), 27, 39, S2, 57, 68. 140, i54, 179. i85, 188, 194, 256, 261, 272, 298, 3o4 (G), 3o6- 3o8, 323, 338, 342, 353, 354, 36o, 362, 405, 441, 460, 468, 594, 616, 627, 638, 640, 641, 717, 719. Vincigliata, 5i2. Virgile, 32, 64, 207, 209, 218, 219. 228, 272, 658. Visconti (les), 3o (G), 5o, i5o, 176, 'i82-i9>i (G), 20, 325, 385, 422, '483, 640-641. 6S7. 702. Vile (Anl.), 5c/i. Vitelleschi (les),.3o, 86-87, 102, 104. Voy. Cornelo. Vitelii (les), 82. Viterbc. 92, 104, 716. — (Fra Antonio de), 86, 90, 509.661. — (Dionisio de), 57, 78. — (.Malteo de), 288-289. Viti (Tini.), 157. (W7. Vilruve, loO, 2,38, 36O-308, 382, 387, 449. Vivarini (les), i65, 168, 630, 674, 706. Voy. -Murano. Viviano (M. A. di), 706. Voirie (la), 68, »;, 99, .375. Volpaia, 57. VoUerra, 34, 77, 549. — (Francosco de), 590. w Warin, 341. Wechtelin (J.), 677. Weyden. Voy. Van der Weyden. Winchester (Henri de), 219. Wurtemberg (Eberhard de). i55 Zanino. Voy. Agni. Zanobi (Saint). Voy. GliibL-rti. Zavatlari. 041. Zenale (B), ifB, 190, 36o, 641. Zenone (Const.), 641. Zeuxis. 244. 264. Zevio (Stefano da), 173, 174. 585, 638, 640. ! Zingaro. Voy. Solario. I Zoppo (.Marco), i58. 1 Zuccheri, 448. TABLE DES CHAPITRES Patres. IXTRODL'CTION. — I. Dciinition du mot l^cn.iiss.mcc. -- La Société italienne au quinzième siècle. — Princes et Condottieri; Prélats et Moines; Banquiers, Bourgeois, Artisans et Paysans. — La Femme italienne. — IL La Littérat-ure italienne. — IIL Rôle de l'Art pendant la Première Renaissance. — IV. Division chronologique du sujet. — L'Art du mo\en âge et l'Art nouveau I LIVRE I. — LES MÉCÈXES. — F.XCOURAGE.MENT DES ARTS ET PROP.\G.\XDE DE LA RENAISSANXE. — GROUPE.MENT RÉGIOXAL DES ÉCOLES 4.T Chapitre I. — Les Médicis et le Milieu llorentin. — Pise, Lucques. Sienne et les autres villes de la Toscane. — L'Ombrie : Pérouse et Orvieto 47 Chapitre II. — La Première Renaissance à Rome. — Martin V. — Eugène IV. — Nicolas V et la transformation de la Ville Éternelle. — Pie II et Pienza. — Paul II et le Musée du Palais de Saint-Marc. — Sixte IV et la Chapelle Sixtine. — Innocent V!II. — Les Environs de Rome 8.1 Chapitre III. — La Première Renaissance à Naples. — Ladislas et Jeanne IL — Alphonse le Magnanime. — L'Arc de Triomphe du Castel Nuovo. — Ferdinand. — Le duc de Calabre. — La Porta Capuana. — La villa de Poggio Reale. — L'Importation florentine et l'Importation flamande. — La Sicile lo5 Ch.witre IV. — La Romagne et les Marches. — Rimini et les Malatesta. — Une Cour pa'ienne au quinzième siècle. — Pesaro et Alexandre Sforza. — Urbin et le duc Frédéric de Montefeltro. — Forli. — Ancône I23 Chapitre V. — Ferrare et la famille d'Esté. — Les marquis Nicolas, Lionel et Borso. — Modène et Parme. — Les Pic de la Mirandole et les seigneurs de Correggio. — Mantoue et les Gonzague. — Barbe de Brandebourg. — Bologne et les Bentivoglio . i.ig Chapitre VI. — Venise et la Vénétie. — Le Luxe et l'Art. — Le Grand Conseil et !o Palais des Doges. — Un dernier boulevard du Byzantinisnie en Italie. — Importance de la Colonie étrangère à Venise. — Padoue. — Vérone. — Vicence. — Le Frioul. — La Dalmatie et l'Istrie lOi Chapitre VIL — La Lombardie. — Milan et les Sforza. — Les ducs François et Galéas Marie. — L'couvre du Dôme. — Pavie et la Chartreuse. — Brescia. Lodi. Crémone. Côme. — La Suisse italienne. — Bergame et le CoUeone. — Diffusion de l'élément lombard dans la seconde moitié du quinzième siècle. — Le Piémont. — Gênes et la Ligurie. — La VersiUe 17.S TABLE DES CHAPITRES. 74.3 LIVRE IL — LES ÉLÉMENTS COXSTITUTirS DE LA PREMIÈRE RENAISSANCE. — LA TRADITION. — LE NATURALISME. — LES .MÉTHODES D'eNSEIGNEMENT 20.3 Chapitre I. — La Tradition. — L'.-\rt byzantin et l'An antique. — Le culte de l"An- tiquité au moyen âge. — Les Dieux en exil. — La Renaissance Carlovingienne. — Trophées et Légendes. — La Renaissance au douzième et au treizième siècle. — L'École de Pise et Giotto 2o5 Chapitre IL — La Tradition (suite). — Influence de l'Antiquité sur le quinzième siècle. — Les Idées et les Sujets. — Lucien de Samosate et les « Gesta Romanorum ». — Les Formes. — La Tradition chrétienne. — Influence de Dante et de Pétrarque. . 23i Chapitre III. — Le Réalisme. — Premières tentatives chez les sculpteurs de l'École de Pise et chez Giotto. — Les Débuts du Paysage. — Les Auxiliaires du Réalisme au quinzième siècle. — La Perspective. — L'Anatomie 27g Chapitre IV. — Le Réalisme (suite). — L'Iconographie sacrée et les Sujets contempo- rains. — La Caricature. — Les Éléments pittoresques du quinzième siècle. — Fêtes et Cérémonies. — .Mœurs, Modes, Costumes et Emblèmes. — Parallèle du Réalisme italien et liu Réalisme flamand lip Chapitre V. — L'Éducation artistique au quinzième siècle. — L'Orfèvre de la Renais- sance. — Rôle et Condition des Artistes. — Les Corporations. — Les Encyclopédistes. — • Les Théoriciens. — L'Esthétique. — L'Organisation du Travail et les Idées sur la Propriété artistique 347 LIVRE III. — l'architecture. — de brunellesco a bram.\nte 36g Chapitre I. — Le Style gothique et le Style de la Première Renaissance.- — L'Archi- tecture du quinzième siècle. — Organisation des Chantiers. — La Construction et ses différents éléments. — La Voûte, la Colonne, l'Entablement, les Portes et les Fenêtres. — La Polychromie. — L'Ornementation 071 Chapitre IL — Les Églises de la Renaissance. — Le Mobilier Religieux. — L'Architec- ture funéraire. — Les Hospices. — Les Bibliothèques. — Les Palais. — Les Villas et les Jardins • 400 Chapitre III. — L'Ecole florentine et Brunellesco. — La coupole du Dôme de Florence. — S. Lorenzo, S. Spirito, la Cappella dei Pazzi et la Badia de Fiesole. — Les Palais des Pazzi et des Pitti. — L'Hospice des Innocents. — Génie et Influence de Bru- • nellesco. — Michelozzo Miclielozzi. — Léon-Baptiste Alberti. — Bernard Rossellino. 4.3g Chapitre IV. — Les Architectes de Rome, d'Urbin, de Venise et de la Lombardie . . . 47.1 LIVRE l\. — - la sculpture. — de don.vpeli.o a verrocchio 4f!g Chapitre I. — La Sculpture italienne du moyen âge et la Sculpture de la Première Renaissance. — Essor de l'École florentine. — L'Idéal nouveau. — La Conception des Sujets. — Le Style. — La Technique. — La Sculpture du quinzième siècle a-t-elle été polychrome? 4gl Chapitre IL — Les Novateurs. — Donatello, ses Précurseurs et ses Élèves .ÏII Chapitre III. — Les Représentants du Style de transition. — Ghiberti : Les Portes du Baptistère. — Les Statues d'Or San .Michèle. — La Châsse de saint Zanobi. — Les Rossellino. — Desiderio de Settignano. — Mino de Fiesole. — Luca délia Robbia. .î3i Chapitre IV. — Jacopo délia Quercia et l'Ecole siennoise. — L'École romaine. — La Sculpture à Naples, à \'enise et en Lombardie •"'61 744 HISTOIRE DE L-ART PENDANT LA RENAISSANCE. LIVRE \'. — LA PEINTURE. — DE MASACCIO A MAN'TEGNA 587 Chapitre L — Les Giottesques et ks Peintres de la Première Renaissance. — Les Sujets. — Le St3-Ie. — La Technique 58g Chapitre II. — L'École florentine. — Les Novateurs. — Masolino et Masaccio. — Paolo Uccello et Andréa dtl Castagne. — Piero della Francesca. — L'École lom- barde. — Pisanello. — Le Squarcione et Jacopo Bellini 6o3 Chapitre III. — Les Représentants du style de transition. — Gentile da Fabriano. — Fra Angelico. — Fra Filippo Lippi b^5 LIVRE VI. — LA gravure, les .\rts décor.atifs 67S Chapitre unique. — La Gravure. Les Arts décoratifs. — Le nouvel .ige du bronze. — L'Art du médailleur. — L'Orlevrerie. — La Glyptique. — La Miniature. — L'Émail. — La Céramique et la Verrerie. — La Peinture en matières textiles. — Conclusion 677 TABLES. Table des gr.avures insérées dans le texte 721 Table des planches hors texte . 726 Table alphabétique des no.ms et des .M.vriÉREs 727 Revers tl'unc nicJaillo *.ic Ni^:colo rinrenlino. PARIS. — TYPOGRAPHIE A. LAHURE, 9, RUE DE ELEURUS. Jt4 ^:^ / '^TT -^.; ^ 1^ Û^l V-i^^ m^A 'w VY'V '. ^^Jtr^X^ 'if^A N ' , , ^ *- \ \ ^ N 6915 M9 t.1 l^tz, Eugène Histoire de l'art pendant la Renaissance PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY --^ ::fm^ r: : ■ '^ j⣠<■*